
Jotunheim et Vanaheim
PARTIE 2
Chapitre 1
Midgard : 2010
Loki a 2975 ans (22 ans)
Localisation : Asgard
Il patienta 575 ans avant de pouvoir mettre son plan à l’exécution.
Le couronnement de Thor était le moment idéal, qui lui permettrait de faire d’une pierre de trois coups : il pourrait démontrer à Odin que Thor n’avait pas les qualifications nécessaires pour régner, il pourrait se venger, et il aurait le pouvoir nécessaire pour libérer ses enfants et s’enfuir d’Asgard.
Les Jötnar (1) étaient des êtres plus intelligents que les dépeignaient les livres, mais il n’eut aucun mal à passer un marcher avec eux. Après tout, tout ce qui possédait un cœur était cupide, et refuser un passage dans le Palais revenait à jeter la meilleure viande aux poules.
Peu importait à Loki de faire entrer les ennemis d’Asgard à l’intérieur. Sa haine pour le Royaume n’avait pas diminué avec le temps, bien au contraire.
Tout se passa bien, jusqu’à ce que sa peau devienne bleue (2). Jusqu’à ce qu’il découvre le plus vieux mensonge de sa vie : son propresang. A partir de ce moment-là, il oscilla entre folie et colère, ne respirant que grâce à la pensée qu’il retrouverait bientôt ses enfants.
Le bourdonnement dans ses oreilles l’irritait.
Il n’arrivait pas à réfléchir correctement.
Il affronta la colère du Père de Toute Chose sans l’entendre, les regards noirs des amis de Thor sans les voir. Que Thor soit bannit sur Midgard ne le fit même pas réagir ; il ne fut ni triste, ni en colère, ni heureux. La vérité se faufilait dans son esprit avec la perfidie du poison et susurrait des mots cruels qu’il refusait de prendre en compte.
Il lui fallut deux jours avant d’avoir le courage d’affronter la lumière bleue de la Cassette de l’Hiver. C’était la seule manière de vérifier les murmures dans ses oreilles.
Il avait peur.
Dès l’instant où ses doigts touchèrent la Cassette de l’Hiver, le cœur de Jötunheim, l’intégralité de sa peau devint bleue et sa vie vola en éclat. Un bleu cruel et insensible, un bleu terrible plus sombre encore que ses cauchemars, un bleu qu’il avait si souvent contemplé sur les peintures de guerre.
Tout se mélangea dans sa tête et dans sa poitrine, un concentré de sentiments et de vérités, un hurlement silencieux.
Odin arriva au moment où il allait exploser, un timing si parfait que s’en était suspect. Le Chaos rit, l’enfant en lui pleura, et Loki tomba dans l’horreur.
Pas un enfant dans le Royaume n’ignorait que s’il ne finissait pas son repas, les Jötnar viendraient le kidnapper dans son sommeil pour le dévorer.
Ce qui se passa après était flou dans ses souvenirs. Il se souvenait de son cœur qui battait si fort et couvrait la voix d’Odin, de sa peau bleue qui se moquait de lui, de Odin qui essayait de dénier.
Il était un enfant prince abandonné d’une race ennemie, récupéré par un Roi vainqueur, un monstre, une relique volée qui serait enfermée jusqu’à ce qu’on lui trouve une utilité, un outil pour la paix, un deuxième fils qui ne serait jamais aimé et ne pourrait jamais monter sur le trône d’Asgard.
Il se souvenait d’Odin qui ne voulait pas être sincère, qui ne voulait rien lui expliquer, des mensonges, des secrets, de la vérité cruelle. Puis Odin tomba dans le sommeil, fuyant, et laissa l’enfant qu’il avait récupéré hurler intérieurement.
Odin ne l’avait jamais aimé car il n’était pas son fils.
Odin avait toujours préféré Thor car il était son seul enfant.
Odin n’avait jamais aimé les enfants de Loki car ils n’étaient pas réellement ses petits-enfants.
Alors ce qui restait de Loki rit. Il regarda la vérité et rit. C’était un rire sombre, brisé, qui avait la couleur de la folie. Un rire bleu azur.
Qui d’autre qu’un monstre pour être la Mère des Monstres ?!
Il regarda Frigga pleurer et s’excuser et lui assurer son amour. Il voulait rire, ou bruler Asgard, il ne savait plus trop.
Loki devint Roi.
