
Chapter 30
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Toute cette tension n'avait pas échappé à Margot qui recula et mit ses poings sur les hanches, l'attitude qu'elle préférait dans ses moments d'affirmation, en plus du fait que les adultes trouvaient toujours ça très rigolo :
"non mais ça y est on se dispute et puis on se réconcilie toujours la même chose….j'ai faim et je ne peux pas commencer à manger quand vous n'êtes pas à table c'est impoli…alors maintenant vous venez"
Carol s'avança vers sa fille ; ce vif élan entrouvrit un peu plus le peignoir, laissant passer le galbe d'un mollet que Thérèse apprécia à sa juste valeur :" tu as toujours raison , mais on ne se disputait pas". Elle travestissait ainsi la vérité et c'était le seul moyen qu'elle ait pour survivre. Cet axiome avait dirigé toute sa vie ; Anne n'était pas méchante juste énervée, Harge n'était pas violent juste un peu saoul ….
Margot haussa les épaules et les bras et considéra les deux adultes:
"c'est léger…il y a toujours une tension entre vous et pourtant je sais que vous… elle n'a pas tort de te prévenir..
.enfin moi je dis ça je dis rien…et je la fermerais quoiqu'on me dise…ça ne regarde personne , même pas moi…rien que vous deux…"
Thérèse s'était tue , toujours intriguée et gênée par les déclarations de Margot.
Mais ce qu'elle-même avait balancé à Carol était si direct qu'elle en fut sidérée… Donc , en dépit de ses précautions, cette petit fille savait tout , devinait tout, comprenait tout. Était-ce un avantage? La lucidité allait elle pousser Thérèse dans ses retranchements ?
Cette ombre légère n'empêcha pas Thérèse d'apprécier la ligne du mollet et le début de la cuisse élancée; il lui sembla même en sentir l'essence….ça c'était certainement dans son imagination.
Carol connaissait le désir des hommes , leur regard gourmand et obscène déjà vainqueur ,déjà sûr de son impact …à leurs yeux c'était Mistral gagnant à tous les coups.
Elle l'avait longuement mesuré ce désir avec un vrai recul car elle ne désirait pas ; elle ne désirait rien en fait juste oublier , se punir, pour rien …… comme à Bangkok pendant ce séjour prolongé où elle était allée jusqu'au bout d'elle-même , jusqu'à l'écoeurement la saturation et le dégoût .Pourquoi aimait elle se rouler ainsi dans la fange? Qu'avait-elle donc fait d'abominable pour que cette chose qu'elle n'arrivait à saisir, pourrisse ainsi sa vie et ses relations?
Le sexe comme une arme dans ce monde: c'était limpide et simple car elle voyait qui étaient les hommes derrière leur pseudo galanterie , cette sorte de masque qui cache tant de noirceur…pourtant ça n'étaient pas les hommes qui l'avaient le plus fait souffrir mais Anne sa mère… elle avait essayé de s'en détacher pour se protéger elle-même .
Sans succès aucun. Seule l'arrivée de Rindy l'avait enfin connectée avec ce que signifiait être aimée.
Là aussi d'autres tourments s'infiltrèrent dans son âme et son esprit. Anne avait lancé une grande opération de séduction vis-à-vis de sa petite fille et, si Carol s'en était réjouie dans un premier temps, elle avait très vite déchanté.
Ça n'était qu'un moyen de plus pour Anne de tourmenter sa fille…il y eut même un moment où Rindy préférait sa grand-mère. Mais la naissance de Margot les rapprochèrent et elles se coalisèrent pour la protéger de l'aversion que lui portait Harge car la petite avait pris la place du fils qu'il espérait….provoquant ainsi la terrible culpabilité qui fit son œuvre dans l'âme de Carol. Elle avait littéralement arraché cette enfant à Harge car il n'en voulait plus…
À la mort de ce dernier, elle est partie dans ce voyage sans autre but que d'oublier pour ne pas affronter le réel et ses échecs , enfin ce qu'elle pensait être ses échecs; elle voulait se purger de toutes ces années et elle devait le faire seule
. Une façon aussi de résister ; certains choisissent l'alcool , d'autres les drogues ou le sucre … elle avait choisi le sexe dont l'effet thérapeutique avait rapidement disparu car , au lendemain de ses orgies pitoyables elle ne sentait pas mieux.
