À Brooklyn

The Avengers (Marvel Movies)
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À Brooklyn
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Summary
À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu.Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulementVoici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, et comment Bucky est entré dans l'armée.Un Slowburn, de l'art, de l'Histoire, un quartier et des garçons sans pères, dans le New York de la Grande Dépression.
Note
Si je vais jusqu'au bout, de 1931 à 2023, cette histoire sera racontée en cinq parties avec tous les tropes qu'on aime : friends to lovers, ennemies to lovers, triangle amoureux, slowburn, memory loss etc.Mais pour le moment, nous sommes à New York pendant la Grande Dépression, et Steve et Bucky sont de tout jeunes adolescents.Il n'est pas nécessaire d'avoir vu aucun film pour la lire. Les parties suivantes seront davantage intégrées dans leur récit, je vais m'efforcer de les rendre cohérentes en elles-mêmes mais le but n'est pas de re-raconter la saga, plutôt ce qui se passe entre les scènes.Malgré les recherches que j'ai effectuées, si des éléments historiquement improbables demeurent, je recevrai volontiers vos remarques.En ce qui concerne le passé des personnages, j'ai mélangé les sources, entre le film et les comics.Bonne lecture à vous
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Chapitre 28

 

« Eh, Steve ! Regarde cette passe à trois dollars soixante quinze ! Je vais donner le meilleur de moi-même ! Je te la dédie ! Regarde bien ! »

Doug ferme un œil, lance avec grandiloquence, dérape et manque son panier. Steve tire la langue à son caquètement moqueur.

« C'était toi au billard !

- Merci, j'avais compris cette très subtile référence. »

L'autre gesticule et serre son épaule si fort que les talons de Steve se soulèvent. « Eh, t'as grandi ! braille-t-il trop près de son oreille. Si, si, tu as grandi ! » Les cris déraillent dans sa gorge grasse de tabac noir. « Aaah, tu m'as manqué, p'tite crapule. Brooklyn m'a manqué. Rendez-moi les bars, les pompes à gazole, les nanas des rues, les sirènes des ports !

- C'est bien ? Les Corps ?

- Ouais, ça le fait. C'est... Comment on dit ? Un peu comme l'armée. »

Son bras retient toujours l'épaule de Steve, et sa voix criarde l'étourdit un peu.

« Raconte !

- Mais raconte quoi, petite tête, y'a rien à raconter, toi t'iras jamais là-bas, tu travailles à l'école !

- Bon, on joue ? »

La balle impatiente fuse en comète entre les mains de Bucky, plus loin. Brusquement, il dérape, la lance droit sur Doug, qui dans son mouvement - protecteur ? sans doute seulement défensif - étrangle presque son ami. 

« Bucky ?! crie Steve.

- Woh woh woh, à vos ordres mais t'es dangereux, putain !

- Eh, tu parles au champion du lycée, rétorque Bucky, effronté, je sais ce que je fais !

On va voir ! » frime Steve, en français dans le texte, en se frottant les mains.

On ne vit pas grand chose, et surtout pas l'après-midi décliner au milieu des bousculades et des harangues. Voilà que le soir tombe, la poussière de cuivre tintinnabule dans l'air. Même les câbles télégraphiques ont l'air tressés dans de l'or. Steve embarque derrière Bucky, pendant que Doug les guide sur le vélo qu'il lui a prêté. Les bruits de la ville se craquèlent dans leurs oreilles froides, ils gonflent et se dégonflent comme un soupir, et monte celui des ports. Là seulement, Doug raconte. Il râle d'abord, parce que Steve et Bucky sont taciturnes, alanguis par la course, ça les fait sourire, ces deux imbéciles inséparables, perchés sur le même vélo, inatteignables. Même quand ils ne parlent pas, ils se disent des secrets. Doug n'aime ni le silence, ni les secrets.

« Debout à six heures, lundi, beuh...

- Et après ? sourit Steve.

- Entraînement sportif, uniforme, le bazar, pire qu'au collège, sauf que je touche trente dollars par mois. Au début on avait des tentes, là ils ont fait construire des baraquements, pour l'hiver. Eh, par contre, on bouffe bien ! Steve, faut que tu viennes faire un régime là-bas ! »

Steve lui fait un pied de nez.

« Et c'est quoi, le boulot, pour trente dollars par mois ? demande Bucky.

- On range la forêt.

- Vous rangez la forêt ? 

