
Chapter 27
Je suis sortie de la salle de bains ; mon cœur battait si fort qu’il ne battait plus et une apnée du dedans me privait de souffle .
J’ai déjà connu plusieurs sortes de peur comme celle qui m’envahit quand des motards en viennent aux mains ou quand je croise la nuit un homme ou deux et qu’ils me détaillent et me menacent ou quand ma distraction menace mon bien-être et là , à chaque fois, je mords ma poire d’angoisse. Mais là, c’était une peur au goût de miel relevée de piment oiseau et j’en veux encore...
Je ne sais pas à qui s’adressaient mes paroles, mais nous étions toutes les deux impliquées.
Elle a peur ,elle n'a pas du tout confiance en elle. Ce qu'elle m'a dit mais c'est presque une déclaration d'amour…
Elle n'est pas indifférente et , oui, elle a peur de me faire mal , de ne pas avoir assumer…Rindy me l'a dit…elle doit avoir confiance en elle…je dois l'y aider de toutes mes forces , de tout ce que je veux pour nous , pour notre futur.
Je ne sais pas peindre , dessiner, photographier…je sais juste ce que je suis et ce que je veux…
Je suis toujours au bord de cette falaise et je tends la main pour la rattraper…je lui donnerais cette confiance, je ne sais pas comment mais je trouverais…ce sera mon Graal à moi
ses hanches seront ce calice qui sera ma récompense
« inattendu », elle a dit inattendu.
Comme l’a été cette étrange et « mortelle » randonnée... parce qu’elle a abouti à un instant si bref et si intense que j’ai craqué car il n’y avait pas d’autre issue, pas d’autre solution. Et si Carol n’a pas suivi exactement le même chemin, elle a craqué, elle aussi et j’ai adoré ; j’ai goûté brièvement ce que ce serait d’en être aimée à la simple vue de son dos, de sa peau , de son regard.
Et puis ce léger haussement d’épaules... je n’ai pas compris tout de suite... c’était un sanglot réprimé. Sa fragilité me bouleverse et me fait peur. Je ne veux pas la blesser mais elle porte quelque chose qui m’intrigue ; une ombre délétère aussi lourde que le remords et aussi amère que le regret... a-t-elle blessé quelqu’un ? . Sa beauté cache-t-elle l’inavouable ? Une faute si lourde qu’elle navre sa vie entière ?
Je ne dois pas m’en réjouir car si cela la met à ma portée ... je veux qu’elle me choisisse parce qu’elle le veut pas pour compenser une perte ou un malheur.
Pourquoi dois-je toujours théoriser plutôt que de voir les choses comme elles sont ? Simples et sans calcul ? Pourquoi autant d’a priori sur Carol ? Pourquoi ne puis je pense simplement à elle juste en terme de désir ? Ce serait plus simple plus clair ; mais sa personnalité me semble complexe et fêlée et je ne veux pas la blesser.
« veux- tu bien m’apporter ma trousse de toilette ainsi que mon pyjama ? Va dans mes affaires et prends ce qu’il me faut »
Mon sourire en guise de réponse...
Toujours plongée dans mes réflexions , je traversais la buanderie et l’atelier .
Ouvrir ses bagages fut un pari ; allais-je résister à une évocation aussi intime ? Et là , devant la valise de cuir pleine peau,
Je m’attarde ; que vais-je y trouver ?
J’ai toujours été fascinée par le contenu des sacs des femmes, qui me semble tellement intriguant . Je ne me maquille pas mais je me soigne beaucoup. Le maquillage m’a toujours fascinée car il rend visible la femme invisible. Chez certaines cela tient de la magie... il m’est arrivée d’être déçue...
. C’est pour cela que je ne me suis jamais vécu comme femme ; des hommes m’ont demandé si c’était moi l’homme...
Même si j’ai eu ça dans ma tête, c’est juste un fantasme qui ne dure jamais longtemps...
J’y ai vu des pull en cachemire, des polos, un pyjama de soie, un pantalon en jean et de la lingerie... j’ai vite sorti les culottes et les soutiens et les ai disposés sur le lit ; c’est si beau et elle doit si bien les porter.
