
Chapter 35
« pourquoi ne voudrais tu pas savoir ? » demanda Thérèse avec précaution consciente de la fragilité ambiante... comme toujours l’empreinte des maux passés, la crainte d’entendre des vérités malsaines. Les peurs de sa jeunesse tapissaient toutes ses demandes.
Pour laisser le temps à Carol de répondre , Thérèse s’en alla ouvrir toutes les fenêtres de l’étage car elle voulait faire disparaître l’odeur de « vieux » qui imprégnait tout l’étage et la gênait toujours autant.
Carol se referma ; elle ne voulait pas décevoir Thérèse et, dans le même temps, elle se sentit incapable d’affronter ses erreurs et ses fautes. Une ombre d’hostilité teinta de gris le regard azur :
"cela me regarde et ça peut changer... on peut parler d’autre chose ?"
La jeune femme , déçue, rassurée et inquiète, la regarda avec tendresse :
"bien sûr et , de toute façon, il faut que je me préoccupe de maman. Peux-tu me dire l’heure qu’il est ?
-oh 13 h 15
-merde
-pourquoi ?"
Thérèse baissa les épaules de découragement :
« je devais faire à manger, préparer le déménagement et maintenant »
L’ombre était repartie et avec un grand sourire Carol lui prit les mains :
« Chèrie.
-tu m’appelles Chèrie ?
-tu préfères Mademoiselle ?
-c’est comme il te plaira belette" Thérèse se surprit encore une fois à s’exprimer ainsi.
Un rire éclaira le visage de Carol :
"Ah Belette donc ? bien écoute d’abord on va parler avant d’aller voir ta maman d’accord ?
-euh... oui mais encore ?"
Thérèse vivait comme au ralenti quand elle vit Carol se diriger vers la salle à manger et tirer une de ces chaises garnie de cuir avec ce raclement si familier qui réveillait Thérèse à chaque fois :
"assied toi , il faut que je te parle et ce n’est pas de nous... enfin un peu quand même
-ah? Tu m’inquiètes
-tu ne devrais pas ; voilà hier soir, dans le garage, j’ai vu quelque chose qui m’intéresse très fort"
Thérèse, les yeux rieurs, lui coupa la parole :
"je parie que c’est le grand bateau
-mais tu es intuitif.... Tout à fait je te veux et je t’achète., oh le lapsus, elle cacha son visage dans ses mains, j’ai honte Non le bateau tu as raison"
Thérèse la lorgna avec perspicacité et un peu d’ironie :
"Ah ah lapsus linguae ... non tu ne dois pas m’acheter , même pas me séduire parce que ... ; juste... m’aimer. Je peux te le donner" et elle baissa la tête.
Carol secoua la tête et refusa de s’attarder sur ce sujet :
"je ne veux pas que tu me le donnes ; n’oublie qu’il fait partie de la succession de ton père...
-merde , oh excuse moi, oui c’est vrai il y a ce connard de frère. Je vais en parler à maman..
-d’accord
-bon mais là il faut aussi que je téléphone pour savoir si la banque finance notre projet....j’oublie tout quand tu es là. Gaëlle doit avoir la réponse de la banque aujourd’hui pour notre mise en route, elle hypothèque sa maison pour ça"
Carol ne put s’empêcher de sursauter :
" hypothéquer sa maison oh... tu m’en as dit si peu".
Thérèse pinça les lèvres et respira un grand coup.
C’était la première fois qu’elle allait exposer son projet , à part sa maman et Gaëlle, à quelqu’un dont le jugement comptait beaucoup ; elle se sentit soudainement faible et si peu convaincante et elle commença d’une voix si peu assurée :
"alors voilà on veut reprendre l'ancienne boulangerie du village . On a conclu, Gaëlle et moi, un accord avec Mme Duroc pour reprendre l'activité de son mari ; en échange d'un loyer modeste on va rénover le bâtiment. En fait tout ce qu'on emprunte va servir à mettre à jour l'installation électrique , réparer le four à bois et mettre au goût du jour le magasin et Gaëlle met sa maison en gage; si ça ne marche pas elle perd tout. Alors moi je dois renoncer à mon travail à plein temps à la banque ; je veux faire partie de ce projet et je n'ai pas un balle…et tu sais que la région est touristique ; il y a de plus en plus de gens qui viennent visiter l'abbaye du Mont des Cats qui surplombe le village et il n'y aucune structure pour les visiteurs qui voudraient se restaurer"
Thérèse continua sur sa lancée :
"les moines ne veulent pas ouvrir de restaurant même pas un café ... ils ont trop de travail... donc on ouvre une boulangerie et on fait une restauration très simple à base de soupes , de fromages et de desserts. Pas de plats cuisinés. Gaëlle fait le pain et moi le reste. J’ai contacté mon travail et ils ont accepté que je travaille à mi-temps pour plus tard m’investir à fond dans le commerce. Mais on doit plancher sur beaucoup de choses à mettre au point. J’ai demandé à un collègue don’t c’est la spécialité de faire une projection chiffrée sur base de laquelle on doit travailler. Il est possible que ça marche.