- Juré. On débarrasse les pierres, le bois mort, on plante des arbres. On dresse des pare-feux pour éviter les incendies, les tempêtes comme celles de l'Arizona. Après on fait un peu de jeux, on a des cours du soir aussi pour ceux qui veulent, et une bibliothèque. 

- Tu y vas ?

- Tais-toi... »

Les immeubles prestigieux abandonnent la course, étendent un peu l'ombre des sommets pour veiller sur eux plus longtemps, avec curiosité. Depuis vingt minutes qu'ils errent, les jeunes hommes ont quitté les quartiers d'habitations et longent à présent des bâtisses modestes et des ruines enfoncées dans des herbes en bazar, puis des zones fermées de grilles, des espaces de carénage, jusqu'à des entrepôts de pierre rouge : le port de Red Hook.

« Extinction des feux à dix heures. Juré, je dors à dix heures du soir, quoi ! Et donc, on a le droit aux jours fériés. Ça explique que j'ai pu rentrer pour Thanksgiving.

- T'es pas revenu à Halloween. C'était pas pareil sans toi.

- J'vais chialer Steve. C'est pas un jour férié. J'aurais pu prétendre être un revenant mais ils ont pas d'humour. »

Il renifle et crache, sinue en cercles sur la jetée, pour taquiner Steve d'un peu plus près. Non, ce n'est pas sa famille qu'il est revenu voir pour les fêtes, il est revenu pour Brooklyn, le quartier dont il incarnait la jeune âme, consumée par l'entrée brutale dans l'atmosphère des adultes. Les astéroïdes comme Doug ne sont pas aidés pour grandir, ils y laissent toutes leurs plumes aux couleurs du rire. Ne reste d'eux que la maigre structure de métal poussée trop vite, déjà rouillée, graissée à l'huile du tabac. C'est en gueulant qu'il dévale en roues libres la jetée, les bras ouverts à la skyline de Manhattan. Les tours de verre luisent comme des bijoux sous le soleil couchant, dans l'écrin de nuages immenses qui décomposent mille et une lumières bleues, gris perle, rose orangé, traversés de rayons épais qui ourlent le détail infini des fractales de leurs petites crêtes. Le soir descend, très lent pour les immerger, assez rapide pour qu'ils n'oublient pas de s'immerger. L'immensité du ciel cotonneux n'a jamais paru si vaste, et si les lames coupantes des buildings se veulent audacieuses, c'est risible, bon, sang, vous en êtes loin.

De quoi ? Loin de quoi ?

Ce n'est plus le divin qu'on veut, si ? 

Doug renifle, il crache dans la mer. C'est trop silencieux, trop solennel pour lui. Il crache dans son cadeau par peur du sentiment et marmonne : j'ai fait un peu la criée là, l'été dernier.

Nul port n'offre plus belle vue sur Manhattan.

« On en est loin, rêve Steve.

- De quoi ?

- De la lune.

- Bon sang de bonsoir, qu'est-ce qu'il a l'autre à causer de la lune ? »

Il roule trois cigarettes, donne la plus fine à Steve qui le remercie comme si c'était tout naturel mais se contente de regarder le mégot rouge scintiller dans la nuit. Bucky fume deux taffes qui le rendent malade. Doug les récupère en rigolant, frotte leurs cheveux. La statue de la Liberté salue la première étoile, la seule, Venus. Les autres sont brouillées par le halo lumineux de la ville qui ne dort jamais. A Red Hook, on ne dort pas non plus. Des hommes continuent de sinuer sur les quais, les bars, les bateaux qui attendent l'aube pour repartir, un fourmillement ininterrompu. Dans l'ombre des porches s'enlacent des hommes et des femmes tapageuses, on comprend. 

« Des fairies, ricane Doug. Il y en a plein ici, elles viennent chercher les marins. »

Steve hoche la tête. Dit comme ça, elles ont l'air de merveilleuses créatures, des sirènes toutes puissantes, mais il se doute que la réalité n'est pas radieuse. La prostitution est chose banale encore, quoique réprouvée par la morale.

« Des putes travelos » dit encore Doug en frottant son épaule contre la sienne.

