À Brooklyn

The Avengers (Marvel Movies)
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À Brooklyn
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Summary
À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu.Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulementVoici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, et comment Bucky est entré dans l'armée.Un Slowburn, de l'art, de l'Histoire, un quartier et des garçons sans pères, dans le New York de la Grande Dépression.
Note
Si je vais jusqu'au bout, de 1931 à 2023, cette histoire sera racontée en cinq parties avec tous les tropes qu'on aime : friends to lovers, ennemies to lovers, triangle amoureux, slowburn, memory loss etc.Mais pour le moment, nous sommes à New York pendant la Grande Dépression, et Steve et Bucky sont de tout jeunes adolescents.Il n'est pas nécessaire d'avoir vu aucun film pour la lire. Les parties suivantes seront davantage intégrées dans leur récit, je vais m'efforcer de les rendre cohérentes en elles-mêmes mais le but n'est pas de re-raconter la saga, plutôt ce qui se passe entre les scènes.Malgré les recherches que j'ai effectuées, si des éléments historiquement improbables demeurent, je recevrai volontiers vos remarques.En ce qui concerne le passé des personnages, j'ai mélangé les sources, entre le film et les comics.Bonne lecture à vous
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VI - Seventeen

Les aventures errent dans la poussière et s'y métamorphosent en souvenirs. Steve s'assoit par terre et tend le bras vers la malle où il a rangé le dessin des seize ans de Bucky. Il ne l'avait pas regardé depuis, comme si c'était indiscret, audacieux. 

Il est merveilleux, ça crève les yeux

Bucky tend le regard derrière son épaule, un sourire dans sa douce insolence. Son ombre s'amalgame dans l'ombre du soldat de plomb, seule la patine de ses muscles luit dans l'obscurité. Les mots-clefs de son poème improvisé dansent sur une ligne qui ne s'arrête pas, une boucle infinie, électrons en forme de Cyclone

Cette ligne qui les soulève à les étourdir, cadran solaire de nos aventures désordonnées

Il y a trop de choses entre nous

Si courbes qu'on peine à croire qu'elles dessinent un destin, pour le moment

« Il y a trop de choses, ce n'est pas vraiment à la Demuth, marmonne Steve en le lui offrant enfin.

- C'est ton art à toi », clame Bucky qui ne croit qu'en Steve.

 

Debout sur un ponton abandonné, Bucky ôte sa chemise lourde de transpiration et lève le visage au soleil qui noie le paysage dans sa blancheur opiniâtre. Opaque comme du plomb, l'air remplit leurs têtes de magma où tout s'étouffe, indistinct. Sous ses talons, la marée montante enveloppe les piliers de bois fendu, ses effluves salés murmurent des hymnes de sirènes. Promettez-moi le fracas. Bucky sourit et, se retournant, tend la main à Steve. Lui aussi s'est dévêtu. Sa chair blanche semble reflète les rayons du soleil plus qu'elle ne les boit, c'est presque éblouissant. Ses yeux plissés passent de la main ouverte au regard de Bucky, avec perplexité. Un rire inaudible, un geste d'invitation. Leurs pieds frémissent côte à côte sur le plancher, ceux de Bucky, massifs et dorés, ceux de Steve frêles, un peu rouges là où les chaussures trop grandes ont frotté tout l'hiver. Il renifle, fait semblant de pousser Bucky. Bucky fait semblant de perdre l'équilibre et sombre dans le courant avec complaisance. Steve lève les yeux au ciel. Au fond, cette gentillesse le désarme, même quand elle l'agace. Lorsqu'il refait surface, son ami a déjà parcouru plusieurs mètres. Steve prend un peu d'élan et plonge, léger comme un marsouin blanc qui trouble à peine la surface de sa lame. L'eau froide enveloppe sa peau, sauvage et accueillante, à bras ouverts, bras de mer. Le rire de Bucky le guide. Ils se rejoignent et s'étendent sur le dos, se laissent porter par le courant, les remous informes qui affleurent à la surface, pendant que sèche déjà la vapeur du sel sur leurs visages aux yeux fermés.

