À Brooklyn

The Avengers (Marvel Movies)
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À Brooklyn
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Summary
À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu.Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulementVoici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, et comment Bucky est entré dans l'armée.Un Slowburn, de l'art, de l'Histoire, un quartier et des garçons sans pères, dans le New York de la Grande Dépression.
Note
Si je vais jusqu'au bout, de 1931 à 2023, cette histoire sera racontée en cinq parties avec tous les tropes qu'on aime : friends to lovers, ennemies to lovers, triangle amoureux, slowburn, memory loss etc.Mais pour le moment, nous sommes à New York pendant la Grande Dépression, et Steve et Bucky sont de tout jeunes adolescents.Il n'est pas nécessaire d'avoir vu aucun film pour la lire. Les parties suivantes seront davantage intégrées dans leur récit, je vais m'efforcer de les rendre cohérentes en elles-mêmes mais le but n'est pas de re-raconter la saga, plutôt ce qui se passe entre les scènes.Malgré les recherches que j'ai effectuées, si des éléments historiquement improbables demeurent, je recevrai volontiers vos remarques.En ce qui concerne le passé des personnages, j'ai mélangé les sources, entre le film et les comics.Bonne lecture à vous
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Chapitre 32

Bucky fréquente un peu Frances, Steve ne sait pas plus que ça ce qu'il y a entre eux, et peu importe, c'est pas des choses dont ils parlent quand ils sont ensemble, c'est l'autre côté d'un miroir que Steve n'explore pas, pas encore, ça viendra. Lui, s'il échange trois regards avec une fille, c'est le bout du monde. Mais ce n'est pas le bout du monde qui l'intéresse.

« Elle sait que je suis promis à West Point. J'appartiens à l'armée pour cinq ans au moins, je n'ai pas le droit de me marier. »

Frances a l'âme romanesque, elle se contentera volontiers de lettres enflammées tout ce temps, de quelques permissions, d'un amant mystérieux pourvu qu'il ait des yeux dévastateurs comme les siens. Le jeu de l'amour, elle le connaît bien. Elle a peut-être déjà fréquenté un garçon, ou alors elle y a beaucoup pensé et a beaucoup observé. C'est elle qui distribue les rôles et Bucky se glisse facilement dans le sien. Il aime bien les oeillades, les gestes faussement retenus, la séduction en somme, il se découvre un instinct presque naturel pour ça. C'est sa délicatesse, et aussi son envie d'habiller sa tendresse en grand. Steve les regarde furtivement, il saisit les détails qu'il rassemble pour comprendre, avec curiosité, comprendre comment se trament et se tissent entre des amoureux, les broderies de la relation. Il voit surtout comme Bucky semble apaisé, et il sourit. « Un jour, on travaillera dans le même building, et on vivra dans le même immeuble, et ce qui serait vraiment idéal, ce serait d'épouser deux amies, tu ne trouves pas ?

- Mais Bucky, avec l'armée, tu vas être muté tous les ans.

- Et alors ? Tu seras un architecte renommé, tu pourras habiter partout où tu voudras. Je serai assez tôt en retraite, comme Barnes, alors après avoir sauvé le monde, on construira ensemble les villes de demain.

Ça t'inquiète ?

- Ce n'est pas de l'inquiétude ! » rouspète Steve avec un rictus.

Bucky passe le bras autour de ses épaules. Ils ne se reconnaissent pas forcément très bien dans ce futur-là, pourtant c'est ce que demande leur âge : trouve une place, un compromis - au pire une concession. La Grande Dépression de leur enfance ne leur a pas légué de belles chimères après lesquelles courir, n'empêche que Bucky se réconforte dans les maigres silhouettes que dessine leur ombre, déniant que le talent de Steve ne suffira peut-être pas, que sa santé... Ah, si nous pouvions reconnaître cette inquiétude !

Alors, déjà, ils sortent à quatre avec Frances et son amie Barbara qui a accepté par ennui ou désœuvrement. Les filles lorgnent les vitrines, gloussent entre elles, Frances fait les yeux doux à Bucky, Barbara ignore Steve. Il compte les minutes : à partir de combien sera-t-il autorisé à déclarer forfait ? Encore une, ses pieds traînent sur le trottoir, ça chuchote devant. Une autre de passée ; que de temps perdu, ses omoplates grognent, cours cours cours ! Bucky, qui a senti son impatience, le taquine du coude, misérable consolation qui empeste la compassion. Steve lève le nez. On n'est plus très loin de la bibliothèque, le prétexte est recevable, et au diable la politesse, Barbara n'en fait pas grand cas.