C’est Gungnir (3) en main, sa nouvelle couronne fraichement forgée sur le front, qu’il se présenta à ses deux alliées, celles qui avaient accepté de l’aider dans son plan. Quand il leur releva le secret qui se cachait sous sa peau, crachant et vomissant la vérité, il détesta la lueur dans les yeux Cassiopée.
« Un Jötunn ? Vous voulez dire ces géants maitrisant la glace, hermaphrodites, maitres forgerons et dont les enfants sont les bien les plus précieux ? Ces stratèges que tout le monde sous-estime ? » Elle s’était faufilée plus d’une fois dans la bibliothèque, allongée sur le sol à ses côtés, découvrant des Mondes qu’elle ne pourrait jamais voir. Loki était aussi semblable aux Ases que l’aigle l’était de l’ours. « Mon Prince, vous— »
« Je ne suis pas ton prince ! » craqua le Mage. « Je ne suis rien, je ne suis personne ! »
Un enfant abandonné, une marionnette, un monstre.
Il sentit la douleur sur sa joue avant de réaliser que son ancienne nourrice venait de le gifler. La dernière fois remontait au jour où il avait poignardé Thor pour la première fois. Choqué, il regarda son regard désapprobateur sans savoir quoi dire.
« Il suffit ! » déclara Nyma d’une fois plus forte que les murmures dans sa tête et les battements de cœur contre ses tempes. « Je suis celle vous a élevé, qui a changé vos couches et recousu vos pantalons, qui a soigné vos blessures et essuyé vos larmes. Que vous soyez le Prince de ce Royaume ou d’un autre, le fils d’un fermier ou le bâtard d’un guerrier, cela n’a aucune importance pour nous. » Sa voix s’adoucie, et elle le regarda avec cette tendresse maternelle qu’offrait Frigga à Thor. « Cassiopée et moi, vous avons choisiscomme notre Prince. Et c’est un lien bien plus fort que n’importe quoi. Vous serez notre Prince, quoi qu’il arrive et quoi qu’en dise les autres. » Elle posa ses mains sur ses joues, ses mains aux doigts abimées par les épées mais qui étaient si doux dans ses cheveux. « Vous n’êtes pas personne. Vous êtes Loki. »
Son cœur battit, fort, mais cette fois-ci ce n’était pas la cause de la folie. Voilà des années que son esprit n’avait pas été aussi rassuré. Il sourit, réellement, pour leur montrer toute sa gratitude.
« Merci. Je ne sais pas ce que je ferais sans vous. » dit-il, et il ignora le reniflement orgueilleux de la gamine qui avait grandi en même temps que lui. « Allons-y. Il est temps de libérer mes enfants. »
Gungnir vibra de Magie. Il était temps de bruler les chaines qui retenaient ses enfants. Les lunes d’Asgard le regardèrent avec bienveillance quand il se tourna vers elles.
Il pensa à ses enfants dont il avait été séparé depuis si longtemps.
« Moi, » commença Loki de cette voix forte et puissante d’un Roi et d’une mère déterminée. « Loki d’Asgard, Roi actuel, déclare officiellement et irrémédiablement la libération de tous les enfants de Loki à compter de cet instant ! Si jamais ceux-ci subissent la moindre menace de la part d’Odin ou impliquant Asgard, alors je les condamne à être dévorés par le Chaos jusqu’au Ragnarok ! »
La lance du Dieu de la Guerre frappa le sol et la vague de magie qui s’en dégagea traversa Yggdrasil comme une tempête.
Non loin, Sleipnir leva la tête vers les branches d’Yggdrasil et hennit en se cabrant. Quand ses huit sabots retombèrent sur le sol, ils firent trembler Asgard jusqu’à ses fondations, et Loki rit.
Il n’était plus seul.
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Localisation : Jötunheim
Sleipnir avait hérité de sa capacité à marcher sur les branches d’Yggdrasil (4). Il était également assez fort pour porter Cassiopée et Nyma et leurs affaires, Loki volant à ses côtés sous la forme d’un aigle royal.
Leur premier arrêt fut à Jötunheim. Loki avait entendu quelques rumeurs intéressantes au cours de ses recherches. Il avait besoin d’un moyen différent pour atteindre Midgard, car le chemin entre les Royaumes était trop cahoteux et trop apprécié par les brigands. Il n’avait pas envie de voyage s’achève prématurément avant de pouvoir retrouver ses autres fils. Par chance, il avait de quoi payer le prix d’une telle demande par la Cassette de l’Hiver en sa possession.
