Thèses et antithèses
Daniel regagna son bureau du niveau dix-huit avec un sentiment de frustration mêlé d’espoir et se laissa lourdement tomber sur sa chaise à roulettes, devant sa table de travail surchargée de livres et d’artefacts antiques.
Il en était désormais sûr : Sirius était dans le même cas que lui. Il avait accompli l’Ascension et les autres l’avaient refoulé parce qu’il ne respectait pas les règles – ou parce qu’il avait l’intention de les enfreindre pour aider les humains de la galaxie.
Daniel avait retrouvé presque tous ses souvenirs datant d’avant son Ascension, mais ce qui s’était passé entre lui et les autres êtres supérieurs restait encore un mystère insaisissable pour lui.
À l’époque, environ dix-huit mois plus tôt, il avait fait le choix de suivre Oma Dessala sur la voie de l’Illumination pour échapper à sa mort imminente, suite à son empoisonnement par radiation.
Le processus d’Ascension, qui consistait à se détacher de son enveloppe charnelle pour devenir pure énergie, était censé s’accomplir seul, sans aide extérieure. Il fallait pour cela apprendre à se libérer de l’emprise des choses matérielles, de se concentrer uniquement sur l’aspect spirituel des choses. Mais Daniel n’avait pas trouvé le chemin seul. Oh, peut-être l’aurait-il pu, s’il en avait eu le temps. Son agonie avait été trop rapide pour qu’il puisse s’y préparer.
Oma Dessala était alors intervenue.
Ce qui était ironique, c’était que malgré son apparence totalement différente, il l’avait presque aussitôt reconnue. Ils avaient déjà eu l’occasion de se croiser à Kheb, lorsqu’il recherchait le fils de sa défunte femme. Il avait compris ce jour-là qu’il n’y avait pas d’êtres plus puissants que ceux ayant effectué l’Ascension et avait décidé de laisser l’enfant en sécurité avec elle. Mais c’était une autre histoire, et repenser à Sha’re continuait à le faire atrocement souffrir, même après toutes ces années.
Oma était intervenue et l’avait aidé à trouver le chemin de l’Ascension. Daniel se rappelait parfaitement avoir douté d’en être digne. Mais sa curiosité l’avait finalement emporté. Il avait vu en cette invitation une opportunité unique d’assouvir sa soif intarissable de connaissances. Et pour quel résultat, je vous prie ? Il ne se souvenait plus de rien…
-Est-ce que ça va ? interrogea une voix féminine depuis le seuil du bureau.
-Sam ! s’écria-t-il en s’apercevant de la présence de sa coéquipière. Oui, ça va, répondit-il enfin. J’étais… simplement perdu dans mes pensées.
Il s’efforça de sourire mais le résultat ne devait pas être très convaincant car Sam serra les dents et étira ses lèvres dans une grimace qu’elle faisait toujours pour montrer qu’elle n’était pas dupe.
-Vous avez pu parler à… ? commença-t-elle en s’arrêtant à ses côtés.
-Sirius, acheva Daniel en se tournant vers elle. Oui, je lui ai parlé. Et je suis persuadé qu’il est là pour nous aider.
-Vraiment ? s’étonna le major.
Devant son scepticisme à peine voilé, Daniel s’empressa de lui répéter la conversation qu’ils avaient eue.
-Il a dit lui-même être un Ancien, insista-t-il d’une voix légèrement tremblante. Dans l’Ancien Empire, l’étoile Sirius était associée à Anubis, elle guidait les âmes dans leur destin stellaire… Peut-être que le Sirius qui se trouve dans notre infirmerie est l’antithèse d’Anubis, le Grand Maître Goa’uld et l’ennemi de l’humanité ? Et, ajouta-t-il avant que Sam n’ait eu le temps de le contredire, ça explique aussi le dysfonctionnement de l’iris. Vous n’avez toujours pas trouvé d’où il venait, n’est-ce pas ?
-Non, admit-elle à contrecœur. Mais il y a plein d’autres explications possibles.
-Lesquelles ? s’enquit Daniel en remontant ses lunettes vers le haut de son nez.
À ces mots, Sam afficha un sourire gêné.
-Je n’ai pas encore trouvé, mais ce n’est qu’une question de temps.
-Hm, fit Daniel, les lèvres pincées d’un air entendu.
Il y eut un bref instant de silence, puis l’égyptologue reprit la parole.
-Dans ce cas, imaginons cinq minutes que j’aie raison, d’accord ?
Sam releva le menton d’un air résigné. Elle savait, bien sûr, que nombre des théories de Daniel s’étaient avérées exactes, néanmoins son esprit cartésien la forçait bien souvent à vouloir freiner ses ardeurs.
-Si Sirius a voulu convaincre les autres de nous aider dans la lutte contre Anubis mais qu’ils ont décidé de continuer à jouer les autruches, comme ils ont la sale manie de le faire, reprit Daniel, alors il est parfaitement logique qu’ils aient effacé sa mémoire avant de le renvoyer sous forme humaine, exactement comme ils l’ont fait avec moi. Mais nous savons de par ma propre expérience que cette amnésie n’est que temporaire.
À ces mots, les lèvres de Sam s’étirèrent dans un sourire contrit.
-Daniel, soupira-t-elle, admettons que vous ayez effectivement raison… Cela ne signifie pas que nous pourrons aider Sirius à se souvenir de quoi que ce soit. Je veux dire… Si nous ne vous avions pas trouvé et que vous n’étiez pas rentré avec nous sur Terre, alors vous ne sauriez sans doute toujours pas que vous êtes le Dr Daniel Jackson, expliqua-t-elle d’une voix soudain plus assurée. C’est le fait d’évoluer dans un environnement familier qui vous a fait retrouver la mémoire. Or Sirius n’est pas ici chez lui. Rien de ce qu’il verra au SCG ne pourra assez stimuler son cerveau pour qu’il ait des réminiscences. Et quand bien même il recouvrirait la mémoire… Vous savez mieux que quiconque qu’il ne pourrait se rappeler que des évènements antérieurs à son Ascension.
