À Brooklyn

The Avengers (Marvel Movies)
M/M
G
À Brooklyn
author
Summary
À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu.Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulementVoici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, et comment Bucky est entré dans l'armée.Un Slowburn, de l'art, de l'Histoire, un quartier et des garçons sans pères, dans le New York de la Grande Dépression.
Note
Si je vais jusqu'au bout, de 1931 à 2023, cette histoire sera racontée en cinq parties avec tous les tropes qu'on aime : friends to lovers, ennemies to lovers, triangle amoureux, slowburn, memory loss etc.Mais pour le moment, nous sommes à New York pendant la Grande Dépression, et Steve et Bucky sont de tout jeunes adolescents.Il n'est pas nécessaire d'avoir vu aucun film pour la lire. Les parties suivantes seront davantage intégrées dans leur récit, je vais m'efforcer de les rendre cohérentes en elles-mêmes mais le but n'est pas de re-raconter la saga, plutôt ce qui se passe entre les scènes.Malgré les recherches que j'ai effectuées, si des éléments historiquement improbables demeurent, je recevrai volontiers vos remarques.En ce qui concerne le passé des personnages, j'ai mélangé les sources, entre le film et les comics.Bonne lecture à vous
All Chapters Forward

Chapitre 26

« Eh, murmure Mathilde un soir qu'ils descendent ensemble vers le terrain de sports. T'en fais pas.

Je ne vais pas lui briser le cœur comme ça. »

Steve bondit. Je ne suis pas du tout inquiet pour Bucky, qu'est-ce que tu me chantes ? J'essayais de ne pas être vu de Ruth dont la présence me met toujours mal à l'aise et qui t'attend probablement déjà au stade ; de Moore que j'ai aperçu de l'autre côté de la grille et qui a recommencé à m'adresser des signes de menace, et j'essayais de ne pas trop me faire remarquer par cet abruti de William qui prend un malin plaisir à singer mes attitudes les plus spontanées.

Steve hausse les épaules. Il ne s'inquiète pas, Bucky a le cœur coriace et Mathilde n'est pas très menaçante.

Poseuse, va.

Il se tourne vers elle, avec l'oeil malicieux hérité des leprechauns irlandais.

« Comment, alors ? »

Elle ne répond pas. Elle fait juste une petite moue pleine d'évidence, que Steve ne voit pas parce qu'il vient de sauter à pieds joints dans les gradins.

 

 

 

Peut-être devine-t-elle que le lendemain, Steve se fera coincer par Moore, lui aspergera le visage du flacon de solvant qu'il gardait dans sa poche – à cet effet ? on ne saura jamais -, et, sanguinolent, empestant l'éther, lèvera le plus autoritaire des index à la face de Bucky, assis sur le lavabo des sanitaires, pour lui interdire tout commentaire.

« Ça me rappelle une rencontre.

- La ferme. »

Il balance les jambes, encore électrique. Bucky lui jette le vieux torchon humide au visage, et Steve mord dedans.

 

 

 

Ou peut-être qu'elle pense au mois suivant, à ses les mollets tendus par la course sur le parquet, tordus par les esquives et les sauts, qu'elle voit le match comme un vol d'oiseaux, comme un ballet dont on connaît seulement le canevas, qu'on invente à chaque pas : la plus offensive des valses. Réfléchir vite, se mouvoir avec souplesse. Le regard fier de Steve qui le couronne à l'annonce de la victoire. Le directeur du lycée l'a personnellement félicité, dans les effluves de parquet, de sueur, alors que tous les gars tourbillonnaient encore autour de lui, il a déclaré que s'il continuait ainsi l'année prochaine, Bucky aurait toutes ses chances de recevoir une bourse universitaire.

 

 

 

Peut-être que Bucky lui a raconté cette nuit de pleine lune où Steve et lui, tourmentés par un ennui nerveux, incapables de s'endormir, ont rallumé la radio, l'ont éteinte aussitôt et se sont cachés sous la couverture pour fuir les remontrances de Sarah. Là, ils ont mis au point leur émission, ont dressé le plan de trois saisons, la liste des invités et des sponsors, composé le jingle, se sont tordus de rire au point d'en avoir des courbatures au ventre, et c'est tout ce qui leur est resté, car toutes les bonnes idées s'étaient évaporées dès le lendemain.