Parfois, ils agitent un peu les mains à la surface, et les vaguelettes s'étendent de l'un à l'autre comme un faisceau,

comme un champ magnétique

physique élémentaire

même si ces lois-là aussi, Steve les met au défi, bien sûr

bien sûr

(ils ne savent pas encore, bien sûr,
que l'un pour l'autre, ils fractureront celles de l'espace et le temps)

Le chant curieux d'un oiseau inconnu les ôte à leur torpeur

Steve tourne la tête. Bucky est tout près, il prend son poignet dans sa main.

On devrait remonter, on s'éloigne de nos affaires

Steve acquiesce, referme les yeux, attends, juste encore un peu...

Son bras se tend : c'est Bucky qui remonte vers le rivage. Il fait le mort, se laisse tirer, toujours attaché au poignet. Il ne peut pas s'empêcher de pincer un sourire idiot, pendant que son ami fait semblant de râler (mais il ne pèse rien). Bucky le soulève sur son dos et se laisse retomber en arrière dans les flots, tout son corps s'écroule sur Steve. Il se débat, surgit, rugit, le pousse, agrippe ses épaules, cherche le déséquilibre

Et Bucky, beaucoup trop fort, rigole. Idiot ! Et toi, l'eau, traîtresse ! Les doigts engourdis, les gestes entravés comme dans le plus subtil, le plus ultime des voiles, Steve doit lutter plus fort pour le toucher, le bousculer, et ça décuple aussi

(l'envie)

la frustration, si forte qu'elle le suffoque, ou peut-être est-ce seulement le courant trop brutal sur sa poitrine malade ? on peut bien faire semblant

d'en rire, ton souffle sur ma joue, son tressautement sur la flamme de mon âme

de lutter, enveloppé dans le bleu de tes yeux qui me surplombent, qui se permettent la tendresse puisque tu me dépasses, pourtant ça aussi je voudrais l'éprouver

qui désarment

à travers l'eau, contre toi,

Qu'est-ce que tu attends pour me repousser plus fort !

Eh Steve, murmure Bucky, effrayé de le voir si nerveux

Pardon, je ne voulais pas te mettre dans des états pareils, je ne veux pas me battre contre toi

Steve cogne sa tête contre son épaule, son désespoir fend le cœur

Je ne veux pas de ça

Bucky enroule les bras autour de lui, qui peine à respirer.

Eh, ça va ?

Steve hoche la tête, dégoulinant, il recule d'un pas. Les bras de Bucky se dénouent et retombent lentement le long de ses coudes, dans l'eau, avec la souplesse de lianes. Steve recule encore. Les épaules rondes et dures de son ami, on dirait le bois d'une figure de proue venue des navires explorateurs. Il a envie d'y passer la joue ou les lèvres pour sentir plus finement le polissage de velours du bois rare modelé par le plus consciencieux des sculpteurs.

Steve contourne péniblement Bucky dans l'eau. Il remonte sur le rivage et grogne.

La ligne en pois roses de son dos tressaute.

Steve ?

appelle Bucky.

Steve

comme il respire

Et Steve respire avec difficultés. Il y a une ombre sur cette chaleur, venue du fond du cœur, une honte-ombre indicible.

Il se retourne. Ses cheveux un peu trop longs, sèchent déjà et révèlent leurs pigments d'or, ils tombent sur ses yeux, Bucky ne voit que son sourire en coin.

Viens, Bucky, t'attends quoi ?

Ils courent jusqu'à l'endroit où ils ont abandonné leurs affaires, s'écroulent sur l'herbe, à l'ombre d'un saule, si calme que leurs plaisanteries éclatantes d'abord, se muent en murmures. La chaleur dilue toutes les insolentes émotions, les métamorphose en une huile aux parfums de sève, et les regards aussi fondent sur leurs peaux scintillantes.

Je ne veux pas me battre contre toi

alors je promets

J'oublierai tout de ce dont on parlera ces jours-là, j'oublierai tout sauf le soleil.