Son ricanement ricoche sur chacune des vertèbres de Steve, et dégringole dans une stupéfaction pleine de malaise. Il réfléchit très vite à quelque chose à répliquer, en vain. Pauvre Steve, il faut le comprendre : après les roaring twenties et l'avènement d'une sous-culture flamboyante, la bienséance bigote a repris le dessus. Il n'est pas le seul gamin de New York à n'en avoir jamais entendu parler. Il s'est peut-être approché de Harlem et Time Square, jamais ils n'a pu être initié aux bals nocturnes où s'épanouissent les travestis. Alors des hommes habillés en femmes, qui se vendent à d'autres hommes ? C'est à quoi la misère les pousse, voilà ce que songe Steve. Triste misère, qui détraque et dérange.

Triste façon d'être initié

Bucky ne dit rien, a-t-il entendu ?

Bucky songe à Barnes, qui lui a relaté le scandale de Newsport. Il ne sait plus à quelle occasion le sujet a été soulevé. Ah, si, peut-être. Parce que pour entrer à West Point, il lui faudra passer des tests psychologiques. Quand le Big Barnes en a parlé, il voulait dire qu'on ne plaisante pas avec le code d'honneur de l'armée. Newport, c'était juste un exemple parmi d'autres. Un exemple avec quinze gars déshonorés publiquement pour avoir eu des relations avec d'autres gars. Bucky a ri, grimacé. C'est pas le genre de truc qui me concerne, mais oui, honneur, devoir, patrie, je vois ce que vous voulez dire, Lieutenant.

Et c'est... Il grimace encore, quand il s'en rend compte. C'est stupide, parce qu'il n'avait jamais pensé à ce genre de relation avant que Barnes ne lui en parle. Il aurait préféré ne jamais y penser, ne pas savoir que ça existe. C'est dérangeant.

Maintenant, il songe à Demuth, la caresse sur le bras de son ami, dans leur maison. Ce n'est pas la première fois qu'il y repense. Il se dit que c'est un truc d'artiste, de marginal. De gens sans honneur, devoir, ni patrie. Un truc inaccessible, lointain, un autre monde, la lune.

Voilà ce qu'il pense.

« Pourquoi tu me dis ça ? marmonne Steve.

- Comme ça. »

Doug n'a pas l'air insidieux, avec lui, c'est toujours très simple. Comme ça. Il s'appuie encore sur son épaule, envahissant. Il pèse lourd, justement oui, il pèse, on dirait qu'il se tient à lui, c'est la première fois que cela arrive à Steve. « Tu sais bien que je dis ce qui me passe par la tête, que rien n'a de sens. » Il finit par sauter sur ses pieds, il frotte un peu l'épaule malmenée de son ami, renifle, reprend le vélo : « Allez, on s'arrache, il n'y a rien ici, pour nous, c'est la nuit maintenant. Tu veux que j'embarque Steve, Buck' ? »

Steve interroge Bucky du regard, son visage plongé dans l'ombre, dans ce qu'il reste d'ombre quand le port a allumé toutes ses lampes. C'est d'un cruel, New York, pour les secrets. Il ne dit rien, alors Steve accepte de monter derrière Doug. Sa conduite est plus brusque. Ils font des détours exprès, inventent de fausses visites guidées, New York by night, pleines de fantaisie :

« Steve, on mettra ça dans le journal du lycée !

- Vous ferez mon portrait dans la page personnalités ! exige Doug. J'en achèterai plein pour les faire lire aux Corps. Le premier que vous m'avez envoyé est hilarant, ça a bien amusé la galerie.

- Eh bien, heureux de l'entendre, ça ne plaît pas plus que ça au lycée...

- Nous avons l'humour trop subtil.

- Tu viens manger chez moi ? On a plein de restes de ce midi. »

Mais Doug emprunte sans répondre le chemin qui mène à son bloc. Il n'est plus temps de gruger le temps. Aussi insolent et dégourdi soit-il, il sait dédaigner une invitation. Il s'amuse encore à faire des figures sous les lampadaires, et il disparaît, de sa démarche nerveuse. Le guidon du vélo de Steve est encore chaud de sa poigne moite. Les pieds de Bucky traînent dans les caniveaux, rivières d'or des feuilles de platane, sillon de sa joie sur la nuit du goudron. Il frime et lâche le guidon quand son ami vérifie qu'il le suit. A ce moment-là, Steve l'adore autant qu'il le déteste.

Et l'instant d'après, il hurle

il hurle comme il ne se pensait pas capable de hurler, d'un beuglement instinctif jailli de sa gorge. Il en perd littéralement les pédales et tombe, emmêlé dans la ferraille et les pavés. Son cri est couvert par des grincements de pneus, sa chute par 

le rire de Bucky.

