
Chapter 21
Thérèse referma la porte et s’y adossa... savoir Carol loin d’elle était plus confortable à vivre que cette proximité. Est-ce que cela augurait un quelconque avenir? Être ici faisait qu’elle ne pensait qu’à Carol . Les buts qu’elle s’était fixés pâtissaient et c’était insupportable. Elle ne voulait plus être victime de l’amour; l’apparente grandiloquence de cette expression en masquait la nécessité.
Elle savait qu’elle allait à l’encontre de tant de clichés . Jacqueline disait souvent à propos des clichés et des évidences
:"enfonceur de portes ouvertes, arrondisseur de coins de rues, aplatisseurs de terrains plats »
Il fallait plus que de l’amour, que cet amour béat qui annihile tous les sens ou les exacerbe jusqu’à perdre contact avec la réalité. Rindy avait dit « la confiance ». Oui la confiance réciproque pleine et entière ainsi que la fusion en restant soi même.
Oui Thérèse donnerait à Carol toute sa confiance par un acte majeur qui serait encore à trouver mais qui les réunira un moment ou l’autre. De guerre lasse elle tomba sur le lit et s’y allongea... que faire , que trouver, qu’inventer?
Après un moment de sidération elle se releva pour entrer dans la salle de bain ; chez elle c’était une douche rapide. Mais elle allait s’autoriser un bain léger sans trop d’eau car son sens de l’économie mais surtout sa sobriété ne la quittait jamais.
Elle s’y trempa donc et s’y lava... la fatigue s’écrasa sur elle d’un coup . Elle se sécha rapidement et exécuta son rituel routinier avant d’aller se coucher. Il lui fallait dormir mais comment oublier l’invitation de Carol et la chance inestimable de la voir assise prés d’elle car elle ne resterait pas debout , c’est sûr.
Elle mit son grand Tshirt , son pantalon de pyjama et rangea dans l’armoire la tenue rouge qu’elle portait. Restait à appeler Carol. Ouvrant doucement la porte sans savoir vraiment que faire , elle avança comme avancerait un soldat en territoire hostile... à pas de loup. Au même moment elle vit Carol sortir d’une chambre 3 portes plus loin « dors bien chèrie... demain sera une longue journée » puis elle referma doucement la porte et leva les yeux vers Thérèse:
« Tu m’attendais? »
Thérèse approuva du regard.
Bien sûr que je t’attends
« alors j’arrive » et Carol se dirigea vers la chambre d’amis. La perspective d’être dans une chambre avec elle galvanisa Thérèse sans lui monter à la tête ; elle avait gardé le souvenir des différentes essences qui hantaient sa mémoire à chacune de leurs rencontres. Mais le choc l’affaiblit encore plus alors qu’elle devait tout contrôler pour ne pas perdre la face et séduire sans le faire.
Thérèse ne s’était jamais approché d’aussi près de ce qu’elle appelait « le continent inconnu... la féminité dont elle réinventait tous les jours la définition. Carol était belle et elle était plus que ça... elle était ... profonde , attirante, fascinante, vulnérable. Elle aurait tellement voulu passer sous les fourches caudines de ses jambes ... le tango... oui le tango dans les boîtes que dansait inconsciemment Carol ... ou pas.
Voir Carol en plein jour était une bénédiction ... sa peau n’était pas bronzée... elle avait la pâleur des héroïnes de Balzac mais une pâleur riche loin de toute anémie. Les fines et imperceptibles ridules autour de la bouche et des yeux rehaussait la beauté des pommettes qui dessinait le triangle parfait d’un visage hors du temps et de ses méfaits.
Thérèse se remplissait les yeux et se gavait l’esprit de cette vision; la beauté savait être proche et si lointaine, familière et extraordinaire , si simple .. Et puis son corps impeccable et implacable , qui était une leçon d’esthétique à chaque mouvement...
Je ne la mérite pas... Je ne lui arrive même pas à la cheville... mais je peux l’atteindre...
