
Chapter 14
Carol s'arrêta un bref instant pour saisir le regard de Thérèse ; à cet instant précis il y eut la vérité d'un regard lucide et révélateur. Elle eut la bouleversante intuition de ce moment unique où elle se révéla à elle-même sans fard et devant une inconnue …ce ne pouvait être que la vérité…et il fallait la fuir mais certainement pas tout de suite…
Parce que Carol voulait goûter à ce que c'était d'être aimée sans retour de sa part , de sentir devant elle une autre incarnation du désir , une autre écriture des relations humaines. Le besoin et l'envie de dominer allaient sans doute prendre le dessus mais elle voulait sentir dans son être les tensions de l'autre , ses hésitations. Elle était Gulliver au pays des géants , elle regardait le fond de la caverne qui lui projetait…ce qu'elle cherchait? Son double? Son autre moitié?
Thérèse se sentait en danger mais elle ne fuirait pas. Que du contraire… il fallait se montrer sous son meilleur jour
Sois toi-même tu seras ton meilleur avocat
Thérèse apprécia la fragilité immanente qui frappait Carol , celle du dancing; elle était si fragile et lui était abandonnée.
Thérèse sut qu'elle ne saurait envisager d'autre amour que Carol dans sa vie , quelque soit l'endroit , le moment , les circonstances. Et cette dépendance la transperça et la souleva.
Si l'étonnement de Carol ne fut pas à la hauteur de la sidération de Thérèse ce fut Thérèse, cependant, qui réagit la première…
Elles furent surprises un moment donc mais il fallait faire vite. Thérèse prit Carol par la main et la tira alors qu'une fois de plus elle glissait vers le vide .Puis elle ouvrit le parapluie et elle l'invita à s'y blottir . Ce qui fut fait et elle le referma à moitié pour diminuer la trop forte emprise du vent.
Elle passa la main autour de l'épaule de Carol pour mieux la tasser et Carol s'accrocha à elle:
"allez on y va" et ,tant bien que mal et en riant, elles coururent toutes les deux vers la petite maison et s'y engouffrèrent.
Thérèse ne voulut pas s'attarder sur la présence de Carol entre ses bras mais elle savait qu'elle ne saurait plus faire sans elle. Elle n'avait jamais vraiment connu le désir ; oui bien sûr l'envie d'embrasser , d'étreindre, de toucher et de sentir.
Mais , aussitôt faits, aussitôt réalisés, aussitôt disparus…c'était des envies de l'esprit, un désir quasiment intellectuel..
Mais là c'était une tornade , un typhon, une vague scélérate qui l'emportait du plus profond d'elle-même pour l'emmener à une apogée même pas soupçonnée…tout était tendu et douloureux.
Toutes ces vérités et bien d'autres lui firent oublier ses devoirs les plus élémentaires.
Mais elles étaient trempées toutes les deux et il fallait bouger ; elle s'arracha de sa contemplation :
"je manque à tous mes devoirs j'en suis navrée"
Et n'écoutant pas les protestations de Carol elle alla chercher une serviette dans la salle de bain et la donna à Carol ; puis elle fit chauffer de l'eau pour du thé.
Thérèse revint avec une serviette de bain propre ,un pantalon de jogging , des tshirts démesurés dans lesquelles elle aimait traîner soir et matin et les déposa dans le cabine de toilette . Les vêtements de Carol étaient si trempés qu'elle ne pouvait pas les garder sur elle.
Thérèse aurait voulu les lui enlever et la frotter vigoureusement sans plus, comme faisait sa maman au sortir de son bain quand elle était petite…mais elle n'osa pas. Les gestes nécessaires occupaient tout l'espace et aucune d'entre elles ne se décidait à prendre la parole. Ce fut Carol qui rompit le silence après avoir bien séché ses cheveux :
"vous êtes mon chevalier , vous m'avez sauvé de la pluie et il y a trois semaines vous m'avez sauvé de moi-même"
Thérèse sourit et préféra la fuite:
"vous pouvez aller vous changer dans la salle de bains…vous êtes trempées"
C'était un ravissement d'entendre cette voix si profonde et si rassurante ;Thérèse , le regard joyeux ,se détourna de la cuisinière pour s'y adosser et Carol ne bougea pas:
"comment dois je le prendre?"
le sourire de Carol ne pouvait pas être plus grand que celui qu'elle envoya à Thérèse :
"comme vous voulez….on ne s'est pas vraiment présenté n'est-ce pas? Mon nom est Carol Aird
-Carol à la française ou à l'anglaise?