Tu sais il y a aussi du terrain et j’aimerais faire un potager bio ou en permaculture ; mais est-ce que je saurais en vivre ?
Pourquoi quand les choses sont dites tout haut, elles prennent un autre caractère et l’utopie de son projet sauta aux yeux de Thérèse...
Cultiver son jardin mais si ça rate ??
Carol écoutait attentivement , les sourcils légèrement relevés et le front tendu car elle pouvait déjà deviner ce qui allait se passer . Elle finit par s’asseoir les coudes sur la table, la tête reposant sur ses poings pour se redresser d’un coup. Cette soudaine nervosité intrigua Thérèse.
"décidément tout le monde a envie de cultiver son jardin... sous quelle forme l’accord ?
-oh verbal en confiance quoi"
Aussitôt, dit Thérèse, eut l’intuition qu’elles avaient fait une erreur à la vision des hésitations qu’elle lut sur la gestuelle de Carol qui soupira et pinça sa lèvre supérieure ; il fallait bien aborder le sujet , pas vraiment sous les meilleurs auspices.
"bon je vais te dire avant que tu n’appelles Gaëlle ; ne t’énerve pas parce que il y a une solution à tous les problèmes... j’ai acheté la boulangerie
-quoi ?
Rien ne pouvait faire plus mal que cette nouvelle ; assommée Thérèse s’éloigna. Un énorme sentiment d’injustice et d’impuissance la traversa. Tout était parfait jusqu’à présent mais là c’était une trahison ... elle vit Carol sous un autre angle.
Les dès sont toujours pipés et il y en a toujours qui auront des longueurs d’avance sur tout.
Puis l’amertume et la colère la blessèrent :
"Mme Duroc ne nous a rien dit ... je dois l’appeler pour qu’elle sache le coup de poignard qui vient de TOI" Thérèse hurla et pleura en même temps.
Elle n’avait jamais su maîtriser ses émotions et ce qui arrivait était trop... trop dur comme trop épuisante était la proximité de Carol. fort de Thérèse respirait ; la tristesse et la déception faisaient un cocktail dangereux qu’il ne fallait pas boire jusqu’à la lie.
Il faut se parler.
Carol ne la quitta pas des yeux . Il y avait eu une fulgurance, le temps d’un éclair dans le regard de Thérèse qui l’accrocha.
C’était le regard d’une petite fille perdue et choquée , ne croyant plus en la gentillesse des adultes et cherchant sa maman du regard. Thérèse était encore une enfant par certains côtés et cela s’imposa comme une évidence chez Carol émue comme elle ne l’avait jamais été ; elle ne voulait pas briser les plans de vie de Thérèse, mais elle avait une idée qu’elle devait absolument proposer.
Il faut la consoler.
"d’abord tu vas te calmer encore une fois et je veux te parler avant que tu n’appelles Gaëlle. Ce sont les enfants de cette femme qui l’ont poussée à vendre . Dans cette boulangerie, ce qui m’intéresse, c’est la grange. je suis associée à une antiquaire flamande "
Mais elle s’arrêta car elle voyait Thérèse dans le grand désespoir ; elle eut les gestes d’apaisement et de consolation comme pour ses filles. Elle lui saisit les épaules et la jeune femme tremblante ne put pas faire autrement que de poser sa tête sur la poitrine de Carol qui lui caressa doucement les cheveux. Puis ,lui saisissant les mains, Carol l’invita à s’asseoir ce que Thérèse accepta tout en essuyant ses joues mouillées d’un revers de la main :
« tu es associée avec qui ? » demanda t elle d’une voix cassée.