Les gestes de Carol avaient cette assurance qu’ont ceux qui ont les moyens et l’autorité mais Thérèse n’avait pas oublié la conversation dans sa petite maison battue par la pluie et son profond désarroi. Elle savait ce que les autres ignorent... les hommes ... peut-être le plus grand obstacle ,ces hommes là, sans consistance mais présents quelque fois jusqu’à la saturation.
Elle la suivit.
Elles s’assirent toutes les deux sur le lit. Et Carol , repliant une jambe sous l’autre et se calant contre le dossier du lit commença :
« que voulais- tu me demander?... tu voulais me demander des choses et les filles sont arrivées »
Un entretien avec cette femme allait être quelque chose de tellement précieux que Thérèse hésita , contrecarrée par l’envie de savoir et la nécessité de ne pas heurter sa bonne volonté:
« Pourquoi m’aides-tu? »
Les yeux bleus ,inquisiteurs en douceur, la considéraient sans la lâcher :
« parce que tu es une amie et que je veux t’aider » la réponse était limpide mais Carol ne lâcha pas :
« parce que tu m’as tellement aidé... » puis passa les doigts dans ses cheveux... un soulagement une distraction.
-près de la falaise? »
Les mains de Carol s’ouvrirent comme elles s’étaient ouvertes en offrant la tasse de lait dans la cuisine:
« oui et en boîte ... il y a trois semaines » il passa une infinie douceur dans son regard qui troubla Thérèse plus encore que sa proximité.
« Vraiment?... J’ai eu plutôt l’impression de t’avoir fâchée » lâcha Thérèse anxieuse et se maudissant intérieurement de l’être.
Mais Carol se fendit d'un sourire timide :
"tu sais …je sais que je suis méchante…à certains moments en tout cas…tu as fait attention à moi c'est tout; ça me changeait de ce que j'entendais habituellement.
-non Carol ton comportement est méchant mais pas toi…qu'est-ce qu'on te disait?"
Thérèse laissa de côté les provocations qu'elle et ses copines avaient subies de la part de Carol. Elle lui pardonna tout et tout de suite.
"des insultes des jugements …tu essaies de passer sur mon comportement…mais je me souviens très bien de ce que je faisais
-bon…alors pourquoi le faisais-tu? Pourquoi nous provoquer?"
Elle adoucit volontairement le ton de sa voix sans pouvoir en cacher la rupture.
Carol laissa ses mains glisser , béantes et ouvertes ,dans le creux de sa robe et ses épaules s'affaissèrent:
"je ne sais pas … quelque chose ou un événement me pousse à être ainsi…quand je suis comme ça…je tuerais qui se mettrait sur mon chemin"
Thérèse opina du chef et baissa la tête ; certaines images étaient restées en elle et il était temps de les gommer en les décortiquant.
"tu sais Carol…j'ai eu parfois la brève inspiration que ce comportement se rapprochait de celui de maman quand elle craquait, elle soupira, …elle perd le contrôle alors que toi tu choisis le contrôle mais ça revient à la même chose…vous souffrez. Malgré cette révélation je t'en voulais quand même
-pourquoi ?
-j'étais en colère parce qu'on nous provoquait sans arrêt et c'était la goutte qui faisait déborder le vase…c'était trop.de plus tu fascinais tous les hommes et j'avais peur…vraiment peur
-ah vraiment…de quoi avais tu peur ?qu'aurais-tu fait?
-je t'aurais agressée… c'est tout…j'aurais rendu coup sur coup…parce que moi aussi j'ai la rage parfois…j'avais peur de ne jamais pouvoir…d'être laissée au bord du chemin?".
Gérer des sentiments si contradictoires …un challenge pour Thérèse et cet aveu , comment serait-il compris?
Carol pinça les lèvres et baissa la tête ; elle accusa le coup. Elle n'avait jamais été mise en face des conséquences de ses agissements nocturnes parce qu'elle se foutait de tout à cette époque…elle aurait bien mis le feu partout pour étouffer la rage qui sommeillait en elle. La rage étouffait brièvement le chagrin qui lui rongeait l'âme…c'était tout.