-comme vous le sentez"
Thérèse s'enhardit:
"qu'importe le vin pourvu qu'on ait l'ivresse…moi c'est Thérèse Belivet
…mais allez vous changer ne prenez pas froid"
Les mots des pauvres gens…la chanson de Ferré…avec le temps …tout restera décida-t-elle..
Carol entra dans le cabinet de toilette et Thérèse sentit immédiatement une perte…
c'était révélateur de son réel état de dépendance ; son premier vrai amour.. C’était son premier vrai amour . Instinctivement elle comprit que douleur et plaisir iraient de pair dans cette attraction à sens unique.
Carol promena un regard curieux ; c'était très modeste et propre. Elle se changea rapidement, se frotta encore et rejoignit la cuisine. Pensive elle alla à la fenêtre tout en aérant ses cheveux avec les doigts et poursuivit la conversation :
"Belivet…ça me fait penser à une forme ancienne de to believe ."
Thérèse admira le félin qui traversait sa modeste maison en longues enjambées; même en jogging elle était superbe et le désir , qui s'était éclipsé avec l'urgence de la situation, se réinstalla et satura l'air immédiatement….seulement pour Thérèse. Le trac lui laissa quand même la possibilité de répondre :
"oh c'est dans la famille de Papa ; ils pensaient tous qu'ils iraient en Amérique et comme leur origine était tchèque avec un nom difficilement prononçable pour des américains et que sa famille y croyait à l'Amérique…alors voilà son grand père adorait Shakespeare qu'il lisait dans le texte et il a vu cette conjugaison du passé et voilà.."
Carol approuva avec une lueur d'ironie dans les yeux :
"ça se tient comme explication….et en quoi croyez vous Mademoiselle Belivet?"
Thérèse , bouleversée par ses émotions ,hésita mais elle devait poser des jalons , lancer des hameçons et attendre. Elle posa doucement sa respiration et répondit:
"à l'amour qui lie les êtres au-delà de toutes les différences ou de toutes les similitudes…pas vous?"
Carol ne put retenir un rire amer parce qu'amère était sa vie.
"pourquoi riez-vous? Vous ne le cherchez pas? Moi si" fit Thérèse en versant l'eau bouillante dans la théière.
Elle aurait voulu ajouter qu'elle l'avait trouvé…mais elle ne dit rien.
Carol ne sut pas comment réagir… Thérèse n'arrêtait pas de la surprendre. Elle devait être sur ses gardes ; elle savait être glaciale et froide pour tenir les autres à distance…mais comment tenir à distance un tel intérêt et une telle…gentillesse .
"ou vous ne l'avez pas encore croisé?" supposa Thérèse le souffle un peu court .
Réponds moi ce que j'ai envie d'entendre….
Carol se frottait toujours les cheveux puis tendit la serviette à Thérèse qui, sans réfléchir, la porta à son nez. Carol le remarqua mais ne s'y arrêta pas. Elle ne parla pas des prédictions de la gitane, ne répondit pas à la question, erra dans la modeste pièce et s'arrêta devant Garp:
"il est étrange votre chat
-vous fait-il peur?
-non mais il est fascinant"
Ce n'est pas à moi qu'elle dirait ça…et elle a changé le sujet de la conversation
"vous l'êtes aussi"
Carol secoua la tête :"non je dois être affreuse avec mes cheveux en bataille
-pas du tout...vous êtes magnifique quelles que soient les circonstances"
Thérèse savait qu'il ne fallait pas lâcher n'importe quoi n'importe quand…trop difficile en l'occurrence.
Carol souleva un sourcil :"si vous le dites"
Thérèse , toute en retenue, l'invita à s'asseoir et mit sur la table une jatte de lait , du sucre .Puis elle prit place , réfléchit un moment et commença:
"ça tombe bien que vous soyez là. Merci le hasard. Je veux vraiment vous exprimer toute ma sympathie ; je ne voulais pas vous vexer. du thé?