"une antiquaire flamande ; on s’est rencontré à une brocante et on a sympathisé. elle est assez libre dans sa conduite De toute façon, je ne suis pas son genre.
-ben oui ; elle préfère les hommes
-non Thérèse elle préfère les brunes... les petites brunes de ton genre"
Thérèse se redressa :
« Antiquaire, Flamande, les brunes ? C’est Marijke ?
-tu la connais
-ouai….elle m'a dragué mais non elle ne m'inspire pas, pas du tout mais elle est bourrue et super sympa. Alors c'est ton associée?"
Carol , considérant la légère bouderie ambiante, lui saisit la main et la porta à ses lèvres pour y poser un baiser léger:
Thérèse lui répondit par le plus éclatant des sourires et , toujours en arrière-plan, ce désir de plus que Carol évita
Comme elle faisait toujours depuis leur rencontre...éviter, oublier., passer à autre chose Elle enchaîna donc:
"en effet et je vais l'appeler parce que ta maman a des meubles intéressants et ce superbe bateau"
-oui, mais la boulangerie alors?
-on a besoin d'un hall d'exposition et notre clientèle est essentiellement anglaise bien que de plus en plus de hollandais et de français s'intéressent à notre commerce. Tu vois Thérèse je veux faire rénover la maison et la grange. Et , en ce moment, Gaëlle parle avec mon architecte; je prends tous les frais à ma charge et je vous loue la maison"
Thérèse calculait rapidement :
"mais, si tu rénoves la maison, le loyer va être élevé et nous
-Thérèse il ne sera pas élevé; je veux vous aider et , puis , j'ai déjà rencontré Gaëlle
-comment ça se fait?"
Carol poussa un grand soupir et lui expliqua qu'un dimanche , dans un des petits marchés de la région, elle avait entendu quelqu'un crier ce prénom Gaëlle.. enfin pas vraiment.
"tu es compliquée Carol pourquoi ce pas vraiment?"
Carol n'avait jamais eu l'air aussi embarassée que maintenant et Thérèse en resta tout perplexe…Carol se leva d'un coup , rejetant Thérèse.
"excuse moi mais, ce jour-là, elle discutait avec un client assez pénible et, à un moment, j'ai entendu "Abigaëlle"
Et je ne sais pas ce qui s'est passé mais entendre ce prénom m'a propulsé ailleurs ; un ailleurs que je n'arrive pas à reconnaître , qui m'est familier et étranger , rassurant et inquiétant, proche et lointain" . Comment définir autrement e flou qui la saisissait à chaque fois qu'elle s'approchait de la chose qui la rongeait ;
Il fallait combler ce vide qui s'installait à chaque fois que Carol parlait d'un air détaché et craintif ; c'était alors qu'elle se révélait le plus.
"connais tu quelqu'un qui a ce prénom?"
Carol fit non de la tête ; elle avait besoin de réconfort et elle se rapprocha alors que Thérèse la prenait dans ses bras :
"pourquoi es- tu tant sur la défensive? On peut affronter tout affronter à deux
-mais je ne sais même pas ce que c'est ; je ne sais même pas mettre un nom dessus. Cependant j'ai acquis la certitude que cela s'est passé pendant ma dernière année d'étude à NY."
Carol eut à cet instant le regard qu'avait Jacqueline quand on abordait les sujets dangereux , ceux qui pouvaient mettre à mal une âme fragile et tissée d'anxiété. Elle en avait assez dit et Thérèse respecta cette réserve; elle voulait en savoir plus sur cette rencontre avec sa copine
"lui as-tu parlé à Gaëlle?"
Il y eut une pause ; Carol était en mode récupération et elle cherchait son souffle
"un peu mais je l'ai trouvée tellement gentille et autoritaire dans le même temps, elle secoua la tête comme une évidence, vous vous ressemblez tellement .
-je suis autoritaire?
-oui et non"
Thérèse l'étonnait encore ; c'était une jeune femme accomplie mais dans son regard il y avait de l'enfance et de la naïveté sans aucune puérilité.