"tu sais Thérèse …on prend pied dans la vie ,on revêt son armure ,on se défie des impostures tout en étant
soi même une imposture.. on sait, on croit que tout est ok et puis un souvenir revient et tout est à refaire…un véritable tonneau des Danaïdes , un cauchemar sans fin et sans motif…enfin je ne sais pas, je ne sais plus…je suis désolée…viens plus prés…je dois me faire pardonner"
Sans réfléchir et en mode survie, Thérèse se glissa d'un coup vers le haut du lit . Elle avait envie d'en savoir plus et il fallait profiter , mais pas trop, du désarroi qui étreignait Carol… leurs mains étaient si proches l'une de l'autre qu'elles se
touchèrent .
Carol prit alors les mains de Thérèse et les serra contre sa poitrine :
"pardonne moi , je suis une imbécile
-tu ne l'es pas…tu fais des choses imbéciles dictées par ce qu'on t'a fait subir…mais tu peux t'en sortir…il faut beaucoup
d'attention et d'affection"
Bouleversée par la légère rondeur des seins que ses paumes effleuraient ,Thérèse ne connaissait que trop bien ce moment où l'autre va craquer … combien de fois elle avait serré sa maman contre elle et plus rien ne se passait. Elle avait parfois l'impression d'aider sa maman à accoucher d'un monstre qui lui mangeait les entrailles à vif ; seule sa présence apaisante soulageait Jacqueline.
Quand Dominique surprenait cette scène il ricanait toujours…
Carol déposa un baiser si léger sur la joue que Thérèse, dans l'attente, le sentit à peine , puis elle plongea les doigts dans la chevelure châtain si rebelle :
"tes cheveux sont en bataille mais c'est adorable…tu es si gentille…je ne suis pas habituée à cela venant de quelqu'un d'étranger
-non , je ne te suis plus si étrangère n'est-ce pas?" elle aurait voulu que sa voix ne la trahisse pas mais ce ne fut pas le cas
Encore un caillou de jeté sur le chemin qui nous mènera vers….
"tu as raison …si quelqu'un d'étranger me dévorerait ainsi des yeux…je serais mal à l'aise…mais avec toi , et bien que tu es ce que tu es…je ne crains rien…ta présence me rassure" et Carol reposa ses mains vides dans le creux de sa robe.
Thérèse ne savait pas si elle devait rire ou pleurer "je ne crains rien" …un baiser volé te ferait-il peur?
il fallait juste attendre et garder le contact.
Ce voyage impromptu allait changer la perception que chacune avait de l'autre. Elle devait juste à travailler que les choses tournent doucement en sa faveur; Carol devait faire son chemin de Damas elle-même et lui revenir pour qu'elles s'aiment comme elles le méritent. Thérèse raisonna comme elle l'avait toujours fait et dédramatisa la situation
…un pas après l'autre te dis-je
Deux trous rouge au côté droit
Deux trous rouge au côté droit
Deux trous rouge au côté droit
Tant qu'elle ne te dit pas "dommage que tu ne sois pas un homme"…c'est bon…ça va…
Elles étaient si proches l'une de l'autre ; Thérèse aurait su capturer le souffle de Carol et Carol le sut. Elle se reprit retraçant les limites à ne pas franchir; elle se redressa . Thérèse fit de même et , pour remettre les pieds sur terre, s'enquit des conditions d'accueil de Jacqueline:
"Carol dis m'en plus du logement pour maman
-il y a tout même un chauffage à pellets, tout l'équipement…si ta maman peut aider Jeannette de temps en temps
C'est bon…mais tout est à discuter tu sais . Rien n'est fermé. Et je veux être claire sur un point .
Thérèse stressa :"lequel?"
-elle reste dans cette maison aussi longtemps et quoi qu'il arrive entre nous? D'accord?"
Carol voulait mettre ces choses-là au point et elle ne savait pas pourquoi. Encore une fois elle agissait sans savoir mettre un nom là-dessus… son esprit et son âme lui jouaient des tours de plus en plus; la clairvoyance sur ses motivations n'était pas là.
Y avait-il des conclusions à tirer? Des silhouettes à dessiner? Déjà prévenir n'était-ce pas déjà projeter l'ombre d'un espoir?...Thérèse pensa tout cela et plus encore. Mais elle ne pouvait pas, à chacune des paroles de Carol,
s'arrêter penser supputer et conclure….enfin la proposition de Carol souleva en elle de l'espoir et de l'inquiétude..
