
Le Messager
Chapitre II
Le Messager
Rohana Jones n’était pas une jeune femme comme les autres. Ce n’était même pas de la vantardise ou de la vanité. Elle n’était vraiment -et parfois à son grand regret- pas comme les autres gens. En effet, Rohana était une sorcière. Si seulement sa différence s’était arrêtée là.
Mais c’était trop demandé à l’univers.
Rohana était hors du commun, non parce qu’elle était une sorcière mais parce qu’elle était ce que les maîtres du monde spirituel, comme sa grand-mère, appelaient “une vieille âme”. Cela voulait dire que ce n’était pas sa première vie, ni même sa seconde. Elle en avait tout un tas derrière elle. Heureusement pour sa santé mentale, elle ne gardait vivement en mémoire que les plus récentes. Les plus anciennes restaient simplement dans un coin de son esprit, comme des histoires qu’elle aurait lues mais qui ne lui appartenaient pas. C’était déjà bien assez éprouvant comme ça. Elle ne désirait pas souffrir de stress post-traumatique pour le restant de ses vies, merci bien.
Elle avait connu tout un tas de situations et d’univers étranges, répondu à différents noms, contemplé un visage différent dans le miroir à chaque vie. Dans la précédente, elle avait eu des cheveux d’un roux flamboyant alors qu’elle vivait dans un monde de fiction et répondait au nom d’Asumi Sarutobi. Petite-fille d’Hokage. Ça avait l’air classe. Ça ne l’était pas. Avant cela… Elle avait été française, menant une vie tranquille au XXIe siècle, profitant de tout son soûl de la technologie. Ah, qu’internet lui manquait ! Et maintenant, elle était Rohana “Rohan” Jones, sorcière.
Toutes ses réincarnations avaient néanmoins deux points communs. Peu importe son physique, son allure ou les événements, elle restait une terrible maladroite. Cela ne l’avait pas empêché de devenir une guerrière, à trois reprises dans ses vies antérieures. Mais ça avait été et c’était toujours un sacré fardeau. La deuxième constante, qui découlait parfois de la première, était son espérance de vie. Elle mourait toujours jeune, dans des circonstances plus ou moins traumatisantes. La mort la plus naturelle qu’elle avait eu était la maladie. La plus ridicule ? Le pot de fleur qui s’était écrasé sur sa tête. Oui, décidément, Rohana avait la poisse. Elle se disait parfois que ses réincarnations cesseraient peut-être le jour où elle réussirait à mourir de vieillesse. Autant dire que ça ne serait pas pour cette fois-ci. Car Rohana connaissait bien l’univers dans lequel elle était née, pour une fois. Elle l’avait vivement espéré dans sa vie précédente, bien que dans d’autres circonstances.
En effet, la jeune sorcière -à l’époque où elle se lamentait d’être apparu dans un village ninja- avait souhaité naître la même année qu’Harry Potter pour pouvoir suivre sa scolarité à ses côtés. Ou au moins avoir moins de sept ans d’écart, histoire de pouvoir veiller sur lui au château. Et bah non, même ça, on lui avait refusé. Pire encore, sa famille n’avait pas voulu qu’elle fasse sa scolarité à Poudlard, l’école de magie britannique. Son grand-père paternel était pourtant anglais, mais non. On l’avait envoyé à l’Académie de Beauxbâtons, comme l’avait été sa mère, son grand-père et ses ancêtres avant elle. Elle y était entrée il y a dix-huit ans, à un mois près.
Eh bien soit. Elle avait pris sa revanche sur le destin. Et quelle belle revanche, sourit-elle intérieurement en descendant les marches de l’escalier pour pénétrer dans la cuisine.
— ‘jour, grommela un jeune garçon, le nez dans Le Cri de la Gargouille, le quotidien français.
Parfois, Rohan avait du mal à croire qu’il vivait avec elle depuis déjà dix ans. Qu’elle avait plus ou moins kidnappé le héros britannique à l’insu de tous. Qu’elle avait éduqué celui dont les aventures littéraires avaient bercé sa propre enfance. Vraiment, c’était à s’en retourner le cerveau. C’était dingue, mais elle ne regrettait pas une seconde de l’avoir fait.
— Bonjour mon grand, bien dormi ? Demanda la sorcière en voyant les cernes sous ses yeux.
— Oui, oui, affirma-t-il en levant sa cuillère trop à droite, ratant sa bouche de quelques centimètres.
— Tu as passé ta soirée à regarder Indiana Jones ou quoi ? S’amusa moyennement la jeune femme qui était rentrée tard dans la nuit, ayant assez confiance en son fils pour être raisonnable.