 

 

 

Peut-être sinon, qu'elle a inventé pour eux la nuit de ses seize ans.

Steve ouvre la gorge au ciel Coca Cola comme s'il buvait la Voie Lactée

Ils narguent les esquisses et les ambitions, se racontent leurs blagues d'adolescents, se bousculent sur la musique qui passe à la radio et se rattrapent : leur façon de s'inviter à danser. Steve suit les pas qu'invente son ami, embarrassé par sa gaucherie. « C'est pas grave ! » le rassure Bucky. Leurs hanches twistent, ses poumons sifflent, les talons glissent, ils s'affalent lentement, dos à dos, assis par terre. Steve se retient de plaisanter sur... ça : danser, les filles. Ils n'en parlent pas quand elles ne sont pas là. Bucky fredonne encore, alors il balance la tête en arrière sur son épaule, les yeux fermés, et elle continue de tomber, loin, loin en arrière, vertige en spirales. La voix grave de Bucky passe de ses vertèbres à celles de Steve, elle fait le tour de son corps capricieux, et ses ondes se massent au cœur de son thorax pour condenser le plus précieux des joyaux.

« Steve. »

Steve

« Dessine cette nuit. »

Ravi, Steve ondule des épaules. Bucky répond de même.

« Tu as déjà dessiné des modèles vivants ? C'est vrai qu'ils posent nus ? Eh, tu as déjà vu une fille nue alors ?

- Et toi ? nargue Steve.

- Non, répond calmement Bucky.

- Moi non plus. »

Steve tire à lui un morceau de carton.

« Tu m'avais déjà dessiné.

- Ah ?

- Nemo.

- Oh, c'est vrai. Tu as beaucoup changé. J'aurais dû te dessiner plus souvent pour me souvenir.

- Toi aussi. Toi aussi tu as changé. »

Steve hausse les épaules, puis lève les yeux, interrogateur. Bucky est en train d'ôter son pull : « je fais le modèle ». Steve pouffe, baisse les yeux. Revient à lui.

« Tu vas attraper froid.

- T'es la dernière personne de qui je me serais attendu à entendre ça. »

Est-ce que Bucky le nargue ? Pas sûr. La pénombre révèle les reliefs de ses bras et, plus fin encore, le grain de sa peau. Elle s'avance puis se retire dans son cou quand il respire, marée intime. Ce soir, Steve n'est sûr de rien.

« Tu ne veux pas ? »

Bon sang, si, il nargue ? Steve gratte son front du bout de son crayon.

« J'te dis, j'ai jamais fait ça.

- Ça sera notre première fois à tous les deux. »

Qu'il est con. Bucky esquive sa gomme en caquetant. Puis il ôte aussi son tricot.

Sur les joues de Steve, désertées par le sang, la lumière se dérobe : le seul mensonge qui lui soit accordé.

Tu nargues, hein ? Fier de ce corps, eh, tu as bien le droit. 

Je ne pensais pas que tu me ferais ça, à moi, c'est tout

« Tourne tes épaules vers la fenêtre, mais la tête dans l'autre sens. »

Je ne pensais pas que ça me ferait ça

Steve serre sur le crayon ses doigts qui s'indignent

« Tes yeux. Imagine que le ballon arrive ! »

Son regard transparent sonde les perspectives, les angles, les mesures de Bucky, le détaille en mille morceaux séparés, géométriques, comme si c'était possible 

Mais s'il s'y prend ainsi, il ne pourra capturer

La puissance féline qui se dégage de ce corps dès qu'il entre en mouvement,

La vibration qui se consume dans son sillage

Elle rue dans mes mains crispées, mugissant au désespoir

Tu nargues, hein ?

Pardon Bucky, ce n'est vraiment pas un joli sentiment et je n'ose pas m'y prendre autrement.

Steve, fais comme si tu étais la lumière : amoureuse de ces courbes que toi seule saurais révéler. Le bombé du biceps, les ovales des muscles saillants et durs, les ombres de leurs failles qui s'adoucissent jusqu'au sommet des os, blanc, brossé par les projecteurs.

 

 

 

Non

Peut-être que Mathilde pensait à autre chose.