À des milles lieux de ce stupre il y avait ….Thérèse dont le désir était d'une autre nature affirmé et vacillant en même temps, simultanément audacieux et timide; elle avait même remarqué la veine jugulaire qui saillait parfois, la poitrine qui se soulevait plus vite et plus haut ,et le rose de ses joues, non pas rose, plutôt rose et beige nacré et puis ces yeux marron doré parfois éloquents mais d'autres fois fermés. Carol appréhendait difficilement comment cela pouvait se traduire entre deux femmes…le peu qui s'était passé à Bangkok ne l'avait pas intéressée. Mais Thérèse l'aimait et Carol aimait cet amour qui lui était porté.
Et le plus doux était que ce désir ne la niait pas , ne la réifiait pas mais , au contraire , l'honorait et la respectait…tant de choses nouvelles en si peu de temps. Il augurait certainement d'une autre vision des rapports amoureux qu'elle n'avait jamais connus en somme.
Subsisterait il aussitôt satisfait? Pourquoi se posait-elle tant de questions? Pourquoi tout était aussi compliqué… ou bien compliquait-elle les choses par peur ?craignait-elle de décevoir Thérèse? Après tout Harge lui avait crié mille fois qu'elle n'était pas une affaire…juste comme un village à la Potemkine…..une illusion , une façade trompeuse.
Elle s'en était accommodée avec l'envie de ne pas s'y attarder; le plaisir ne lui manquait pas puisqu'il lui était inconnu. Mais elle l'avait vu chez les autres , chez les autres filles de la backroom. Elle les avait trouvées…ridicules , pitoyables. La plupart d'entre elles tomberaient enceintes car elles ne prenaient aucune précaution , ce qui n'était pas le cas de Carol.
La pilule et évidement le préservatif qu'elle fournissait à chaque fois ; les MST étaient sa hantise comme le sida d'ailleurs.
Carol, peut-être un brin gênée surtout par la soudaine irruption de souvenirs peu reluisants, réajusta son peignoir de soie qui s'ouvrait trop facilement à son goût…parce que les planètes n'étaient pas encore alignées. Elle aurait du garder le pantalon de son pyjama, qui était souillé, plutôt que de mettre son short. Et puis Margot était là… et puis bien d'autres choses encore pâlissantes mais pas encore effacées.
Elle savait que sa fille sortait du lot pour de multiples raisons mais , à chaque fois, elle était estomaquée de sa lucidité. Et cela au point de redouter qu'elle n'ait pas une enfance comme celle des autres et qu'elle se sente , par sa trop grande connaissance des gens et des choses, sur le côté , différente et les enfants n'aiment pas les "différences".
Il fallait vite amener la conversation sur un autre sujet sensible et ça n'allait pas être le plus facile.
"ça ne te fâche pas trop de changer d'école?...je ne te l'ai pas demandé"
Elle n'avait jamais abordé le sujet; c'était juste sa décision et elle ne n'était pas inquiété de l'opinion de sa fille. La discussion n'était pas son fort car elle ne connaissait que les rapports de force et de contrôle. Elle avait trop souvent investi à perte dans les sentiment d' attachement… seules échappaient à cette fatalité ses deux filles… et Thérèse…
"maman tu veux vraiment en parler? Tu ne le fuis pas alors comme tu fuis ce qui se passe entre…vous deux? Ou avec Harge?"
Être ainsi aussi prévisible et que ce soit votre petite fille qui vous le dit était une vérité que Carol avait toujours voulu éviter mais elle avait ouvert les hostilités et il lui semblait qu'elle avait déjà perdu la partie . Carol porta la main à sa poitrine manquant déjà de force ; elle allait s'effondrer c'est sûr et Margot le savait. Elle comprenait tout de sa maman et son intuition lui murmurait que Carol était…coincée.
Margot traquait les yeux bleu si pâle qu'ils en devenaient translucides; elle savait tout et Carol, si fière de sa fille n'avait pas oublié le jour où , si petite si frêle, elle avait observé une dispute très violente entre Carol et Harge. Elle aurait du fuir ,comme un enfant de son âge. Mais elle était restée droite et le regard fier. Les deux adultes s'en étaient rendus compte et s'étaient tus de suite…
Carol pensa alors à une phrase qu'elle avait lue et retenue comme l'évidence même de la culpabilité…celle
d'avoir imposé un enfant qu' Harge ne voulait pas.
l'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Thérèse les suivait comme on suit un match de tennis et son regard faisait un va et vient entre les deux tensions, les deux demandes , les deux interrogations. Elle redoutait ce qui pouvait se dire ; elle ne voulait pas intervenir car c'était privé… mais elle ne voulait pas renoncer ; mais il fallait se montrer discrète car , malgré tout, elle était concernée .… parce que les dires de Margot l'impliquaient elle aussi. Elle apprenait et s'imprégnait plus que jamais de ces échanges sans nier un certain malaise.