« Je rêve ! c'est moi qui me fais couper la route et c'est toi qui tombes ? »

Une trombe le dépasse. Steve, les jambes toutes écorchées, pourchasse déjà le conducteur qui s'est enfui jusqu'au feu suivant. « Laisse tomber, reviens ! » Bucky se marre en le tirant par la manche, viens, on s'en fout, c'est un con, que veux-tu ? Gaspille pas ta salive pour lui. Mais quelle bonne idée ! Steve crache sur le pare-brise avant de filer par une ruelle guidé par le fil doré du rire de Bucky. « Je rêve, je rêve, je n'en reviens pas ! Tu es vraiment très fort ! » Ils hissent avec effort leurs vélos sur les marches du perron, les attachent dans le couloir. En passant la porte, Bucky s'écrie « Bonsoir Sarah, on est rentrés ! » et Steve s'effondre dans ses bras.

« Oh non, mais c'est pas vrai, qu'est-ce que vous avez fait, encore !?

- Mais je c'est lui pardon on a juste...

- Assieds-le sur le canapé ! »

Bucky a la sagesse de ne pas répliquer que c'est exactement ce qu'il était en train de faire. Il porte Steve sur son épaule, trois pas, serré contre lui. « Eh, ça va aller, ça va aller... » murmure-t-il en le soutenant jusqu'à ce qu'il soit bien assis. Il repousse les mèches blondes de son front, un geste aussi inattendu et naturel que le cri qui a déchiré Steve un peu plus tôt : quand ça vient, ça se révèle, sans rien d'inconnu, ni de familier. Steve hoche la tête, le souffle grinçant. « Tu aurais dû me dire que... » Sa petite main empoigne son col, au-dessus brillent ses yeux noirs. D'accord, d'accord, je ne dis rien. Sarah verse dans sa bouche une fiole de théophylline, puis l'aide à étendre ses jambes sur une chaise, veille à ce que les plis de ses vêtements ne le gênent pas. Si elle retient une exclamation à la vue de son pantalon déchiré, elle n'en fusille pas moins Bucky du regard.

Steve souffle, souffle encore de son mieux, il met tous ses efforts dans ce petit ressac. 

« Je peux vous laisser, murmure-t-il, si vous voulez » murmure Bucky. Steve secoue la tête, les yeux fermés. Bucky poserait la tête sur son thorax s'il pouvait, juste pour écouter ses poumons recouvrer leur forme, assister au combat. Il s'adosse au canapé, à côté de lui, l'épaule contre la sienne, la tête presque contre la sienne. Sarah de l'autre côté tient sa main, elle dessine sur son avant bras en chantant doucement une veille berceuse. Bucky l'avait oubliée. Où donc l'avait-il apprise, d'ailleurs ? On dirait une magicienne. 

Steve gémit doucement, les sourcils crispés. Son cou palpite. Bucky se soulève, très doucement pour ne pas l'alarmer inutilement, il cherche le regard de Sarah. Elle s'en est déjà rendu compte et murmure : « Je vais préparer une seringue. »

Steve l'a vue, il a vu l'étincelle excitée dans les yeux de son ami trop curieux et il donne une tape faiblarde sur sa main, le regard blasé. Putain, t'abuses. Bucky étouffe son rire en serrant ses doigts. « Aide-le à se relever ! ordonne l'infirmière. Il faut dégager sa cuisse. » Steve acquiesce d'un hochement léger de la tête, plein de confiance. Il déboutonne ses bretelles sur son ventre, ses bretelles sur son ventre frêle, ses bretelles sur son ventre qui se crispe et s'efforce de respirer, ses bretelles sur son ventre, son ventre chaud d'oiseau et ses mains bégaient, et le ventre frémit. Ils se sont déjà vus dévêtus à la rivière, ils ont chahuté, ont dormi en sous-vêtements dans le même lit. Steve pense qu'il est peut-être gêné de faire ça, de devoir l'assister quand il est tout défiguré et entravé par le mal. Mais Bucky le laisse entourer son cou et le soulève, enroule un plaid autour de ses hanches étroites. Il lui adresse même un sourire au charme calculé : « Tu m'accordes une danse ? » Steve plisse les yeux très fort à défaut de pouvoir répondre que non mais tu rêves, c'est toi qui me l'accordes. Ou plus simplement : ouais mais pas tout de suite, hein, je ne suis pas au top de ma forme. Sans crier gare, la voix crasseuse de Doug vient de brouiller son regard et il marmonne, trop vite pour le vouloir : « me confonds pas avec une fairy ». Bucky siffle un petit rire gêné, mais il ne répond rien. 

