
Chapter 11
Il fallait se calmer. Elle se sentait ridicule d'avoir sauté ainsi sur place mais Maria la rassura du regard
Elle savait gérer la joie de Thérèse qui n'était jamais loin de la tristesse; ce n'était pas des sautes d'humeur mais la tendance naturelle de Thérèse à croire que tout allait mieux quand il y avait un tout petit espoir
"n'oublie pas ta maman"
Aussi Thérèse haussa-t-elle les épaules, pas fière ,et mit sur la table toute la monnaie qu'elle avait sur elle et composa le numéro, par deux fois, qu'elle connaissait par cœur .Le téléphone sonna longtemps mais Thérèse en connaissait la raison; elle imagina les mains de sa maman sur le combiné. Mais elle se vit aussi avec Carol sous les yeux de Jacqueline. Il fallait y croire , donner de l'épaisseur et de la vraisemblance à cet amour, rendre Carol heureuse comme toutes les trois méritaient de l'être. Elle rayonna de tout son être:
"maman c'est moi...tu hésites toujours avant de décrocher…
-ma chèrie je pensais justement à toi…tout a l'air de bien aller je l'entends à ta voix...oui j'hésite toujours
-tu penses souvent à moi… oui tout va bien maman…je sais.
-je suis tellement heureuse pour toi ma chèrie"
La douceur de la voix maternelle la frappait à chaque fois et la ramenait à son statut d'enfant préféré et aimé profondément ; elles étaient toujours en totale fusion quelque soit la distance.
"j'ai beaucoup de travail et si ça continue comme ça je louerais quelque chose de plus grand et on s'installera à deux
-mais chèrie tu dois vivre ta vie…je serais une gêne pour toi
-non maman jamais…je sais combien tu souffres ..tu es trop loin…j'ai toujours dit que c'était une mauvaise idée de déménager si loin.. Dominique t'a-t-il appelé?
-oui encore pour me demander sa part…il me fatigue , il sait que je ne peux pas payer et que si je vends la maison …où irais je vivre?
-maman tu sais qu'il ne peut rien faire sans notre accord. Je vais chercher un logement correct par ici pour toi…même je te l'ai dit on pourrait vivre ensemble. En tout cas ne t'inquiète pas tu es ma première préoccupation…je te fais un gros bisou et je viendrais dès que possible. Est-ce qu'il t'a demandé de l'argent?...à part l'héritage évidement.
-bien sûr je sais que ses coups de fils ne sont motivés que par ça….je l'ai compris
-maman je ne l'aime pas …je suis désolée mais je ne l'aime pas du tout...j'ai essayé mais ça ne marche pas….et ça depuis toujours…ru sais quand j'aurais trouvé un bon logement on vendra la maison.
-je sais ma chèrie ....oui c’est ce qu’on fera mais ça va tu sais.
-je t’aime maman et tu me manques... oui on le fera mais
-tu dois faire ta carrière chèrie et ne dépendre de personne
-oui maman »
Il y eut un silence :
« Ma chèrie je vais raccrocher ; j’ai une réunion pour le Secours Catholique » Thérèse savait que c’était un faux prétexte.. sa maman craignait toujours de gêner sa fille. Il ne fallait surtout pas qu’elle sache que Thérèse avait compris.
-ok bisous maman
-bisous ma poupy »
Dominique ce frère impossible qui était plus un ennemi qu'un frère. Il était homosexuel et quand il s'était aperçu que Thérèse l'était aussi il mit tout en œuvre pour la persuader de changer. Dominique ne s'acceptait pas et allait chez des psy qui l'avaient persuadé que c'était sa maman la responsable.
Il y avait eu une terrible dispute entre le frère et la sœur et ils en étaient venus aux coups. ce fut à ce moment là que Thérèse reçut la seule et unique gifle de sa vie.
Cela faisait quatre ans qu'ils ne s'étaient plus vus et il n'était pas venu pour l'enterrement de son père.
Il se contentait d'appeler pour savoir quand il toucherait sa part d'héritage.
Elle aimait sa maman si profondément ; elle l'admirait parce que, même dans les tâches les plus rebutantes elle gardait une grande dignité et surtout une élégance que Thérèse n'avait pas.
