
Sa place dans l’univers
Le soleil brillait de mille feux au-travers du plafond magique et Sirius eut besoin de quelques instants pour s’habituer à la forte luminosité.
Il cligna plusieurs fois des paupières et reconnut bientôt la Grande Salle de Poudlard. Les quatre longues tables en bois, une pour chacune des quatre maisons, étaient parfaitement alignées face à une cinquième, celle des professeurs, mais la pièce était parfaitement déserte.
-Hé oh ! appela Sirius en tournant sur lui-même. Y’a quelqu’un ?
Sa voix résonnait comme un écho contre les murs de pierre mais personne ne lui répondit.
De plus en plus inquiet et intrigué, Sirius se dirigea vers le hall d’entrée. C’est alors qu’une voix qu’il n’avait encore jamais entendue auparavant s’éleva derrière lui :
-Tu es maître de ton destin*, lui dit-elle.
Sirius se retourna vivement.
Debout sur l’estrade, à l’endroit précis où le professeur McGonagall installait toujours le tabouret à trois pieds pour la cérémonie de la Répartition, se trouvait une femme d’une cinquantaine d’années à l’allure élégante dans sa robe de sorcière, ses cheveux bruns mi-longs torsadés pour dégager son visage aimable et souriant.
-Qui êtes-vous ? demanda Sirius, les yeux plissés avec suspicion.
Il aurait voulu pouvoir sortir sa baguette, au cas où, mais il l’avait laissée là-bas. Mais son séjour chez les Moldus américains avait-il seulement été réel ?
-Mon nom n’a pas grande importance, mais si tu tiens à le connaître, alors tu peux m’appeler Oma, répondit la femme. Oma Dessala.
-Comment je suis arrivé là ? interrogea encore Sirius. Et où sont-ils tous passés ?
-La lumière est devant toi mais la vérité des choses échappe à tes yeux*, répondit Oma.
Elle parlait d’une voix calme, l’air serein. Alors, Sirius comprit : ce n’était pas le vrai Poudlard, ce n’était qu’un songe.
-Je suis mort, c’est ça ?
-Pas encore, dit-elle. Pas tout à fait.
Cette réponse rappela à Sirius sa toute première hypothèse, lorsqu’il s’était réveillé enchaîné à ce lit dans cette base souterraine moldue : il n’était ni mort, ni vivant ; il se trouvait dans les limbes.
Il y eut un moment de silence, puis Sirius ne put se retenir plus longtemps de poser la question qui lui brûlait les lèvres.
-Vous êtes l’ange de la Mort ? Ce n’est vraiment pas comme ça que je vous imaginais… Vous avez l’air beaucoup plus sympathique.
-Tu peux choisir la mort, déclara la femme, mais je suis venue t’offrir une autre chance. Si tu l’acceptes.
-J’ai un autre choix que celui de mourir ? s’étonna Sirius. Dans ce cas, il n’y a pas à hésiter !
-On n’atteint pas la Lumière en voulant fuir sa mort. Bien des routes mènent à la Lumière, seul celui qui le veut trouve la Voie.*
Sirius n’était pas sûr de comprendre et, dans un réflexe inconscient, son regard passa d’Oma au fauteuil en forme de trône qui se trouvait quelques mètres derrière elle. D’une certaine manière, cette mystérieuse femme lui rappelait Dumbledore.
-Pose ton fardeau, Sirius, reprit-elle de la même voix posée. Un homme de ta taille ne tient pas dans un terrier.*
À ces mots, les yeux de Sirius se posèrent à nouveau sur elle et il éclata de rire. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait plus ri comme ça, d’aussi bon cœur. Il en avait les larmes aux yeux !
-Je tiens dans un terrier, vous pouvez me croire, assura-t-il en tâchant de retrouver son sérieux. Je peux vous montrer, si vous voulez ?
Bizarrement, la femme semblait elle aussi amusée car elle ne souriait plus d’un air poli ; non, ses lèvres fines formaient à présent un petit sourire en coin.
-Le temps est venu pour l’homme au nom d’étoile de trouver sa place dans l’univers, poursuivit-elle. Quelle est ta place, Sirius ?
Les dernières traces de joie sur le beau visage de Sirius disparurent soudain.
-Je… balbutia-t-il. Je ne sais pas. Je crois… Oui, je crois que je n’ai jamais vraiment eu ma place nulle part…
Puis, levant les yeux vers le plafond magique, il ajouta :
-Sauf ici.
-Parce que c’est aveuglant de clarté c’est difficile à voir… Si l’enfant savait que la chandelle est flamme, jamais plus il ne souffrirait du froid.*
-Est-ce que ça veut dire que je peux rester ici ? interrogea-t-il, perplexe. Ce ne serait pas pour me déplaire…
-Comme tout être, tu es obligé de faire un choix, le désavoua-t-elle. Tu ne peux poursuivre ta vie comme elle l’était avant, et tu ne peux pas rester ici pour toujours.
