
Chapter 32
Thérèse continua sur sa lancée car elle n’avait plus le choix :
« et surtout toi isolée dans ta solitude , dans ta détresse que tu cachais tellement bien ; je n’ai réussi les appréhender que pendant un claquement de doigt. Là j’ai senti qu’il y avait quelqu’un au-delà de ce cirque qui t’était nécessaire , au-delà de ces gesticulations....tout le monde en fait , toi tu en fais plus que les autres au point de t’y perdre »
Thérèse se surprit à être aussi dure ; il fallait rendre tout cela dérisoire mais comment ?.
« M’y perdre ? Explique toi » Carol était si tendue qu’un seul frôlement pouvait la blesser ; ce fut à l’aune de cette tension que Thérèse comprit de suite et encore plus combien Carol était un diamant fêlé, si brillant cependant et si fragile.
« je t’observais souvent, commença Thérèse de sa voix consolante, quand tu arrivais à la porte du dancing... à chaque fois je voyais les filles qui étaient là , jalouses et agressives, et toi leur répondre ; je n’ai jamais su ce qui s’y disait mais je l’imagine aisément vu la cruauté de la jeunesse »
Carol croisa les bras en un geste désespéré , le regard fier et blessé :
« Ah oui que pouvaient elles bien me dire , à ton avis ? »
Thérèse l’enroba du plus doux des regards et posa la main sur ses bras croisés :
« ton âge, évidemment qu’est ce qu’elles pouvaient bien dire d’autre ? Dans quoi pouvaient-elles s’engouffrer d’autre ? »
Carol était gelée , entourée de sa seule réalité si bien décrite par cette petite insolente. Elle porta la main à son cou
Et s’appuya contre la porte qui grinçait :
« superbe et provocante ? Seule et en détresse ? Gesticulation? Et toi que pensais- tu vraiment de moi à ce moment-là ? Et mon âge que te fait-il ?
-oui encore une précision, et Thérèse ne put réprimer un sourire, plus belle que les plus belles. Et ton âge ? Je m’en moque et tu le sais ; ça ne doit pas te servir d’argument pour m’éloigner. J’ajouterais que c’est même un argument en ta
faveur »
Carol se redressa d’un seul coup....Thérèse la narguait pour mieux désamorcer les mines cachées.
Alors Carol fronça les sourcils et retint son sourire :
« Je suis complétement désarmée... répond à ma question ; j’ai tellement l’impression que tu retiens tant de choses en toi »
Thérèse nageait dans les eaux troubles de ses craintes et n’en montra rien ; alors elle défia Carol et les deux femmes se mesurèrent du regard, l’insolence incroyable de Thérèse et la colère presque amusée de Carol, et ce fut Thérèse qui fit le premier pas :
« je ne peux pas te dire ce que j’ai vraiment vu »
Il fallait bien piquer la curiosité de Carol qui se planta devant la jeune femme :
« qu’est-ce que tu ne veux pas me dire ? »
Thérèse , un léger sourire ornant ses lèves , préféra aller frotter la table et Carol la suivit :
« Thérèse je t’ai demandé . Réponds moi »
La jeune femme se retourna et, en un geste franc et direct, caressa la joue de Carol qui s’empêcha de reculer.
« on peut être seule et forte quand c’est un choix . mais ce regard parfois vide souvent mélancolique... vide comme lorsque je suis allée dans la backroom pour me faire une idée, où tu m’as dit que tu m’avais vue. C’est pour ça que je ne voulais rien dire parce que ça m’a tellement touché... ta faiblesse. À partir de ce moment, là je suis tombée vraiment en amour de toi et je t’ai vue plus comme une cible mais comme une espérance, comme une vision d’un futur »
Thérèse n’alla pas au bout de sa phrase et baissa la tête.
La vision d’un futur avec toi
Carol tourna le regard ; tant de vérités sorties comme ça , l’air de rien par cette jeune femme sortie de nulle part et qui l’avait comprise d’un claquement de doigts. Thérèse , fascinée, ne se lassait pas du contact de ses doigts avec la douceur
de la peau qui frémissait ; Carol avait tant de trésors cachés qui l’attendaient.