Elle fredonnait au fond de lui une berceuse d’enfant familière.
Apparemment il faisait jour aujourd’hui, car le ciel n’était pas aussi sombre que la dernière fois qu’il était venu et la glace paraissait moins foncée. Quand il remarqua que ses deux compagnons humains tremblaient de froid, là où il le sentit à peine, il retint un grognement. Les Ases résistaient mal au froid. Comment avait-il fait pour ne pas s’en rendre compte avant ?
Il jeta un coup d’œil à son ainé, ou plutôt le couvrit d’un regard remplit d’amour, avant de se rendre compte qu’il lui fallait lui relever sa véritable identité.
« Sleipnir, mon trésor, sais-tu où nous sommes ? » demanda-t-il par télépathie à l’équidé. Celui-ci prit le temps de regarder les tours de glaces qui montaient vers le ciel clair, la neige épaisse qui avalait la moitié des jambes, les montagnes glacées au loin.
« Jötunheim. Tu m’en as parlé. » répondit son fils. La dernière fois qu’il était venu, Odin empêchait une guerre causée par Thor.
« C’est ici que je suis né. » avoua le Prince, le cœur battant. Mais Sleipnir n’avait cure de la vérité.
« C’est un beau Royaume. Assez vaste pour y courir. »
« Que font les Ases ici ? »
Un Jötunn s’approchait à grand pas, dépassant Loki de plus d’une tête. Il avait la peau aussi bleue que celle de Cassiopée était claire, et les yeux aussi rouges que ceux que Nyma étaient dorés. Il était pratiquement nu, à l’exception d’un pagne en fourrure qui lui tombait des hanches. Des lignes calciques parcouraient son corps comme une histoire, d’une teinte plus claire que sa peau.
Entre ses doigts trop longs, une lance décorée de plumes pointait vers eux.
« Je viens parler à votre Roi » déclara Loki en refusant de se laisser intimider. « J’ai un marché à lui proposer, et un objet qui l’intéressera. »
Le Jötunn les fixa un moment, jugeant leur sincérité et leur manque d’hostilité, avant d’acquiescer une fois et de leur tourner le dos pour les guider. Le trajet ne fut pas très long : leur guide, Loki et Sleipnir traversant la neige sans problème. Jötunheim n’avait pas de Palais, mais des galeries creusées dans une montagne et sous le sol. Il n’y avait qu’une salle à l’extérieur, taillée dans la pierre et la glace qui servait de point de rendez-vous avec les étrangers, où le Jötunn les laissa. C’était ici qu’il avait rencontré le Roi Laufey la première fois, son identité à l’abri sous une cape à large capuche, et c’était également ici que Thor et ses amis s’étaient battus contre le peuple des géants.
Le Roi Laufey les attendait, ses yeux rouges suivant leurs moindres gestes. Quand il le reconnu, il se pencha vers eux, la posture menaçante, car personne n’ignorait que le Dieu des Mensonges n’apportait que le Chaos.
« Viens-tu encore tuer les miens, Loki Prince d’Asgard ? » grogna le Jötunn depuis son trône.
« Je n’ai pris aucune de vos vies, Roi Laufey. Chaque mort a été attribuée de la main d’un autre. Mais je ne chercherais pas à nier mon implication dans vos pertes. Néanmoins, je ne suis pas ici pour ça. Je suis ici car j’ai besoin de quelque chose de votre part. »
« Et tu penses que je vais te l’offrir ?! Alors même qu’Asgard a volé notre cœur, et réduit au plus bas mon peuple ? » La Cassette refroidit tellement dans sa poche magique qu’elle le brula. La dernière fois qu’il s’était tenu ici, sa peau l’avait trahie.
« J’ai renié Asgard depuis plusieurs siècles, et j’apprécierais que vous ne me reliiez pas à leur barbarie. Je ne suis pas Ase. »
Les Ases volaient ses enfants et les enfermaient loin de lui, riant de sa peine et se gorgeant sa douleur.
« Si tu n’es pas Ase, alors qu’es-tu ? »
Loki hésita à le dire. Ce n’était pas le moment ; il devait se dépêcher avec que Odin ne se réveille ou que Thor ne revienne. Le moment de ses origines viendrait plus tard. D’après le regard que lui donna Nyma, elle pensait la même chose.