Sa maman était comme un tanagra petite et délicate et cependant si forte et si rassurante pour sa fille ; c'était comme un courant qui passait de l'une à l'autre à chaque fois plus riche et plus fort. Elle raccrocha émue comme toujours et le cœur révolté par l'attitude de son imbécile de frère.
"mon frère…intéressé comme tout…il se la pète toujours autant…
-c'est pourtant ta famille….
la voix pas loin de se briser:
"on choisit pas sa famille , on choisit pas où on naît….mais on choisit ceux qu'on aime."
Elle s'abîma dans la contemplation lointaine d'un point minuscule sur les vagues et soupira si fort.
Puis elle dévora la faluche tiède dégoulinant de beurre et de sucre fondu:
"c'est bon Maria… je te laisse car j'ai du boulot…merci de m'avoir appris son prénom
-de rien , petite, elle finira par s'intéresser à toi…tu sais peut-être elle a peur….elle n'est peut-être pas prête à aimer une jeune femme timide et audacieuse"
Thérèse régla ses consommations puis , comme elle sortait , Thérèse se retourna la main sur la clinche de la porte :
"oh Maria surtout timide et pas confiante…au revoir et bonne journée
-bonne journée à toi petiote"
Elle redémarra , s'arrêta pour saluer un groupe qui arrivait puis, repartit doucement comme l'autorisait le mauvais état de la route et regagna son logis.
Elle ne supporterait plus longtemps la culpabilité de laisser ainsi sa maman seule dans une ville dont les habitants étaient si peu amènes avec ceux qui venaient s'installer chez eux. En dehors des périodes des vacances c'était une population repliée sur elle-même ; sa maman ne se sentait pas acceptée .
Elle tranchait tellement sur les autres femmes qui étaient si communes , si banales, si….moches que la beauté et la distinction de sa maman étaient prises pour ces femmes pour de la provocation….l'admiration qu'elle avait pour sa maman avait elle amené chez Thérèse cet amour pour les femmes.
Elle ne le savait pas ; la seule vérité qui était sienne…son admiration pour la beauté des femmes et l'envie d'y goûter…pourquoi seuls les hommes y auraient droit?
C'était un sujet de discussion avec ses copines lesbiennes… même si elle reconnaissait du bout des lèvres qu'elle pourrait s'intéresser à une fille pas très belle. Mais elle mentait à tout le monde et c'était la concession qu'elle faisait à la société qui l'entourait …oui la beauté l'attirait mais pas seulement il lui fallait du répondant , de la consistance , de l'épaisseur et de la profondeur….Carol tu manques partout où je suis
Et ce manque s'insinua tranquillement en elle comme une anxiété connue à laquelle elle s'était habituée.
Elle s'était toujours un peu retenue vis-à-vis d'elle ; mais l'avoir vue en plein jour, lui avoir parlé avait libéré ses sentiments d'une certaine façon et c'était comme une barrage qui s'écroulait sous le trop plein d'eau…
Ce serait donc une faiblesse à surmonter…
une de plus sans avoir la certitude de revoir Carol sauf à errer sous ses fenêtres…une option à envisager avec précaution
Elle rentra chez elle et Garp l'accueillit en courant se nicher dans ses jambes. Elle l'écarta doucement et se mit à l'aise
Beaucoup de travail l'attendait. Elle avait un rapport à écrire sur ces interventions dans les agences de la banque où elle travaillait. C'était un travail ardu et les notes qu'elle avait prises tout au long de la semaine l'aideraient ; mais il fallait les relire et surtout les synthétiser. De la concision avant toute chose.
Avant de commencer elle alla à sa fenêtre pour admirer encore une fois la mer et l'immensité offerte à ses yeux par ces immenses falaises qui étaient ses amies et ses compagnes de solitude…et toujours ce sentiment d'être une minuscule particule d'un univers dont les limites lui échappaient.
Les plages du nord sont immenses et cette immensité avait toujours été sa confidente ; elle parlait aux plages, elle parlait aux falaises. Elle était pleinement accomplie dans cet univers marin qu'elle associait toujours au monde féminin. Elle lançait ses prières et ses vœux en espérant que Carol les capterait.
Le bleu de la mer se mêlait au blanc crème des falaises et c'était comme un reflet de ses yeux.
