
Chapter 4
Minuit passé, l’objectif se déforme
Pour une habituée des libertés inconformes
Laissez la briller de son audace hors-norme
Un matin de plus et oublier l’uniforme
Laissez là sortir ce soir Dire au confort provisoire
Que son portrait lui déplait Et vivre enfin de ses excès
Laissez-là fuir ce soir Et peut-être s’émouvoir
Loin du regard des indiscrets Sur une chanson en français
Carol avait démarré en trombe et tout le village le sut; elle ne faisait pas toujours très attention au ressenti de Margot. Rindy s’en occupait tellement bien.
Toutes ses forces vives étaient mangées par les relations toxiques avec sa mère....avec son bourreau.
Mais là elle venait de prendre une décision qui allait tout changer . Fred , en effet, allait entamer la procédure qui conduirait Anne en prison pour violation d’une décision du tribunal qui avait décidé qu’elle ne pouvait reprendre contac avec sa fille que par l’intermédiaire de son avocat.
La malignité des relations avec sa mère avait laissé des traces dans son âme et son esprit et démolit sa confiance en elle-même. Bien évidement ses contacts avec les hommes avaient souffert de ces dommages et elle culpabilisait aussi de n’avoir pas été la meilleure des filles. Mais elle ne méritait pas de souffrir autant au point de ne plus savoir le vrai et le bon, au point de fuir.
Alors elle pratiquait de temps en temp son rituel satanique , sa copulation cathartique, pensa-t-elle en se souriant à elle-même.
Bien sûr elle ne se faisait aucune illusion quant à l’audace et la non-conformité de son comportement mais c’était sa soupape de sécurité... comme un pansement sur sa vie passée où elle avait été écrasée au profit de la volonté des autres.
Sa mère, le père n’avait jamais compté... un géniteur, l’avait instrumentalisée et l’avait écrasée. C’est elle qui avait préparé sa rencontre avec son futur mari et, plus tard ,le mariage.
Elle avait cru que c’était un mariage d’amour... en fait oui parce que sa mère avait projeté sur sa fille son amour de la réussite... l’amertume plissait souvent ses commissures et c’était un tic qui s’était imposé...
Parce que toute sa jeunesse elle avait essayé de se faire aimer de sa mère ; elle avait donc été obéissante pour obtenir l’amour maternel dont elle avait tant besoin... leurre.....
Quand l’homme discret qu’était son père mourut elle eut la surprise de découvrir qu’elle était la seule héritière. C’était comme un pied de nez à sa femme qui l’avait écrasé toute sa vie durant. Souvent la fille et le père se regardaient conscients de vivre le même calvaire...
Papa était si faible... Elle ne versa aucune larme mais elle y pensait souvent. Elle aurait préféré un père bien présente mais il avait démissionné de sa vie de couple et laissé sa femme tout gérer... sauf son testament.
Son mariage....encore une farce ....elle était tombée de Charybde en Scylla. Elle avait quitté l’emprise d’une mère pour tomber sous celle d’un mari... liberté je murmure ton nom...
Heureusement il y avait eu Rindy l’enfant de l’espoir d’un amour partagé... et Margot la petite qui l’aida à supporter la lâcheté qu’elle eut de ne pas divorcer... Margot qui lui permit de garder Rindy ...
Le divorce parce qu’elle n’aimait plus Harge ... Margot et Rindy pour supporter une vie sans joie et sans partage ....sans partenaire , sans complice et ....sans sexe....à part quand Harge était saoul. C’était tout ce qu’elle avait connu des étreintes brèves et sans partage, sans fusion.
Elle y pensait, parfois, et se disait que ça ne pouvait se réduire à cette chose si... misérable, que ça ne pouvait pas toujours être une corvée , un passage obligé que tout le monde embellissait ....tout ça pour ça
Au moins ces baises brèves , dans les back rooms , lui apportaient une certaine satisfaction ... le sentiment d’être une femme tout simplement. Même s’il lui arrivait de s’ennuyer... était-elle faite pour le sexe?