Des larmes contenues depuis si longtemps mouillèrent les yeux de Carol et ce fut une ... délivrance attendue si elle n’était pas voulue ; l’oppression fracassa sa poitrine, ses yeux se gonflèrent de chagrin et elle mourut d’envie de se blottir contre Thérèse :
« oui c’est de t’avoir vue qui m’a frappé de tristesse ; en un clin d’œil tu m’as montré ce que j’étais et la nostalgie de ce que j’aurais pu être m’a étreinte... je n’ai pas eu honte car je ne veux plus éprouver ce sentiment. J’ai senti comme un décalage entre ce que je faisais et toi. La situation m’a parue si ... crue et puis il y a eu cette soirée où tu m’as parlé... mais cette fois là il s’est passé quelque chose »
"Carol tu pleures?" Thérèse, telle une acrobate sur le fil, vibrait de crainte de blesser.
Esquissant un geste de dénégation Carol baissa la tête consciente de sa faiblesse mais il fallait être sincère , ne plus louvoyer entre la vérité vraie et la vérité préférée et elle balbutia ces mots car elle voulait dire et ne pas se retirer:
"pour la première fois"… et elle soupira. Elle hésitait encore .
Thérèse se fissura et s'en voulut en même temps; ses pensées allaient naturellement vers des situations…non. c'était indigne d'elle …
"ne me dis pas , ne me dis pas que…"
Le venin de la jalousie la piqua. Oui bien sûr qu'elle ne supportait pas ce qui se passait dans la backroom mais que Carol en parle.
Elle y allait tellement vite , elle choisissait si vite le mec qui la sauterait. Je devais à chaque fois chasser les images évidentes qui s'imposaient. C'est ça de m'avoir vue l'a fait jouir? Pour me blesser plus encore?
Voilà qu'elle supposait des choses qui n'étaient pas. Pourquoi le sexe était-il aussi important? Pourquoi ces quelques instants dérisoires couvraient de si grand enjeux?
Thérèse ignorait que Carol ne connaissait rien à la vie , à la vie des autres. Arrachée à son adolescence par la cruauté de sa mère elle en méconnaissait toutes les ambiguïtés et les nuances. Focalisée par sa seule survie elle avait négligé tout ce qui fait le sel de la vie. Son seul maître étalon était le contrôle de sa vie sexuelle , mais elle était ignorante de l'âme humaine et de ses paradoxes ; elle lâcha d'un air de dépit :
"que sais-tu? Comment pourrais- tu savoir?? Toi aussi tu me condamnes en dépit de tes grandes déclarations?"
Elle coinça sa lèvre inférieure contre ses dents et tordit la bouche…déception…mais c'était à prévoir.
Carol se sentait comme la lionne rejetée par son clan et cela lui déchira la poitrine ; même Thérèse l'assimilait à ce que tout le monde pensait…L'option raisonnable que Thérèse avait prise d'être calme et patiente explosa en mille morceaux qui lui rentrèrent dans la peau :
"comment je sais quoi? Tu vas me parler de jouissance…c'est ça?"
Tout était trop…trop fort . La colère avait fondu sur Thérèse mais elle se dégonfla très vite et là c'était une nouveauté.
Fragile tout était fragile et elle prit conscience de sa stupidité ; elle frappa du poing le mur et se retourna avançant les bras en un geste d'imploration:
"qui suis-je pour te parler ainsi? Excuse moi je suis désolée….je suis une grosse connasse…je réagis comme un mec et je déteste ça; je n'arrête pas de faire comme eux…je t'ai désirée comme tout le monde et puis j'ai eu honte. Je ne veux pas être comme tout le monde…et puis je suis allée plus loin et je t'ai regardé pas comme un chasseur lorgne sa proie non comme quelqu'un qui cherche le truc qui la fera sortir de sa vie banale et bête à crever. "
Elle se frappa la poitrine et continua:
"J'ai voulu m'éloigner et puis je suis revenue et je t'ai vue dans cette salle et je suis repartie et , enfin je t'ai parlé. C'était comme une histoire que je voulais écrire sans savoir où aller sans savoir si je t'intéressais et tout cela a pris des semaines… ta classe , ton fric , ta beauté , ta tristesse saurais-je tout assumer? Ai-je les épaules assez larges?. Je ne suis même pas foutue de t'écouter"
Thérèse se tut un moment consciente de son dérapage; elle ne se chercha pas d'excuse même si la proximité physique avec Carol était terriblement déstabilisante. Elle balbutia:
" pardonne moi , je t'en prie. Notre conversation est tellement intense et il y a tant d'incertitude . J'ai l'impression de jouer et de perdre, une vraie roulette russe. Je n'ai pas la mentalité d'un Don Juan. Tu es si proche si touchante et moi je suis là avec mes gros sabots, avec mes maladresses...c'est trop ; on ne devrait parler que du beau temps" .
