
Où John veut une famille et où Sherlock râle... encore.
Le réveil sonna bruyamment tirant les deux hommes endormis de leurs sommeils. John tendit la main pour le faire taire, sous les grognements de Sherlock.
- Pourquoi tu as mis le réveil ?
- Parce que nous sommes le 22 décembre, que le réveillon est dans deux jours, qu’il me reste des choses à préparer et des courses à faire, et que nous avons une nouvelle aventure qui nous attend. Bref, j’ai une journée chargée, répondit posément John en sortant du lit.
Sherlock le regarda s’habiller, toujours bien enfoui sous la couette, puis ronchonna :
- Tu ? Et moi ?
John se retourna pour le regarder, amusé.
- Tu comptes venir avec moi faire les courses ? Et m’aider à faire le ménage, le rangement, s’assurer qu’on a ce qu’il faut comme vaisselle, que tous les cadeaux sont achetés et emballés ? Bref que ce qui doit être prêt est prêt ?
En soupirant Sherlock se leva à son tour, puis contourna le lit pour rejoindre John et l’embrasser.
- Et pour demain ? Tu as une journée chargée aussi ? plaisanta-t-il.
- Parfaitement, répondit John en riant. Ma tâche la plus difficile va consister à te tenir occupé pour que tu ne sois pas dans mes pattes pendant que je cuisinerai.
- Je pourrai t’aider, suggéra Sherlock.
- Toi ? s’exclama John en éclatant de rire. Sherlock, tu sais à peine faire griller un toast...
- Détrompe toi, je sais parfaitement faire griller un toast, le contredit le détective. Je connais la température idéale et le temps de cuisson à la milliseconde près pour obtenir le parfait croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur.
- Pourquoi ne l’avoir jamais fait ? Depuis que je suis là, je ne t’ai pas vu faire la cuisine une seule fois, mis à part des toasts ratés la plupart du temps, dit John en fixant son compagnon d’un air soupçonneux.
- Parce que tu ne m’en as jamais laissé l’occasion, contra Sherlock avec une mauvaise foi évidente.
John le fixa longuement, puis sourit malicieusement.
- Très bien, tu as raison. Je vais prendre ma douche et m’habiller, tu as tout le temps nécessaire pour me préparer un petit déjeuner de roi et bien consistant. Je t’en donne l’occasion. Mieux, je te le demande ! Je veux goûter ta cuisine.
Puis le médecin quitta la pièce, laissant Sherlock seul, à moitié nu et presque vexé de s’être fait prendre à son propre piège.
Dépité, mais reconnaissant la victoire incontestable de John, Sherlock entreprit donc de préparer un vrai petit déjeuner pour son médecin personnel. Pas juste un thé... Non, un vrai petit déjeuner complet, avec thé, toasts, œufs brouillés, bacon et flageolets à la tomate. Heureusement pour lui, il trouva tout le nécessaire dans les placards et dans le frigidaire. Il remercia intérieurement John et sa prévoyance.
Quand celui-ci sortit de la salle de bain il trouva son petit déjeuner prêt et fumant, disposé de manière tout sauf artistique dans une assiette trop petite pour tout contenir. Cela l’amusa beaucoup et il s’installa pour déguster le repas préparé par son colocataire. Tournant autour de lui tel un vautour autour de sa proie, Sherlock guetta les moindres micros expressions du blond, attendant avec une impatience non dissimulée son verdict sur ses talents culinaires.
- Hum... J’avoue que tu te débrouilles plutôt bien, dit John. A partir de maintenant, compte sur moi pour te donner plus souvent l’occasion de me démontrer tes compétences et tes connaissances dans cette science délicate qu’est la cuisine.
Sherlock sourit et s'éclipsa à son tour dans la salle de bain pour se préparer, laissant John à son petit déjeuner.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes étaient fin prêts et tenaient le calendrier de l’avent entre leurs mains. D’un geste sur, John ouvrit la case numéro vingt-deux et en sortit le chocolat, les bras de Sherlock l’entourant. Le brouillard se déclencha, les emportant avec lui vers de nouvelles contrées inconnues.
Ils atterrirent dans une rue animée, au bord de la mer. Des vendeurs étalaient leurs marchandises sur le bord de la route, tournant le dos à la baie, et criant pour attirer le client. Curieux, John et Sherlock longèrent le marché, admirant la mer chatoyante sous le soleil. Ils notèrent les tenues des passants, datant du début du vingtième siècle selon Sherlock, ce que John cru sur parole.
Des affiches de propagande sur les murs et des tracts tombant du ciel leur confirmèrent qu’ils étaient au début du vingtième siècle, et en pleine première guerre mondiale. D’énormes bateaux firent soudainement leur apparition dans la baie et des alarmes se mirent immédiatement entendre affolant les habitants de la bourgade. Sherlock saisit la main de John et piqua un sprint, conscient que ce genre d’alarmes n’étaient jamais bon signe et qu’il leur fallait trouver un abri très vite.