Ses deux filles la sauvèrent de ce mariage raté et, quand Harge mourut d’avoir roulé trop vite et bourré , elle fut enfin riche, mais elle l’était déjà, mais libre enfin. Après leur année de voyage, ses filles l’encouragèrent à visiter ce qu’elle ne connaissait pas encore du monde.
Elle partit donc pour combler sa soif de culture et de connaissances. Elle avait pu enfin se consacrer à sa passion l'ameublement… de ses voyages elle avait ramené des pièces rares et des curiosités. ..
Et des liaisons amoureuses brèves , décevantes et courtes avec de jeunes hommes avec de si brèves satisfactions. Elle n'avait aucune envie d'une liaison sérieuse et l'occasion , en fait, ne se s'était pas présentée .
L'homme qui la ferait quitter sa vie libre et indépendante n'était pas né….ou alors à moins d'être parfait.
Cet être devait exister quelque part ; Carol en était convaincue. Et cet homme saurait l’aimer et faire d’elle une femme accomplie.
Elle aurait ainsi la famille idéale... fils Graal. La famille qui lui permettrait de se réaliser et de définitivement couper les ponts avec son passé douloureux, entourée de l’amour de trois personnes. Elle ne sortait décidément pas de la vision idyllique que les contes de fées de son enfance lui avaient forgée.
Même si , jusqu’à présent, la vie ne l’avait pas épargnée et , en dépit de ses escapades nocturnes, elle n’était pas en conflit frontal avec la société et en suivait les codes tacites et explicites.
Alors elle aimait courir de boîte en boîte pour voir de nouvelles têtes bien qu’elle dut reconnaître qu’à force de courir de soirée en soirée , de club en club , de dancing en dancing elle voyait toujours les mêmes têtes... où plutôt tout le monde finissait par se ressembler....comme elle-même devait ressembler à toutes les femmes cougars qui hantaient ces lieux à la recherche d’un coup d’un soir ou plus si affinités.
La lucidité, cependant , ne l’empêchait pas de croire que l’amour finirait bien par surgir à travers tant d’ordures ; après tout les plus belles roses poussent bien sur du fumier.
Elle eut ce moment qu’elle redoutait tant , ce passage à vide , ces miasmes qui la menaçaient . Elle n’arrivait jamais à savoir qui elle était vraiment dans ce chaos qui la maintenait parfois éloignée de ses enfants. En fait elle
Elle stoppa sur le bas côté parce qu’une fois encore elle se sentait mal. Mais réfléchir n’était pas une bonne chose.
Elle repoussa ses terribles incohérences et vérifia son maquillage dans le miroir de courtoisie de sa voiture, sa carapace... elle mit juste un peu plus de noir sur ses yeux, déboutonna encore plus le décolleté de sa robe, se mira ,une fois encore, dans le miroir.
La Porsche se cabra tellement elle avait mis les gaz
On lui avait parlé d’un nouveau méga dancing à la côte belge ... quelque soit la distance elle dormait toujours sur place. Ce serait un week end de plaisir et de sexe... sans aucune implication sentimentale... plus personne ne la contrôlerait...
.plus personne ne l’obligerait parce que c’est elle qui choisit et c’est elle qui laisse.
Au fond d’elle -même elle reconnaissait sa cruauté et la vacuité de sa vie sentimentale ; elle n’avait aucune illusion sur la tristesse de sa vie... elle se répétait souvent une phrase du roman de Françoise Sagan:
« Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. »
Elle était plus raisonnable que la romancière en ce qui concernait sa consommation d’alcool... mais c’était tout... pas en ce qui concerne la vitesse... elle aimait sa voiture et faisait corps avec le puissant moteur. Elle était la rein de la nuit et s’apprêtait de nouveau à ceindre sa couronne. Elle se projeta sur la piste de dance..
. pourvu qu’il y ait de la chair fraîche... un arrivage de beaux... tout ce qu’il me faut..
Il arrivait un moment où son intellect se déconnectait complétement, une véritable et totale dissociation ; la femme cultivée disparaissait et c’était la Messaline qui apparaissait... un cliché en effet mais qu’importe. Elle se moquait complètement du jugement des autres... Elle ne pouvait que corrompre sans se rendre compte qu’elle était la vicitme consentant d’un pari stupide.
