
Le chien d’Orion
Sirius eut besoin de plusieurs secondes pour se rappeler où il était lorsqu’il se réveilla de nouveau. Il ignorait combien de temps il était encore resté inconscient mais il était certain de deux choses : la première, c’était qu’il était affamé, et la seconde, que le maléfice envoyé par Bellatrix allait le tuer lentement, mais sûrement.
Cette femme médecin – comment s’appelait-elle, déjà ? Le Dr Fraiser ? – lui avait demandé plusieurs fois s’il savait ce qui avait causé sa blessure à la poitrine. La vérité, c’était qu’il n’en était pas sûr. Il me faisait aucun doute que sa chère cousine avait employé un puissant sortilège de magie noire – restait juste à deviner lequel. Quelque chose qui va faire souffrir sa victime pendant des jours, et sûrement sans aucun remède efficace, supposa-t-il. Oui, c’était bien le genre de choses qui amusait Bellatrix et la rendait si dangereuse…
Bien qu’il refusât de se l’admettre à lui-même, Sirius savait que le seul qui aurait pu l’aider dans cette situation était Severus Rogue, son meilleur ennemi. Mais Servilus n’était pas là, et c’était tant mieux : il allait peut-être mourir, mais il allait mourir dignement, comme un vrai Black, sans avoir à subir les sarcasmes de cette sale vermine au nez crochu et aux cheveux gras.
Il risqua un regard en direction de la baie d’observation en face de son lit. Le grand type noir qui l’avait assommé avec son drôle de revolver était toujours là et le regardait sans ciller. Mais il était seul. Pas de trace du Dr Fraiser ou encore de l’homme à l’humour douteux qui était venu lui parler avant qu’il ne s’écroule sous l’effet de la douleur.
Où étaient-ils tous passés ? Sirius devait-il faire signe au grand type baraqué, lui montrer qu’il était réveillé ? Non, le colosse devait déjà s’en être rendu compte. À l’instant même où il avait cette pensée, la porte coulissante sur sa droite s’ouvrit de nouveau et le Dr Fraiser entra dans la pièce.
-Je commençais à désespérer que vous repreniez connaissance, lui apprit-elle tout en scrutant les appareils disposés tout autour de son lit.
-J’ai faim, grommela-t-il d’une voix sèche. Et soif, aussi.
Le Dr Fraiser lui adressa un sourire compatissant et commença par lui servir un verre d’eau qu’elle l’aida à avaler. Puis elle sortit brièvement de la chambre pour revenir seulement quelques instants plus tard, les bras chargés d’un plateau-repas.
-Je vais vous aider, dit-elle en commençant à couper sa viande.
À vrai dire, Sirius aurait mille fois préféré se débrouiller tout seul mais ces gens ne semblaient pas le considérer comme digne de confiance.
-Ce n’est pas le meilleur repas que vous ferez de toute votre vie, ajouta-t-elle en s’efforçant de sourire, mais ça aura au moins le mérite de vous aider à reprendre des forces.
Sirius hocha vaguement la tête mais ne répondit pas. De toute manière, il n’en aurait pas eu le temps car la médecin lui présentait déjà la première bouchée embrochée sur le bout d’une fourchette.
Tandis qu’il mastiquait lentement la nourriture que le Dr Fraiser lui mettait dans la bouche, Sirius tenta de se souvenir de tout ce qu’il avait déjà pu apprendre sur ses hôtes et cet étrange endroit.
Ils étaient des Moldus – des Moldus américains, qui plus est. Devait-il leur dire qu’il était Britannique ? Le renverraient-ils en Angleterre, s’il le faisait ?
Le Dr Fraiser venait de lui donner la dernière cuillerée de compote de pommes lorsqu’elle l’extirpa de ses interrogations, le ramenant à la réalité.
-Vous avez assez mangé ? lui demanda-t-elle.
-Oui, assura-t-il. Merci.
Cette fois encore, la médecin lui adressa un sourire puis empoigna le plateau à l’assiette vide et s’éloigna. Sirius la suivit du regard et vit qu’un homme à lunettes avec lequel il n’avait pas encore fait connaissance se tenait sur le pas de la porte.
-Bonjour Daniel, dit-elle en s’arrêtant à sa hauteur.
-Bonjour Janet, répondit l’homme. Est-ce que vous croyez que je peux lui parler ?
-Oui, vous pouvez y aller, il est réveillé, acquiesça-t-elle d’une voix douce.
L’homme à lunettes lui adressa un sourire reconnaissant puis s’avança vers l’intérieur de la pièce.
-Bonjour, dit-il en s’arrêtant au bord du lit de Sirius. Je m’appelle Daniel Jackson. Et vous, vous vous nommez Sirius, c’est ça ?