Dans la panique, une vieille dame fut violemment bousculée et manqua tomber au sol. Un enfant avec elle tenta de la rattraper, mais seul il n’y serait pas parvenu. Heureusement John vola à son secours, lâchant de la main de Sherlock. Ce dernier râla mais tourna les talons pour rejoindre son trop gentil médecin personnel.
- Ça va Madame ? s’enquit John soucieux. Vous ne vous êtes pas fait mal ?
- John ! On n’a pas le temps, il faut se mettre à couvert ! grogna Sherlock en voyant John s’assurer que la vieille dame n’avait rien.
- Non, tout va bien, merci jeune homme, répondit l’honorable mamie. Ma maison est juste là, venez vous y réfugier vous et votre ami.
- Mamie ! protesta l’enfant avec elle.
- On ne va pas laisser ces messieurs dehors alors qu’un bombardement est imminent, rétorqua la vieille dame.
L’enfant protesta mais la vieille dame ne laissa le choix ni à ce dernier ni aux deux Londoniens, et poussa tout ce petit monde par la porte de sa maison, refermant derrière elle au moment même où la première bombe tombait. Elle tourna rapidement l’étrange serrure et le silence se fit immédiatement. Plus d’alarmes... plus de bombes... plus de cris affolés... Rien que le bruit de leurs respirations et le crépitement du feu dans la cheminée.
Surpris, Sherlock poussa sans aucune douceur leur hôte et ouvrit la porte. Il se figea sur le seuil en voyant un champ verdoyant, parsemé de quelques fleurs sauvages et un magnifique lac s’étendre devant lui. Plus de rue, plus de baie, plus de bateaux, plus d’étals croulants de fruits et légumes... Plus rien de tout ceci... Seul le vent et la nature régnaient en ces lieux. Et un épouvantail qui sautillait jusqu’à eux...
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-il incrédule.
- Vous êtes bien curieux jeune homme ! répondit la vieille dame. Laissez donc cette porte ouverte et aidez moi à sortir la table et des chaises, nous prendrons le thé dehors.
- Mamie, protesta l’enfant. Ce n’est pas raisonnable ! Ce sont des étrangers ! Et...
- Ils sont jeunes et vaillants, et visiblement perdus, l’interrompit ladite mamie. Va aider ce monsieur, je m’occupe du thé.
Puis attrapant le bras de John elle l’entraîna à sa suite dans le séjour, situé quelques marches plus haut que le vestibule. Sherlock se retrouva seul sur le seuil, avec le gamin roux qui le fixait d’un regard soupçonneux.
- Où sommes nous ? demanda-t-il.
- En sécurité, rétorqua le gosse. Vous êtes qui vous ?
- Sherlock, Sherlock Holmes, et mon ami s’appelle John. John Watson. Et toi ?
- Marco... Je suis l’apprenti d’Hauru.
- Qui est Hauru ?
- Vous connaissez pas Hauru ? Mais vous venez d’où ? s’exclama Marco incrédule.
- La table ne va pas se sortir toute seule, les interrompis leur hôtesse les poings sur les hanches en haut de l’escalier.
- Oui, pardon Mamie, s’excusa Marco. Allez Sherlock, on y va !
Le détective n’eut d’autre choix que de suivre le garçon, montant les quelques marches vers le séjour pour prendre une table ronde et la descendre dehors, Marco le suivant avec deux chaises empilées l’une sur l’autre et étant plus hautes que lui.
Près de la cheminée Sherlock vit John aider la vieille dame à préparer le thé. Il sourit en entendant leur hôtesse parler au feu, mais se figea net quand celui-ci répondit :
- Ce n’est pas prudent Sophie. Hauru sera furieux quand il l’apprendra.
- Il ne l’apprendra pas, et c’était un cas de force majeure, rétorqua la vieille femme.
Curieux, il se rapprocha de la cheminée, se demandant à qui parlait l’honorable mamie.
Quelle ne fut pas sa surprise de voir deux yeux et une bouche dans les flammes. Sans réfléchir il tendit la main vers le feu, mais une poigne ferme l’empêcha de se brûler en avançant plus.
- Sherlock ? Que fais tu ?
La voix de John lui fit tourner la tête vers ce dernier. Tout en lui tenant fermement le poignet, John le fixait d’un air soucieux.
- Le feu... Je voulais... avoua Sherlock.