« Mon sang n’a aucune importance. J’aurais besoin d’un moyen pour aller sur Midgard et Vanaheim. En échange, je suis prêt à vous rendre la Cassette de l’Hiver. » proposa-t-il en la faisant apparaitre, veillant à rester à une distance règlementaire.
Immédiatement, tous les Jötnar qui s’étaient approchés pour regarder l’échange s’agitèrent et se mirent à parler en eux. Sur le sol, car il ne se risquerait pas à la toucher ici, la Cassette chanta, heureuse d’être de retour. Une brise fraiche lui caressa le visage, comme si elle le remerciait.
« Pourquoi… ? » commença le Roi. Il regarda Loki avec une expression étrange, mesurée. « Sais-tu ce qu’elle représente ? »
« Oui. Acceptez-vous ? »
« Qu’on aille chercher les Mages !» ordonna Laufey sans aucune hésitation. « Combien de temps avez-vous ? »
« Le minimum possible. J’ai encore beaucoup à faire avant qu’Asgard n’essaye de m’arrêter. »
« Quel est ton but, Prince sans Royaume ? »
« Je veux retrouver mes enfants. » expliqua-t-il, un feu ardant dans la poitrine.
Le Roi n’ajouta rien, mais il le regardait maintenant avec une forme de respect. Tous les Jötnar pouvaient porter des enfants, mais ceux-ci étaient rares due à la longévité de la race, et les enfants étaient très précieux à leurs yeux. Voir Loki se battre pour les siens lui faisait très certainement marquer des points.
« Qui t’accompagnent ? »
« Cassiopée, fille de Fen et Nyma, enfant d’Yggdrasil (5). Et voici Sleipnir. »
« Ce sont de bons compagnons que tu as trouvé là. Le sang Vane de celle-ci te rendra favorables aux Elfes, quand bien même leurs relations avec Asgard sont mauvaises. » dit-il en montrant Nyma. Surpris, Loki se retourna vers elle, mais elle secoua la tête pour lui faire comprendre qu’elle l’ignorait également.
« Les yeux dorés sont d’origine exclusivement Vane. Aucune autre race n’en possède. » expliqua le Jötunn. « Cela ne m’étonne pas que vous ne le sachiez pas. Asgard ignore tout des autres races, et ne s’intéresse qu’à la manière d’éliminer les autres. Je parie qu’on parle des Jötnar comme des bêtes stupides et cruelles, qui tuent pour le plaisir et dont il faut attaquer les mains pour les vaincre ? »
C’était vrai, aussi Loki et les filles évitèrent de répondre. Cassiopée aurait eu quelque chose à y dire mais il continua sans en attendre.
« Lorsque que vous en aurez le temps, revenez à Jötunheim. Nous vous montrerons qui nous sommes réellement. Nous sommes un peuple civilisé et ordonné, avec un système de castes et des rôles pour chacun. Et si vous aimez la guerre, alors nous vous parlerons des guerres de clans qui déchirèrent cette terre, avant que de puissants stratèges ne parviennent à faire de notre Royaume ce qu’il est aujourd’hui. Nous vous parlerons de notre démocratie dont nous sommes fiers, et de nos lois. »
Son sourire était un tantinet effrayant, avec ses dents pointues faites pour déchirer la viande crue et ses cornes menaçantes. Les Mages arrivèrent enfin, ils portaient des toges blanches et leurs cornes étaient décorées de bijoux en plumes et en perles de glace. Deux d’entre eux soulevèrent la Cassette pour partir avec, tandis que trois autres s’arrêtaient autour de leur Roi.
« Votre Majesté ? »
« Loki et ses compagnons auraient besoin d’un moyen de traverser Yggdrasil. »
« Il nous faut joindre Midgard en priorité. Si possible, Vanaheim aussi, sinon nous nous débrouilleront. »
« Comment êtes-vous arrivés ici ? Le Bifrost n’a pas été déployé. » demanda l’un des Mages. Il avait un tatouage noir qui descendait de son visage jusque ses lèvres autour duquel se concentraient ses lignes claniques.
« Nous sommes passés par un passage entre les branches. »
Ils plissèrent les yeux, curieux. Loki avait tendance à oublier qu’il était très puissant que ce n’était pas à la portée de tous.