« Eh, marmonne Bucky à l'intersection, je ne voulais pas que ça se passe comme ça.

- Ça ne fait rien. Amuse-toi bien. On se retrouve plus tard. »

Steve lui adresse un rapide signe de la main et disparaît dans la foule des passants, écrasé par la canicule qui bourre ses poumons de poussière. Ses yeux irrités larmoient, il s'essuie les joues et le nez avec brusquerie. Que la vie est étouffante, seigneur ! J'enrage de ne pas savoir jouer ton jeu, tu sais. Les règles, c'est pas mon truc, ou trop mon truc, je ne sais même pas pour qui je suis si désolé, je suis démuni, il n'y a que moi qui... « Aïe ! » On l'a bousculé. Steve ouvre la bouche machinalement pour s'excuser, mais le jeune voyou est déjà en train de frôler un vieil homme. Un pickpocket, fulmine son esprit. « Eh, toi ! » clame-t-il en se précipitant sur ses talons. Mais le bras d'un complice refermé sur son cou l'entraîne vers une ruelle avec une force telle que ses pieds touchent à peine terre. « Lâche-moi ! glapit-il, nerveux comme un chat, en frappant dans le vide. Aaah ! » Le gars l'a projeté sur un mur, un bras tordu dans le dos. Steve se dresse sur la pointe des pieds pour soulager au mieux sa colonne vertébrale, pendant que l'autre palpe sa veste, fourre la main dans sa poche sans vergogne pour récupérer trois pauvres pièces. « Ne me touche pas ! » s'étrangle-t-il, offensé. Assez ! j'en ai marre marre marre de cette putain de vie ! rugit-il en battant des bras et jambes, mais de sa gorge ne sort qu'un cri inarticulé. « Tu vas te calmer, morveux ! » beugle le scélérat en cognant sa tempe d'un geste vif et puissant. Steve titube, sonné. Ses yeux s'égarent tant qu'il ne voit pas venir le second coup qui lui écrase les côtes.

« C'est toi qui vas te calmer ! » hurle sa tête, avec la voix et l'intonation qu'aurait adoptées Bucky. Effondré au sol, il halète douloureusement. Ses poumons hurlent au manque d'air, ses côtes protestent dès qu'il les sollicite et ses muscles se tendent au bruit de pas qui se rapprochent, même s'il est incapable de parer un nouveau coup. A travers les larmes de douleur dans ses yeux, il discerne une silhouette trop reconnaissable.

« Qu'est-ce... que... tu fous... là ? »

Il regrette d'avoir parlé. Son thorax lui fait un mal de chien, qui déchire sa peau et ses muscles quand il respire, ça irradie jusque dans l'épaule et lui donne envie de vomir.

« Non mais je rêve. » bougonne Bucky les poings sur les hanches, le regard noir. Il se retourne pour vérifier que personne ne revient leur chercher d'embrouille et grimace : « Eh, merde » à la vue de son ami abattu. Steve tremble violemment, en lutte contre lui-même pour inspirer, encore tout lardé d'énergie contrariée. Ça fait mal, mal, mal comme il n'a jamais eu mal ; pire qu'un coup dans le diaphragme ou dans l'estomac, pire que les lames d'un bain glacé. Tout son corps martèle des ordres contradictoires, respire, ne bouge pas. Faut pas que je vomisse, je n'ose même pas imaginer combien ça sera insupportable, je risque d'y passer, d'étouffer pour de bon. Putain, je vais mourir, là ? Pour trois cents ? Quelle ordure ce type, je n'en reviens pas, je...

Steve.

Bucky serre gentiment son bras. Il a raison, ne t'énerve pas, la panique ne saura que te couper davantage le souffle. Respire c'est le plus urgent, et ignore la torture qui lamine tes côtes. Steve inspire par à-coups, les yeux plantés dans ceux de son ami comme s'il l'accusait. Mais de quoi ? Jamais Bucky n'a eu le regard si doux et désespéré. Le dépit, la frustration, cette violence, le choc et l'apparition inespérée de son ami, toute cette situation a éjecté Steve hors de lui-même, et il erre, déboussolé. Ses mains remontent le long des manches de son ami, haletant, jusqu'à ses épaules qu'il empoigne en levant le visage vers ses lèvres.

« Putain, Steve ! » Bucky le repousse comme électrocuté. Sa main fuse comme un réflexe en plat dans les côtes, exactement là où le connard lui a donné un coup. Steve étouffe son cri, se retourne pour détaler s'il lui est épargné de s'évanouir, mais Bucky retient son bras. Il le retient mais ne le regarde pas, combat au bord du précipice, comme Steve se bat pour rester conscient, tout le corps en ébullition dans la douleur, l'embarras, dans l'égarement.