J’ai du me faire violence pour tout ranger et interrompre ce rêve qui pourrait se réaliser... Maria me l’a dit et elle ne s’est jamais trompée. Je suis remontée à la salle de bains avec sa trousse et son pyjama et ses pantoufles ,Margot m’accueillit avec un regard courroucé :
« Dis donc lambine ... on a cru que tu t’étais endormie ,m’a dit Carol , parce que j’ai froid »
Oh la bêtise bien sûr elle avait froid :
« je suis désolée
-c’est ça tu t’es perdue dans les bagages ; c’est vrai que je prends toujours beaucoup trop... mais il me faudrait »
Carol se tourna vers sa fille :
« tu veux bien descendre, chèrie, je dois parler avec Thérèse
-oui mais pas longtemps
-croix de bois croix de fer si je mens je vais en enfer » et Margot sortit de la salle de bains et se promena dans l’étage vide.
Puis Carol se tourna vers moi :
« Je suppose que tu mets des tampons ?
-non je ne les supporte pas ... je vois ce dont tu as besoin »
Maman m’avait toujours acheté plus qu’il ne fallait et je posais sur le lavabo culotte et bandes hygiéniques . Carol me demanda toute mon indulgence mais je la rassurais et je m’abreuvais de sa présence et de ses demandes, j’étais bien :
« On est entre femmes non ? Je descends faire de la soupe avec les légumes de Chantal »
Mais je ne suis pas descendue tout de suite ; je suis allée dans la cuisine de maman.
J’avais besoin de remettre mes idées en place, dans ce chaos où il me fallait survivre et me contrôler.
La falaise ....
j’y ai récupéré Carol juste à temps et là, si prés d’elle de son odeur et de sa peau, j’y ai ressenti la même sensation cet intense vertige me battre contre moi et contre mon envie de parsemer de baisers la nuque aux cheveux follets et si fins , mon envie de d’avancer la main sous son aisselle pour caresser ses seins...
Je ne savais pas quoi faire... enfin si je le savais.
Je devais m’occuper de Carol doucement , avec empathie et respect comme je le faisais avec maman.
Mes sentiments amoureux devaient être mis en veilleuse ;
mais l’amour et la compassion m’accompagnèrent tout le temps que j’ai passé avec elle dans la salle de bains à la frotter , à la rincer et la sécher.
J’ai obligé mes mains à la retenue car je ne voulais pas l’agresser en un pareil moment ; je ne suis pas une prédatrice , je suis juste amoureuse d’elle et si elle a la beauté du cristal elle en a l’inconstance ... parce que si tu reçois les fleurs tu peux aussi avoir le pot avec.
Je baignais donc une déesse douloureuse et faillible et je ne me suis jamais sentie aussi bien ; sa fragilité , sa vulnérabilité la faisaient mienne sans détours. Alors quel qu’en soit le prix , quelle que soit l’attente, elle sera mienne.
Non pas mienne ... elle sera ma compagne en toute liberté et sans pression.
Ce voyage ne m’a pas déçu...
Assise dans la voiture après avoir brièvement parcouru du regard Carol , vision de rêve don’t je ne me lasserais jamais, je me suis laissée conduire.
Chantal a eu raison de me reprendre quand j'ai claqué la porte des toilettes. Je dois maîtriser mes réactions même si ma colère n'est parfois que le moyen de me protéger.
Je n'ai pas parlé tout de suite ; je n'ai pas immédiatement occupé l'espace. Je voulais simplement être là près d'elle et ne rien rater. Mais Margot posait beaucoup de questions :
"elle est comment ta maman ?
-gracieuse et touchante . Surtout fragile parée d'une beauté triste qui ne demande qu'à s'épanouir
-elle est triste ; pourquoi ? Tu ne la fais pas rire? Elle s'inquiète pour toi? Tu es en danger?"
Bien entendu je ne pus m'empêcher de rire, parce qu'en quelque sorte, j'étais constamment en danger depuis que je connaissais Carol
"ça te fait rire? Pourquoi?"
je me suis calée contre la portière et j'ai regardé la mère et la fille; elles se ressemblaient et il me semblait que toutes les deux me posaient la même question :
"Margot ma maman est très fragile parce que…"
que dire ? Expliquer à cette petite que l'amour maternel n'allait pas de soi , qu'il ne faisait pas nécessairement parti du contrat mère-fille .
"les femmes qui deviennent mère ..