-oui….vous ne m'avez pas vexé mais mise en colère"
Thérèse baissa la tête. Elle voulait se faire remarquer et ça avait marché; mais elle retint son sourire.
"je dois vous dire. Je suis désolée…mais" et d'une audace inouïe elle posa la main sur celle de Carol
"vous aviez arrêté de danser et j'ai vu votre attitude si blessée , si perdue qu'il fallait que je vous dise quelque chose… vous sembliez vous désagréger dans cette foule"
Bien que les circonstances s'y prêtent, elle retira vite sa main consciente qu'elle s'y était trop attardé , mais en garda dans le coeur la douceur et la chaleur. Ce serait un souvenir sur lequel venir et revenir.
Carol, surprise du contact , avançait en terrain inconnu. En fait, en dehors de ses filles, ses contacts se limitaient à des discussions sur les meubles , les opportunité de placement, le choix du repas. Aucune conversation avec aucune amie car Anne surveillait strictement ses connaissances. Dans l'adolescence , qui est par essence une période où on se construit, aucune amie aucune confidente. Donc surprise par le contact mais aussi par l'opportunité d'avancer en terrain inconnu.
Harge lui parlait à peine de ses affaires , de ses sentiments et au lit… tout cela était lointain mais gravé dans le vif.
Elle eut très vite la certitude qu'elle serait toujours seule pour tout même si ses deux filles étaient là…
Carol se sentait immature et si perdue face à cette jeune femme :
"vous avez raison…je ne suis pas toujours…
- Vous n'êtes pas toujours?
-moi-même …c'est ça…moi-même "
Fragile Carol se sentait fragile et émue et elle opina de la tête .
Thérèse pressentit qu'elle était en territoire connu ; Carol connaissait , elle aussi, la lente destruction , le démembrement , la décomposition amenée par le harcèlement. Elle fut donc plus précautionneuse et rejeta , pour le moment, toute entreprise de séduction directe. Oui elle calculait, peut-même qu'elle manipulait mais s'il fallait contrer de l'auto destruction , elle n'avait clairement pas le choix des armes:
"mais vous êtes peut-être quand même cette personne là….quelles en sont les raisons?"
Mais Carol, si blême, se leva d'un coup et porta la main à sa poitrine , la pâleur perçant le maquillage
"je ne suis pas bien…ça recommence comme tantôt "
Thérèse la suivit et lui prit les mains spontanément pour la rassurer:
"Carol relaxez vous… vous n'êtes pas devant un tribunal …même pas un confessionnal"
Elle scruta les yeux bleu gris si perdus et les admira encore une fois.
"pourtant , il y a trois semaines…mais oui c'est vrai, quand j'y repense, le dimanche matin tu as été assez gentille
Ah oui dis moi pourquoi compatir?"
Tiens elle a calculé …trois semaines…elle a donc compté
-la compassion, la sympathie ; c'est ce qui m'a traversé quand je vous ai vue au Bocca….
-ah bon?
-vous avez arrêté de danser, vous ne bougiez plus et le regard que j'ai capté était celui d'une biche aux abois"
Carol sourit tristement :" vous avez donc vu tout ça en un éclair? Vous avez des méga pouvoirs…"
Non Carol je te suis intiment liée plus que je ne le pensais
"Non je regarde les gens et je me regarde et je les regarde toujours quand je suis dans une foule…j'ai quelque fois l'impression de jouer dans un film et que chacun joue son rôle…mais je suis sensible, en dépit des apparences auxquelles il ne faut jamais se fier"
Carol ,étonnée de la profondeur de la réponse ,esquissa un sourire et Thérèse apprécia la vie qui irriguait ces traits magnifiques. Elle s'enhardit :
"j'ai remarqué que vous avez un accent…allemand ou anglais….je n'arrive pas à saisir
-oh américano-anglais
-ah anglaise et américaine donc…votre voix a cette raucité qu'avait Romy
-Romy?
-Schneider …une actrice allemande adorée par les français
-je ne connais pas ; je suis arrivée en France un peu par hasard
-je vous signalerais quand passera à la télé un de ses films"
Thérèse hocha la tête et laissa son regard se régaler de cette présence .