« Ensembles ? »
« Oui. Sleipnir et moi pouvons voir les chemins, Cassiopée et Nyma étaient sur son dos. »
« Vous pouvez les voir ? Cela nécessite beaucoup de Magie. Peu d’en nous en sont capables. Cela sera avantageux pour vous, vous aurez plus de facilités à vous adapter à notre système de transfert. Lign, montre-leur. »
L’un des Mage s’avança, visiblement plus jeune que les deux autres car ses cornes étaient plus petites. Il avait dans sa main une fine boite de la taille d’un avant-bras. Il en sortit une flèche argentée, magnifiquement taillée. A son extrémité, Loki reconnu avec stupeur une plume de Vidofnir, l’Aigle géant perché sur Yggdrasil. Ses plumes avaient la couleur des galaxies, et la texture de la soie. On disait que rien ne pouvait l’abimer, ni le feu, ni la magie.
Ils regardèrent le Mage enrouler sa Magie autour de la flèche et celle-ci réagir en retour : c’était comme si les gravures se mettaient à bouger. L’un des gardes Jötunn présenta un arc, qui se mit à briller dès l’instant où la flèche toucha le bois. Il banda l’arc, et tira. Quand la pointe se planta dans le mur de glace, un portail sombre et tourbillonnant se matérialisa.
« Pour pouvoir utiliser la Flèche d’Yggdrasil il faut pouvoir lui donner assez de Magie pour lui permettre de traverser l’espace entre les branches. » expliqua le premier Mage à Loki. « Une fois cela fait, on peut la tirer sur n’importe quelle surface, un portail s’ouvrira. Pour sa destination, il faut l’imaginer lorsque que l’on offre sa magie à la Flèche. Il faut savoir que plus l’idée est précise, mieux c’est, mais qu’un chemin tracé grossièrement peut être emprunter. Néanmoins, plus vous l’utiliserez, plus elle vous demandera de Magie. »
Le troisième Mage fut chargé de récupérer la Flèche, et le portail disparu quand la pointe quitta le mur. Le Mage accorda un regard au Roi Laufey, qui acquiesça, et c’est avec une réticence affichée, qu’il lui tendit la flèche enchantée.
Stupéfait, Loki n’esquissa aucun geste.
« Vous ne pouvez pas. » s’entendit-il dire, le cœur battant. « Elle est trop précieuse. Vidofnir n’a offert que deux plumes depuis la création d’Yggdrasil. Vous ne pouvez pas me donner cette flèche. »
« Tu nous as rendu le cœur de notre planète, Prince Loki. Nous avons une dette envers toi. Quant à la Flèche, disons que c’est un prêt. Lorsque que tu te seras caché de tes ennemis assez longtemps pour qu’ils t’oublient et cessent de te chasser, tu nous la rendras. Si tu meurs avant cela, elle nous reviendra. »
Il scruta le regard rouge du Roi, sans y trouver quoi que ce soit pour douter de ses paroles. La Flèche l’appelait ; il pouvait entendre sa Magie qui chantait dans ses oreilles. Elle lui murmurait tout ce qu’elle pouvait faire.
Il pensa à ses enfants, aux chaines qui entouraient Fenrir, à l’océan qui engloutissait Jormungandr, au Royaume qui retenait Hel prisonnière, et prit l’instrument.
« Qu’on lui donne un ar—»
Il ne laissa pas le temps au Roi de finir, il puisa dans sa Magie brute, celle qui logeait à côté de son cœur, pour créer un arc dont l’éclat manqua de lui bruler les yeux et tira. Quelques secondes plus tard, ils n’étaient plus là.
Laufey grava dans sa mémoire l’image du visage de Loki souriant, ivre de puissance, illuminé par la lumière verte de sa Magie.
« Où sont Byleistr et Helblindi ? Je dois leur parler de leur frère. (6)»
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Localisation : Vanaheim
A l’origine, les Vanes étaient les Dieux de la fertilité et de la nature sauvage. Considérés comme porteur de jeunesse, de santé, de chance et de richesse, en plus d’être les maitres de la Magie, Odin ne devait sa victoire qu’à l’horrible famine qui dévora leurs forces et la vie de plus de la moitié de la population.
Loki aimait beaucoup Vanaheim : c’était là qu’il se sentait le mieux dans tout Yggdrasil, dans ce Royaume où la Magie était un don et non pas une honte, où les arts étaient respectés et non pas moqués. Les Vanes lui rendaient bien son affection, au plus grand déplaisir d’Odin auquel on réclamait la présence du second Prince lors des voyages diplomatiques.