- Il brûle, répondit John en levant les yeux au ciel et en lui lâchant le poignet. Et il parle effectivement. Sophie, notre généreuse hôtesse m’a expliqué qu’il s’agissait d’un démon nommé Calcifer. C’est grâce à sa magie que la maison change si rapidement d’endroit, et qu’elle se déplace.
- La magie, râla Sherlock. Encore ?! Sérieusement John ! Nous ne sommes plus des enfants !
Puis sans attendre plus d’explications, il tourna les talons et alla chercher les deux chaises restantes pour les emmener dehors, évitant à Marco de se rompre le cou dans les escaliers. Il entendait parfaitement le rire de John dans son dos mais il préféra ne pas relever. Même s’il rechignait à l’admettre, il devait reconnaître que l’explication de la magie aussi fantaisiste soit-elle était la seule qui tenait un tant soit peu la route dans toute cette histoire de calendrier.
Mais la magie n’existait pas ! Si elle existait, il y a longtemps que cela se saurait ! Des scientifiques auraient fait des recherches, qu’il aurait étudié évidemment. Et les gens ne seraient pas aussi admiratifs devant de simples tours de prestidigitations. Sherlock fronça les sourcils, un lointain et vague souvenir se rappelant à lui : Les Sorcières de Salems. Il ne s’y était pas intéressé plus que ça, juste le temps de découvrir que ces pauvres femmes avaient été jugées et tuées simplement par stupidité et peur, comme tant d’autres avant et après elles.
Il posa les chaises autour de la table et s’y laissa tomber, plongé dans ses réflexions. Il ne vit pas l’épouvantail sautiller autour de lui, ni Marco courir pour aider Sophie à sortir le plateau de thé avant de se rendre compte que John l’avait précédé. Il ne vit pas non plus tout ce petit monde prendre place à table avec lui, ni le thé être servi. En fait il ne sortit de ses pensées qu’en entendant le rire de John.
Levant les yeux, il vit le médecin en tee-shirt, le pantalon relevé jusqu’aux genoux, en train de se protéger des éclaboussures que faisait Marco en courant autour de lui dans le lac.
- Vous m’avez l’air bien pensif, lui dit Sophie en souriant, attirant ainsi son attention sur elle.
- C’est cette histoire de magie, avoua-t-il. Je n’y comprend rien.
- Moi non plus, répondit la vieille femme en riant. Et je crois qu’il n’y a pas grand chose à y comprendre.
- Qui est Hauru ? demanda Sherlock changeant de sujet.
- Un magicien très connu et respecté dans notre monde, expliqua Sophie. Mais la plupart des choses qu’on raconte sur lui sont fausses. Ce n’est qu’un jeune homme comme les autres, dotés de grands pouvoirs.
- C’est votre fils ? Ou votre petit fils peut-être ?
Sophie éclata de rire, attirant l’attention des trois autres sur eux.
- Dieu me garde d’avoir un fils ou un petit fils tel que lui, plaisanta la femme. Je sais que je parais beaucoup plus vieille que mon âge, une sorcière m’ayant jeté un sort. En réalité je n’ai que dix-huit ans. Je suis venue voir Hauru en espérant qu’il pourrait rompre le sortilège, mais comme vous pouvez le constater ce n’est pas encore arrivé. En attendant je me rends utile en m’occupant de cette maison.
- Sophie fait super bien la cuisine, s’exclama Marco. Et Hauru l’aime beaucoup, comme nous tous.
- Dix-huit ans ? S’étonna John en enfilant son pull laissé sur sa chaise un peu plus tôt. C’est un vilain sort que vous a lancé cette sorcière.
- Je m’y suis faite vous savez, je suis juste un peu moins rapide qu’auparavant. Mais Marco et Calcifer m’aident bien.
Sherlock prit sa tasse et bu une gorgée du thé préparé plus tôt. Il n’écouta pas la conversation entre les trois autres, mais il regarda les expressions des uns et des autres. C’était étrange de se trouver là, dans ce cadre idyllique, à prendre le thé entouré de gens qui n’avaient aucun lien de sang entre eux et qui pourtant semblait se considérer comme une famille. Un tic nerveux agita sa bouche et il dut se concentrer pour ne laisser de sombres pensées l’envahir.
John se leva pour aider Sophie à débarrasser, puis il lui proposa son aide pour étendre le linge. Quelques minutes plus tard, Sherlock se retrouvait donc à étendre du linge sur un fil tendu entre un épouvantail sautillant et un coin de l’étrange maison, John à ses côtés. Oui, John l’avait réquisitionné, et bien qu’il ait râlé tant et plus, il avait fini par céder devant le regard réprobateur du médecin et celui tendrement amusé de Sophie. Il était faible face à John et aux vieilles dames, Mrs Hudson pourrait en témoigner. Heureusement ni John, ni leur logeuse n’avoueraient jamais cette faiblesse à quiconque.