Comment ne pas se souvenir de la première fois?
il y a des mois….c'était la fin de soirée dans un club lesbien. Thérèse s'était retrouvée avec ses copines et elles avaient décidé ensemble de terminer la nuit dans un méga-dancing en Belgique. Il y régnait un air de liberté et chacun , dans l'obscurité, faisait un peu ce qu'il voulait dans un parfait anonymat; tout cela au rythme d'une musique très sensuelle qui foutait le feu partout.
"Elle" était apparue jupe noire en cuir avec un chignon très strict démenti par un chemisier en soie largement échancré…
Un véritable pousse au sexe confirmée par le déchaînement inhabituel de cette femme sur la piste de danse. Elle ne s'y faisait pas que des amis, surtout chez les filles et plus encore chez les copines de Thérèse.
Elle lui évoqua aussi un certain danger ; Thérèse serait- elle en mesure de la satisfaire? Elle était si belle, si dangereuse, si sexy…
Car , si elle dansait et draguait exclusivement des hommes, elle leur lançait des regards éloquents et Thérèse n'aimait pas ça. Elle gâchait leur plaisir ; les jugeait-elle? Les méprisait-elle?...ou bien comme beaucoup d'hétéros elle était attirée mais ne voulait pas céder….celles qui n'admettent pas leur penchant sont les plus violentes et les plus méprisantes.
Thérèse détestait cette façon d'agir et, plus d'une fois, ses amies l'avaient retenue quand elle faisait mine de parler à cette femme…on les tolérait si elles étaient discrètes…sinon…elles auraient été toutes mises à l'index. Depuis cette soirée Thérèse cherchait Carol:
"tu…. vous m'avez dit que j'avais raison de sentir que vous étiez perdue…pourquoi?"
Thérèse ne savait pas s'il fallait tutoyer ou pas ; Carol savait ce que cela signifiait et elle laissa faire. Surtout ne pas l'inviter au tutoiement...aprés tout Carol était la plus âgée et c'était à elle à autoriser cette familiarité.
"pourquoi ?" répéta Thérèse qui posa doucement la main , mais sans aucune ambiguïté , sur l'épaule de Carol qui hésita longtemps:
"quand je sors…c'est pour prendre une revanche , pour me venger de la vie que j'ai eue… j'ai toujours été le souffre douleur de ma mère Anne…je deviens alors comme ma mère le disait ...une pute"
C'était donc ça ,encore et toujours ça
"Je sais que certaines mères aiment faire souffrir leurs enfants"
Carol se prit la tête dans les mains :
"je ne sais pas mais elle détestait les femmes et surtout moi…elle a fait une fausse couche et elle était persuadée que c'était un garçon. Elle m'a dit que c'était lui qui aurait du vivre et pas moi…elle m'a dit aussi qu'elle n'avait plus d'enfant .
Ça s'est passé j'avais 8 ans …depuis elle m'a encore plus persécutée de toutes les façons possibles"
Les yeux de Carol étaient ailleurs fixant un point si loin que Thérèse sentit l'abîme qui la submergeait .
Elle était embarrassée ; les tables étaient renversées. Elle ne voulait pas faire des remontrances . Sous ses yeux réapparut la femme vulnérable qui s'était découverte à la faveur des lasers. Le visage de Carol se couvrit de rides amères
Et ses lèvres tremblèrent:
"pourquoi la backroom?
-parce que je me punis de ne pas aimer ma mère, de n'avoir pas su sauver Harge de la boisson, de n'être pas un garçon car alors Anne m'aimerait…de toute façon elle a toujours dit que je finirais pute parce que j'excite les hommes et que l'enfer m'est promis…je suis coupable…c'est tout
-j'ai compris""
Carol était recroquevillée ne sachant pas quelle contenance prendre; elle ne parlait jamais de ces failles là, jamais.
Thérèse se leva ; ce qu'elle venait d'entendre dépassait les bornes et lui rappelait tant de choses..
"non mais sérieusement?...ma grand-mère maternelle disait la même chose à sa fille…des vraies connes"
Elle s'approcha doucement ; sa déesse aux pieds de cristal était faite de papier hostie et se brisait en petits morceaux.
