
Chapter 2
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S'éloignant doucement Thérèse se jugea …idiote. Idiote d'avoir cru que cette femme se limitait à ses exhibitions nocturnes. Au contraire elle lui donnait le sentiment d'être si accomplie.
Il y avait des enfants dans cette maison
C'était une mère de famille, une femme accomplie aux yeux de Thérèse .Mais que cherchait-elle alors dans sa drague nocturne aux reflets salaces? Elle devait avoir quelque à cacher , à compenser, à prouver?
Au lieu d'être parfaitement transparente , comme l'avait pensé Thérèse, c'était tout le contraire…
Quelle blessure pouvait la pousser à se rabaisser , à se blesser aussi??
Il fallait faire quelque chose parce que Thérèse savait qu'elle ne saurait plus s'en passer et c'était aussi vrai et aussi cruel que le soleil qui frappait son casque et son blouson de cuir blanc. Surtout ne plus la juger..
Elle prit le chemin du retour…elle avait besoin de l'immensité du paysage marin pour réfléchir et s'apaiser.
Carol savait ou ne savait pas que le motard la suivait du regard mais elle choisit de remettre à un peu plus tard sa visite chez le pépiniériste ; elle pénétra dans la grosse maison bourgeoise dont elle connaissait les tours et les détours.
Un très vaste jardin l'entourait et , de la rue, on reconnaissait les rires de
deux personnes ; l'une d'une vingtaine d'années grande aux cheveux ras mais les traits pas encore affirmés joue avec une petite fille d'une dizaine d'années. Elles sont toutes les deux blondes ; le jeu et les paroles échangées traduisait la tendresse évidente de la grande sœur pour la petite. Carol s'en approcha et la plus petite se jeta dans ses bras.
"maman j'ai battu Rindy"
Carol se redressa vers l'aînée :"mais on le sait , tu ne peux que gagner"
Tout ce petit monde se dirigea vers la cuisine toute carrelée de blanc sur les murs, à l'exception du mur sur lequel s'adossait la grosse cuisinière au charbon qui était aussi ancienne que la maison.
"Jeannette tu voudras prévoir de faire des confitures demain"
Une femme ronde affairée dans un coin de la cuisine se retourna :
"c'est bon Carol j'ai déjà tout prévu…je ferais macérer les mûres avant de partir et demain cuisson
Carol allait répondre quand le téléphone retentit. Elle monta à son bureau et jeta un coup d'œil à la fenêtre ; la moto n'était plus là…
Carol avait été choquée quand Rindy était arrivée le crâne rasé , lors de leur dernière rencontre quand Rindy revenait de NY. Mais elle fut bouleversée quand elle apprit que la meilleure amie de Rindy, Britt, avait un cancer et qu'elle avait perdu tous ses cheveux . Devant la détresse de son amie Rindy avait décidé de se faire raser la tête en solidarité. Il y avait des bagarres entre la mère et la fille . Carol finit par capituler devant les motifs et la volonté de sa fille. Mais les cheveux repoussent et Britt avait guéri.
Margot était le portrait craché de son père mais les yeux de sa mère , la force et la confiance en plus.
Le jeu continua….Le ballon de volley était devenu un ballon de foot pour terminer en ballon de rugby , le tout sur fond d'une conversation animée leur parvint. C'est une toile de fond agréable et sans intérêt…peu de temps après une sonnerie retentit et , contrairement au premier appel, il n'y eut aucune conversation…peut -être juste un chuchotement plaintif.
Rindy retint le ballon et se tourna vers sa sœur :
" Margot….devine qui appelle à cette heure-ci?"
La petite s'arrêta net et cria en tapant du pied:
"grand-mère l'ogresse….maman ne va pas être bien tu le sais. Va vite la consoler…je ne veux pas y aller tout de suite…j'aime pas la voir pleurer"
Il fallait éviter à sa maman les atroces angoisses qui l'anéantissaient à chaque contact avec sa mère , Anne
Rindy opina de la tête et rentra dans la maison. Un grand escalier s'offrait à ses yeux et la décoration de l'entrée portait déjà la patte de Carol ; plutôt que de la tapisserie elle avait choisi les couleurs anglaises aux tons sourds et éteints. Les lourds meubles anciens avaient remplacé par des meubles qu'elle avait chiné dans toutes les brocantes nombreuses dans la région. Des canapés profonds et une grande table parcouraient le grand salon orné d'une grande cheminéede pierre et des murs de briques couleur ocre rouge, jaune, brun et noir cassaient par moment une sophistication rampante. Elle pouvait entendre Jeannette qui s'activait dans la cuisine dans un concert de bruits de casseroles et de vieilles comptines .