Elle n’avait rien contre le fait qu’Harry ait une bonne culture cinématographique. De plus, quelques nuits blanches n’avaient jamais fait de mal à personne lorsqu’elles étaient exceptionnelles. De plus, ce n’était pas comme si elle avait à se plaindre du jeune sorcier, qui ramenait d’excellentes notes toute l’année, en plus de suivre ses leçons et celles de sa famille. Il était en vacances et avait bien le droit de s’amuser. Toutefois, ils étaient censés aller voir les grands-parents de Rohana dans la journée et elle aurait préféré qu’il soit en forme.
— Seulement le dernier, avoua-t-il, penaud. Mais j’ai fait un rêve étrange…
La jeune femme releva aussitôt la tête, alarmée. Les cauchemars du jeune garçon étaient rares mais l’inquiétaient toujours énormément. Elle ne savait pas s’il risquait un jour d’avoir des séquelles de l’attaque de Godric’s Hollow, s’il se souvenait de la mort de sa mère et de sa tentative d’assassinat. Et si la jeune femme voulait à tout prix éviter quelque chose, c’était cela. Elle était trop souvent passée par la mort et la perte d’êtres chers pour souhaiter cela à son protégé.
L'une des premières choses qu’elle avait d'ailleurs faite lorsqu’elle avait récupéré l’enfant, à l’âge de dix-huit ans, après s’être réfugiée auprès de sa famille pour pleurer un bon coup histoire d’évacuer la pression et de se faire engueuler au passage parce qu’on “ne kidnappe pas les enfants, même s’ils sont orphelins et posés sur le palier, nom d’une citrouille, surtout quand on sort soi-même de l’école !”, c’était de chercher un moyen d’enlever l’horcruxe qui résidait clandestinement dans le corps du chérubin. Parce que la jeune femme avait trop étudié et voyagé pour croire qu’il n’y avait rien à faire.
Si dans le canon, Harry Potter avait toujours un horcruxe dans son esprit, c’est que Dumbledore le voulait bien. Rohana ne pouvait pas envisager le contraire. Alors, elle avait demandé conseil, à sa famille, à des experts. Elle était retournée fouiller la bibliothèque de l’Académie de Beauxbâtons, où elle avait passé sept années de sa scolarité. La jeune femme avait même pris le large à l’étranger, emportant le survivant sur le continent africain, avant de se tourner vers le pays du soleil levant. C’est là qu’elle avait trouvé la solution, dans le temple des maîtres de l’esprit. Harry pourrait s’en libérer, certes. Mais pas avant que sa magie ne soit assez solide.
— C’était… Reprit le jeune garçon en lâchant le journal qu’il ne lisait pas vraiment, de toute façon. C’était comme les esprits qu’invoque Bibi pendant les cérémonies, expliqua-t-il maladroitement. Il y avait un félin translucide et gigantesque qui me fixait, comme s’il avait quelque chose à me dire !
— Une sorte de panthère magique ? Avec de grands crocs ? Questionna Rohana, en partie soulagée.
Le jeune Potter hocha positivement la tête, heureux que sa tutrice visualise son rêve. Ayant passé plusieurs vacances estivales chez Bibi durant son adolescence, Rohana allait sans doute pouvoir lui expliquer la signification d’une telle apparition.
— C’est un Nundu, une des créatures les plus dangereuses qu’on trouve en Ouganda et au Kenya. Estime-toi chanceux de n’en avoir jamais croisé durant nos visites, Babu Henri dit qu’il faut une centaine de sorciers pour venir à bout d’un spécimen.
Aussi mature que le petit garçon puisse être, l’idée d’une telle force sauvage l’impressionna et il s’empressa de lui demander si Babu Henri en avait déjà chassé. Rohana, amusée, lui répondit qu’elle en doutait mais qu’il pourrait toujours lui téléphoner pour en être sûr. A n’en pas douter, dès qu’il aurait fini son petit-déjeuner, le survivant irait se précipiter sur l’encyclopédie mondiale de la faune et la flore magique qui trônait dans la bibliothèque du salon ainsi que sur les livres de ce brave Newt Scamander pour en savoir plus.
— Mais pourquoi est-ce que j’ai rêvé d’un Nundu alors que je ne savais même pas ce que c’était ? Questionna-t-il en se souvenant de ses premières interrogations.
— C’est un Messager des rêves, envoyé par le directeur d’Uagadou, expliqua patiemment la jeune sorcière avant de mordre dans une pomme. Il prend une forme différente pour chaque élève et te laisse un objet près de ton lit pour t’informer de ta sélection. J’imagine que tu étais encore trop endormi pour le remarquer. C’est un peu plus classe qu’une lettre livrée par une simple chouette, comme celle de Poudlard ou de Beauxbâtons.