Et elle se jeta aux pieds de Carol qui n'en demandait pas tant.
Thérèse garda la tête levée et fixa l'amour de sa vie, si implorante . Carol qui ,comme elle l'a toujours fait en pareille circonstance se serait fâchée, ne le fut pas…au contraire ; émue par le discours de Thérèse elle eut l'instinct de la consoler et se surprit encore une fois à sortir des balises qu'elle s'était fixé une fois pour toutes. Décidément cette jeune fille avec ses maladresses avait le chic pour la bousculer :
"parler du temps ? Mais c'est pour ceux qui n'ont plus rien à se dire et ce n'est pas notre cas , n'est-ce pas?...non ce n'est pas vraiment ça et puis tu n'as pas une vie banale… tu te sous-estimes Thérèse" ce disant elle prit la décision de cacher une partie de la vérité qui lui avait sauté aux yeux cette nuit là ; ce serait pour plus tard et puis c'était si anecdotique.
"relève toi , chèrie et assieds toi à côté de moi" Carol n'avait jamais vu autant de panique ; Thérèse ressemblait à une louve aux abois . Elle se releva et s'assit le plus prés possible de Carol qui la saisit contre elle et lui passa la main dans les cheveux puis , flattant les douces pommettes de son pouce impeccablement manucuré:
"calme toi … tu t'emportes , tu te fais mal et je ne le veux pas " Et elle posa un baiser appuyé sur le front tendu de Thérèse qui le remarqua à peine:
"vois tu , ma Thérèse ,ce jour là il y a eu un coup de fil de ma mère qui , pour se conformer au jugement du tribunal, ne peut me contacter que par l'entremise de mon avocat… mes filles ont assisté au coup de fil et à mon effondrement et c'est Rindy qui m'a demandé instamment de faire intervenir Fred, mon avocat . Elles m'ont mis la pression et ce qui m'a fait basculer …tu vas rire comme vous dites quelque fois quand c'est sérieux"
Elle m'a appelé chèrie , ma Thérèse; c'est vrai qu'en France ça ne porte pas à conséquence . Mais elle est américaine…
Thérèse , craintive et épuisée à force de se contrôler, se blottit encore plus près et sentit battre le cœur de Carol; un instant merveilleux qu'elle en voulait pas du tout rompre. Tout en l'écoutant elle entoura doucement, légèrement, timidement la taille fine de son bras et sentit la chaleur et le parfum de ce corps à peine couvert; sous le Tshirt se dessinait l'arrondi d'un sein et elle regarda, fascinée, le battement de la veine jugulaire et fixa le creux de l'épaule qu'elle aurait voulu tant embrasser. Mais elle eut honte de ce désir alors que Carol était si sérieuse dans ses propos:
Elle déglutit:
"non je ne vais pas rire, continue"
Carol pressentit que cet aveu allait offrir à Thérèse plus qu'un baiser et, posant doucement sa main libre sur celle de Thérèse, elle s'y engagea quand même :
"ton regard, c'est ton regard quand tu m'as vue dans cet endroit sordide où je me faisais mettre comme une pute ; ton regard s'est imposé dans ma tête et il m'a donné la force de dire non et de prendre la décision que mes filles attendaient depuis longtemps…tu es mon ange gardien Thérèse et je n'en peux plus de me retenir. Mais je ne peux que te faire mal et je ne le veux pas. Je ne peux pas céder … je dois voir plus loin. J'ai trop peur de te blesser , tu ne le mérites pas"
Sous un ciel ténébreux un lac bleu cherchait un étang si noir; Carol vit Thérèse encaisser le coup.
Déchirée de partout Thérèse était au bord de la falaise du précipice qui lui tendait les bras. Une fois encore Carol lui montrait l'enfer et le paradis , ouvrait une porte pour aussitôt la fermer. Carol se sentit coupable comme elle l'avait toujours été d'ailleurs. Coupable aux yeux de Anne d'être une femme, coupable aux yeux de Harge de n'avoir pas su lui donner un garçon et d'être là à une place où elle n'aurait pas du être, coupable de ne pas assumer vraiment ce qu'elle éprouvait pour cette jeune femme si déroutante. Il lui semblait que tout rétrécissait autour d'elle …
Gâche tout ce sera du définitif et tu reprendras ta petite vie tranquille et tes petites aventures minables.
