
Chapter 10
Une femme ,la silhouette menue et élégante aux cheveux blancs en chignon soulignant des traits fins et délicats, se promenait le long de la jetée des Sables d’Olonne après avoir nettoyé la tombe de son mari. Elle était comme une singularité au milieu de la foule débraillée des vacanciers et elle accrochait ainsi les regards.
Mais elle n’en avait cure. L’élégance lui servait de masque et d’armure ; mais sa gentillesse immanente la remettait au niveau de tous.
Cette station balnéaire familiale qui se situe en Vendée avait été le choix de son mari et elle s’était inclinée .; pourtant la Vendée lui rappelait de si mauvais souvenirs pendant l’exode et , surtout, si loin de sa fille. C’est ainsi qu’elle n’eut plus autant de contacts avec sa fille , Thérèse. C’était trop loin et ce fut un brise cœur pour les deux femmes.
Il faisait beau et elle apprécia sa promenade ; c’est ce qu’elle faisait toujours quand elle se sentait seule et vulnérable.
Se promener , marcheur, respirer. C’était aussi une thérapie pour soigner une forte dépression qui la menaçait..
Marcher , toujours marcher et se convaincre que la beauté des lieux vaincrait toutes ses angoisses..
Le travail de sape fait par sa mère , depuis son enfance ,atteignait petit à petit son but. Démolir sa fille , la détruire était ce qui la maintenait en vie. Faire payer à sa fille le fait qu’elle n’avait pas mis au monde de garçon vivant.
Au dècés de sa mère elle avait espéré être soulagée mais les graines de désespoir avaient continué de grandir et seule la présence et le soutien de sa fille la soulageaient.
Le spectacle magnifique de la mer émeraude et du sable blanc l’arrachait à peine de sa mélancholie maladive. La chair de sa chair , Thérèse, lui manquait tellement , lui manquait plus que ne lui manquait son mari , Gérard, décédé depuis quelques mois.
Il était gentil mais égoïste et n’avait pas donné à sa femme ce qu’elle cherchait : une écoute et un partage... c’est chez Thérèse qu’elle avait trouvé le réconfort. Mais Thérèse était si loin. Quant à son fils Dominique...
Elle avait vite compris qu’elle ne serait pas grand-mère ni du côté de Dominique , ni du côté de Thérèse. Il avait fallu les longues conversations avec sa fille pour se persuader qu’elle n’était pas responsable de l’homosexualité de ses deux enfants.
Prétextant des frais d’étude élevés il avait consulté des psychiatres pour comprendre pourquoi il était homosexuel.
Toute la famille s’était mis la ceinture et Thérèse en avait souffert. Des années après elle comprit la raison de ces demandes et ce fut la bagarre entre frère et sœur.
Dominique fut convaincu par les psys que sa mère était responsable de son état; il s’en suivit des confrontations pendant lesquelles il était cruel et parfois violent.
Thérèse intervenait et se battait avec son frère ; Gérard , son mari, n’intervenait jamais même pas quand ils en venaient aux mains. Rongée par l’éducation dévastatrice de sa mère elle devait, dans son infinie faiblesse, gérer des situations qui la navraient à chaque fois. Seuls les mots de Thérèse la consolaient.
Elle avait dans sa poche la dernière lettre de sa fille dont les mots tendres la rassuraient.
La dernière rencontre entre le frère et la sœur avait été très violente.
Après l’avoir traitée de traînée Dominique avait tenté de gifler sa mère et Thérèse s’était interposée comme toujours. Ce jour là elle avait essayé de réconcilier ses deux enfants et c’était sa fille, cette fois ci, qui avait refusé de tendre la main à son frère . Dominique était parti en claquant la porte tandis que son mari regardait son feuilleton à la télé.
Jacqueline culpabilisa une fois encore et Thérèse , excédée par l’attitude de son père, lui avait fait beaucoup de reproches et avait terminé en concluant:
« de toute façon , papa, tu es tellement peu intéressé par tout ça que je sais que je perds mon temps... Maman sera encore plus mal et tu passeras encore plus de temps devant ta télé ou dans ton atelier à faire tes maquettes de bateaux »
Ce n’était pas méchant ; c’était juste la conclusion simple à laquelle était arrivée Thérèse. D’ailleurs le seul souvenir qu’elle avait consenti à prendre après sa mort, était la maquette d’une goélette à deux mâts.