La fraîcheur de la maison contrastait avec la grosse chaleur du dehors ; mais la température était le cadet des soucis de Rindy. Mue par une colère froide elle monta à l'étage et fut saisie, encore une fois et bien qu'elle l'ait déjà vu, par l'état physique de sa maman. Elle pénétra dans le bureau où Carol était assise ou ,plutôt, recroquevillée sur sa chaise, le téléphone à l'oreille:
"oui mère…bien entendu mère…quoi? J'en ai entendu assez "
Rindy s'approcha d'elle et lui ôta tendrement le récepteur des mains , la voix déformée par la colère qui sourdait en elle:
"bonjour grand-mère …c'est Rindy…non…non… maman n'est plus là…il faut la laisser tranquille…il n'en est pas question. Je te signale que tu n'as pas le droit d'appeler…je vais appeler notre avocat".
La femme pleine d'assurance qui arpentait les rues du village avait disparu…Rindy connaissait sa maman. Elle avait constaté les ravages causés par l'attitude de Anne , qu'elle n'avait jamais appelée grand-mère, chez sa maman.
Elle haïssait cette femme pour la douleur et l'asservissement qu'elle imposait à Carol.
Elle sut que Carol se battait pour reprendre le contrôle de sa vie et se libérer de l'influence toxique de sa mère.
Elle ne pouvait qu'encourager sa maman et elle posa sa main libre sur son épaule.
Finalement Carol reprit le combiné et saisit en même temps la main de Rindy qu'elle serra aussi fort que possible.
"Anne je vais appeler mon avocat…Rindy a raison" et elle raccrocha, ignorant les imprécations de sa mère.
Rindy n'en revenait pas ; Carol avait enfin réagit…mais il y eut le contrecoup… elle était blanche et pâle comme une morte…mais un grand sourire orna son visage.
Les coups de fils échangés avec sa mère l'épuisaient ; elle s'assit vacillante comme toujours et laissa errer son regard sur l'immense jardin qui s'ouvrait à ses yeux et qui suffoquait sous l'intense chaleur de juillet.
Rindy s'inquiétait toujours de l'après des contacts de Carol avec sa mère; elle nota les épaules affaissées et le regard affolé et incertain. Elle craignait évidement la bascule de sa maman vers la dépression..
Carol était à chaque fois démolie et broyée et , à chaque fois, elle se détruisait dans ces dancings que Rindy détestait:
" ta grand-mère une fois encore….impossible…impossible et cruelle , si cruelle"
Rindy s'approcha et entoura de ses bras sa maman qu'elle aimait tant:
"maman tu sais que pour moi tu es tout ce dont j'ai besoin…tu entends sa voix tu raccroches direct"
Mais tu as super bien réagi…tu avais raison de me reprendre le cornet…elle sait que tu es bien vivante"
Des pas d'enfant résonnaient dans la cage d'escalier ; la petite fille blonde en jean et polo jaune arriva en courant pour embrasser Carol:
"maman sois pas triste , je suis là…elle n'est plus là la méchante? Je ne l'aime pas …elle te fait tellement mal.."
Carol était à chaque fois surprise de se rendre compte combien Margot était si sensible et si lucide ; était-ce normal à son âge? N'était-ce pas déjà le signe que le comportement sa mère abîmait l'esprit de Margot?
"vous êtes mes deux trésors, ma raison de vivre…Elle n'est plus là" et elle ceint de ses bras ses deux filles.
Margot enfouit son nez dans le cou de sa maman :"je vais te chatouiller et on ne verra plus tes larmes"
Les caresses de Margot agissaient sur Carol comme un pansement; la chance d'avoir deux filles si attentives lui mordit le cœur…je ne les mérite pas…
Rindy posa les yeux sur sa maman ; elle était ailleurs …la jeune fille maudit l'emprise qu'Anne avait sur sa fille
"maman ta mère ne t'aime pas…ne t'épuise pas à te faire aimer d'elle…ce qui s'est passé c'est le début de la fin de l'emprise qu'elle a toujours eu sur toi."
Carol soupira ; ce combat l'avait épuisée.
Rindy lui saisit les mains et se mit à genoux devant elle, Margot fit pareil:
"maman tu perds ton temps" lâcha Rindy qui avait déjà compris que Carol sortirait ce soir pour oublier.
Le cœur submergé de tristesse Margot posa la tête sur les genoux de sa maman :
"ne fais pas de bêtise maman….on est là pour toi"
La maturité de Margot frappa Carol en plein cœur ; mais elle ne savait pas s'empêcher de sortir surtout après avoir eu un contact avec sa mère. Certains choisissaient l'alcool , la came ; elle c'étaient les mecs d'un soir. Elle avait honte mais c'était le moyen qu'elle avait trouvé pour conjurer ses peines et sa douleur surtout après les contacts avec sa mère.
Rindy s'était tue. Du plus loin qu'elle se souvienne les rapports entre Carol et Anne relevaient du harcèlement et de la destruction pure. Carol avait subi les infidélités de Harge et la violence verbale, sournoise de sa mère Anne
Rindy était celle qui ramassait les morceaux et relevait Carol ; Margot fut l'enfant qui lui donna la force de se confronter à sa mère et de supporter les infidélités de Harge.