-allez explique...tu veux que je t'aide?
-ah bon? Comme ferais-tu?"
Bien sûr je me souvenais très bien que Carol n'était pas aimée de sa mère ; mais je voulais entendre la version de Margot.
"Anne n'aime pas ma maman et elle ne l'aimera jamais et ma maman elle en souffre"
Les enfants ne cherchent pas à embellir les phrases et les situations ; ils vont droit au but.
"eh bien tu vois Margot sa maman ne l'aime pas non plus et , toute sa vie, elle en a souffert
-oh…comme maman , vous avez un point commun….non non ….différent…non commun
-lequel?
-Et c'est quoi son prénom?
-Jacqueline"
Margot joignit les mains et se mit debout :
"la maman de Jacqueline ne l'aime pas ; mais tu l'aimes
-oui et ?
-la maman de Carol ne l'aime pas mais on l'aime
-qui on?"
Margot s'approcha encore plus et un large sourire se dessina chez Carol :
"Rindy moi et toi…alors nous trois ensemble on efface Anne, on écrase Anne , on en fait de la poussière et on la jette dans l'égout….ou on la brûle comme les sorcières…ah ah"
Carol avait un sourire épanoui et je la sentais à l'aise.
Bien sûr je parlais , je riais mais je ne lâchais jamais Carol du regard ; il me fallait son approbation :
"Margot tu connais l'histoire des sorcières?
-euh…non…c'étaient des méchantes femmes, hein?
-non c'était des femmes sans homme en général
-comme maman?
-exactement comme ta maman et comme moi"
Carol se permit d'intervenir :
"explique nous pourquoi Thérèse . Je suis très intriguée
-bon il s'est avéré que les femmes accusées étaient soit des guérisseuses , des femmes célibataires ou des veuves
-ce n'est pas un pêché de ne pas se marier ou d'avoir perdu son mari ou de guérir les gens; je ne comprends pas"
Je me suis retournée vers Margot sans perdre de vue Carol :
"bon toutes ces femmes avaient un point commun…elles vivaient sans homme à leur côté ce qui, du point de vue de la société de l'époque, n'était pas normal. Seules les religieuses étaient acceptées. N'oublie pas aussi que celui qui dénonçait une sorcière en recevait les biens. Il n'était pas bon d'être une veuve riche ; et en plus si elles avaient des chats qui sont des créatures diaboliques aux yeux de l'Eglise…
-et comment ça se passait?
-il suffisait que de dire que tu as vu ta voisine chevaucher un balai et s'envoler ; c'était suffisant ou tu l'as entendu parler à son chat
-maman je veux un chat et je ne suis pas une sorcière"
Carol se rassit sur son siège en s'accrochant un peu à son volant :
"oh là là j'ai chaud…comme sur un bûcher …Thérèse aide moi à enlever mon cardigan…je vais m'arrêter c'est plus prudent"
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Thérèse s'arracha à sa rêverie et explora les armoires. Elle ne fut pas surprise de n'y trouver que des paquets de biscuits.
Jacqueline ne cuisinait plus et se nourrissait de biscuits ,de céréales et de lait.
Une étrange nostalgie la saisit à cet instant ; elle y voyait sa maman s'y affairer et son père attendre qu'elle le serve Combien de fois n'avait-elle vu cette scène de la vie quotidienne se répéter devant elle et, à chaque fois, elle comprenait la part cachée et triste de sa maman. Quand ça n'allait pas elle la voyait lancer sur son mari des regards…meurtriers et déçus …pas sûr que ce soit dans le bon ordre. C'était donc ça la vie en couple…
Se détournant de ce souvenir terne mais en ressentant toute la mélancholie elle prit ce qui lui était nécessaire pour cuisiner et elle allait descendre quand Carol sortit de la salle de bains avec ses affaires sur le bras:
"tu es toujours là
-oui je regardais les provisions de maman; ça ne m'étonne pas qu'elle soit dénutrie et si faible. Elle ne se fait plus à manger
-tu crois?
-le contenu de ses armoires et de son frigo ; ça explique tout. Bon Carol as-tu faim? on va descendre et tu vas t'allonger ; je vais faire une soupe j'en meurs d'envie
-tu vas me coucher?