« Je vais pas lui briser le cœur comme ça »

 

 

 

Peut-être ne pensait-elle qu'à Bucky qui

s'est réveillé une nuit, le bras de Steve sur lui

a souri, attendri, comme si un petit animal confiant était venu se nicher là.

C'est déjà arrivé, se dit-il, ensuite. Ça a déjà dû arriver. Sûrement, et je n'ai pas fait attention.

Idiot

Pourquoi est-ce que j'y aurais fait attention ? Cela n'a aucune importance

Steve respire doucement, la tête tournée vers lui. La chaleur de son souffle s'épanouit sur son cou, comme une petite galaxie, moite, et disparaît.

Et renaît.

Steve

Steve

 

 

 

Mathilde ne pouvait quand même pas savoir, si ?

Pour ce matin de mai où le soleil ne s'est pas levé, emprisonné dans une lumière aux bouillonnements noirs,

apocalyptique

« Qu'est-ce que c'est ?

- Le Black Blizzard, il est arrivé à New York.

- Il faut qu'on voit ça ! Montons sur les toits ! »

Elle ne pouvait pas déjà savoir que cent ans plus tard, Bucky vivrait la fin du monde et que Steve serait son témoin, prêt à plonger les mains dans la poussière noire et à la respirer pour qu'il tapisse ses poumons et pénètre en lui à jamais ?

Non, bien sûr. Elle ne pouvait pas savoir.

Et ces deux imbéciles tousseront la poussière des plaines noires pendant plusieurs jours.

 

 

 

Je ne vais pas lui briser le cœur comme ça

tu parles !

Mathilde ne dit pas qu'il saura se faire ça tout seul. Mais elle sait, et pour le moment, elle est la seule à savoir, alors elle ne gâche rien. Elle ouvre un volume, sur les gradins du stade, indifférente à l'entraînement. « J'aime vraiment beaucoup Demuth. » dit-elle encore, pendant que Bucky s'escrime à remonter le terrain et marquer. Regarde comme il passe si subtilement du réalisme botanique au cubisme. Ses inspirations parisiennes – le cirque, à la Toulouse-Lautrec - ses aquarelles exquises, ses affiches à la limite du symbolisme abstrait dédiées à ses amis, toutes les influences, tous les bourgeons réunis dans son art : la passerelle entre la tradition européenne et le modernisme américain.

« Eh Bucky, ça fait longtemps qu'on est sages, là quand même.

- Tu dis ?

- Je dis qu'on devrait emmener Mathilde à Lancaster voir Demuth. »

On est dans les premiers jours de l'été, où le soleil triomphe de toute la voûte céleste, étale dans son empire la longueur du jour en nuances infinies. On est à la fin de quelque chose : l'année scolaire, et l'histoire qu'elle a portée à bout de bras jusque là, la déception de Ruth, la course de Mathilde au-dessus du monde. C'est une apothéose. Très bonne idée, Mathilde, jusqu'au bout, tu seras une vraie artiste. Les fenêtres de la gare centrale déversent des flots de lumière dans lesquels les filles valsent comme des sirènes. Elles seront les dernières : un jour prochain, les nouveaux gratte-ciels masqueront à jamais ces puits de rayons. Sur les bancs durs du wagon de troisième classe, ils se prennent pour des aventuriers, dessinent sur leurs billets. Steve observe la locomotive voisine, Bucky réinvente sa machine.

Dénicher l'adresse du peintre n'a pas été compliqué, Steve a dessiné un plan très précis à partir des cartes de la bibliothèque. C'est Bucky qui sonne, gentleman, et un mouvement d'appréhension tend la main sur eux quand des pas se précisent derrière. Un bel homme ouvre et les salue. Steve bredouille :

« Bonjour. Vous êtes Charles Demuth ?

- Non, je suis son ami, répond-il poliment mais sans sourire. Vous êtes ?

- Des lycéens, explique Bucky avant de décliner leurs noms. Nous aimons beaucoup le travail de Demuth et nous souhaitions lui exprimer notre admiration...

- Si cela ne dérange pas, bien sûr. Sinon, nous avons écrit une lettre, alors nous pouvons simplement vous la remettre.