-Votre raisonnement tombe sous le sens, admit Daniel, mais vous oubliez un détail, et non des moindres.
-Lequel ?
-Sirius affirme être un Ancien ayant réalisé l’Ascension. Vous comprenez ce que ça signifie ?
Cette fois encore, Sam afficha un sourire nerveux.
-Vous pensez qu’il posséderait des connaissances suffisantes pour nous aider à lutter efficacement contre les supers soldats d’Anubis, devina-t-elle.
De toute évidence, elle était toujours aussi perplexe.
-Nous parlons de la race qui a inventé les Portes des Étoiles, rappela vivement Daniel avec l’énergie du désespoir. D’un peuple qui a traité avec les Asgard et les Nox ! Même s’il ne parvient pas à se rappeler des connaissances qu’il a accumulées pendant son Ascension, je suis certain que Sirius aura un savoir assez grand pour nous permettre d’avancer. Imaginez qu’il sache où se trouve la cité perdue !
-Daniel, souffla-t-elle à nouveau. Vous ne devriez pas placer autant d’espoirs dans de simples hypothèses. Après tout, Sirius souffre d’une blessure dont nous ignorons l’origine. Croyez-vous que les autres auraient pu la lui infliger ?
-Je l’ignore… répondit Daniel, qui avait omis cet élément. C’est possible…
Carter ouvrit la bouche mais avant qu’aucun son n’ait pu sortir de sa gorge, le colonel O’Neill entra à son tour dans le bureau de l’archéologue.
-Alors ? demanda-t-il d’un air soupçonneux. Qu’est-ce que vous complotez ?
-Nous essayons de savoir si Sirius peut nous aider contre Anubis ou pas, expliqua Daniel.
-Et vous êtes arrivés à la conclusion que… ? encouragea O’Neill en haussant exagérément les sourcils.
-Que nous n’en savons rien, admit l’égyptologue avec agacement.
-Ah, fit O’Neill d’un ton faussement surpris, en se penchant légèrement en avant, les mains profondément enfoncées à l’intérieur de ses poches.
À ces mots, Sam détourna le regard d’un air gêné et Daniel afficha un sourire qui ressemblait à une grimace.
-L’iris est réparé ? questionna le colonel en se tournant vers Carter.
-L’iris fonctionne normalement, répondit-elle. J’ignore ce qui a causé la panne. Enfin… Daniel a une théorie…
-Vraiment ? fit à nouveau mine de s’étonner O’Neill. Allez-y, surprenez-moi !
-Si Sirius est un Ancien, alors il a le pouvoir de contrôler l’iris, résuma l’archéologue.
Il avait parlé très vite, sans prendre le temps de respirer, redoutant la réaction de Jack.
-Quel sacré veinard, commenta le colonel, non sans sarcasme.
Cette fois encore, Daniel lui adressa une moue agacée. Ce que l’officier pouvait être lourd, parfois !
-En tout cas, reprit Sam en se penchant vers Daniel, j’étais venue pour vous demander de l’aide.
Tout en parlant, elle posa sur le bureau l’artefact que Sirius avait sur lui lors de son arrivée.
-Je me demandais si vous pouviez me traduire ces symboles ?
Daniel attrapa sa loupe qui traînait devant lui et se pencha vers l’objet, les sourcils froncés par la concentration.
-On dirait des runes, marmonna-t-il d’un air absent.
-C’est quoi, ce truc, d’après vous ? interrogea O’Neill en jetant lui aussi un coup d’œil au mystérieux objet.
-Je commence à peine à l’étudier, répondit Sam, sur la défensive. Mais d’après ce que vous avez pu voir lorsque Sirius s’en est servi, il s’agirait d’une sorte de bouclier de défense, semblable aux champs de force Goa’uld ?
-Moui, un truc dans ce genre-là, confirma le colonel. On aurait dit une bulle de savon.
Vu le sourire mutin qui éclairait son visage, l’officier était visiblement très content de sa plaisanterie.
-Oui, Jack, soupira Daniel avec lassitude, c’est sans doute ça.
-Hey, vous me connaissez ! renchérit O’Neill, une main sur le cœur. Je suis toujours prêt à aider.
-Oui, merci, Jack, nous le savons… marmonna encore l’égyptologue en tâchant de se concentrer à nouveau sur l’artefact.
Il y eut un moment de silence pendant lequel Carter et O’Neill laissèrent Daniel examiner l’objet.
-Quoi que si on y regarde de plus près, reprit le colonel sans avoir pu s’en empêcher, ce truc me fait plutôt penser à une baguette magique… Vous avez essayé « Abracadabra » ?
Cette fois, Daniel releva la tête, prêt à congédier son ami et collègue pour avoir la paix, mais la sonnerie du téléphone l’en empêcha. De plus en plus exaspéré, Daniel dut soulever plusieurs piles de documents pour enfin trouver l’appareil. Même son propre bureau était un vrai champ de fouille !
-Dr Daniel Jackson… déclara-t-il en portant le combiné à son visage. Oui, elle est ici… Très bien, je la préviens tout de suite.
Il raccrocha puis se tourna vers Carter :
-Janet vous demande d’urgence à l’infirmerie, l’informa-t-il. Et elle demande que vous apportiez l’appareil de soin Goa’uld. Sirius est dans le coma.