Il se souvenait des banquets somptueux, où l’on parlait de sortilèges et de potions, où l’on dansait jusqu’à s’épuiser, où l’on finissait dans un mélange de bras et de jambes sans fin. Il avait passé tant d’heures à regarder les feuilles rougir sur les arbres au fil des saisons, tant d’heures à apprendre à tisser et enchanter, tant d’heures à savourer les eaux vivifiantes. C’était dans la Bibliothèque Royale qu’il avait appris à se transformer et à envouter, à prendre confiance en lui et en sa puissance.
Leurs regards sur lui, qui admiraient sa Magie, qui l’encourageaient et le charmaient, si différents des regards méprisants d’Asgard.
Il ne comptait plus le nombre de fois où il s’était endormi frustré d’être né dans le mauvais Royaume.
Et c’est pour ces raisons qu’ils ne pouvaient passer encore moins de temps ici, car ce serait le premier endroit où Odin le chercherait et il ne voulait pas commencer une autre guerre quand Vanaheim voudra le protéger. Par chance, il était resté en contact avec divers alliés, dont celui qui l’avait accueilli lorsqu’il portait Jormungandr, et il savait qu’il avait ce dont il avait besoin à disposition.
« Tu as pris ton temps, Prince. » s’amusa une voix à l’instant où ils sortirent du portail. Loki sourit aussitôt, s’empressant de prendre son ami dans ses bras. Celui-ci colla leur front ensemble, comme le voulait la coutume.
« Heflin, je suis tellement heureux de te voir. La saison s’est bien passée ? » Son ami lui sourit et sa coiffure sophistiquée lui rappela les moments passés ensembles pour apprendre à tresser ses cheveux.
« J’ai connu mieux, mais ce n’est pas catastrophique. Qui sont tes compagnons ? »
« Cassiopée fille de Fen, Nyma enfant d’Yggdrasil, et Sleipnir mon fils. » dit-il avec fierté. Il n’avait pas pu présenter correctement son fils aux Jötunn mais Heflin savait déjà qu’il était mère.
« Ton fils ! Je suis ravie de te rencontrer enfin, Sleipnir. Ta mère m’a beaucoup parlé de toi. »
« Si vous êtes le Vane qui a peur de l’eau, alors Maman m’a également conté vos aventures. » répondit l’équidé avec amusement.
Son ami ne fut pas surpris une seconde et éclata de rire.
« De la télépathie ! Excellent ! Comme attendu venant de toi, Loks ! »
Le Prince leva les yeux au ciel, amusé. Le Vane ne changerait jamais. Malheureusement, la légèreté de ses sentiments disparu bien vite quand son objectif lui revint en mémoire.
« Heflin, je n’ai pas beaucoup de temps. Odin ne va pas tarder à se réveiller. Je me cache au regard d’Heimdall, mais il est devenu plus agile à remarquer les trous dans sa vision. »
« Pourquoi ne pas envoyer un clone, comme la dernière fois ? »
« Je ne peux pas. »
Parce que soit le Père de Toute Chose essayerait de faire comme s’il n’avait pas découvert son sang Jötunn, soit il chercherait à lui parler et mentirait encore et il ne voulait pas avoir cette conversation. Et il finirait par découvrir son implication dans le couronnement raté de Thor.
Heflin de demanda pas plus d’explication et leur permit d’entrer dans la cabane qui lui servait de maison. Autrefois, il avait été Garde du Roi, avant que la Princesse ne tombe amoureuse de lui. Une sombre histoire qui l’avait catapulté au fin fond de Vanaheim, avec ordre de ne plus s’approcher de la Capitale.
« Je vais chercher ce que tu as demandé. Peut-être que Lady Nyma voudrait bien m’accompagner ? » demanda le Mage en Asgardien (7).
Son ancienne nourrice et membre des Valkyries afficha une moue surprise, avant de chercher l’approbation de Loki, qui lui donna avec un sourire.
« C’est comme tu veux, Nyma. Heflin ne s’en vexera pas. »
« Un peu de marche me fera le plus grand bien. » répliqua la femme en dépoussiérant sa robe sombre caractéristique des serviteurs au Palais d’Asgard.