Ses parents n’avaient pas trouvé dans le mariage ce qu’ils y cherchaient et ce ratage expliquait la quête d’exigence de Thérèse. Les conclusions si évidentes de sa fille étonnaient toujours sa maman et la confortaient dans l’opinion qu’elle avait de sa fille qui, à ses yeux, était beaucoup plus intelligente qu’elle-même....
Jacqueline rentra chez elle dans la grande maison vide. Elle ne put s’empêcher de passer par l’atelier de son mari qui occupait une bonne partie du rez-de-chaussée; le reste étant occupé par le studio où dormait Thérèse quand elle venait.
Elle y resta debout ne sachant que faire de tout ce matériel de bricolage , de ces montagnes de bouts de bois , de ces étagères encombrées de pinces , de marteaux, de tournevis... un foutoir organisé dans lequel son mari avait passé la majeure partie de son temps sans s’inquiéter le moins du monde de la solitude de sa femme. C’était d’ailleurs le plus grand reproche que lui faisait Thérèse:
"papa tu ne t'occupes pas de maman…elle avait ses amies , ses occupations à Lille et elle a tout perdu…elle n'est pas bien"
La seule réponse était :"je retourne à mon atelier" ou "bon quand est-ce qu'on mange? " ou "il y a Derrick". Derrick le seul feuilleton pendant lequel tu pouvais te lever , manger et revenir et "l'action" n'avait pas bougé. C'était vraiment un mauvais argument…entre autres.
Thérèse connaissait le profond égoïsme de son père que rien ne dérangeait si ce n'est le non-respect des horaires de repas; alors il se mettait à table et commandait à sa femme :"donne moi ci donne moi ça apporte ci apporte ça" au point que sa maman n'arrivait pas à manger sans être dérangée… un vrai tyran domestique. Il lui arrivait de faire à manger et ce qui partait d'une bonne intention était devenu un calvaire pour sa maman…parce que son père faisait des comparaisons et humiliait sa femme…. Et Thérèse se fâchait encore.
Le désespoir, la solitude, sa relation difficile avec son fils, l'absence de sa fille , le décès de son mari avaient amené Jacqueline au plus grand des désespoirs. Et c'était une voisine qui l'avait trouvé évanouie dans son jardin et qui avait prévenu Thérèse après avoir entendu sa maman hurler.
L'internement avait été évité parce qu'elle avait vu les effets ravageurs d'une pareille mesure.
L'année précédente sa maman , poussée à bout par la cruauté de Dominique et l'inaction de son mari , avait craqué si fort qu'elle s'en était pris à son mari qui ne comprenait jamais sa femme.
Par facilité , plutôt que de réellement s'occuper de sa femme peut-être aussi bien que de ses maquettes , son père avait décidé de la faire interner; l'apprenant Thérèse avait renoncé à ses vacances. Elle passa donc le maximum de temps dans l'hôpital psychiatrique où Jacqueline avait été internée.
Il lui avait fallu toute la patience du monde pour voir revenir une maman plus tranquille mais blessée , si blessée.
Jacqueline était parfaitement consciente de la distance qui , à ce moment là, l’éloignait de sa fille. C’était la traduction muette de la douleur et du mal-être qui ravageaient son esprit. Oui elle avait explosé face à son mari ulcérée et fatiguée de son indifférence. Heureusement , au fil des visites bi quotidiennes de sa fille, elle s’était peu à peu remise. Son mari était également venu sans trop s’attarder.
Elle s’était peu à peu remise quand son mari avait fait une crise cardiaque fatale en début d’année ; ce fut encore Thérèse qui, prenant un congé sans solde, s’était occupée de tout. Mais elle devait travailler et Jacqueline se retrouva seule.
Était-elle vraiment la seule personne dans son cas ? Harcelée et brisée par sa mère?
Jacqueline n’avait personne à qui en parler. Elle avait même délaissé les séances chez le psy qui l’écoutait trop souvent d’une oreille distraite. Elle s’était d’ailleurs emportée constatant le peu d’intérêt que lui portait le psy; mais il n’était pas là pour compatir mais pour écouter professionnellement et c’était tout. Partager avec quelqu’un qui connaissait la même situation c’était ce qu’elle souhaitait... ça devait bien exister... comme le bonheur qu’elle n’avait jamais connu. Une fois encore sa vie passée revenait , comme revenaient à ses yeux les larmes.