Bien sûr, sans se le cacher, elle aurait préféré négocier le plus dangereux des virages que d'avoir à affronter le futur immédiat. Elle prit une grande respiration pour retenir et contrôler son souffle comme lui avait appris une copine qui faisait du yoga.
L'apparent bien-être qu'elle avait connu depuis ce matin avait disparu d'un coup…n'était-elle pas de trop? Avait-elle sa place dans cet échange?.... L'aisance de Margot et de ses questionnements contrastait avec son propre embarras ; elle n'était qu'une petite fille mais déjà adulte.
Margot , sérieuse et concentrée, s'approcha et demanda le plus doucement possible tout en mettant sa main dans celle de Carol :
"maman pourquoi tu m'as changé d'école?...dis le moi"
Elle porta la main de Carol à ses lèvres pour l'encourager et répéta :
"dis le moi maman chèrie" et elle porta la main à sa joue. Margo était l'adulte et le ressentait cruellement mais c'était ainsi et il n'y avait plus qu'à gérer le mieux possible. Carol se laissa tomber sur la chaise la plus proche et colla sa fille contre elle.
"je voulais t'avoir prés de moi ; je n'en pouvais plus de ne plus te voir . Je sais que c'est un bouleversement et que tu vas perdre tes amis".
Margot , dans tout son savoir, n'avait pas prévu une telle chose , alors la petite fronça les yeux pour retenir les larmes qui s'annonçaient parce qu'il fallait éclairer sa maman sur ce point délicat; mais tout était relié et concomitant n'est-ce pas.
Sa lucidité et sa solitude…
"je n'ai pas d'amis maman…mes seuls copains , mes seuls vrais copains sont ceux du village…je ne me sens bien qu'avec eux
-tu n'as pas d'amis? Comment ça se fait?".
Carol se sentait dévastée et elle s'assit pour ne pas tomber; ça se transmettait donc de mère en fille…..le cœur bouleversé elle fit de la peine de sa fille la sienne propre ; oui le sourd pressentiment se confirmait . elle n'était pas une bonne mère. Diserte sur tout ,Margot s'était donc tue et Carol n'avait rien remarqué.
"je suis trop…avancée, précoce…je vois trop les choses qui se passent et je vois à travers les gens ; rien ne m'échappe de la comédie humaine. Tu sais , quand je parlais avec les amis de Rindy…hey bien ils m'ont tous dit que j'étais …attends…une HPI
-et ceux du village ça leur fait rien? C'est quoi HPI?
-rien du tout maman…c'est un autre monde. Je sais que je ne suis pas comme eux mais ils s'en foutent et ton super collège je ne veux pas y aller , je veux aller à l'école du village, je veux courir dans les sentiers,
cueillir les champignons et des mûres ,marcher dans la boue et me battre et aller dans les champs rentrer dans les étables et puis surtout je veux rentrer à midi à pied à la maison tous les midis , voire ma maman et repartir en sachant que je la verrais le soir ….qu'on vive ensemble et qu'on déjeune ensemble"
Margot s'arrêta fatiguée par sa tirade et elle ajouta:
"HPI haut potentiel intellectuel, j'ajouterais HPE haut potentiel émotif" et elle joignit les main sur son buste.
"il n'y a certainement plus de place ; la rentrée est dans 10 jours…tu es surdouée? Ça je le savais… et particulièrement perspicace…et je sais ta sensibilité ma fille ,j'ai l'impression que tu as toutes les réponses et si tu es une HPI tu es aussi HLD"
Margot noua ses bras autour du cou de sa maman souriante et sérieuse à la fois:
"il y a de la place ; j'ai vu l'instit et je lui ai demandé…il est d'accord si tu es d'accord. Non je n'ai pas toutes les réponses mais les questions se bousculent dans ma tête…mais je suis tellement en amour de toi maman que ce qui t'arrive m'arrive , c'est tout et c'est beaucoup. C'est quoi une HLD?"