Loki se retrouva donc seul avec Cassiopée, Sleipnir étant partit se balader dans l’herbe haute. Le brun soupira de contentement en s’étirant. Ils restèrent un long moment silencieux, écoutant simplement les oiseaux et les animaux depuis la fenêtre ouverte.
« Mon Prince ? » l’appela finalement Cassiopée, le soleil flamboyant dans ses cheveux roux. Elle évitait de le regarder, fuyant son regard vers la fenêtre, mais le cœur de Loki se gonfla d’amour et de reconnaissance à son encontre.
Elle lui avait apporté plus de réconfort que quiconque, se tenant à ses côtés en dépit du fait qu’elle était la fille d’une servante. Elle n’avait jamais cherché le pouvoir à travers lui, restant franche et honnête malgré les punitions de sa mère. Le jour où il lui avait appris que Sleipnir était né de son ventre, et au lieu de se montrer dégoutée ou de le regarder différemment, elle lui avait demandé si elle pouvait lui lire des histoires. Elle avait tout juste 10 ans.
Elle veillait sur lui quand il ne le pouvait pas, lui lisant les livres qu’elle volait à la bibliothèque ou à Loki, rêvant avec lui de s’enfuir loin et de parcourir Yggdrasil.
« Lorsque vous aurez retrouvé vos enfants et que vous serez libre, que feras-tu ? » Il entendit sa voix trembler légèrement, sa peur d’être abandonnée, d’être laissée toute seule derrière.
La même voix qui l’appelait dernière la porte de sa chambre et qui le suppliait de la laisser entrer alors que lui ne voulait que pleurer et hurler seul dans le noir parce qu’on lui avait arraché un autre enfant.
« J’ai fait construire une maison sur Midgard il y a quelques années, profitant du sommeil d’Odin. Elle est assez vaste pour tous nous accueillir, en bord de falaise pour que Jormungandr puisse retourner à la mer s’il le souhaite, avec une forêt pour Fenrir, et un vaste terrain pour Sleipnir. J’ai fait attention à visiter régulièrement Midgard et à en apprendre le plus possible sur ce Royaume pour pouvoir me fondre au milieu des mortels sans problème. J’ai aussi fait en sorte d’avoir assez d’argent pour avoir une vie paisible. »
« Et nous, mon Prince ? »
Ses yeux lui disaient qu’elle était prête à entendre qu’il les renverrait à Asgard sans protester. Qu’elle ravalerait ses larmes et lui obéirait, si cela permettait à ses enfants et à lui de vivre en paix. Mais il ne pourrait jamais se passer d’elle. Elle était comme sa sœur.
« Tu sais Cassiopée, la première fois que je t’ai vu, je t’ai détesté. » Il regarda la jeune fille écarquiller les yeux de surprise, et une rougeur colorer ses oreilles. « Est-ce que tu t’en souviens ? Tu n’avais même pas 8 ans et tu mangeais des biscuits oubliés dans la cuisine. Tu avais cette horrible tresse que te faisait ta mère et qui te tirait le front. J’étais descendu grignoter quelque chose parce que j’avais passé le repas à la bibliothèque. A cette époque, les gens me regardaient encore comme leur Prince, mais toi… Toi tu m’as regardé de haut en bas et tu as eu cette expression amusée avant de partir. J’ai été affreusement vexé ! Je te cherchais dans les couloirs, me promettant de me venger. »
« Je ne savais même pas que c’était vous ! »
« Puis quelques mois plus tard, je t’ai revu. J’ai entendu des cris depuis une fenêtre, et quand je me suis penché, tu étais là, un bâton en main, les cheveux décoiffés, protégeant un oiseau blessé d’un groupe de jeunes armés de pierres. Tu étais minuscule à côtés d’eux, mais tu criais bien plus fort. »
Une moue boudeuse apparu sur son visage et une partie de lui culpabilisa de l’avoir entrainé dans cette fuite alors qu’elle était si jeune. Mais il se souvient ensuite qu’elle avait vécu sa douleur et sa colère et il décida qu’il avait pris la bonne décision car elle aurait été capable de faire une folie.
« Je ne m’en souviens pas. »
« Ce que j’essaye de te faire comprendre Cassiopée, c’est que tu es mon amie depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Tu n’as jamais eu peur de me dire ce que tu pensais ; de moi, de la société, du Royaume. » Il prit le temps de se pencher pour prendre ses mains entre les siennes et la regarder droit dans les yeux. « Tu es ma famille parce que je me passerais de toi pour rien au monde. De même que Nyma. »
« Alors on pourra rester avec vous ? » s’extasia-t-elle les yeux brillants, et Loki sourit.
