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just a little pill.

Une barre collée au front, cling, clong, cling, clong. Bordel de merde, ça fait mal. Tao a le visage crispé. Visiblement, il est malade, et ce n’est pas difficile de le remarquer : il a le nez qui coule, de la toux et de grosses cernes sous les yeux (bien qu’habituelles, ceci-dit). Le problème voyez-vous, c’est que Tao a besoin d’argent.

Et merde.

Et maintenant, il fait quoi? Il fait putain de froid dehors, la saison est rude. Pourtant, quelques semaines auparavant, il ne faisait que de pleuvoir. A présent, les rues sont blanches. Et non, on ne parle pas de la blanche qu’il aimerait avoir dans la narine, hélas. Il lâche un long soupir. Il ne va sûrement pas tarder à se faire éjecter de la chambre qu’il emprunte depuis quelques mois. Et maintenant, comment est-il censé faire pour travailler par ce temps? Tao avait pensé à tout avant de se lancer, la charge mentale et physique, l’argent, les contacts. Oui, à tout, sauf aux intempéries. 

 

“C’est malin ça, comment on fait nous, les putes, pour travailler sous la neige?” Grogne t-il.

“Eh bien, habille-toi chaudement mon chou. J’ai deux ou trois gros manteaux dans mon armoire, si tu veux.” 

 

C’est cette voix narquoise qui fait se tourner Tao. Dans l’encadrement de la porte, clope au bord des lèvres, Zacharie lui lance un de ces regards dont lui seul a le secret. D’habitude, cette voix ne lui fait pas grand-chose, trop défoncé pour s’en rendre compte. Mais vidé de toutes drogues, Tao se rend bien compte de l’effet instantané qu’a cette voix sur lui. Un frisson. Il finit par lui rendre son sourire.

 

“Mmmmh, ouais… Ça devrait le faire.”

"Ça le fera, j’y suis déjà passé et crois moi ou non, mais c’est pas si désagréable.”

“... C'est une blague?”

“... Oui, c’est une blague. C’est foutrement désagréable mais en même temps ça se saurait si on faisait ce travail pour le confort, non?”

“Ouais.” lance Tao, en reportant son regard sur la vitre. “C’est clair.”

“Ouuuh…” Siffle Zacharie tout en se rapprochant. Il passe sa main libre sur la hanche du brun à la peau plus pâle que jamais. “Dis moi tu ne serais pas tombé malade, toi?”

 

Pour toute réponse, Tao renifle un grand coup, croisant les bras d’un air mécontent.

 

“Oui, c’est bien ce que je me disais…” 

“Zach, t’en aurais pas à me dépanner? Je commence à être à ma limite là- juste une, s’il te plait.”

Un des sourcils de Zacharie s’arque. “... Ok, mais j’te rappelle que tu m’en dois déjà pas mal, Tao.” Souffle t-il en lâchant sa hanche et en se mettant en route vers la porte.

“Oui, je sais Zach.”

 

Tao soupir de satisfaction tout en laissant son dos toucher le mur. C’est tout ce dont il a besoin pour assurer aujourd’hui. Juste… une… pilule. Rien de plus. Celle-ci finit par glisser dans le creux de sa main, accompagnée d’un souffle “n’oublie pas tout ce que tu me dois, Tao”.


Le froid cogne contre ses genoux rouges. A vrai dire, Tao n’a pas à s'habiller d’une manière très aguicheuse pour attirer les bons regards sur lui, la clientèle est habituée à le voir ainsi après tout. Ils savent tous que sous ces fringues sorties tout droit d’une poubelle, déchirés par-ci et recousus par là, il y a un type apte à utiliser sa bouche et sa langue d’une très, très bonne manière. L’habit ne fait donc visiblement pas le moine, même dans le monde du travail sexuel.

Le pas bien moins trainant que quelques minutes auparavant, il trace d’un point A à un point B, à la recherche de clients habituels, ou de nouvelle clientèle qu’il aura très peu de chance d’attirer aujourd’hui. Bah, tant pis. Il fait ses comptes à une vitesse inégalée, merci à la meth. Il sait combien de pipe il doit tailler ce soir pour avoir de quoi rembourser Zach dans un premier temps… Ah! Non, c’est une blague, en fait. Il sait exactement combien de pipe il doit tailler pour pouvoir renflouer ses caisses vides de tout pochon de coke et autres poudres et comprimés. Le remboursement de son ami peut attendre. Il sait très bien que s’il s’y prend bien, il pourra rendre à Zach ce qu’il lui doit, en nature. 

Enfin, il suppose.

A vrai dire, sortir avec son jean troué n’était pas la meilleure des décisions qu’il ait pu faire jusqu’ici. A force de rester à genoux dans la neige, ceux-ci claquent autant que ses volets les soirs de grandes bourrasques et le sang y pulse bien trop fort. Merde. Mais tout va bien, il recompte ses billets. D’ici un client généreux, il pourra rentrer et dormir. 

 

Enfin, c’était sans compter sur quelque chose qu’il avait encore une fois oublié de prévoir. La meth rend ses crises de tics bien pires et bien plus fréquentes qu’à l’origine. Et qu'arrive-t-il lors de crises de tics? Les muscles se contractent. Et vous savez ce qui possède des muscles? La mâchoire. Et vous savez à quoi sert sa mâchoire actuellement? 

Oui, voilà, exactement.