Cette Carol là était sans pitié ; si elle avait croisé Anne à ce moment précis... elle l’aurait écrasée ou étranglée de ses propres mains. Cette violence lui tenait lieu de colonne vertébrale.
Elle sut qu’elle était arrivée quand elle aperçut un gigantesque hangar et des dizaines de voitures garées autour.
Elle ôta ses mocassins de conduite et enfila ses talons vertigineux ; elle avait faim de domination...
On entendait de loin les vibrations basses de la musique disco qui était celle que tout le monde voulait. La douceur de la nuit attirait les clients dehors et elle eut le plaisir de fendre de son allure altière plus d’un groupes de jeunes hommes qui ne la quittaient plus des yeux...
elle évita le regard des femmes qui la tuaient mentalement à chacun de ses pas , de la même façon qu’elle effaça de sa tête tout espèce de moralité... musique et sexe et un peu ou pas d’alcool... elle n’en avait pas besoin ; de toute façon elle n’en avait pas besoin... la nuit elle était tout à fait désinhibée et vorace... une vampire qui ne se nourrissait pas de sang...
Thérèse , adossée à un mur , se redressa car elle avait vu « Elle » dans le parking . Elle se la détailla « ah la robe rouge .. tu mets toujours la même, je t’aimais aussi dans ta jupe noire. Mais le cuir se relève plus difficilement que les boutons de la robe rouge... ça va être direct , je le sens »
Elle connaissait bien sa garde robe ; il y avait même eu la robe portefeuille de Furstenberg de couleur noire. « Elle » devait avoir une garde robe bien fournie vu son fric. Ce fut un bref instant de découragement alors résumons bien la différence d’âge, de fortune , d’orientation... tu vas droit dans le mur.
Elle s’empêcha d’aller au devant d’elle car elle ne voulait pas qu’elle fasse le lien avec le matin et maintenant... ce serait plus tard pour autant qu’il y en ait un.
Mais Thérèse retrouva soudain les sensations de peur qui avaient dominé et courbé sa vie dans son jeune âge ; elle était tombée dans la classe d'une religieuse, Mère Germaine, qui l'avait choisie comme souffre douleur. Elle ne disait rien mais à une mère attentive comme l'était la sienne rien n'échappait. Jacqueline suivait les devoirs de Thérèse et elle avait vite alertée par le changement d'écriture de Thérèse. Elle avait très gentiment questionné sa fille ; le temps passa.
Thérèse revenait de l'école de plus en plus fermée et taiseuse ; il fallut toute la tendresse et la gentillesse de sa maman
Pour qu'elle explique ce qui se passait à l'école.
Et un jour alors que Thérèse jouait dans la cour de récréation , sa maman vint la chercher. Elle n'avait jamais oublié combien elle était heureuse de ramasser ses affaires et de quitter cette école qui était devenue un enfer.
La seule séquelle apparente fut la perte de sa belle écriture ; désormais , quand Thérèse écrivait, elle n'arrivait même plus à relire. Elle devait s'appliquer attentivement comme s'appliquent les enfants qui apprennent à écrire.
Et ce même 20 ans plus tard.
Elle se dissimula, sans honte aucune, derrière une grosse camionnette. Et elle put , ainsi observer les cheveux blonds ,le maquillage plus appuyé que d'habitude , le trench crème qui s'ouvrait sur du rouge, et ses lèvres légèrement entrouvertes et humides…mais elle ne voyait toujours pas la couleur des yeux…verts ? bleus? Rouges? Pour une vampire ça s'imposait….
Elle revint à son projet.
Un je ne sais quoi lui suggéra que sa démarcher allait échouer , que rien n'était acquis , que cette femme resterait à jamais l'impossible étoile à atteindre ; une étoile si noire qu'elle éteignait tout autour d'elle sauf le mince espoir qui habitait les yeux de Thérèse , encore et toujours.