Mais Thérèse eut ce sursaut , ce refus de la fatalité ; elle devait se battre . Elle se redressa donc le regard tendre et confiant ; il fallait avancer . Elle lança un grand sourire à Carol:
"oui , oui , oui
-quoi oui?
-oui je veux et je peux souffrir à cause de toi si je suis avec toi. Oui Je préfère souffrir avec toi qu'être tranquille sans toi….Oui on peut voir plus loin mais ensemble…mais que redoutes-tu? Que crains-tu? Si on n' essaie pas on ne saura pas. Moi je serais ton avenir , je veux être ton tout. Tu mérites mieux qu'être la diva du dancing . Tu es ma reine . Tu le sais au moins?"
Être si près de Carol , l'étreignant et envahie par son parfum et sa présence Thérèse leva la tête pour capter le regard de Carol qui ne l'évita pas. Thérèse se sentait envahie par le bleu de ces yeux qui la perçaient de toutes parts:
"chèrie tu ne sais pas à qui tu as à faire…il ne peut y avoir aucune promesse de bonheur avec une femme comme moi
Je suis faillible , mes démons sont toujours là et la gitane m'a dit que j'avais fait quelque de laid ou de mal , c'est pareil, et je ne sais pas ce que c'est" et sa cicatrice de l'index se rappela à elle.
Thérèse chercha son regard:
"arrête de te déprécier s'il te plaît…je ferais le possible et l'impossible pour te donner confiance en toi et effacer toutes ces horreurs que ta mère n'a certainement pas manquées de te susurrer depuis que tu es née…tu as fait du mal ce n'est pas possible…"
je sais que c'est possible ; quand maman a ses crises elle est si différente…. D'abord la rassurer comme toujours
Les yeux noisette brillaient de confiance et d'affirmation ; Thérèse saisit doucement la main de Carol et la porta à ses lèvres, puis à sa joue. Carol se laissa faire ; elle était comme le gibier piégé par les phares de la voiture. Mais , avant tout, elle était… tentée , terriblement tentée ; elle voulait sortir de l'ornière et se dégager de la gangue de boue qui la paralysait et maintenait sa vie dans une zone d'ombre.
Elle caressa les cheveux de Thérèse qui sentaient les embruns et lui prit la tête entre ses mains:
"alors tu veux quand même essayer? je te préviens que je peux être impitoyable et cruelle, comme il m'arrive d'être avec Margot…
-avec Margot; tu ne l'épargnes donc pas?"
Aux yeux de Thérèse , à chacune de leurs conversations, se révélait l'esquisse d'une femme superbe habitée par des remords et de la violence. Carol devait certainement se battre et , parfois, baisser les bras ; ce qui est connu rassure.
Thérèse ne put s'empêcher de soupirer:
"je connais un peu le cheminement qui amène à de pareils états; je dirais que tu es un être humain blessé dont les cicatrices béantes ne se laissent pas oublier. Derrière tout ça une culpabilité certaine à propos de je ne sais quoi, mais qui te ronge."
Carol adoucit son regard :
"je suis gentille aussi quelquefois mais c'est bref ; à part avec mes filles et encore ça dépend de tant de choses. Je vais te blesser Thérèse et j'en rirais quelquefois pour nier ce côté noir qui imprègne ma vie depuis tant d'années. Une chance que je ne sois accro ni à l'alcool bien que…ni aux médocs…juste un peu de sexe . Est-ce que c'est mieux ? Je n'en sais rien. Drôle de conversation n'est-ce pas?"
Carol mordit encore sa lèvre inférieure tout en laissant des doigts traîner sur son front, l'air un peu perdu.
Thérèse ne répondit absorbée par cette confession qui ouvrait tant de portes ; elle en imprima les moindres détails pour s'en souvenir au bon moment. Mais elle adressa à Carol le plus encourageant des sourires , qui murmura:
"alors je te le demande encore et ta réponse ne changera pas les engagements que j'ai pris concernant ta maman : prête à essayer?" leurs yeux se croisèrent en un duel prémonitoire.:
"oui , bien sûr plus que jamais et depuis le début, tu sais on n'a rien sans risque et je sais que tu es quelqu'un de bien pour ma maman…laisse moi te faire la cour …je ne l'ai jamais fait à personne. Les autres ne comptent pas. Un instant avec toi vaut toutes les soirées de ma vie… Engageons-nous dans cette voie. Tu veux bien qu'on essaie? Tu vas me laisser essayer? Je serais peut-être maladroite alors tu me le diras? Tu me le diras?"