Sarah soulève la couverture et retrousse un peu son caleçon. Bucky oublie de regarder la piqûre. Il est revenu s'asseoir à côté de Steve. Le fluide circule dans son organisme, en un rien de temps, ses poumons libérés halètent, sa peau retrouve de la lumière et Bucky sent son propre cœur s'emballer.

« C'est fort ce truc !

- Très... » acquiesce Steve.

Sarah attrape le jeune ami par la manche et lance à son fils : on va te faire une bouillotte. Steve ne hoche pas la tête. Ses yeux ne quittent pas Bucky, qui ne se détourne que lorsque Sarah l'interpelle. Ça va barder. Mais il a l'habitude du gros Barnes, la petite Sarah n'est pas impressionnante. Par respect toutefois, il adopte une mine contrite.

« Pour l'amour du ciel, James, jusqu'où tu vas aller ? »

Il a envie de lever les yeux au ciel. Elle sait pas qu'on gère. Il tourne la tête vers Steve qui hausse les sourcils, elle lui donne une tape sur l'épaule, rappelle son regard le doigt tendu :

« Tu as vu, non ? Sa pneumonie, son asthme ? Il vous faudra frôler la mort, perdre un membre pour devenir plus raisonnables ? »

Les larmes lui montent aux yeux, sa voix crisse, comme la terre craquelée l'été. C'est hyper embarrassant.

« Je sais bien que je l'ai fait de travers, et je voudrais moi aussi qu'il s'amuse comme les autres, mais préserve-le, parce que pire encore serait de le perdre. »

Oh mais Sarah, il ne va pas mourir ! Tu dramatises.

Bucky ne dit rien. Il hoche la tête. Sa bouche se tord en une moue, mais pas de contrition.

Ça brûle, l'amour maternel. Il ne connaît pas ça

Il hoche la tête, sincèrement bouleversé par cet amour inimaginable

Il tourne les yeux vers Steve, il ne peut pas s'en empêcher, c'est comme un aimant.

Quelqu'un qui t'aime comme ça, toi.

Sarah l'appelle à nouveau. Il dit d'accord, d'accord, il dit :

« Je vais partir.

- Non. »

La voix de Steve a surgi dans le noir, loupiote d'espoir au fond du petit salon. Bucky le rejoint. Sarah n'essaie pas de le retenir. Il s'assoit à côté de son ami qui reprend son souffle, la tête basculée en arrière. « Bravo, Steve, bravo... » Steve grimace, lève un poing minuscule et victorieux. Bucky a les yeux brillants de soulagement. Et une autre émotion grandit en lui, mêlée d'envie et d'émerveillement. Son regard remonte à Sarah qui, d'une caresse, rafraîchit le front de son fils et apaise sa respiration.

Cet amour, cet amour. 

Si quelqu'un le mérite, Steve, c'est bien toi.

« Bravo, Steve, tu es vraiment l'homme le plus fort du monde, chuchote-t-il à son oreille. Ça fait quoi ?

- Palpitations... comme si j'étais à côté de mon corps, avec un genre de nausée aussi.

- Comme quand on boit trop de café, explique Sarah.

- Plein d'énergie à dépenser ! » glapit Steve en levant les pouces

Sarah le repousse dans le fond du canapé. Ils écoutent tous les trois Hollywood Hotel, imitent les voix des divas, imaginent les pires drames. Quand vient l'heure de se coucher, elle rejoint la petite chambre, en leur laissant le salon. « Quand j'étais petit, elle passait toute la nuit avec moi, et elle devait aller travailler ensuite. 

Je suis content qu'elle ne le fasse plus. » 

Cet amour

 

 

Ils ont besoin, de temps en temps, de ces petites décharges bourrées de danger : c'est ça le problème de Steve, c'est pas sa joie de vivre, c'est sa rage de vivre, sans mesure. Ils en ont besoin pour se rappeler à une vie plus calme : lire ensemble, toi allongé sur le canapé, moi par terre à tes pieds. Une séance de cinéma, explorer les secteurs interdits du lycée et prétendre que c'est une enquête pour le journal, forcer la porte de la salle de Mitchell un midi, avec Ruth et Mathilde, et peindre en silence, en se servant généreusement dans la réserve de tout ce qu'on n'a pas le droit d'utiliser d'habitude.

Mais rien à voir, encore avec

le bal du 31 décembre.

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