Comme Carol aurait voulu lui insuffler l'assurance qu'elle possédait dans beaucoup de domaines même si elle l'aurait volontiers troquée contre un peu de bonheur et l'oubli de son passé… devenir quelqu'un d'autre , briser cette coquille de malédiction et s'envoler enfin comme elle voulait le rêver
Thérèse était troublée de cette confidence; ses amis ne la jugeaient jamais et elle-même se trouvait équilibrée. Mais ne leur donnait-elle pas l'image qu'ils voulaient qu'elle ait? Cette fille qui s'énervait si vite , était-ce vraiment elle ou juste une illusion? Ou , encore une fois, un mur, une protection , un barrage contre ce je ne sais quoi qui l'empêchait d'aller au bout de ses désirs.
L'envie de fumer revint à Carol alors que , jusqu'à présent, la cigarette n'était qu'un élément de la fascination qui émanait d'elle et dont elle aimait jouer. Elle avait comprit que la façon dont elle entrouvrait les lèvres pour saisir la cigarette était une évidente manœuvre de séduction qui promettait tellement sans la compromettre elle et cela rendait fous ses amants d'un soir. Mais, en l'occurrence, cette envie de fumer était une envie de protection contre ses propres désirs qui l'encombraient parfois ; enfin surtout ceux que la présence de Thérèse éveillait et qu'elle redoutait.
"tu sais Thérèse je l'ai trouvée très sympathique et c'était la première fois que j'éprouvais de la sympathie pour quelqu'un de mon sexe…les femmes , en général, me considèrent comme une rivale" Carol finit sa phrase avec un sourire qu'elle réprima de suite en voyant la mine triste de Thérèse :
"mais bien sûr c'était avant qu'on ne se parle …bien avant. Elle m'avait donné quelque chose que je ne reçois jamais …de l'attention tout simplement pas liée à mon physique ou à ma fortune
-ah?...donc tu lui as parlé ; mais il ne faut pas me rassurer . Gaëlle aime son mari et les femmes ne l'intéressent pas sauf qu'elle est une formidable amie dont j'ai besoin. Oui elle donne à chacun l'impression qu'il est unique"
Et toi la formidable amante que je veux.
Carol , attentive aux sautes d'humeur de Thérèse, se rapprocha de la jeune femme qui l'avait laissée s'éloigner.
"les cheveux courts t'iraient certainement et pour ton casque ce serait plus facile
-pourquoi me dis-tu ça? Je suis moche, c'est ça?" et elle finit sa phrase dans une sorte de ricanement.
Carol la reprit :
"tu es bête ou quoi? Tu es absolument adorable et je…" elle s'arrêta consciente qu'elle s'avançait en terrain miné.
Elle devait cesser ses compliments , elle devait être plus distante en restant amicale car faire souffrir inutilement Thérèse la révoltait.
Mais ce fut la jeune femme qui prit la parole pour éviter ce silence qui se prolongeait ; Thérèse n’avait absolument aucune confiance en ses possibilités de séduction. Toutes les tirades amoureuses qui tissaient leur toile dans sa tête disparaissaient devant Carol ; elle se sentait gauche . Il fallait dissiper ces malentendus et surtout changer de sujet.
Pour aller dans une direction qu’elle maîtrisait "
"bon Carol tu es sérieuse pour ta proposition ; tu peux m’en dire plus ?"
Carol lui sourit lui caressa la joue et elles s’assirent toutes les deux sur ces chaises en cuir qui avaient suivi Thérèse dans toute son enfance . Elle lui exposa ses plans tout en ne la quittant pas des yeux. La grange faisant face au magasin était exceptionnellement belle. Le toit de chaume était à refaire, mais les murs de briquer rouge noir et jaune lui donnaient un cachet fou ; c’était la sophistication et le naturel réunis en un seul lieu qui serait l’écrin nécessaire où seraient exposées ses plus belles pièces. La maison ainsi que le magasin allaient être rénovés dans le même style ; l’argile et le bois, la pierre en seraient les trois éléments principaux qui donneraient à l’ensemble une allure intemporelle et séduisante. L’extraordinaire était que le four à pain fonctionnait au bois et qu’il était la pièce maîtresse autour de laquelle s’enroulait la maison.
Quant à la grange Il était prévu d’installer une climatisation la plus naturelle possible pour les étés lourds et orageux qui étaient la spécialité de la région car il fallait protéger les meubles et leur assurer une température constante et modérée ; la même chose était prévue pour la maison dont une partie servirait de mise en situation pour certains meubles.