Si fatiguée elle prit place à sa table de cuisine , considéra les meubles qui l’occupaient, et prit sa tête entre ses mains.
Quand le téléphone retentit ; elle eut une hésitation puis décrocha enfin.
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Thérèse s'arrêta une fois encore sur le bord de la route…elle avait le cœur plein et le cœur vide.
Plein parce qu'elle lui avait parlé , vide parce que l'affronter avait été une épreuve. Est-ce que ce serait toujours ainsi? Cette angoisse qu'il lui fallait affronter …et son manque total de confiance en elle. Elle savait dompter un monstre d'acier mais elle s'évanouissait presque quand elle affrontait un être fait de chair et d'os sensible et cruel.
À chaque fois qu'elle se sentait en danger , des images de son enfance lui revenaient…elle aimait tant l'école et , pourtant, c'était à l'école qu'elle avait été blessée à vie.
La cour de récréation était remplie du cris des enfants heureux de se défouler après les cours… Thérèse criait elle aussi pour se défouler et courir après ses camarades de jeux., quand Mère Germaine arriva :
"Thérèse tu fais du bruit comme tous les tonneaux vides…
-mais, ma Mère, je fais comme les autres
-petite insolente tu n'as pas à me répondre…les autres ne sont pas aussi bêtes que toi" et elle s'apprêtait à frapper la petite quand une voix forte et déterminée se fit entendre:
"il suffit maintenant..ne touchez pas à ma fille" et Thérèse vit sa maman arriver et la prendre dans ses bras.
"va prendre tes affaires ma chèrie , tu ne restes pas une minute de plus dans cette école où on tolère que des femmes comme vous torturent et cassent les enfants pour votre seul plaisir…Thérèse rentre tous les soirs brisée, en pleurant parce que vous vous déchaînez sur elle….vous êtes un monstre et la religion n'est qu'un prétexte pour assouvir vos mauvais penchants, Madame"
Le courage de sa maman aussi face à sa belle-famille régie par un souci strict de conformité et jalouse de sa beauté….c'est ça la conformité…la pire des choses au nom de laquelle on assassine , on brise ,on casse des gens à vie. Une belle -famille catholique aux principes si rigides soucieuse de sa réputation et dont les femmes, très ordinaires et affligées d'un physique ingrat, jalousaient Jacqueline pour sa beauté.
Thérèse redémarra mais n'avait plus le cœur à rouler et elle rentra très vite chez elle …cependant elle eut envie d'entendre la voix de sa maman pour se raccrocher à la personne qui comptait tellement à ses yeux….Maman , Gaëlle, Elle… et Maria.
. Dans ces lieux battus par les vents subsistait un vieil estaminet aux murs de briques rouges
tenu par une vieille femme un peu rêche ,Maria, que Thérèse avait fini par émouvoir. Elle venait prendre un café pour échanger les banalités si nécessaires parce que la vie se vit ailleurs mais elle se prépare dans ces lieux obscurs où tout semble figé.
Thérèse entra et une odeur familière lui frappa les narines…celle du café réchauffé et de la bière.
"tiens ma corsaire est là..
-bonjour Maria"
Thérèse passa derrière le comptoir et claque deux baisers sur les joues flétries d'une femme qui avait du être jolie.
Seuls les yeux vifs et foncés témoignaient d'une vie bien remplie.
"qu'est-ce que je te sers?
-un café au lait et un verre d’eau
-J’ai des faluches
-alors beurre et cassonade »
L’établissement était décoré de tous les jeux qui se jouaient dans les cafés surtout les cibles pour le jeu des fléchettes
Des dinanderies noircies par la fumée des cigarettes et du chauffage au bois ornaient les murs bruts où l’ocre rouge , noir et jaune des briques ramenaient l’extérieur à l’intérieur. Il s’y passait des tournois acharnés de dés et de fléchettes ; Maria intervenait souvent pour séparer vainqueurs et vaincus. Mais tout le monde se retrouvait autour d’une pinte ou d’un café cognac ou genièvre. Des bannières lourdement décorées ornaient les murs et participaient à assourdir les bruits des tasses heurtées les unes par les autres. Mari avait toujours été assez vive et nerveuse dans ses déplacements et l’âge n’y changeait rien.