Quand Heflin et Nyma finirent par rentrer, ils les trouvèrent enlacé, somnolant sous le soleil couchant.
« Bon, il va falloir rester là pour la nuit et je n’ai pas beaucoup de place, alors on va devoir se coller. » Il avait raison, tout le monde était épuisé. Cela ne plaisait pas à Loki mais il n’avait pas vraiment le choix. « Ça va aller, Loks. » dit son ami, qui avait vu les tourments sur son visage. « Te connaissant, tu as placé un sort de surveillance sur Odin pour savoir quand il se réveillera. Tu as du temps devant toi. »
« Trop peu de temps… »
« Combien de temps a-t-il dormis la dernière fois ? Il dort de plus en plus longtemps n’est-ce pas ? Des rumeurs courent qu’il se fatigue et vieillit et que c’est pour ça qu’il a voulu couronner Thor. »
« C’est vrai que ses sommeils s’allongent. La dernière fois, il a fallu cinq jours avant qu’il ne se réveille, mais il était blessé. »
« Alors tout va bien. Tu as du temps. »
Le Vane le quitta pour rejoindre Nyma dans l’espace cuisine, où elle leur préparait une soupe avec les ingrédients qu’Heflin lui avait cédé avec plaisir, plus qu’heureux de ne pas avoir à cuisiner lui-même. Le repas se passa dans la bonne ambiance, son ami et Cassiopée se racontant leurs aventures à grand renfort de gestes et d’onomatopées. Rire faisait du bien, et faisait oublier les inquiétudes.
Ils se couchèrent avec des rires pleins la poitrines et l’esprit plus léger, les deux filles partageant la couche d’Heflin et les deux garçons celle de secourt. Celle-ci n’était pas bien large et ils devaient emmêler leurs jambes pour ne pas tomber, mais la proximité n’était pas quelque chose que les Vanes détestaient, au contraire. Ils aimaient la chaire et nul doute que son ami s’était déjà retrouvé dans pareille situation plusieurs fois.
Le corps du Vane était chaud contre lui, comme s’il était entouré d’une serviette chaude après une pluie glacée. Les arabesques qu’il traçait du bout des doigts sur son dos réveillèrent une vague de solitude ; la dernière fois qu’il avait été étreint remontait au moins à une décennie, avec le dernier voyage diplomatique sur Vanaheim.
Mais ce n’était ni le lieu, ni le moment, et il ravala les frissons et les soupires pour les cacher tout au fond de lui. Pour se distraire, il écouta le léger ronflement de Sleipnir sous la fenêtre entrouverte.
Il ferma les yeux et s’endormit, plus entouré et aimé qu’il ne l’avait jamais été.
(1) Jötnar : Pluriel de Jötunn
(2) Jusqu’à ce que sa peau devienne bleue : Référence au moment où un Jötunn lui touche le bras lors que l’attaque de Jötunheim par Thor et ses amis après le couronnement raté.
(3) Gungnir : Lance d’Odin.
(4) Marcher sur les branches d’Yggdrasil : Sleipnir et Loki peuvent utiliser les chemins secrets qui relient les Royaumes entre eux. Les chemins les plus fréquentés sont ceux utilisés par le Bifrost ou le Tesseract.
(5) Enfant d’Yggdrasil : Orphelin dont on ignore la lignée.
(6) Je dois leur parler de leur frère : Loki est le fils de Laufey et de Farbauti, et le frère de Byleistr et Helblindi.
(7) Demanda le Mage en Asgardien : Loki parle le Toute-Langue, tout comme le Roi Laufey, c’est-à-dire qu’il est compris et comprend n’importe quelle langue. C’est la langue qu’il parle quand il converse avec les Jötnar ou Heflin, afin de Cassiopée et Nyma puissent comprendre, mais il connait aussi leur langue. Cependant Heflin parle en Asgardien car Nyma ne comprend pas la langue de Vanaheim. Cassiopée ne parle pas/ne comprend pas d’autres langues que l’Ase car elle est une servante et Nyma n’a que quelques notions dû à son passé de Valkyrie, mais pas assez pour faire la conversation.