De toute sa vie Thérèse n'a jamais été autant sous pression et aussi consciente de l'enjeu et des dangers y afférant.
Carol eut le cœur serré de la voir ainsi :
"c'est la plus douce et la plus tendre des suppliques qui ne m'ait jamais été adressée de toute ma vie; je ne peux que dire oui" et, comme l'évidente suite de cet aveu , elle eut l'envie de se pencher vers les lèvres à peine closes de la jeune femme si proche.
La fenêtre ouverte sur le petit jardin clos laissa passer le chant d'un oiseau et Thérèse prit comme un signe ce gazouillis enchanteur. Son cœur ne battait quasiment plus tellement il battait; elle aurait voulu que tout s'arrête pour ne rien perdre.
Le temps était suspendu; elle avait tant de fois rêvé cet instant mais l'imagination lui avait manqué parce ce n'était qu'un rêve et le réveil était si pénible avec le sentiment percutant du décalage entre le rêve et la réalité…
Ce qui fit que Thérèse ne bougeait pas , ne bougeait plus.
Carol esquissa une approche à peine perceptible et inclina la tête :
"je dois vraiment faire tout le travail?" murmura Carol la voix cassée et les sourcils arqués. , le regard intense fixant l'iris marron:
-quoi?
-dois-je t'implorer?
-pourquoi?"
Carol dut retenir un sourire mais son cœur lui indiqua sa réponse :
"pour que tu m'embrasses, chèrie. Donc je répète : dois-je vraiment faire tout le travail?
Les yeux de Thérèse s'agrandirent de surprise et elle balbutia :
"euh…si...euh non , non, pas du tout . C'est moi qui dois…
-humm"
Carol était dans l'expectative ; ce serait donc son premier baiser avec quelqu'un qui l'aimait et ce quelqu'un était une femme. Embrasser Harge n'était pas un voyage c'était le passage obligé avant l'acte… ça piquait souvent , c'était lourd, c'était sans intérêt. La curiosité l'aiguillait autant que cette envie , peut-être passagère, d'échanger , de connaître ces rapports d'amour et de plaisir dont parlent toutes les chansons, tous les poèmes ; en fait elle ignorait tout des vrais échanges amoureux , de la confiance et du plaisir échangés , de la réciprocité.
Harge prenait et ne donnait jamais ; ce qui aurait du être un acte d'amour était rude et grossier et Carol en souffrait.
Elle avait tant espéré de ce mariage forcé mais elle était tombée de mal en pis . Quant aux autres … elle n'embrassait jamais. Intime…beaucoup trop intime…
Carol attendait donc et ce fut une attente absolument délicieuse ; elle se sentait comme une jeune fille apprenant les choses de la vie. Elle se concentra sur les réactions de son cœur qui battait plus fort et plus vite que d'habitude…
Mais pas comme lorsqu'elle revoyait ses filles. Une autre rythme , une autre émotion si étrange…
Maintenant je vis. Je vis ce que les autres vivent depuis longtemps.
Je comprends les paroles des chansons d'amour que je trouvais si ..bêtes.
Thérèse fit ce dont elle rêvait depuis longtemps; elle effleura de ses doigts des la racine des cheveux au menton le visage de Carol qui se laissa faire , étonnée de la tendresse de la jeune femme. Thérèse ne voulait pas aller droit au but et prit son temps.
Puis , prenant la relève de sa main, elle frôla de ses lèvres le front et les joues de Carol. Elle allait vivre un moment inoubliable et elle comptait bien le faire durer et en déguster chaque seconde. Elle peigna les mèches blondes un peu rebelles et sourit de sa maladresse; les quelques cheveux blancs lui plurent. Plus elle touchait et plus elle découvrait; en fait elle ne connaissait rien .
Ses sens étaient décuplées.
Elle entendait le souffle de Carol, elle s'imprégnait des strates successives de son parfum, elle scrutait les infinies variations de sa peau; mais elle se retint de mordre la large échancrure qui la tentait…le goût viendrait plus tard.
Oubliées ses pauvres amours, elle repartait de zéro.