Il y avait beaucoup de voitures et quelques motos ; une pensée légère effleura Carol
. Ce jeune homme galant serait-il là? Quoique il semblait un peu fluet , plus petit qu'elle…
Comment le reconnaître ? Mais non c'est lui qui me reconnaîtra, tout simplement… de toutes façons il lui paraissait trop frêle…..elle aspira largement et ouvrit les narines prête à affronter et à gagner comme toujours. C'était buffet gratuit à volonté.
À l'entrée il y avait quelques filles banales à pleurer et l'une d'entre elles lâcha à son passage :
"ce n'est pas de ton âge la vieille."
Carol se retourna , le regard sans indulgence, prête à briser la petite idiote qui avait osé:
"banale comme tu es , tu tomberas vite enceinte ,tu perdras vite ta jeunesse…ton seul atout…tu n'es pas de taille ma chèrie.." le tout assorti d'un rire carnassier.
Ce qui eut le don de faire rire tout le monde et la fille ,rouge et confuse, se tut.
Carol s'arrêta un moment à l'entrée pour apprécier le bétail qui s'y trouvait ; ses yeux scannaient tout ce qui portait pantalon…elle repéra des soldats américains qui venaient de la base de l'Otan en Belgique… entendre un peu l'accent du pays n'était pour lui déplaire…
Son regard s'affuta pour mieux parcourir cette foule jeune et alcoolisée qui voulait juste vivre le temps d'une soirée sans se préoccuper du lendemain ; elle sentait en elle monter son instinct de prédatrice et le triangle de son visage n'en fut que plus acéré. En fait elle faisait son marché et les hommes , d'instinct ,s'étaient tous redressés en même temps à son arrivée.
Elle savait qu'elle allait capter les regards de tout le monde ; le regard de convoitise des hommes et le regard de jalousie des femmes…cela l'amusait de constater que l'alcool et la musique effaçaient tous les interdits. Elle aimait ce sentiment d'impunité et de …luxure. Le désir elle ne l'appréciait qu'en terme de supériorité sur son partenaire , c'était une jouissance purement intellectuelle..
Carol avait remarqué que certaines femmes posaient sur elle un autre regard…mais elles perdaient leur temps mais ça l'amusait…que faire avec une femme?...rien ..rien du tout….rien d'intéressant en tout cas.
Elle ne s'interrogeait pas sur le fait que leur présence l'intriguait et influençait ses agissements ; elle se sentait …différente quand ces femmes l'observaient…elle se sentait encore plus…puissante… à son apogée…et pour ces filles elle en faisait encore plus…c'était une garce…. Dans ces moments là elle s'aimait beaucoup
"je suis une garce, mais une si belle garce…on me pardonne tout" se dit-elle en tout indulgence….
Elle adorait aller sur la piste de danse et suivre le rythme de la musique ;
dans sa jeunesse elle pratiquait la danse classique et la discipline qu'elle imposait à son corps avaient porté ses fruits. Elle savait faire monter l'ambiance et la tension.
À 39 ans elle damait sans problème le pion à plus jeune qu’elle en terme de lignes, d’élégance et de souplesse... mais la plupart des plus jeunes filles présentes dans ces dancings n’avaient que la jeunesse comme beauté ; bien sûr elle attirait les hommes comme le miel attire les abeilles.
Je dirais plutôt comme la glu attire les mouches.
Elle avait d’ailleurs un surnom... La Mante... Elle savait que certains ne venaient que pour elle...
"je devrais me faire payer par le patron » pensa-t-elle en faisant une retouche sur sa bouche avec un rouge plus foncé dans les toilettes qui sentaient, déjà, l’urine... son terrain de chasse avait toujours quelque de pourri.
Cette soirée ne se démarquerait donc pas des autres ... une débauche routinière ... une culpabilité jamais maîtrisée , jamais expliquée... comme un suicide virtuel pour fuir l’éternelle culpabilité .
Au fond d’elle-même elle sentait que cette recherche touchait à sa fin et qu’elle devait revenir à ses filles et surtout prendre soin de sa Margot si sensible et si... inquiétant.
Elle balaya toutes ses pensées... elle ne savait que mordre ... la tigresse se mit à chercher sa proie ; elle ne savait pas qu’elle en était une.