
Le fouet enchanté
Chapitre III
Le fouet enchanté
Assise au creux de la balancelle dans un coin reculé de leur jardin, Rohan profitait des premiers rayons de soleil de la matinée. Le mois de Juillet débutait tout juste. Et pour la première fois depuis dix ans, la jeune sorcière appréhendait cette période. Car bientôt, Harry la quitterait pour partir à l’école. Une école qu’il devrait justement choisir dans les jours à venir. Le Messager d’Uagadou, venu durant la nuit précédente, en était le pressant rappel.
En tant que lectrice, la sorcière ne pouvait pas imaginer une seconde que le héros du monde britannique fasse sa scolarité ailleurs qu’à Poudlard. C’était son premier lien avec James et Lily Potter, l’endroit qu’il considérait comme son foyer, le lieu également où il se ferait ses meilleurs amis. Harry n’avait-il pas besoin de Ron et d’Hermione ? Bien qu’en toute honnêteté, Rohana avait un avis très personnel sur le caractère du jeune Weasley. Surtout sur son manque de compassion et sa loyauté très relative. Il avait sans doute des circonstances atténuantes, du fait de son éducation ou du nombre d’enfants dans la fratrie. Mais vraiment, Rohana n’était pas très attachée au personnage de Ronald Weasley et si Harry ne devenait pas ami avec lui… et bien, elle n’allait certainement pas en pleurer.
Dans son cœur de mère, cependant, il ne lui était pas concevable d’envoyer l’enfant sur lequel elle avait veillé durant dix longues années sous l’influence de Dumbledore, menacé chaque année par des dangers toujours plus grands. L’incident du troll lui aurait personnellement suffit à retirer son enfant de cette école. Sans aucun doute, le corps professoral ne s’en vanterait pas auprès du conseil d’administration et des parents d’élèves. D’ailleurs, comment cela se faisait-il qu’aucun parents n’aient eu d’échos dans les lettres des étudiants, dans l’histoire canon ?
Peu importe.
Toujours est-il que Rohana rechignait à laisser Harry partir en Grande-Bretagne. Dans un pays qu’elle connaissait somme toute assez peu et où son influence et celle de sa famille étaient plus limitées. Toutefois, elle s’était promis lorsqu’elle l’avait sauvée de Privet Drive de ne pas volontairement influencer le jeune garçon. Quelque soit l’école que son fils choisirait, ça serait son choix. Qu’elle soutiendrait du mieux qu’elle pourrait. Au pire, elle bougonnerait dans son coin ou irait s’en plaindre auprès de ses amis, mais Harry n’en saurait rien. Elle avait des tas de plans pour ce genre de scénarios catastrophiques, fomentés au fils des années. Où qu’Harry aille, elle assurerait ses arrières.
Mais ça ne l’empêchait pas d’être nerveuse.
— Je suis prêt ! S’exclama l’objet de ses pensées, venant la débusquer dans cette partie isolée de leur propriété.
Elle regarda sa montre. 11h35. Parfaitement dans les temps.
Elle lui sourit lorsqu’il s’installa près d’elle, lui tendant un ruban de soie pour qu’elle noue sa tignasse. Parfois, dans son fort intérieur, Rohan s’imaginait la tête de Dumbledore croisant ce Harry pour la première fois.
Le garçon était loin de ressembler à l’image que les britanniques devaient s’en faire. En effet, de taille respectable pour son âge, le jeune garçon avait adopté rapidement le catogan ainsi qu’une mèche devant son front, lui permettant de dissimuler une certaine cicatrice trop renommée et de discipliner sa chevelure indomptable dans le même temps. De plus, ses yeux d’un vert magnifique, n’étaient pas dissimulés par une paire de lunettes rondes, Merlin merci.
Rohana aurait aimé qu’il existe, comme dans de nombreuses fanfictions, un sort pour corriger la vue. Malheureusement, si tant de sorciers portaient des lunettes, c’était qu’ils n’avaient pas encore réussi à corriger ce problème. Ça ne faisait rien, le jeune garçon s’accommodait parfaitement de ses lentilles et si d’aventure, il le souhaitait, il pourrait toujours envisager de se faire opérer chez les moldus lorsqu’il serait en âge de le faire.
Toujours est-il que ce garçon énergique, sportif et élégant n’était sans doute pas ce qu’avait désiré Dumbledore et Rohan trouvait cela hilarant. Une petite revanche sur le destin, c’était déjà ça de pris !
Passant une main dans la chevelure d’ébène du jeune sorcier, semblable à la sienne, elle entreprit de nouer le ruban.
— Alors, qu’est-ce qui t’inquiète ? Lâcha Harry, le regard fixé sur l’horizon.
Leur propriété, qu’ils adoraient tous deux, donnait sur la lande et la falaise quiberonnaise. L’océan atlantique qui venait s’écraser en vagues sur la roche était un spectacle dont les deux sorciers ne se lassaient jamais.
— Qu’est-ce qui te fait croire que je suis inquiète ? Questionna Rohan, amusée que son fils la connaisse si bien, mais alarmée d’être transparente à ses yeux.