Le dessin de ces superbes falaises lui évoqua le croisement des cuisses de la femme qu'elle désirerait toute sa vie, elle le sentait:
"je la retrouverais et je la posséderais comme vous me possédez"
Elle aurait tant voulu trouver les mots justes pour décrire cette femme qui l'avant tant impressionnée…juste ce regard froid glacial si déconnecté de toute son attitude suggestive et sensuelle…il y avait un être différent caché chez cette femme…jamais autant de beauté n'avait caché autant de tristesse…et le rouge de la robe cachait autant qu'il montrait…
Elle se remémora leur rencontre ; elle a deux filles , pas de garçons tant mieux. Thérèse revit la scène
Oh ses yeux bleu gris comment les oublier? La froideur d'une blonde ? non le feu sous la glace. Elle eut chaud jusque dans les mains , jusque dans ses tripes en repensant au décolleté qui s'ouvrait et se fermait sous les caprices du vent malicieux qui avait été son comparse.
Et ses mains? Comment oublier la danse de ses mains? Leur perfection simplissime l'avait fascinée...C'est peut-être à cause de ces mains là qu'elle avait été si en colère? Elles étaient à la fois si proches et si lointaines… la promesse de quelque chose qui n'arriverait peut-être jamais ? Qu'aurait- elle fait si, en guise d'apaisement, Carol aurait posé ses mains sur ses épaules? C'eût été ..foudroyant , tectonique…. Invasif...dangereusement invasif
Thérèse n'avait pas ressenti de coup de foudre pour Carol; elle connaissait et ça ne durait jamais.
…mais elle eut la certitude d' un long cheminement qui l'avait emmenée à ce qu'elle désirait…sans savoir si cette femme le voudrait aussi. cette glorieuse incertitude l'avait empêchée de lui adresser la parole sur cette terrasse…
elle s'était rattrapée après mais…quel ratage….le destin peut repasser les plats., va repasser les plats..
Parce qu'elle sait où elle habite. Et qu'elle y passera de longues journées….si le local convenait évidement.
Thérèse ne savait pas le futur mais elle savait que si rien ne se passait …. Rien ne pouvait pas se passer…
je ne sais pas séduire , je me sens désarmée quand je la vois…mais je sauterais de la falaise pour la voir crier mon nom
Je ne sais pas déguiser mes pensées et réfléchir quand elle est là…je suis désarmée mais je pense que c'est là que résidera ma force et ma volonté d'être aimée d'elle…je ne calculerais rien…mais je suis contente de ce que j'ai fait samedi soir…j'avance , j'avance… chaque avancée est un pas de moins à faire pour me rapprocher d'elle.
Depuis leur entrevue elle réfléchissait à ce qu'elle lui avait dit. Ce n'étais pas son habitude de juger ; chacun faisait ce qu'il voulait et si ça sortait des clous ..qu'importe. Après tout , ça se passait entre adultes consentants.
Pourtant c'était la première fois de sa vie qu'elle avait regretté de ne pas être un garçon…de ne pas être de ce genre là. Elle ressentait toujours la lourde injustice qui pesait sur les filles comme elle et encore plus quand elle n'était pas féminine. Ça avait été un véritable calvaire quand sa maman ,croyant bien faire, l'avait poussée à mettre en valeur sa poitrine et ses jolies jambes…jamais Thérèse ne s'était sentie aussi mal à l'aise…aussi mal à l'aise quand Eve , sa prof d'anglais, lui avait proposé de coucher avec elle devant son mari ; l'amour qu'elle portait à cette femme se transforma en cauchemar .
Heureusement que ça n’avait pas duré... parce que c’était la fin de l’année scolaire et que Thérèse rentrait en faculté...
Les miaulements de Garp la ramenèrent à la réalité ; elle remplit donc sa gamelle , rangea son journal et mit de l’ordre dans la maison.
Elle détourna les yeux du formidable spectacle qui s’offrait à elle et se mit à travailler sur son rapport.
Le travail était sûr pas l’amour....l’amour toujours? Non l’amour chaque jour.
Carol mon amour.
Maman tout est dit.
Gaëlle... Maria.... Mes copines.
Que des femmes ... elle ne voulait que des femmes autour d’elle.