-Oui, répondit-il simplement.
-Enchanté, Sirius, reprit le dénommé Daniel.
Sirius n’aurait su expliquer pourquoi, mais quelque chose dans l’aura de cet homme lui inspirait confiance. Il respirait la sagesse et l’intelligence. Peut-être aussi une certaine candeur. Soudain, Sirius comprit pourquoi cet homme lui semblait si familier : il lui faisait penser à Harry.
-Vous permettez que je m’assoie et qu’on discute un peu ? poursuivit le dénommé Daniel.
Voyant mal comment s’opposer à sa requête et jugeant qu’il apprendrait peut-être lui-même une ou deux choses intéressantes, Sirius opina du chef en signe d’approbation.
-Merci, sourit Daniel en prenant place sur le tabouret à côté du lit.
Il y eut un moment de silence pendant lequel l’homme aux lunettes se contenta de baisser les yeux sur ses mains, et Sirius se rendit compte qu’il tenait un carnet à la couverture reliée de cuir.
-Je me doute que vous devez en avoir assez qu’on vous pose des questions, reprit-il au bout d’un moment, en relevant les yeux vers lui, mais je pense savoir qui vous êtes et ce qui vous est arrivé.
-Vraiment ? s’étonna Sirius, avec une surprise non feinte.
Était-il possible que ce Daniel soit un sorcier, ou bien un Cracmol, et qu’il ait compris à quoi servait sa baguette ?
-Je le crois, oui, assura Daniel.
Il marqua une pause et prit une grande inspiration.
-Vous vous nommez Sirius, rappela-t-il de manière parfaitement inutile. Dans la mythologie grecque, Sirius est le chien d’Orion, un géant réputé pour sa grande beauté et sa violence, et que Zeus, le dieu tonnerre, a transformé en constellation.
Sirius ne répondit pas ; qu’aurait-il bien pu répondre ? Après tout, ce Daniel venait de lui exposer des affirmations, pas de lui poser la moindre question.
Mais tout de même… Comment cet homme qu’il ne connaissait ni de Merlin, ni de Morgane, pouvait-il savoir toutes ces choses sur lui ? Comment pouvait-il savoir qu’il était le fils d’Orion Black, qu’il était un Animagus et que sa forme animale était justement un chien ? Je suis le chien d’Orion, songea-t-il avec désespoir. Je l’ai toujours été.
À cette pensée, Sirius se demanda s’il ne devait pas tenter de s’évader sous sa forme canine – ça avait bien marché pour sortir d’Azkaban, après tout ! Mais était-il vraiment sage de risquer de briser le Secret Magique ? Le colosse qui l’avait assommé se trouvait toujours derrière la vitre et ne semblait pas vouloir le quitter des yeux ne serait-ce qu’une seule seconde…
-Vous êtes un Ancien, n’est-ce pas ? demanda soudain Daniel.
Surpris, Sirius se redressa vivement et Daniel se mordit la lèvre.
-J’ai raison, n’est-ce pas ? insista-t-il. Vous êtes un Ancien qui a fait l’Ascension et qui a repris forme humaine ? Ça expliquerait comment vous avez pu garder l’iris ouvert pour pouvoir passer la Porte.
Sirius ne comprenait pas un traitre mot de ce que Daniel lui racontait.
Lui, un ancien ? D’accord, il avait plutôt mal vieilli, mais c’était à cause de ces douze maudites années passées à moisir dans sa cellule d’Azkaban !
Et qu’entendait-il par « qui a fait l’ascension et repris forme humaine » ? Était-ce comme ça que les Américains décrivaient le processus qui faisait d’un sorcier un Animagus ? Il savait que leurs cousins des Amériques avaient parfois une drôle de façon de nommer les choses – n’appelaient-ils pas les Moldus des « Non-Mages » ? – mais il ne voyait vraiment pas le rapport entre le fait de se transformer en animal et celui d’escalader les montagnes. Ou bien est-ce qu’il parlait de celle où ils se trouvaient, Cheyenne Mountain ?
Et par la barbe de Merlin ! De quelle porte parlait-il ? De celle du Département des mystères ?
Le dénommé Daniel semblait retenir son souffle et le regardait à présent d’un œil brillant d’espoir tandis qu’il attendait une réaction de sa part. Bien qu’il ne fût pas certain de ce que cela impliquait, Sirius jugea plus sage de ne pas le décevoir.
-Oui, répondit-il dans un souffle.
À ces mots, le regard de Daniel s’éclaira encore davantage et Sirius ne put réprimer un rictus nerveux.
-Vous êtes revenu pour nous aider contre Anubis ? questionna-t-il alors d’une voix pressante. Nous savons que c’est un Goa’uld qui a fait l’Ascension mais qui a été rejeté par les autres et se retrouve désormais coincé entre nos deux plans d’existence, c’est pourquoi nous ne pouvons pas le vaincre. Pas sans votre aide, en tout cas.