Carol ouvrit en grand les bras pour y accueillir sa fille:
"enfin chèrie tu ne le sais donc pas?...High Loving Daughter"
Les rapports entre la mère et la fille fascinaient Thérèse ; elles jouaient à deux une musique de chambre qui celait tant d'émotions que la symphonie n'était jamais loin. Les accords ainsi trouvés traçaient leur chemin pour aller à chaque fois droit au cœur. Elle n'avait jamais été aussi tendue nourrissant son âme et son cœur de ce qui l'entourait.
Thérèse voulut s'imprégner de cet échange si particulier , en faire partie;
elle s'approcha par derrière et posa ses mains sur les épaules de Carol qui y posa une joue et le sourire timide de Thérèse s'adressait autant à Margot qu'à traduire le chaos de tout son corps. Puis Carol se redressa et posant une main sur celle de Thérèse et caressant la joue de sa fille :
"tu es mon diablotin ; je comprends ce que tu vis mais le niveau de l'école ne sera-t-il pas trop…bas pour toi ? Il faut que tu aies de l'ambition. Tu es tellement douée , tu peux prétendre à tout…avoir les meilleures écoles et dominer tout le monde"
Margot prit la tête de Carol dans ses mains :
"prétendre à tout? Écraser les autres?
-oui ma chèrie les écoles les plus recherchées sont à ta portée ; tu as tout pour gagner .tu ne devras pas les écraser rine que ta présence..
-maman ce n'est pas ça que je veux , je déteste la compétition , je veux faire ce que j'ai envie et ton collège huppé ne m'intéresse pas…quant à agrandir mes connaissances les livres et la vie servent à ça non? Et je peux même suivre les cours de faculté par correspondance
-Margot ne te trompe surtout pas ; tout est une question de compétition si tu veux être la première"
Margot laissa tomber ses mains de découragement tandis que Thérèse s'écarta du duo ; elle n'avait pas fait d'études supérieures parce qu'elle n'aimait pas ça et qu'elle avait l'intime conviction que ça ne marcherait pas. Une autre raison avait été le manque d'argent chronique causé par les exigences de Dominique et les caprices de son père.
Ce fut une douche froide …Carol appréciait ceux qui faisaient des études supérieures alors que Thérèse , avec son bac philo avec mention bien quand même, était rentrée à la banque parce qu'elle voulait prendre son envol. Elle perdit un moment la fil de la conversation car son évidente infériorité vis-à-vis des exigences de Carol était une pierre de plus dans son jardin.
"maman tout est une question de compétition ? Bien moi je n'en veux pas … je ne suis pas comme ça"
Carol fronça les sourcils :
"explique toi"
Margot se retira complètement de l'étreinte de Carol qui ressentit , pour la première fois , une distance s'installer entre elle et sa fille:
"Margot je me suis trompée? Je pensais que tu voulais approfondir tes connaissances et être la meilleure .comment peux-tu vouloir gâcher tous tes dons?"
La petite baissa les yeux avec l'intuition qu'elle allait décevoir Carol pour la première fois ou, pour le moins , la confronter à ses propres exigences…alors fixant un point lointain:
"maman tu as fait ce que voulait Anne ; tu voulais peut-être autre chose. Moi c'est pareil et je sais ce que je veux faire. Et je serais la meilleure dans le domaine que je choisirais…et rien ne me fera changer d'avis"
Carol remit en place une mèche de cheveux qui lui barrait le visage et jeta un coup d'œil à Thérèse qui se taisait.
Les épaules de Carol s'affaissèrent:
"Carolyne tu épouseras cet homme parce que tu es enceinte et tu lui feras d'autres enfants parce qu'il est l'héritier unique d'une fortune immense et qu'il est le seul enfant des époux Aird ; fais toi épouser et j'aurais enfin mes entrées dans la haute société new-yorkaise et le rang que je mérite et que ton père n'a pas su atteindre"
Oui Margot avait raison et le visage de Carol s'effrita lentement , perdant l'assurance qui lui servait d'armure et vacillant à chacun des mots échangés. Elle était comme la roche qui , sous la gouttelette lentement, insidieusement , irrévocablement, se démantelait, s'écroulait , s'émiettait et se répandait. Elle porta les doigts à ses lèvres ne sachant quoi faire et son regard s'égarait de plus en plus…
Thérèse se sentait la spectatrice impuissante de cet effondrement tel une coulée de glace sale et elle revécut la scène du dancing ; il fallait intervenir:
"Carol que se passe-t-il?" s'inquiéta Thérèse en s'accroupissant devant une Carol fragilisée et déstabilisée , ce qui n'échappa pas à Margot qui fit de même:
"maman , maman ça ne va pas? Je t'ai blessée?"