Elle marqua une pause et ferma brièvement les yeux avant de les rouvrir.
-Enfin si, je suppose que tu pourrais rester ici pour toujours, mais quel en serait l’intérêt ?
-Ça dépend, vous me tiendrez compagnie ? proposa Sirius de son ton le plus charmeur.
Cette fois encore, la dénommée Oma sembla vaguement amusée.
-Si je ne peux pas rentrer chez moi, ni rester ici, reprit Sirius avec sérieux, où puis-je aller ?
-Il te reste deux options, indiqua Oma comme s’il s’agissait d’une évidence. Tu peux choisir de cesser d’exister, ou continuer ta route sur la Voie Lumineuse.
La mort ou le paradis, en somme.
-La Voie Lumineuse… hésita Sirius. Est-ce que ça a rapport avec « l’Ascension » ?
-Peu importe le nom que tu donnes à la nature, elle n’en restera pas moins l’essence même des choses.
-D’accord, acquiesça Sirius d’un ton absent.
Il essayait de se souvenir de ce que lui avait raconté Daniel sur l’Ascension, mais il n’avait rien compris sur le moment et tout lui paraissait si confus !
-Si je choisis la Voie Lumineuse, reprit-il au bout d’un moment d’un ton prudent, je serai sur un autre plan d’existence ? Comme un fantôme ?
-Tu seras beaucoup plus que ça, assura Oma. Tu auras le pouvoir de faire pratiquement tout ce que tu veux, mais suivre la Voie Lumineuse implique certaines responsabilités. Tu dois avancer serein et être sûr du choix que tu fais.*
À ces mots, Sirius se souvint soudain d’un point sur lequel Daniel avait beaucoup insisté :
-Il y a des règles à respecter, n’est-ce pas ?
-Comme partout, j'en ai peur, confirma Oma.
-Est-ce que je pourrais aider mon filleul dans la lutte contre Voldemort ? demanda-t-il encore, bien qu’il redoutât de connaître la réponse.
-La première règle à connaître et respecter lorsqu’on s’engage sur le chemin de l’Illumination, est qu’il est interdit d’exercer une quelconque influence sur les plans d’existence inférieurs.
-Sinon quoi ? rétorqua Sirius d’un ton provocateur.
-Tu te verras renvoyé sur Terre, nu et sans souvenir, expliqua Oma, toujours aussi calme et souriante.
Daniel n’avait donc pas exagéré, en fin de compte.
-Donc si je résume, soit je choisis l’Illumination et dois me tenir aux règles, soit je meure.
-C’est à peu près ça, admit Oma.
-Vous vous rendez compte que c’est un peu la même chose pour moi ? fit remarquer Sirius d’un ton acerbe. Je n’ai jamais su respecter les règles ! Je n’ai jamais voulu le faire non plus, d’ailleurs…
-Le choix t’appartient, rappela Oma. Comme je te le disais, tu es maître de ton destin.
Sirius ne répondit pas immédiatement. Ce choix qu’on lui imposait de faire le prenait tellement au dépourvu qu’il ne savait pas quoi décider.
D’aussi loin qu’il se souvenait, Sirius s’était toujours évertué à faire exactement le contraire de ce qu’on attendait de lui. Faire l’Ascension, c’était donc renier qui il était.
Mais d’un autre côté, qu’avait-il à perdre à essayer ? Dans le pire des cas, les « autres » dont avait parlé Daniel le banniraient et il reviendrait sous forme humaine. Sa mémoire serait peut-être effacée, mais vu ce qu’il avait compris de sa conversation avec Daniel, l’amnésie ne serait que temporaire.
Il avait besoin de temps ; mais du temps, il n’en avait plus. Le maléfice de Bellatrix était sur le point de figer son cœur à l’intérieur de sa poitrine, et le traitement que les Moldus étaient en train d’essayer sur lui ne produisait strictement aucun effet, il pouvait le sentir.
-Je suis prêt à vous suivre, souffla-t-il finalement, et à essayer de respecter les règles…
Le sourire d’Oma s’étira alors et elle lui tendit la main. Ignorant complètement à quoi s’attendre, Sirius la saisit.
À peine avait-il eu touché sa peau délicate qu’Oma se métamorphosa soudain dans un être de lumière à la fois magnifique et terrifiant. Il fallut à Sirius une seconde de plus pour réaliser que lui aussi n’était plus que pure énergie.
Ensemble, ils s’élevèrent lentement vers le plafond magique puis le traversèrent. Sirius vit le château et le parc de Poudlard rapetisser à vue d’œil tandis qu’ils prenaient de l’altitude.
Ils nagèrent parmi les nuages, brillèrent à la chaleur du soleil. Bientôt, la Terre ne fut plus qu’un joyau minuscule posé dans un écrin de velours noir.
Sirius se retourna, Oma avait lâché sa main. Car l’homme au nom d’étoile venait effectivement de trouver sa place dans l’univers. Enfin !