De toute évidence, Daniel attendait beaucoup de lui et, n’ayant toujours pas la moindre idée tangible de ce à quoi il faisait allusion – cet Anubis était-il une sorte de mage noir ? –, Sirius commença à se blâmer d’avoir choisi la réponse qu’il avait cru la plus facile.
-Je regrette, articula-t-il d’une voix lente, mais je ne peux pas vous aider.
Il était sincèrement désolé.
Quels que soient les problèmes que rencontraient Daniel, Sirius aurait vraiment voulu pouvoir l’aider. Mais c’était impossible. Et puis, il avait lui-même assez de soucis et sa priorité restait de regagner l’Angleterre pour poursuivre la lutte aux côtés de son filleul, nom d’une gargouille !
-Je connais les règles, reprit Daniel d’un air sombre. J’ai moi-même effectué l’Ascension il y a un an et demi, et les autres ont fini par me renvoyer à une vie mortelle en m’effaçant la mémoire parce que j’étais incapable de m’y tenir. Mais je vous en conjure, nous ne pouvons pas gagner sans vous ! Et je refuse de croire que vous êtes tous complètement insensibles au sort des milliards de vies humaines qui peuplent cette galaxie, ajouta-t-il en s’enflammant soudain. Alors si vous n’êtes pas venu pour nous aider, pourquoi êtes-vous là ? Nous n’avons pas de temps à perdre, chaque minute qui passe est précieuse dans la lutte contre Anubis et ses supers soldats ! Et si vous pouvez nous apporter… ne serait-ce qu’une toute petite aide… alors vous devez nous l’accorder. Car lorsque nous aurons tous été tués ou réduits en esclavage, il ne nous restera plus rien de ce libre-arbitre qui vous interdit d’interférer dans les affaires des êtres inférieurs. S’il vous plait, gémit Daniel d’un ton suppliant, aidez-nous.
Cette fois, Sirius avait pitié pour de bon. Mais que pouvait-il faire ? Et que pouvait-il bien lui dire ? À cet instant, il aurait voulu pouvoir lui avouer la vérité sur son identité, mais ça aussi, c’était impossible. Il resta un moment silencieux, puis se rappela soudain d’un détail du discours de Daniel.
-Je suis sensible à votre malheur, assura-t-il d’une voix chargée de compassion, et si je le pouvais, je vous aiderais sans hésiter. Mais la vérité, c’est que je ne sais pas de quoi vous parlez… À moi aussi, ils m’ont effacé la mémoire…
Le visage de Daniel se décomposa sous l’effet du choc. Ce n’était visiblement pas ce à quoi il s’était attendu, ou tout du moins, pas ce qu’il avait espéré.
-Évidemment… marmonna-t-il finalement dans un rire jaune. J’aimerais pouvoir dire que je suis étonné, mais tout espoir n’est pas encore complètement perdu, ajouta-t-il en se redressant soudain.
-Je ne comprends pas, lâcha Sirius.
-Si j’ai pu recouvrer la mémoire, alors vous le pouvez aussi. Vos souvenirs ne sont sans doute pas définitivement perdus, et s’ils vous ont renvoyé ici, sur la Terre, c’est qu’il doit y avoir une raison.
-Je ne comprends toujours pas, soupira Sirius.
D’un geste inconscient, il posa sa main droite sur son torse, à l’endroit où le maléfice l’avait frappé. Sa poitrine était de plus en plus douloureuse et il sentait à présent comme une vague glacée parcourir ses veines.
-Quelqu’un parmi eux veut sans doute nous aider mais ne peux pas le faire ouvertement sans risquer de se faire punir par les autres, poursuivit Daniel en se levant d’un bond. Oui, c’est forcément ça ! insista-t-il en commençant à faire les cent pas. En vous renvoyant sur Terre sous forme humaine, avec une mémoire altérée mais pas complètement effacée, il ou elle espérait sans doute que nous réussirions à trouver un moyen efficace pour nous défendre contre Anubis. Peut-être même que c’est vous qui avez eu cette idée, Sirius ? conclut-il en se tournant à nouveau vers lui.
Mais Sirius ne l’écoutait plus depuis déjà plusieurs minutes.
La main toujours plaquée sur la poitrine, il tâchait de respirer mais rien de l’air qu’il tentait désespérément d’inspirer ne semblait plus vouloir atteindre ses poumons.
-Dr Fraiser ! appela Daniel en se précipitant hors de la pièce.
La vision de Sirius se troublait de plus en plus, et de la séduisante femme médecin, il ne put plus distinguer que de vagues contours.