Les feuilles battent dans les feuilles des arbres

on cligne des yeux, et déjà elles virent à l'orange

Ils traversent New York en conquérants, la jeunesse a ce privilège : son insolence passe pour témérité, sa rage de vivre pour innocence capricieuse. Elle fuse sur les trottoirs, plus anarchique que le tram, sème ses rires qui font crisser des dents, son imprudence colle au cœur comme du miel. C'est sa figure de proue que Steve poursuit, sur le vélo que les Barnes lui ont offert pour ses quinze ans. Au lycée, Bucky travaille, il aime tout. Steve travaille quand il aime, et cette année, il aime surtout la littérature et le dessin.

« Et frapper les mauvais garçons. Montre-moi ça ? »

Steve grimace, secoue la tête sur laquelle il presse un torchon plein de glace. Son ami le chatouille jusqu'à ce qu'il cède. Donald râle. C'est dimanche après-midi. Bucky a récupéré des journaux dans les corbeilles des cafés, après la messe. Il a scruté un peu les ruelles, l'a repéré au ricanement de Rob et Mick et ramené chez les Barnes, où ils se partagent les articles et les comic strips dans son lit.

« Ce n'est pas négligeable dans un choix de carrière, admet Steve, la pommette enflée, en tirant la langue à la grimace de compassion de Bucky. Je pourrais être éducateur. Et toi ? »

Bucky hausse les épaules.

« J'aurai peut-être une bourse pour l'université. Sinon, je postulerai à l'académie militaire de West Point. »

L'armée. Steve hoche la tête. Il n'est pas besoin de dire que, fils de caporal élevé par un tuteur militaire, la vie de Bucky est déjà tacitement vouée à l'armée. Pour un orphelin athlétique et brillant, c'est même la voie royale. Le spectre de la Grande Guerre, celle qui devait mettre fin à toutes les guerres, hante la génération qui les précède, et nourrit la rancune qui gronde à l'orient et l'occident.

Mais il y a aussi le prestige. L'honneur. La loyauté à ce père jamais connu et

admettons

cette impatience qui agite continuellement son sang : son goût de l'action

« Bucky, tu crois que le destin était écrit avant notre naissance ?

- Je crois qu'il s'écrit à l'instant même de notre naissance.

Et toi ? »

Moi, je crois qu'il y a beaucoup de choses qui se sont inscrites dans mes chromosomes avant ma naissance mais, malheureusement pour elles, pas la résignation. Je n'arrive pas à les accepter. Je vais m'entêter. Je vais me faire mal

Je vais m'aventurer.

 

« Il peut tout faire, murmure Donald qui assiste au premier match de la saison, à côté de Steve. C'est le big Barnes qui l'a dit. » Steve hoche la tête. La vision de son ami, souple et vif comme un fauve brûle ses yeux et sa gorge. Il ressemble à un rêve, une apparition idéale, éphémère, qui a déjà disparu et te laisse baigner dans une émotion sourde comme du sang, bien trop lumineuse pour être de la jalousie, et pourtant teintée de mélancolie. Je voudrais lui ressembler, bien sûr, mais si c'était le cas, je ne pourrais pas l'admirer autant.

Je voudrais que rien n'altère jamais le diamant brut, ardent de mes sentiments pour lui, leur pureté exceptionnelle,

Un désespoir rayonnant

Ça. J'ai connu ça, je possède ça, de quoi tu t'inquiètes ?

Bucky marque. Un sourire à peine content dénoue sa mâchoire, et sous la mèche qui tombe sur ses yeux, son regard bleu cherche sa famille. Il hausse les sourcils au sourire de Steve, assourdi par les cris de Donald.

 

« Et si tu avais cette bourse, à l'université, tu étudierais quoi ?

- J'aimerais bien être journaliste.

- Tu devrais publier dans le journal du lycée !

- Tu feras les illustrations ? »

Steve hoche vivement la tête.

« Ou alors, on montera un cabinet d'architecte tous les deux. Spécialisé dans les gratte-ciels.

- OUI.

- Mais arrêtez ! » geint Donald.

Ils inventent leurs propres articles, rêvent d'avenir, le ventre vide. Leurs pieds se balancent dans le lit mezzanine de Bucky sur Donald qui râle, battent fort dans les rêves comme s'ils couraient déjà.

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