Thérèse écoutait attentivement et sous les paroles de Carol se dessinait un avenir certain pour le commerce en tous les cas. Ce qu’elle entendait allait au-delà de ses rêves les plus fous ; c’était exactement ce à quoi elle rêvait .
C’était ce qu’elle voulait et on lui amenait sur un plateau d’argent tenu par la plus belle et la plus désirable des femmes.
Carol parlait et son discours était une symphonie envoutante et sacrée ; elle pensa au Boléro de Ravel. Le ton , la raucité
Le caressant dans le même temps comptait autant que le fond ; elle pensa qu’elle aurait pu écouter Carol lire le Bottin pendant des heures. Les paroles de Carol étaient devenues une mélopée sensuelle et Thérèse ferma les yeux.
"mais tu dors bon sang .ce que je te dis ne t’intéresse pas ?
-mais je ne dors pas et je t’écoute mais je n’en reviens pas que tu as tout à fait saisi l’esprit de cette maison comme je l’ai
Saisi. On dirait que tu, que nous savions déjà sans le savoir moi en choisissant cette maison et toi en l’achetant et ça me fait rêver à tant de possibilités . La vie ne m’avait jamais fait de cadeaux jusqu’à ce que tu atterrisses sur cette piste de danse... et depuis ce temps j’aime cette chanson sur laquelle tu as dansé quand je t’ai vue pour la première fois :
-ah et c’était ?
-« désenchantée » de Mylène Farmer
-je ne connais pas, c’est une américaine ?
-non une française . Tout le monde danse sur cette chanson alors que ses paroles décrient un monde dur , impitoyable et sans merci... comme ce que tu vis parfois n’est-ce pas Carol ?"
Thérèse accompagna cette remarque du plus tendre et du plus émerveillé des regards non sans une pointe de doux sarcasme dans l’espoir d’atténuer la rudesse des mots.
Être percée , être mise à nu de façon aussi ... il fallait s’y habituer même quand ça venait du plus tendre des juges.
"Je parle bien français
-non tu parles remarquablement bien français
-merci... j’ai cependant du mal à comprendre les paroles quand elles sont chantées, sauf quand il s’agit des chansons de cabaret ou rive gauche... après le décès de Harge, j’ai fait un tour du monde assez souterrain et ,à Honk-Kong dans un club, j’ai entendu une chanson qui m’a bouleversé tellement que je suis partie...
-laquelle ?
-oh... dès que le disque a tourné, les larmes sont venues à cause de la voix cassée et de ces paroles... et je me suis enfuie... la chanson disait
Du plus loin que me revienne
L’ombre de mes amours anciennes,
Du plus loin, du premier rendez-vous,
[...],
Du plus loin qu’il m’en souvienne,
Si depuis, j’ai dit « je t’aime »,
Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous.
-mais c’est Barbara et pourquoi ces larmes ?"
Le menton tremblant et les yeux brillants , à travers le chaos de son verbe Carol se démantibulait lentement :
« personne ne m’a jamais aimé comme cette femme le chantait... personne et je ne le supporte pas"
Thérèse avait le cœur broyé ; elle l’entoura délicatement de ses bras pour lui dire qu’elle était là et qu’elle serait légère et attentive ne sachant que dire et répéter et couvrir de baisers légers ce visage désespéré et craquelé :
"moi je suis là, ne l’oublie pas... je suis là et je serais toujours là... tu es ma plus belle histoire d’amour"
-c’est vrai ?" les yeux bleus l’imploraient et ces mêmes yeux bleus la cloueraient à un moment ou à un autre.
« je ne le jure pas , je te le dis et c’est tout »
Thérèse ne pleura pas car elle devait être forte pour deux. Mais la présence des larmes contenues illuminèrent cruellement l’amour immense qu’elle éprouvait pour Carol ; à l’aune de ce chagrin elle mesura l’espace à combler que seule Carol pouvait remplir . Thérèse soupira ; il y avait tant d’émotions, tant de hauts et de bas... elle était épuisée et , dans l’étreinte de Carol, elle souhaita se reposer.
Carol hoqueta de moins en moins et reprit son souffle pour l’accorder à celui de Thérèse qui l’enveloppa de ses bras et s’y perdit...
Il faut s’écouter.
w