Carol redressa les épaules :
"mes enfants, mes chers enfants"
"maman il faut appeler Fred ; ta mère s'est affranchie d'une des conditions qui lui avait été imposée sous peine d'emprisonnement"
Ce disant Rindy regarda Carol droit dans les yeux ;
"tu vas le faire…on doit la foutre en prison
-il ne faut pas…" de nouveau, sous les yeux, Carol semblait prostrée.
Rindy s'énerva mais resta gentille car elle connaissait la fragilité et le manque d'assurance de sa maman:
"maman tu as les moyens juridiques et financiers de la réduire au silence; n'aies plus peur d'elle…c'est une malade qui sait très bien ce qu'elle fait…tu as déjà fait un pas ; fais en un deuxième. Tu ne peux pas invoquer une menace sans la mettre à exécution ; elle aura encore plus d'influence sur toi.
-oui mais" Carol porta la main à sa poitrine mais Rindy s'approcha et la prit dans ses bras tandis que la fillette saisissait la main de sa maman pour lui donner des baisers :
"maman libère toi d'elle…elle m'a menacé pendant toute mon enfance et je ne veux pas qu'elle touche à Margot"
Bien qu'encore sous le choc avec la voix de sa mère dans les oreilles ,Carol se leva et prit Margot dans ses bras:
"tu as raison j'appelle Fred…à NY tout le monde est levé maintenant….veux tu emmener Margot avec toi. Je veux être seule" et elle claqua un énorme bisou sur les joues de sa fille et s'y attarda pour puiser chez sa fille la force d'avancer.
Revivre l'épouvantable atmosphère de sa jeunesse …le simple son de la voix de Anne suffisait pour la diminuer , pour la rapetisser , pour en faire une loque… elle pensait qu'un homme fort en muscle le serait aussi en caractère ; elle avait un besoin gargantuesque de sécurité et de réconfort. Elle ne mesurait le bonheur qu'en terme de sécurité , un bonheur qui la protégerait de sa mère.
Elle se souvenait quand elle jouait à la poupée ;elle lui parlait , lui disait des choses et puis Anne arrivait "ce que tu es sotte Carol…si nulle.."
Le plus violent se passa à la mort de Francis son frère….il était en fait mort né… à partir de ce moment Anne laissa libre cours à sa haine :"pourquoi est-il mort mon fils adoré…toi tu ne mérites pas de vivre….tu aurais du mourir à sa place…"
À sa place…d'ailleurs je n'ai plus d'enfant" elle parlait pendant des heures de ce que Francis aurait pu faire , ce qu'il serait devenu… des monologues qui brisaient Carol et qui la minaient tranquillement …
À l'âge adulte c'était autre chose " Carol tu ne sais même pas faire des garçons…tu es pitoyable"
"ok maman …fais le pour toi et pour Margot….moi je sais me défendre" dit Rindy si persuasive.
Avant de téléphoner Carol regarda ses filles avec amour ; elle avait tout ce qu'il fallait pour être heureuse mais il manquait un homme fort et gentil pour être vraiment accomplie…beau aussi. Elle avait toujours été très difficile mais c'était un obstacle supplémentaire car les hommes qui lui plaisaient étaient soit vaniteux , soit idiot.
C'était donc une perle rare dont la recherche pouvait justifier ces sorties si…débridées , sans fard et sans retenue.
À moins que ce ne soit une explication rationnelle à un comportement qui ne l’était pas... son côté obscur , son côté noir et sombre. Un homme au même comportement que le sien serait envié... mais une femme.??
De toutes façons , quoiqu’elle fasse, elle serait condamnée. C’était une situation qu’elle avait vite intégrée dans son mode de vie et dans son rapport avec la société et sa moralité à angles variables selon que l’on soit homme ou femme.
L’incohérence de sa conduite ne lui échappa pas; mais, à part ses relations avec ses filles, elle n’avait pas d’amis hommes ou femmes... elle ne savait pas ce qu’était l’amitié. Les femmes ne l’appréciaient pas ;quant aux hommes... à part la baiser que voyaient-ils en elle? Ce qu’elle leur laissait voir.
Carol déposa sa fille par terre , écarta sa mèche et composa le numéro de Fred à NY.
Rindy se retourna :
« Maman tu pars ce soir? »
Carol détestait que Rindy connaisse le côté vulgaire de sa vie mais la lucidité était un point commun à ses deux filles
« oui »
Elle ne put éviter le regard désolé de Rindy qui préféra s’occuper ostensiblement de Margot... Elles dévalèrent l’escalier. Quand le jardin se remplit des cris de Margot elle eut Fred au téléphone...
Durant tout l’entretien Carol eut le cœur battant; la nécessité de sa démarche était évidente mais c’était si nouveau venant de sa part . Elle se sentait liquéfiée et elle se maudit d’être aussi faible... mais la remarque de Margot lui revint à l’esprit .
elle sait ,à son âge, mes faiblesses...
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