« Fais pas de connerie.

- C'est ta connerie. » crache Steve.

Bucky lâche son poignet. Il plonge la main dans sa poche, lui tend un mouchoir. Depuis quand il porte des mouchoirs ? Sale petit gentleman. « Allez, prends de la théophylline, respire un coup, et tirons-nous de ce coin pourri, d'accord ? » Steve hoquette encore. « Où... sont-elles ? Vas-y... toi. Moi je... Je... n'y tiens pas... c'est tout. » Bucky soupire. « Je ne sais pas. Je ne sais pas où elles sont et ne pose pas une seule autre question de ce genre. Allez, viens. On rentre à la maison. » Au ton impatient de Bucky, Steve se retourne en soulevant un pan de sa chemisette. Son ami laisse échapper un cri d'horreur. On dirait qu'on a versé du vin épais et sombre sur sa peau. Un immense hématome y écrase ses violets bleus, profondément dans la chair.

« Je voulais pas... Je ne voulais pas tout gâcher, je te jure, marmonne-t-il en avançant à la recherche d'un taxi, appuyé sur son bras solide. Je voulais... Vraiment aller... à la bib... li... te laisser tranquille...

- Mais je sais Steve, je sais, gémit Bucky, sois pas stupide, je sais. Arrête de parler, ça fait mal. »

Bucky promet de trouver Sarah à l'hôpital mais le vieux chauffeur refuse d'être payé, pur gentleman, un ange sur leur route. Il conduit doucement. Steve, allongé sur la banquette arrière, la tête sur les genoux de son ami, blêmit de minute en minute. « Qu'est-ce que tu fichais là ? » demande-t-il pourtant, têtu. Bucky hausse les épaules, tourne la tête vers la fenêtre. Steve continue de le regarder. Il glisse les doigts jusqu'aux siens. Bucky ne dit rien, il ne les ôte pas, quand Steve les serre doucement. Ça serre dans sa gorge en même temps, comme quand on a envie de pleurer.

L'immobilité a tant refroidi ses muscles que Steve ne sait pas comment se mouvoir pour se relever. Bucky le soutient, patiemment, jusqu'à ce qu'il soit enfin étendu dans un lit, puis il s'arme de tout son courage pour affronter Sarah. Il arrive à peine à articuler un pauvre récit embrouillé, quant à elle, l'inquiétude ne lui cède même pas la force de le quereller. De toute façon, Bucky n'aurait rien entendu : il se blâme lui-même avec assez de verve, et leurs récents dérèglements tourbillonnent si fort qu'ils brouillent toutes les autres pensées. Qu'est-ce qui nous prend, comment ça a pu tourner comme ça entre nous ? "C'est ta connerie". Merde, je lui ai empoisonné le crâne. T'es dégueulasse. Dégueulasse, Bucky.

Tard, en fin d'après-midi, on lui apprend que Steve a deux côtes profondément fêlées. En raison de ses difficultés respiratoires chroniques et de cet affreux hématome, on préfère le garder à l'hôpital quelques temps. Bucky rebrousse chemin, seul dans les couloirs, seul dans les rues, le coeur révolté.

Sarah entre dans la chambre. Il fait nuit maintenant. Elle prend sa main, elle caresse ses cheveux, dans le noir, elle lui demande s'il est heureux. Si ça l'inquiète que Bucky parte à la fin de l'été. Elle lui répète que lui aussi, il aura un avenir, qu'il ne faut pas s'angoisser comme ça. Steve l'entend à peine, alors de là à protester, dire qu'il n'a pas cherché cette blessure, qu'il n'est quand même pas si bête et désespéré, que ce n'est pas de l'inquiétude, c'est au-delà de ses forces.

Quel chaos que l'adolescence, hein ? murmure-t-elle.

Steve a mal à chaque inspiration, là où le connard l'a frappé, où Bucky l'a poussé, et dès qu'il pense à Bucky, son sang s'emballe et ses côtes font plus mal encore. La honte a fermé son poing sur son cœur et écrasé tout ce qui devait le protéger, une honte telle qu'il voudrait ôter sa main de celle de sa mère et se cacher sous les draps à jamais.

Qu'est-ce qui m'a pris, d'essayer de...

de l'embrasser ?

C'est comme ça qu'il s'est rendu compte de ses sentiments, Steve :

Par la honte.

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