Thérèse s’assit à une table près de la mer et admira le spectacle immuable et changeant de la mer se mélangeant à la terre ; c’était marée basse et on pouvait voir les ramasseurs de coques à l’ouvrage. Elle se mit à jouer avec les dès ;elle y jouait souvent aux dés et perdait parfois. Dans ce cercle assez fermé et très masculin elle avait été assez vite adoptée parce qu’elle était joviale et souriante et qu’elle avait facilement appris les expressions du patois du coin ; elle avait le respect de ces mineurs retraités aux yeux desquels elle représentait un avenir et monde si singulier. Elle ne buvait jamais sauf une menthe à l’eau ou un café âcre et surcuit.
Maria prit la faluche , la coupa en deux et la mit à réchauffer dans le four de sa cuisine ; puis elle prit sa cafetière en zinc qui sommeillait au bord de sa cuisinière en fonte, versa un plein bol de café au lait et le posa devant Thérèse.
« Maria , puis je téléphoner ? Je vais appeler maman
-je t’en prie... tu es ici chez toi " Thérèse lui envoya un grand sourire .
« tout le monde se sent ici chez soi Maria... tu sais j’espère que j’aurais le téléphone quand je m’installerais tout à fait dans la région quand maman me rejoindra enfin »
Maria sourit si complice et agita la main signifiant que cela n’avait pas d’importance :
« alors tu ne viendras plus me voir... et ton amour lointain et énigmatique? »
Maria , avec Gaëlle ,était sa confidente . Elles seules avaient la patience d’écouter , d’écouter encore et de toujours écouter.
« si , si je viendrais te voir ... je ne suis pas inconstante... il faut que je te dise ce qui s’est passé »
Maria et Gaëlle ne faisaient aucunement preuve d’impatience quand Thérèse abordait le sujet délicat de la proximité de cette femme si mystérieuse et de son comportement étrange. Elle se rassit car le souvenir de cette rencontre en plein jour et des premières paroles échangées avec « Elle » l’avait ébranlée une fois encore. Elle reprit tout le récit de la veille jusqu’à la rencontre dans la rue.
Maria se tut un moment :
« Tu sais j’ai pensé... Jeannette..
-ta sœur à qui tu reparles?
-oui, on s’est vu hier et elle a un nouveau travail bien payé... Jeannette travaille à Godberghen pour une américaine blonde avec une Porsche rouge »
Thérèse vacilla. Il faut croire aux coïncidences , il faut croire au hasard et à la chance. Mais elle devait connaître quelque chose:
« dis moi son prénom » des grands yeux brun dévoraient Maria qui prit son air mutin et fit la moue:
« Tu me paies combien? »
Thérèse tapa du pied sur le plancher:
« Allez dis moi son nom.. Je t’en prie » puis elle se reprit « excuse moi .j’agis bêtement. mais j’ai été tellement lamentable tantôt avec elle... je m’en veux tant »
Maria termina d’essuyer ses verres :
« Bon ... c’est mon jour de bonté... Carole... Carol Aird et je ne t’ai pas tout dit ... elle a fait ta recette de glace à froid au café et au spéculoos et elle l’adore »
Thérèse en dégusta la révélation ; ce prénom lui allait merveilleusement bien . Tout s’éclaircissait , tout s’arrangeait.
Elle le dit tout haut les yeux illuminés de joie:
« Glace et Carol... elle ne savait pas que la recette venait de moi... ça doit être des spéculoos maison, pas de l’industriel »
-hey bien dis donc tu es vraiment accro à tout... à la cuisine et aux femmes » dit Maria les mains sur les hanches.
Thérèse joignit les mains :
« Tu vois je ne sais pas peindre , pas dessiner, pas photographier... mais je sais ce qui est bon... elle a goûté cette glace... c’est comme si je lui envoyais des fleurs. comme si je composais un poème louant sa beauté... »
« à ce niveau ça ne se soigne pas... tu es incurable » dit Maria en hochant la tête et en levant les yeux au ciel.
Thérèse était heureuse .... si profondément . Elle eut ainsi les prémices de ce que ce serait de vivre avec... Carole.
Elle se mit à sauter de joie dans toute la salle :
« mais je ne veux pas guérir.... Bon je vais appeler maman » son regard brillait comme jamais