— Mais… Je suis anglais ? Non ? Pourquoi est-ce que je serais sélectionné ?... Oh, comprit-il tout seul. Bibi ?
Rohana hocha la tête. Io Kana Jones, autrement appelée Bibi, littéralement “Grand-mère” en Swahili, avait été la directrice de l’école de sorcellerie d’Ouganda durant quinze ans, avant de prendre une retraite bien méritée pour se consacrer aux esprits et à Magia. Toutefois, elle n’allait pas passer à côté de l’occasion d’attirer son arrière-petit-fils sur le même continent qu’elle. La pauvre femme avait toujours au travers de la gorge la scolarité de Rohana à l’Académie. Io ayant gardé de forts liens avec les membres de l’institution scolaire, la jeune femme ne doutait pas qu’elle leur ait vanté et vendu sa talentueuse descendance.
— Disons qu’il y a des exceptions à tout, conclut la jeune Jones. Tu devrais recevoir tes lettres dans les prochains jours, d’ailleurs. Cette fourbe de Bibi a simplement pris de l’avance, pour te laisser plus de temps de réflexion…
— Tu as eu le choix, toi aussi ? Lui demanda-t-il, tout en sachant que sa mère d’adoption avait suivi les cours en France.
Elle lui sourit.
— Techniquement parlant, je suppose que oui. J’ai reçu des propositions de Beauxbâtons et d’Uagadou. L’avantage d’avoir plusieurs nationalités, mon chat. Si j’avais réussi à convaincre Babu Henri et son flegme britannique, j’aurais également pu tenter Poudlard. En tout cas, il n’était pas acceptable que je reste à Mahoutokoro, ce qui est dommage car je m’y étais fait plein d’amis…
— C’est nul que les autres pays n’aient pas d’écoles pour les primaires, bougonna le jeune sorcier, jaloux qu’elle ait bénéficié d’un apprentissage de ses sept à dix ans.
— Là-dessus, je suis bien d’accord ! Mais tu n’es pas à plaindre, tu as un socle de connaissances moldu et magique tel que tu pourrais passer plusieurs classes tout de suite, s’il n’y avait pas la pratique.
— Au fait, tu as dit “techniquement parlant”, remarqua soudain le jeune homme, à qui rien n’échappait.
Rohana eut un rire amusé.
— Tu demanderas plus de détails à Grand-père Louis, je suis sûre qu’il sera ravi de te raconter ce qui m’a poussé à manger toutes les semaines de la bouillabaisse. Et maintenant, si tu as fini ton petit-déjeuner, jeune homme, va donc t’habiller ! Nous sommes attendus pour le déjeuner.
Elle le regarda monter rapidement les escaliers, d’un pas souple et agile. La jeune femme se souvenait, bien que cela remonta à plusieurs vies, de sa lecture de la série à succès. Elle se rappelait encore du jeune sorcier ignorant, vivant dans un placard, petit, maigre, mal-nourri et persécuté au mieux par son cousin. Au mieux, car le livre était destiné à des enfants et elle imaginait mal J.K. Rowling décrire davantage de violences. Mais qui pouvait savoir vraiment ? En tout cas, lorsqu’elle le regardait chaque jour être épanoui, en bonne santé et choyé par toute sa famille, la jeune sorcière ne regrettait pas sa décision.
Bien sûr, ça n’avait pas été facile tous les jours. Elle s’était retrouvée à l’âge de dix-huit ans avec un enfant dans les bras, à courir le monde pour essayer de lui enlever un encombrant morceau d’âme. Elle aurait facilement pu le laisser à la charge d’une famille aimante ou même à ses proches. Mais c’était ce qu’elle avait choisi. Elle devait assumer ses décisions, jusqu’au bout. Alors, elle avait grimacé devant les couches, piqué du nez en pleine journée, surveillé le moindre rhume, essuyé les larmes après les cauchemars et apaisé les cris d’un jeune nourrisson qui cherchait ses parents. Avec patience, lorsqu’il fut assez grand pour le comprendre, elle lui avait également expliqué qu’elle n’était pas sa vraie mère. Mais qu’elle l’aimait et qu’il serait toujours sa famille.
Parce que c’était vrai. Harry Potter n’était plus un personnage de roman. Dès l’instant où elle l’avait tenu dans ses bras, il avait cessé d’être fictif. Désormais, il était son fils. Et ceux qui voudraient lui faire du mal allaient en découdre. Elle avait plusieurs vies d’expérience derrière elle et elle était prête.
Parole de Jones !