Carol ne bougeait pas ; par les frôlements et les soupirs de Thérèse elle rentrait dans un monde qui n'était pas le sien et ça lui plaisait.
Elle était attentive aux ondes de ravissement et d'étonnement qui la balayaient des pieds à la tête. Que ça arrive grâce à une femme ne lui faisait plus aussi peur qu'avant…mais elle ne put s'empêcher de mordre sa lèvre inférieure .
Thérèse en sourit car elle aimait ce signal de l'impatience ou de la crainte de Carol qu'elle avait remarqué pendant leur voyage.
Les battement de son cœur altéraient son souffle et les lèvres de Thérèse finirent par s'attarder sur la bouche à peine close qui l'attendait. Elle savait qu'elle franchissait une étape dans un voyage sans retour possible; elle serait brisée si.. Et c'était la seule certitude qui planait dans la pièce.
Ce ne fut pas le clash des Titans mais une douce brise d'été qui en rencontrait une autre. Carol était subjuguée. Elle avait senti le souffle de la jeune femme sur son front , son nez, ses joues ; jamais elle n'avait été autant intime avec quelqu'un qu'elle ne l'était avec Thérèse. Elle entendit un léger soupir qui l'étonna; enregistrer tant de sensations par de si simples et si légers contacts.
Dieu que les lèvres de Thérèse étaient veloutées et leur contact la ravit ; elle ferma les yeux et se concentra sur ses sensations. Elle devait se lâcher , n'est-ce pas? Elle devait perdre le contrôle pour mesurer exactement ce qu'elle avait perdu pendant toutes ces années où son passé avait dominé toutes ses actions et toutes ses pensées. La présence de Thérèse l'invitait à passer à autre chose , lui montrait quelque chose de possible et de viable. Ce quelque chose qui s'appelle la tendresse partagée ; oui le partage et la fusion.
Thérèse ne savait plus que penser et que faire ;elle était captée par la sensualité innocente de ce premier baiser. Elle voulait faire de ce baiser un premier pas vers ce qu'elle voulait. Elle le voulait somptueux et séducteur ; il fut léger mais insistant.
Carol cessa la première et Thérèse ressentit de suite le manque.
"quelque chose ne va pas?" s'enquit Thérèse déjà ravagée par le doute.
"non , chèrie, mais je ne suis pas sûre de moi et j'ai un peu peur de , Carol s'interrompit et l'anxiété brisa sa voix,, enfin je ne sais pas. Je t'ai dit que j'étais morte de l'intérieure"
Thérèse lui saisit les mains :
"ça va…Je ne suis pas pressée...tu sais c'est une première pour moi. Embrasser une femme aussi belle que toi est très
Intimidant…morte de l'intérieur? Non tu attends qu'on vienne te réveiller, ma belle au bois dormant
-la beauté peut être aussi un obstacle? En plus d'être un poids…tu serais donc mon Prince Charmant? Comme tu l'as toujours et ce , depuis ta révérence …
Thérèse porta les mains de Carol à ses lèvres :
"deux fois oui même si j'ai du mal à m'envisager en tant que prince charmant bien sûr, tu avais mangé des mûres et je voulais en manger aussi avec toi… on projette tant d'espoirs sur la beauté et tu es à la fois belle et triste.. mais je ne veux pas que tu t'éloignes.
-mais tu vois que je suis tout prés de toi, murmura Carol, alors vois moi comme une femme triste et gourmande"
À son tour la voix de Thérèse se cassa involontairement :"et si lointaine parfois"
Carol prit alors les mains de Thérèse pour les mettre autour de sa nuque et posa son front sur celui de Thérèse qui cherchait son souffle :
"calme toi "
Et , tranquillement, comme ferait un varappeur en descente , elle sema des baisers prudents sur le visage de Thérèse en vrillant son regard dans les yeux noisette incandescents . Elle prenait des risques elle qui savait gérer toutes les situations…mais là tout était flou et terriblement tentant. Thérèse attendait vibrant sourdement sous ses baisers.
Qu'est-ce qui m'arrive?...mon cœur calme toi ne t'affole pas, c'est juste un essai. J'aurais du te prévenir mais je ne le savais pas. Je ne savais pas …tout ce qui se passe maintenant est sidérant. Je ne sais pas où je vais mais j'y vais.
Tout à coup la porte s’ouvrit assez fort :
« Ben voilà... quand le chat n’est pas là les souris dansent »