Oui la simple évocation du coup d'estoc qu'Anne avait porté à Carol suffisait à la ramener au passé…
"maman , maman, je suis là… on est là…je suis désolée maman j'aurais pas j'aurais pas du te parler d'elle…je t'aurais défendu tu sais, puis criant presque, je l'aurais tuée maman je l'aurais tuée de mes mains…"
À ces mots Carol, désespérée, saisit sa fille et la serra contre ses genoux:
"non, non ma chèrie ne dis pas ça, ne dis pas ça…ces choses-là à ton âge ne se disent pas
-elles ne se disent pas maman ; mais elles existent non?"
Sa fille ne devait pas connaître ces horreurs; la haine ne devait pas être en elle. La lente destruction que Anne avait perpétrée devait s'arrêter à Carol en qui la colère grondait sournoise et sans merci, tissant sans répit la toile de ses pensées et obscurcissant l'avenir encore et toujours.
Thérèse ne disait rien car elle avait déjà connu ces échanges là et elle connaissait l'étendue du mal qui avait été commis. Elle en connaissait les racines , la propagation et les dommages causés. Elle aurait pu écrire un livre dont la lecture aurait été mal aisée parce qu'il aurait dit le mal que des parents mauvais font à leurs enfants et que ce mal reste toujours et que l'enfant devenue adulte en porte le poids peu ou prou. Margot jouait le rôle d'amortisseur comme Thérèse l'avait fait et c'était un fardeau…mais il fallait aider Jacqueline.
Elle s'approcha et prit la main de Margot qui tremblait encore:
"on va se mettre ensemble et protéger et aimer très fort Carol ; tu es d'accord?"
La petite mit sa main sur celle de Thérèse:
"oui on n'est pas trop de deux pour affronter et combattre tout et puis il y a Rindy aussi , elle hésita, elle est un peu fatiguée ; elle veut vivre sa vie …comme moi je veux vivre la mienne… n'est-ce pas maman?"
"et c'est normal , mais je peux assurer l'intérim" précisa Thérèse qui l'embrassa sur le front à la racine des cheveux sous le regard aimant et douloureux de sa maman. L'air qu'elle respirait sortait des lèvres de Carol.
Plus que l'intérim, bien plus que l'intérim…ma vie toute ma vie
Margot répondit et le oui impérieux et complice de la petite scella l'union sacrée avec Thérèse; l'adoubement nécessaire qui l'installa définitivement dans une sorte d'alliance qui soutiendrait Carol dans toutes les circonstances.
"Carol ça va mieux ton ventre?" demanda Thérèse , confuse de ne pas s'en être inquiétée plus tôt
"oui je suis étonnée que ça aille mieux et tu t'es vraiment bien occupée de moi hier soir…mais je crains…enfin je vois …n'en parlons plus. Bien Margot je t'inscrirais à l'école du village et on va être à deux ok? "
Pourquoi pas à trois?
Carol lança son sourire spécial et assez éloquent pour que les deux plus jeunes ne l'assaillent pas de questions.
Margot sauta sur place et l' enlaça:
"merci maman
-mon ange à moi, mon chérubin, le messager d'Eros" murmura Carol assez bas pour que Thérèse ne l'entende pas.
Le silence s'installa entre les trois comparses ; il fallut du temps à Carol pour digérer la situation et elle fut encouragée par la douceur des deux paires d'yeux qui la dévisageaient si tendrement. Un trouble naquit , née de l'évidente complicité de ses deux anges ; elle prit sa fille et lui mit deux gros baisers sur les joues.
Puis elle se tourna vers Thérèse :
"tu es adorable et je remercie le hasard qui t'a mise sur ma route et vous êtes mes amours" et elle posa un baiser appuyé sur la joue de Thérèse dont le regard s'illumina sous le regard curieux et approbateur de la petite .