Et elle fit alors une chose inouïe ; aussi tremblante que Carol elle l'a prise dans ses bras et la serra doucement pour la réconforter:
"une maman est faite pour aimer pas pour casser et démolir…tu dois faire connaissance avec la mienne"
Thérèse s’en voulut... il faut y aller doucement... À ces mots Carol se brisa dans les bras de cette jeune femme étrangère mais plus vraiment... La gentillesse de cette jeune femme la bouleversa... Elle n’était pas de son monde pétrifié et impitoyable qui avait été le quotidien de toute sa jeunesse.
Thérèse , la chamade dans les temps, n’osa pas passer doucement la main sur la crinière blonde en guise d’encouragement....
mon rêve éveillé
Le parfum de Carol la transperça comme jamais mais il fallait se concentrer sur ce que disait Carol et lui donner toute l’attention qu’elle méritait. La voix tremblante Carol se laissa aller:
« je n’ose pas en parler à mes filles , je ne veux pas les entraîner sur ce chemin de peine... mais mon aînée est si lucide ; Rindy sait que j’ai souffert mais elle en ignore la portée et les conséquences... quant à Margot... Elle est si perspicace
À son âge »
Thérèse scrutait ce sublime visage offert ; elle sentait charriée par ses émotions et son désir ne fut plus qu’une composante de quelque chose de plus grand et de plus fort. Ça n’était pas un coup de foudre mais un amour puissant qui la tuerait sûrement s’il était univoque . Elle adora les rides d’expression , les douces commissures et maîtrisa son envie de la serrer et de l’embrasser ; elle recula pour mieux capter ce moment et aussi pour ne pas céder...
« Carol je connais les souffrances engendrées par des parents négligents et plus encore par une mère hostile à sa progéniture »
Carol, les yeux si las, fixa un point si loin et demanda:
« Votre mère ??
-non , au contraire... Maman a été la victime de sa mère elle aussi. J’ai vu les ravages que cela peut causer... c’est une horreur » Elle se leva pour faire quelque chose car c’était un sujet insoutenable et porta les mains à sa poitrine.
« Maman avait des crise d’eczéma quand sa mère venait et je ne pouvais rien faire contre elle parce qu’alors elle se retournait contre maman... je ne me suis jamais senti aussi désarmée, aussi impuissante devant sa détresse. Et maintenant vous me dites que vous connaissez la même chose... »
Thérèse était bouleversée et s’écarta à regret de Carol :
« je hais ces gens qui veulent contrôler les autres, qui ne les laissent pas vivre, qui les bouffent, qui les hantent toute leur vie »
Entendre cela ... elle observe Thérèse; il fallait prendre de la hauteur. Caro arbora un sourire aigre-doux:
« Tu sais on s’habitue... On n’oublie pas , on s’habitue et c’est tout... à la longue ça devient même rassurant parce que c’est connu... parce qu’on sait où et quand on va plier ». Les murs se reconstruisaient en elle à l’instant de son aveu.
Thérèse soupira; les mêmes causes et les mêmes syndromes que sa maman. Carol était fragile et Thérèse accusa le coup. Il fallait se calmer. Elle avait toujours voulu des jours exceptionnels où des choses devaient arriver... c’est ce à quoi elle pensait tous les matins... et Carol était là. Et sous son regard soudain la maison parut si petite , si étroite, indigne d’une telle femme. C’était du provisoire ... il fallait l’expliquer. Elle allait expliquer quand :
« dites Thérèse... Comment avez-vous su pour votre... choix? »
Thérèse la considéra d’un air incrédule , arrêtée dans son élan... de nouveau un changement de sujet...
« Pourquoi voulez-vous savoir? »
Carol eut cet air distant qui ne disait... rien .. Elle s’était reprise ; elle n’était pas hautaine mais réservée... Elle ne s’effondrerait plus. Thérèse enregistra les infimes tressaillements qui signifiaient le retrait , le recul..
« d’abord ce n’est pas un choix mais une évidence....un jour je vous demanderais moi aussi des choses »
Carol enroula une mèche autour de ses oreilles de ses longs doigts fins et Thérèse enregistra ce geste comme étant précurseur d’autorité et de reprise en main avec, peut-être , une envie d’envouter :
« d’accord mais c’est vous maintenant » .le ton autoritaire et velouté ne laissait aucune place à l’indulgence.
Thérèse se rendit compte qu’elle perdait le contrôle... elle était prise à son propre jeu.