Il se retourna nonchalamment, haussant un sourcil comme pour lui dire que c’était d’une telle évidence que poser la question en était stupide. Sans doute était-ce d’ailleurs le cas. La sorcière fut tentée de lui répondre qu’il n’avait pas à s’en préoccuper pour le moment, mais elle n’aimait pas mentir, encore moins à sa famille. Alors, elle céda.
— Je vais avoir quelques affaires à régler prochainement, au Royaume-Uni, l’informa-t-elle en finissant de nouer ses cheveux.
Le garçon se tourna alors vers elle, les sourcils froncés.
— Mais tu détestes aller là-bas…
— Je ne détestes pas, corrigea Rohan. C’est juste que je préfère éviter d’y aller, si je peux le faire.
— Nick peut pas se charger de ses “affaires” ? Interrogea-t-il. Ce n’est pas comme s’il était surchargé…
Rohan eut un rire amusé.
— Regardez un peu ce garçon médisant ! Ricana-t-elle en pinçant le bout de son nez. Mais non, je crains de devoir y aller en personne. Et tu vas devoir m’accompagner, pauvre de toi.
— 'Me disais bien que le repas d’aujourd’hui était louche… marmonna-t-il avec une moue grincheuse que Rohan trouva absolument adorable. Avec qui tu dois encore conspirer ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit innocemment sa mère en se levant. Allez, dépêches-toi, c’est bientôt l’heure de prendre la cheminette !
Harry regarda sa mère s’éloigner tranquillement vers la porte secondaire de la bâtisse, pour accéder directement à la cheminée de service. Son visage d’enfant se fit davantage préoccupé alors qu’il serrait dans sa main le totem en bois laissé par le Messager, celui-là même qu’il n’avait pas remarqué à son réveil.
Il ne savait pas ce que sa mère mijotait, encore, mais il n’aimait pas ça. Avec les années, il avait appris à reconnaître son regard.
Elle allait définitivement se mettre dans les ennuis.
— Louis, j’ai entendu la cheminette ! S’exclama la voix chantante de sa grand-mère maternelle, lorsque Rohana sortit de l’antre, laissant la place à son fils.
La jeune Jones eut un sourire en coin en attendant la manière délicate de sa parente de dire à son mari de se bouger le cul pour accueillir les invités. Parce qu’il ne fallait pas se leurrer, c’était exactement ce que ça voulait dire. Harry et sa mère échangèrent un regard amusé en entendant le concerné arriver en bougonnant “Je suis peut-être vieux mais pas sourd”. Ses yeux d’un bleu limpide s’illuminèrent toutefois en voyant sa descendance dans le salon.
— Bonjour Grand-père Louis, salua Harry en s’avançant pour le prendre dans ses bras.
— Bonjour mon grand ! Mais dis-donc, tu as encore pris des centimètres depuis la dernière fois ! Remarqua-t-il en le soulevant dans ses bras encore vigoureux pour un octogénaire. Qu’est-ce que ta mère te donne à manger pour que tu pousses si vite ?
— De l’engrais, répondit la concernée en levant les yeux au plafond. Et puis je l’arrose beaucoup et je le mets au soleil, comme tu m’as appris, Grand-père.
— C’était il y a plus de vingt-cinq ans, Rohana ! Protesta le vieil homme en riant. Tu ne vas pas m’en vouloir éternellement pour quelques coups de soleil ! Et puis, ta grand-mère et tes parents me l’ont bien assez reprochés comme ça.
Rohana ricana lorsqu’il traina Harry avec lui dans la maisonnée, lui soufflant que les femmes étaient des créatures décidément bien rancunières.
Son grand-père avait une conception très personnelle de l’éducation. Pour lui, rien de tel que de “laisser vivre”. Un jour où on lui avait laissé la jeune Rohana, il l’avait amené avec lui dans le jardin, la laissant patauger dans l’engrais. Là où l’histoire devenait plus alarmante, c’est que ce tête-en-l’air était reparti après avoir taillé ses arbustes, en oubliant sa petite-fille de quatre ans en plein cagnard. Elle y était restée des heures, jouant dans la boue, de temps en temps hydratée par l’arrosage automatique. Lorsque sa grand-mère était rentrée et l’avait trouvée, couverte de boue et brûlante, Grand-père Louis avait dû courir vite. Très vite.
— Tu ne le laisseras jamais oublier cette histoire, hein ? Lança une voix profonde derrière Rohana.
— Oh, bonjour Papa ! Sourit-elle en se tournant vers un portrait immense, accroché près de la cheminée.
Dans le cadre, un bel homme qui venait d’entrer dans la trentaine souriait à la jeune femme qui lui faisait face. Sa peau métisse resplendissait grâce aux couleurs vives du décor dans lequel il se trouvait.
— Maman n’est pas là ? S’enquit la jeune Jones en cherchant des yeux la jeune femme dans les autres tableaux de la pièce.
— Elle est partie ce matin dans le tableau du Devon, l’informa son père en lui souriant doucement. Elle ne devrait plus tarder, elle ne vous raterait pour rien au monde !