Puis Margot, lassée de trop d'émotions , se fâcha et interpella une Thérèse encore surprise par cette déclaration si indirecte:
"ah enfin bon ça y est tout le monde est content… parce que moi j'ai l'estomac dans les talons . Alors maintenant on mange parce que les déclarations d'amour c'est bien mais ça ne nourrit pas sa femme… j'ai faim"
"ok on y va , répondit Carol, mais avant approche toi Thérèse
-oui bien sûr" et elle se mit à la portée de Carol
"ne bouge pas . tu as quelque chose de rouge sur la lèvre
-ah oui j'ai mangé une tomate au marché
-une tomate? Le matin?
-ce sont de très bonnes tomates"
En souriant Carol enleva du bout de son mouchoir le petite peau qui traînait aux commissures… Thérèse ferma les yeux pour mieux profiter du toucher délicat des doigts élégants qui lui caressèrent brièvement la lèvre inférieure.
Puis toutes se dirigèrent vers la table de la cuisine échangeant des mots de tous les jours avec l'intime sentiment d'être la partie d'un tout; Carol ne fut pas la dernière surprise de la tournure des événements et sa réserve fondait peu à peu pour laisser place à un espoir possible si pas de bonheur mais de bien-être et de quiétude .
Leurs mains se mêlèrent , se frôlèrent sur les tasses les couteaux et les victuailles ; leurs regards se croisèrent laissant dans leur sillage comme un air d'y revenir très vite et Carol aimait ce bien-être venu de ces choses familières et pourtant si nécessaires. Son démon , son spectre, ses ténèbres, ce jour là , ne se manifestèrent pas et elle adressa à Thérèse le plus large et généreux des sourires, qui le prit pour de vrai sans inquiétude et sans retenue aucune.
Ce fut confirmé quand , d'un geste qui lui était familier, Thérèse mit la radio en marche. Quand elle entendit la chanson qui passait elle ne se retint pas d'inviter Carol sur "Smooth operator" de Sade. Carol hésita juste un instant mais ses doutes disparurent quand sa fille lui cria :
"allez maman va danser , je ne t'ai jamais vu danser..je veux regarder"
Carol , résignée , se tourna vers Thérèse qui lui saisit les mains , la retourna et la colla contre elle puis la fit tournoyer. S'il y avait eu une danse des mains pendant le petit déjeuner il y en eu une autre lors de ce be - bop charmant et chaloupé, arrangé à la sauce "Thérèse "qui multiplia plus que nécessaire le frôlement des hanches et les regards croisés.
Le peignoir s'ouvrit et Carol le laissa ainsi tel une traîne , tel un sillon dans le tracé duquel s'engouffrait dès que possible sa cavalière. Thérèse ne la quitta pas des yeux une seule putain de seconde.
Carol sentit le changement ; si , au départ, les gestes de sa cavalière avaient été légers , la touchant du bout des doigts , une précision latente et brutale enveloppa leur danse et les mains de Thérèse se firent autoritaires s'autorisant une évidente possession qui les envahit toutes les deux car les mains n'étaient pas loin d'être des serres et Carol l'accepta l'encourageant même avec des yeux du bleu translucide au bleu violet; cet éveil s'accompagna d'une lourdeur inhabituelle dans le bas-ventre . Son cœur battait trop vite trop fort ; il était temps que la musique s'arrête.
Elle danse avec moi, je ne suis plus celle qui regarde , je suis celle qui dirige et j'adore ce que je vois.
La chanson cessa et Carol lâcha les mains de Thérèse pour dégager son visage des mèches qui s'y baladaient.
"ouf…tu ne dansais jamais au Bocca
-j'avais mieux à faire pardi
-quoi?
-te reluquer
-reluquer? Ça veut dire quoi?
-envisager et projeter quelque chose avec toi
-tu veux dire dévisager et je m'en souviens"
Thérèse, encore dans l’élan de cette danse partagée, se rapprocha et, d’autorité, noua le peignoir insolent et répondit avec un regard joueur et un tantinet luxurieux :
« Je veux dire... convoiter » et Carol baissa les yeux.
Margot interrompit le curieux dialogue :
« allez hop un nouveau mot à retenir ; reluquer... maman tu danses bien et tu avais l’air , comment dire?... concentrée
Thérèse se tourna vers elle :
« il y a aussi lorgner, guigner, guetter, épier, marauder .bon là-dessus j’ai de l’appétit... un gros appétit, à défaut... on finit de déjeuner ? »
La mère et la fille se figèrent en un garde à vous impeccable :
« oui chef »