Tout pourrait-il mal tourner?
Carol perçut la surprise de la jeune femme :
"c'est peut-être inutile ce que je viens de dire mais je veux te signifier que ta maman ne sera pas un otage…je veux être honnête avec toi…pas de calcul pas de chantage…parles moi s'il te plaît"
Thérèse ne répondait pas le regard vague et perdu …Carol la prit dans ses bras pour se rassurer:
"je suis maladroite Thérèse, je ne sais pas comment faire…j'ai peur d'être…bête…je n'ai pas eu l'habitude de gérer mes relations avec les autres sur des bases comme les nôtres…c'est…c'est tellement nouveau"
Les yeux bruns s'éclaircirent :
"pour moi aussi c'est tellement nouveau…tu ne sors plus le week-end?"
Carol fit un léger mouvement de recul ; son regard coulissa teinté de tendresse et elle leva un sourcil :
"non…drôle de question
-tu trouves?
-oui drôle de question…tu veux me contrôler ?"
Thérèse se mordit la lèvre inférieure et avoua un mensonge :
"en aucun cas ..au nom de quoi pourrais-je prétendre te contrôler?
-au nom de l'affection que tu me portes"
Thérèse pénétra alors le monde de Carol…le monde obscur , plein de craintes et d'angoisse , de méfiance aussi.
« non Carol tu es dans l’erreur... je suis présomptueuse et orgueilleuse ....je voulais savoir si ce que je t’avais murmuré ce soir là t’avait changé... je ne vais pas jouer aux devinettes... c’est Rindy qui me l’a confié... je ne veux contrôler personne... en dépit de ma moto et d’un tas de choses... j’ai si peu confiance en moi... le doute habite chacune de mes actions »
Deux trous rouges au côté droit
Carol se taisait car elle avait trop parlé et elle ne voulait surtout pas blesser cette jeune femme volontaire aux pieds d’argile. Elle en craignait l’audace timide et elle appréciait sa franchise. Une fois encore le sentiment léger d’angoisse la reprit ; elle avait tellement envie de se confier , de parler , de se libérer mais... Après le court moment de soulagement il fallait vivre et supporter son regard... était ce si difficile?
N’avait-elle pas fait pire? Se donner à des étrangers dans des conditions si ... Sordide.
Mais elles ne les embrassait jamais... le baiser est un acte si intime qu’elle ne l’envisageait même pas pour qui que ce soit. Elle n’avait jamais été embrassée... jamais comme elle rêvait de l’être. Harge l’avait embrassée pas ses amants d’un soir... confondus dans la même indifférence... après le décés de Harge Margot l’avait défendu bec et ongles
Oubliant l’indifférence de celui qui l’avait toujours rejetée. Puis la mémoire lui était revenue.....
Combien de fois il avait fallu la réconforter , lui expliquer que c’était son papa... d’ailleurs elle avait ses yeux ; Jennifer avait été la première à le dire.
Thérèse nota l’absence de Carol et laissa donc errer son regard sur cette femme si proche , à porté de main ou presque... mais... il y avait un mais et il ne fallait pas l’oublier.
« c’est vrai , commença Carol, tu n’es pas celle que tu parais être... Rindy une raison ....j’ai changé... tu m’as changé avec ses quelques mots et je t’en remercie
-vraiment?
-vraiment »
Puis elle se leva pour mettre un terme à une conversation qui déjà l’embarrassait ; de toutes les façons elles auraient l’occasion de la continuer pendant le voyage et le séjour.
« demain matin tu peux aller dans la petite maison ; j’en laisserais les clés sur la table de la cuisine »
Puis elle se dirigea vers la porte mais se retourna vers Thérèse comme si elle avait oublié quelque chose... elles se jaugèrent ... Puis Carol s’avança et posa le plus léger des baisers sur le front sans s’attarder mais Thérèse l’avait attendu et le goûta de tout son cœur :
« Bonne nuit ma puce... tu sais quand tu es entrée dans la backroom il y a longtemps... je t’ai vue »
Et Carol ferma doucement la porte.