- Je... C'est très aimable, vous nous prenez cependant un peu au dépourvu. »

Ils hochent la tête, sincèrement confus.

« Laisse-les donc entrer, Robert. Nous avons bien quelques minutes. », demande une voix dans le couloir.

Demuth est apparu, ombre dans le cadre de la porte. Le vrai, vivant, qui les plonge dans l'adoration. Il porte une élégante veste d'intérieur, mais plus élégante encore est sa mine, qui rayonne de quelque chose comme un flot au fond de l'âme. Mathilde l'a, elle aussi. En dépit de sa tenue décontractée, personne n'est gêné, ni le peintre, ni ses invités, ni même plus Robert Evans Locher qui se résigne avec amusement. « Montez donc, mon atelier est au second, je peux vous montrer rapidement. »

Bucky sourit à Steve dans le couloir étroit. Mathilde lui tient la main devant, comme on se pince pour éprouver la réalité. Ici quelques livres, un vieux catalogue d'exposition qu'il leur offre. Il y a des croquis de nus, aux traits délicieusement imprécis, des hommes. Des plantes et des lettrages ; des échantillons de papier peint – « Ça, c'est à Robert, il travaille sur des décors de théâtre. » Il sourit des adolescents curieux, plantés au milieu de la pièce, les mains dans le dos, les yeux écarquillés, et les invite d'un geste à descendre au jardin car il n'aime pas vraiment parler de ce qu'il peint. « C'est la plus belle saison, vous avez bien fait de venir aujourd'hui, regardez-moi ces lys, ces arums, ces iris ! C'est la maison de ma mère. Elle adorait son jardin. Je la vois encore dans chaque fleur qui éclot. Les fleurs sont des modèles dont on ne se lasse pas. »

En atteignant la dernière marche de l'escalier, Bucky se tourne vers Steve qui descend derrière lui et tire la langue, mais son ami ne le voit pas. Car tout à fait en même temps, dans un même mouvement, Demuth s'est retourné vers Locher qui ferme la marche, et il lève la main pour caresser son bras avec une tendresse insolite. Une bouffée d'émotion écrase Bucky, dérangeante comme la honte, humiliante comme l'envie. Steve n'en voit rien, il frotte les cheveux de son ami et saute les dernières marches.

Dans le train du retour, le vent chaud s'engouffre par la fenêtre ouverte, agite leurs cheveux et leurs rêves. Steve, malade, s'y penche. Les filles lisent.

« Je ne suis pas un artiste comme Mathilde, déclare-t-il à Bucky, accoudé à côté de lui.

- Tu regrettes ?

- Non. Je l'admire trop pour ça. Ça ne m'empêchera pas de dessiner. »

Ils sourient chacun pour soi, en regardant le paysage flou. Steve se demande comment le peindre, en couches de pastel successives, les monts en transparences, les couleurs du jour en iridescences, les volutes des nuages au couchant.

On s'en fout, lui a-t-elle dit un jour, il s'en rappelle seulement maintenant. On s'en fout que tu ne voies pas toutes les couleurs, peins avec celles que tu vois, ça te fait déjà beaucoup à apprendre, peins avec celles que tu aimes. 

Vivre cet amour comme une œuvre d'art, c'est sa façon de fondre dans le moule, et cela seul Steve peut le comprendre.

Cela seul.

Seul Steve.

(Au fond, c'est la même chose)

« Dis, murmure Bucky, tu avais un faible pour Mathilde ?

- Non. »

 

« Moi non plus »

Steve lève les yeux au ciel, sans croiser son regard, et souffle un vague rire.

Bucky le regarde, du coin de l'oeil. Il hésite. Il ne comprends pas bien, et il ne sait pas s'il y a des questions qui existent

Il n'y a que la beauté du soir, ivresse de la découverte, des impertinences, des iridescences d'un pays imaginaire. Il lève la main.

Le coeur battant, il caresse l'air autour des épaules de Steve, avec une tendresse insolite. Écrasante

Elle retombe

 

Et il déclame, paraphrasant Williams :

 

Among the furnace of sunset

i saw the figure one in gold

cut in the sky of daybreak

it was nine

on a rusted

freight car

whells squeaking

longing for our seventeen

homecoming

Forward
Sign in to leave a review.