Ils finissaient tout juste quand la voix, bien connue, résonna :
- Oh ! Oh ! Oh ! Embarquement immédiat dans 10...
- Qu’est-ce donc que ceci ? s’enquit Sophie en regardant autour d’elle à la recherche de l’origine de la voix.
- La magie du calendrier, répondit John qui lui avait raconté le mystère de leur arrivée plus tôt.
- 9...
- Oh ! Et donc vous allez nous quitter je suppose, dit Sophie.
- Avec regret, soyez en sûre, confirma John en souriant.
- 8...
- Mais je n’ai même pas pu te montrer ma magie, s’exclama Marco en attrapant une main de John.
- Désolé Marco. Mais qui sait, peut-être qu’on se reverra, s’excusa John.
- 7...
- Vous n’allez pas repartir comme ça, décréta Sophie en se levant. Je reviens très vite.
- Vous avez jusqu’à 1, lâcha Sherlock.
- 6...
Marco suivit Sophie en courant, laissant les deux hommes seuls avec l’épouvantail. Sherlock suivit le regard teinté d’envie et de tristesse de John, et sentit son tic nerveux le reprendre.
- 5...
Mais il n’eut pas le temps de dire quoique ce soit que Marco réapparaissait, suivit plus lentement par Sophie.
- 4...
- Tenez, s’exclama le garçon en tendant à John un livre. Il y a des explications sur la magie dedans.
- Mais cela va te manquer, protesta John.
- 3...
- Je l’ai en double, réplique Marco en riant.
- Tenez pour vous, intervint Sophie en leur tendant un petit carton avec d'étranges symboles dessus.
- 2...
- Merci, souffla Sherlock, mais...
- C’est un sortilège de protection pour les maisons, expliqua rapidement Sophie. Accrochez le devant une fenêtre ou votre porte, il vous protégera.
- 1...
Le tourbillon se déclencha et les deux hommes disparurent, John hurlant merci en espérant avoir été entendu de leurs hôtes. Dès leur retour, John s’empressa d’aller accrocher le sortilège de protection dans le sapin, sur la branche la plus proche d’une fenêtre. Puis il se tourna Sherlock et lui sourit. Mais Sherlock fut bien incapable de répondre à son sourire. Sans un mot il prit son violon et commença à jouer un air triste à pleurer.
Il entendit John soupirer puis sentit les bras de ce dernier l’enlacer rapidement avant de le sentir s’éloigner. Les bruits dans la cuisine l’informèrent que John s’y activait. Il se concentra sur sa musique, chassant les idées moroses qui flottaient dans son cerveau. Mais c’était sans compter John et son intuition. Profitant d’une pause dans la musique, ce dernier lança innocemment :
- C’était sympa ce petit moment avec cette famille.
L’archet de Sherlock glissa brusquement sur les cordes qui grincèrent atrocement. Les lèvres du musicien se crispèrent en un tic nerveux. Il hésita quelques secondes, puis décida de mettre les pieds dans le plat, une bonne fois pour toute. Posant son violon, il rejoignit John dans la cuisine et prudemment lâcha ce qui lui pesait depuis plusieurs heures :
- Tu sais qu’on ne pourra jamais fonder une famille ensemble ? N’est-ce pas ?
John releva les yeux vers lui, surpris, et éclata de rire ce qui vexa Sherlock. Ce dernier tourna les talons et rejoignit le séjour où il se laissa tomber dans le canapé. John ne tarda pas à le rejoindre, un sourire accroché aux lèvres. Il poussa les jambes du détective pour s’asseoir et le fixa intensément.
- Je sais parfaitement qu’on ne pourra pas avoir d’enfants ensemble. Mais une famille ce n’est pas nécessairement des gens liés par le sang, expliqua John.
Sherlock ne dit rien, attendant de voir où John voulait en venir.
- Regarde, Sophie, Marco et Hauru n’ont aucun lien de sang entre eux. Pourtant ils forment une famille. Toi, Mrs Hudson et Greg, je vous considère comme ma famille, plus que ma sœur. Nous formons déjà une famille, Sherlock. Et pour les enfants... La vie que nous menons actuellement me convient très bien. Mais je te promets que si un jour je veux des enfants, tu seras le premier à en être informé. On pourra alors discuter des solutions possibles.
Rassuré, Sherlock sourit à John puis se releva pour l’embrasser. John se leva et juste avant de retourner à la cuisine lui lança :
- Et si un jour tu veux des enfants, tu m’en parles !
- Pourquoi voudrais-je des enfants ? protesta Sherlock outré. Les enfants sont ennuyeux et inintéressants.
Pour toute réponse John éclata de rire avant de reprendre son activité première, laissant Sherlock dans le canapé.
A suivre...