-oui te nourrir et te border…pour ça ,ne me tente pas trop Carol, je ne suis pas faite de bois, lança Thérèse avec un air de défi qui interloqua Carol qui méconnaissait ce regard , mais je vais m'occuper de toi et de Margot"
Elles se dirigèrent vers la porte d'entrée que Thérèse ferma à clé avec l'étrange sentiment d'être à la maison avec Carol…
Mais elle ne put s'empêcher de se retourner et de s'arrêter sur la masse noire de la maison dans la pénombre ; la vendre il fallait la vendre pour permettre à Jacqueline un nouveau départ. Déjà que quitter Lille avait été un crève- coeur…
Ce ne serait pas le cas pour les Sables… papa pourquoi n'as-tu rien compris?
Elle rentra dans la pièce attenante au jardin qui était la buanderie et la pièce préférée de sa maman "sa pièce".
Une odeur du bois venait de l'atelier de son père, des étagères se dressaient couvertes d'outils en plus ou moins bon état. Une image du passé la frappa ; son père penché sur ses maquettes n'écoutant pas sa femme qui l'appelait. La mélancholie la guettait à chaque pièce , à chaque odeur…
Tout le monde se retrouva dans le petit meublé et Thérèse passa à la vitesse supérieure.
Carol s'occupa de sa fille qui mit son pyjama dans la chambre adjacente tandis que Thérèse lavait et épluchait les légumes de sa soupe dans la petite cuisine.
"puis-je t'aider? " demanda Carol
"non mais merci c'est gentil…attends je vais préparer votre lit et tu pourras t'y installer"
Carol la regarda :"pourquoi es tu si prévenante?"
Thérèse déposa son couteau de cuisine et posa les mains sur les bras de Carol:
"j'ai vu maman souffrir pour les mêmes raisons et je sais quoi faire…alors tu vas aller t'allonger dans ou sur le lit et te reposer..et c'est un ordre" haussant les sourcils elle prit l'air le plus autoritaire possible.
"oh alors je m'incline , seigneur…qu'il en soit fait selon votre bon plaisir." et Carol lui fit une révérence à laquelle Thérèse
Répondit par le plus franc des sourires…encore une révérence…
"tu as raison Thérèse mais je suis si fatiguée et si gênée d'être à ta charge"
Elle n'eut pas de réponse mais Thérèse prit une de ses mains et en embrassa légèrement le dessus alors que Carol ne la quittait pas des yeux.
"tu te trompes …je te suis tant dévouée ".
Instinctivement Carol jeta un œil vers sa fille lisant sur le canapé qui garnissait la chambre et qui, sans lever la tête, déclara:
"bon les gentillesses et les déclarations c'est bien ,mais manger c'est mieux".
Carol ne put s'empêcher de glousser et ce rire de gorge éclaira l'angoisse légère et délicieuse qui avait , une fois encore, submergé Thérèse…
Elles allèrent dans la grande pièce attenant à la cuisine, où trônait le grand lit qui accueilleraient Carol et Margot pour les deux nuits à venir. Thérèse en vérifia la propreté ; sa maman en avait changé les draps et les taies d'oreiller. Elle ouvrit le lit et se tourna vers Carol qui suivait tous ses mouvements , fascinée. Quelqu'un s'occupait d'elle…
"c'est ok .Installe toi pendant que je suis dans la cuisine et si tu veux lire il y a des vieux ELLE dans la table de nuit
-je ne dis pas non … pourquoi suis-je si fatiguée? J'ai l'impression de porter le monde sur mes épaules
-tu n'es pourtant pas le géant Atlas…allez détends toi que je puisse continuer…parce que Margot nous surveille"
Vaincue et amusée Carol se glissa dans le lit et Thérèse se pencha , hésitant un moment, pour bien caler l'oreiller contre la tête du lit. Carol l'enroba d'un long regard qui la déstabilisa plus encore :.
"j'espère que tu ne sera pas ma Méduse" lui souffla-t-elle provoquant le sourire.
"te pétrifierais-je un jour d'un seul regard?" lui lâcha Thérèse amusée de la comparaison.
Margot leva la tête à ce moment là :
"non mais c'est vrai; faut la laisser travailler. Tu la distrais, vous causez et moi j'ai faim"
Devant l'air furieux de la petite Thérèse souleva les épaules d'un air d'impuissance :
"bon y plus qu'à…"