 

Évidemment que le client hurle à la mort, et le bon gros coup que Tao se prend dans le nez -son pauvre nez déjà bien cassé- le fait tomber à l’arrière. Le client l’insulte et part sans payer, évidemment, mais ça aurait pu être bien pire. Il aurait pu se faire casser bien plus qu’uniquement son nez. Alors Tao s’estime heureux, bien qu’il reverra la joie plus tard. Pour l’instant, il jure, mains sur son nez pissant le sang. “Oh putain de bordel de merde à queue-” jure t-il en français, oubliant immédiatement tout notion d’anglais. 

Il n’a pas vraiment le temps de se remettre des émotions précédentes qu’une silhouette s’approche de lui, tout en restant à une distance correcte.

 

“You ok?” lance une voix rauque que Tao peine à entendre.

“Of course not, my nose is bleeding, are you fucking blind?” Grogne-t-il, sans vraiment savoir à qui il répond. Borf, de toute façon, dans le pire des cas il se prend une raclée, il tombe dans l’inconscience et il se réveillera demain, si dieu le veut, comme disent les croyants.

“Oook, uh.” 

 

En redressant la tête, Tao aperçoit un gars pas très grand avec une coupe assez stylée que Tao aurait aimé se faire un jour s’il n’avait pas reçu de son cher père l’héritage de la famille ; de superbe cheveux bouclés (notez ici l’ironie). 

 

“What happened? Aside from your nose, any other injuries?"

"Nah, just my nose. Client wasn't happy with my performance." Ricane Tao malgré tout. 

 

Comme si l’homme face à lui avait pu immédiatement comprendre de quoi Tao parlait, il hocha la tête et lui proposa son bras pour se relever. Alors qu’il allait pour accepter, Tao interrompt tout mouvement.

 

"What's in it for you? My lunch money?"

"Uh, nah."

"So you're some kind of good guy? Trying to keep a clear conscience, all that jazz?"

"C'mon, man."

 

Les sourcils froncés d'incompréhension la plus totale, Tao finit par accepter son aide, agrippant sa main couverte d’un gant qui lui fit directement le plus grand bien tant elle était chaude. Presque instinctivement après être remis sur pied, Tao relâche la main qu’on lui avait tendue. Il se laisse retomber contre le mur, main appuyant contre son nez pour stopper le saignement. Et là, ça commence à ne plus très bien aller. Sa tête commence à grésiller, comme s’il y avait une station de radio vide dans son crâne. 

Et en l’espace d’un instant, après avoir baragouiné deux ou trois mots, il perd conscience.


Un halètement la coupe dans son sommeil. Il fait toujours nuit, et c’est bien normal vu l’heure qu’il est pour cette si froide saison. Tiffany laisse son regard glisser sur la fenêtre et ses volets à moitiés clos. Elle reprend donc son souffle une première fois, ne lâchant pas cette fenêtre du regard, tandis que sa main cherche quelque chose à tâtons. Lorsqu’elle trouve enfin ce qu’elle cherche, Tiffany retrouve la notion du temps. Elle sert ce qui se trouve à présent sous le creux de sa main, y exerce une légère pression, et arrive enfin à détourner le regard de la vitre jusqu'au plafond de la pièce. Elle laisse son oreille entendre un léger grognement. 

 

“Tiff…?” marmonne une voix peinant à se réveiller. En l’absence de réponse, le corps à ses côtés se meut. “You ok?”

 

Dans la pénombre, le corps répondant au nom de Fabian réussit à apercevoir le visage humide de sa fiancée. Elle ne fait aucun bruit et ne semble pas encore tout à fait sortie de ses songes, le regard perdu mais fixe. Sa main libre glisse du matelas jusqu’entre ses seins, laissant ses doigts se reposer sur le plus récent de ses tatouages, une jolie plume noire.

 

"Call me crazy but I think I had a dream about our first encounter..."

"Why would I think you're crazy? Our first encounter as in... like, the seatbelt thing?" Lance Fabian, un sourire amusé au lèvre.

Tiffany laisse échapper un rire sincère, malgré ses yeux toujours aussi humides. "No, it was something else... As if we met during my time as a sex worker."

“... Oh.” Il y a un petit silence avant que Fabian ne se relève un peu plus et laisse aller sa main sur celle de sa fiancée, posée sur sa poitrine. Il y dépose un baiser.

“Wanna talk about it?” Reprend t-il.

“Nah…” Elle ferme les yeux, laissant ses lèvres former un léger sourire. "It's barely 5 am, now's not the right time to talk about it... Don't worry."

“Hmm…” Fabian se laisse alors reposer contre Tiffany, visage dans le creux de son cou contre lequel il dépose un baiser. “Love you Tiffany.” Fabian est exténué ces derniers temps. Tiffany le laisse se reposer contre elle. 

“Je t’aime aussi, Fabian…”

 

Mais elle a mal quand il se rendort. Parce qu’elle y songe à nouveau. 

Elle repense à la douleur qu’elle a ressenti ces dernières années et à tout ce que sa simple présence a engendré. A toutes les personnes qu’elle a aimé, puis trahi, abandonné, supplié, pardonné. Parfois, elle aimerait avoir le pouvoir de revenir en arrière. Elle aimerait être la fée qu’elle se trouve être dans le regard lumineux de Nora, Alan et Charlie. Elle aimerait pouvoir changer ce qui a mal tourné et réussir à tout arranger. Elle aimerait redonner vie aux personnes qui sont parties trop tôt. 

Et elle sait qu’il y a une manière de réécrire le monde, à sa manière, elle connaît le moyen de pouvoir trouver les ailes de la fée qu’elle aimerait tant être pour ses proches.

 

Et tout cela ne prendrait qu’une petite pilule. 

Rien qu’une petite pilule.

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