Rohana hocha la tête avec un sourire triste.
— J’ai quelques semaines de retard, mais bon anniversaire, ma chérie, lança soudain son père en plantant ses yeux d’un gris anthracite dans ceux de son unique enfant, comme s’il lisait dans son cœur.
— Merci Papa. Désolée de ne pas être venue vous voir, ce jour-là… Bibi m’a kidnappé, ajouta-t-elle d’un ton fataliste.
Cela l’avait bien arrangé, pour être honnête et le portrait de son père semblait le comprendre. Même de son vivant, il avait toujours tout compris. Cette année 1991, Rohana avait eu vingt-neuf ans. Une année de plus que sa mère lorsqu’elle était décédée. La jeune sorcière ne s’était pas sentie la force de venir voir leur représentation, qui figeait l’image de ses parents pour l’éternité. Bientôt, elle serait également plus âgée que son père. L’idée lui brisait à chaque fois le cœur.
Rohana avait vraiment aimé ses parents.
Au cours de ces différentes vies, elle était tombée dans des familles plus ou moins chaleureuses. Mais celle-ci… Celle-ci était vraiment exceptionnelle. Rohana avait énormément appris intellectuellement et humainement grâce à Ambrosine et Simba Jones et si Harry s’en sortait un jour, il le leur devrait également.
Elle était reconnaissante à la magie de cette demeure ancestrale qui avait gardé une part d’eux en ce monde. Toutefois ces tableaux, bien que fidèles aux tempéraments et personnalités de ses parents, ne les remplaceraient jamais. C’était une part d’eux, oui. Ils songeaient et ressentaient, dans une certaine mesure… Mais ses parents étaient morts, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Faire son deuil, en les voyant sans pour autant pouvoir les prendre dans ses bras… Ça avait été l’une des choses les plus difficiles que Rohana avait eu à faire.
Et Merlin et les autres dieux savaient combien elle en avait eu, des choses horribles à faire au cours de ses vies…
— Oh, bonjour mon ange ! S’exclama soudain la voix mélodieuse de sa mère en apparaissant aux côtés de la représentation de Simba Jones. Vous êtes en avance !
— Un magicien n'est jamais en retard, ni en avance d'ailleurs. Il arrive précisément à l'heure prévue, ne put s’empêcher de répondre dans un sourire Rohan.
La représentation d’Ambrosine, si petite aux côtés de son immense mari, eut un éclat de rire soudain, révélant sur ses joues bronzées une petite fossette dont Rohan avait hérité. Ses yeux bleu malicieux, ceux de Grand-père Louis qu’elle avait également transmis à sa fille, trahirent son amusement alors que Simba secouait la tête, blasé des références moldues de son unique enfant. Cela étira les lèvres de la jeune sorcière, qui adorait le rire spontané de sa mère. Et une nouvelle fois, comme une enfant, elle s’émerveilla devant l’apparence de ses géniteurs. Qu’ils étaient beaux, tous les deux.
— Comment va Nick ? S’enquit-elle finalement.
— Ce vieux ronchon a hâte de vous voir ! Nelly a fait des courses pour nourrir un régiment, vous allez être traités comme des rois ! Répondit joyeusement la française, secouant ses boucles noisettes au rythme de ses hochements de tête approbateurs.
— Ils en font toujours trop, soupira Rohan malgré tout amusée. Enfin, merci d’avoir fait la commission Maman.
Le portrait allait lui répondre quand un fracas tonitruant suivi d’une explosion résonna soudain à l’étage du dessus, faisant sursauter la jeune sorcière et ses ancêtres de toiles et d’acrylique présents dans la pièce. Rohana ferma les yeux et compta intérieurement jusqu’à dix dans son esprit.
— ALARIC, LOUIS ! SORTEZ IMMÉDIATEMENT DE CETTE CUISINE ! Pesta sa grand-mère maternelle d’une voix loin d’être aussi mélodieuse que celle de sa fille.
— On dirait que ton frère et ton père ont encore fait des leurs, soupira Simba en regardant son épouse d’un air affligé.
Celle-ci haussa les épaules comme si rien n’était arrivé. Rohan se demanda un instant combien de fois cette scène avait eu lieu dans la jeunesse d’Ambrosine pour que celle-ci en soit si peu touchée.
— Va donc sauver ton oncle, ma chérie, avant que ta grand-mère ne commette un meurtre, répondit la concernée avec un sourire en coin. Oh ! Et dis à mon petit-fils de venir nous voir avant de partir !
Rohan approuva doucement et quitta la pièce, s’enfonçant dans les couloirs, guidée par les cris rugissants de la femme qui l’avait élevé à la mort de ses parents. Elle entendit avant de le voir le rire amusé de son fils, posté avec ses cousins et cousine en haut de l’escalier, observant les deux adultes se faire battre à coup de fouet et de spatules ensorcelés.
La sorcière soupira. Avec une famille pareille, Harry Potter Jones partait dans la vie avec un solide bagage de noms d’oiseau et d’insultes en tout genre.