
Chapitre 1
-Tu vas faire la gueule longtemps ?
-Oui, grogna Dominique, le regard sombre, en tirant sa valise d'une main derrière elle dans un bruit assourdissant de roulettes.
-Ouais, ben si on pouvait trouver un compartiment avant que tu t'assois par terre, bras et jambes croisées, ça m'arrangerai. Tu crois que c'est dans tes cordes ? Demanda Joanna, pleine de verve, qui avançait devant elle, la sienne dans la main gauche, un paquet de cigarettes et un briquet dans la main droite.
-Je ne vais même pas te répondre.
-Soit. J'entends des choses alors. Ma psy a du oublié quelques psychoses par-ci par-là.
-Ce serait pas étonnant. Elle doit avoir du boulot.
-Je te zut, elle m'a dit que je faisais des progrès, figure-toi.
-Comparé à qui ? Ta mère ? C'est pas compliqué.
-Mais oh, c'est fini oui ! Je t'ai rien fais, que je sache, c'est pas moi qui choisis les capitaines. Vois ça avec Longbottom.
Elle lui avait déjà parlé, songea Dominique. En fait, il était lui-même venu la voir pendant les vacances pour la prévenir de son choix et lui expliquer pourquoi cette année il avait préféré choisir Lily Weaver, une septième année, pour diriger l'équipe de Quidditch de Griffondor. "Je ne veux pas que quiconque puisse crier au favoritisme, lui avait-il dit. Et vous êtes toutes deux aussi douées l'une que l'autre. Malheureusement, je suis obligé de faire pencher la balance pour celle avec qui je n'ai aucune lien d'ordre privé. Ne t'en fais pas, il te reste un an pour tenter d'avoir le poste." Logiquement parlant, Dominique comprenait. Neville Longbottom était un ami de longue date de la famille, elle l'avait croisé pendant des repas, des week-ends et autres évènements pendant toute sa vie et c'était de notoriété publique. Si elle avait eu le poste sans pouvoir prouver sa supériorité à Lily Weaver, cela aurait fait plus de mal que de bien à son CV. Mais psychologiquement, c'était difficile d'accepter que tous ses efforts de l'année dernière avaient été réduits à néant parce qu'elle connaissait le professeur qui attribuait le poste. Elle n'aurait pas dû passer tant de temps à préparer ses BUSES… On en avait pas besoin pour être joueuse professionnelle. Le temps perdu à réviser lui avait-il coûté la place de capitaine ?
-Tiens celui-là est vide.
Dominique jeta un œil au compartiment en question alors que Joanna posait sa main sur la poignée de la porte. Le compartiment n'était pas vide. Deux minuscules petites filles étaient assises, chacune une valisette sur les genoux.
-Non, regarde y'a deux…
Joanna ouvrit la porte d'un coup, lança un regard noir aux deux mioches...
-Barrez-vous.
Sous ses yeux étonnés, les fillettes bondirent sur leurs pieds, terrifiées, et détalèrent comme des lapins, passant le plus loin possible de Dominique et Joanna pour ne pas les effleurer par accident.
-Non okay, y'a personne. Tu es effrayante.
-Je fais des efforts pour, répondit Joanna en posant sa valise et en se laissant tomber dans la banquette.
Elle ouvrit son paquet de cigarettes, se ravisa et lui demanda:
-Je peux ?
-Attends que le train soit parti, on ouvrira les fenêtres, répondit Dominique en rangeant sa valise dans le porte-bagage.
Joanna referma le paquet et le rangea dans la poche intérieure de sa veste en cuir noir avant d'ouvrir sa valise et d'en sortir une grosse boîte de bonbons moldus. Elle referma sa valise, ouvrit la boîte et lança un bonbon à l'attention de Dominique qui le goba et s'installa sur la banquette d'en face, un carnet et un stylo dans les mains. Son carnet de stratégies.
-Tu vas faire quoi pour le Quidditch ? Demanda-t-elle en désignant le carnet du menton.
-Revoir ma stratégie. Me préparer pour l'an prochain. M'entraîner à fond. Je veux qu'il n'y ait aucun doute que c'est moi qui mérite le plus ce poste.
-Jasper Wood est dans l'équipe, fit remarquer Joanna. Et ton cousin. Tu as de la concurrence.
-Wood est en cinquième année. Il pourra devenir capitaine après mon départ. Et James l'année suivante. Mais l'année prochaine sera la mienne, il n'y a pas le choix. Je ne me vois pas faire autre chose que jouer au Quidditch.
La détermination dans la voix de Dominique était audible et Joanna, qui avait passé les cinq dernières années dans le même dortoir qu'elle, et savait à quel point elle mangeait, dormait et respirait Quidditch n'avait aucun doute quant à sa réussite dans le domaine. Un truc de famille sans aucun doute, le clan Weasley-Potter était obsédé par ce sport et en plus particulièrement doué. Joanna s'amusait à penser quelques fois que vu leur propension à se reproduire, il n'y aurait bientôt plus que des Weasleys dans les quatre équipes de Quidditch de Poudlard, et que si ils s'y prenaient bien, ils finiraient également par coloniser les équipes professionnelles. Elle imaginait alors la déconvenue des commentateurs sportifs essayant d'expliquer le match et elle riait toute seule. Joanna n'avait aucun doute que son amie serait recrutée par une équipe professionnelle. Elle l'a savait douée et acharnée : un combo gagnant. De plus, le nom Weasley qu'avait également porter Ginevra Potter résonnait encore dans les vestiaires des Harpies de Holyhead.
-Tu n'as pas besoin d'être capitaine pour être recrutée, finit-elle par dire.
-Non, mais c'est un plus.
-Pour ce que j'en sais, moi…
Le sifflet du train retentit à ce moment-là et il commença à bouger très lentement. Dominique et Joanna regardèrent les gens sur le quai qui s'éloignaient petit à petit jusqu'à ce que la campagne anglaise remplace la pierre grise de la gare.
Dominique ouvrit la fenêtre et Joanna ressortit son paquet de cigarettes pour en allumer une.
Un silence confortable s'installa dans le compartiment alors que Joanna fumait, son visage hâlé tourné vers la fenêtre, les quelques cheveux noirs échappant à son chignon se collant près de sa bouche à chaque bourrasque de vent, et que Dominique griffonnait un nouveau programme d'entraînement dans son carnet. Elle savait qu'elle ne réussirait pas à se lever plus tôt, elle n'avait jamais été du matin et elle avait déjà des entraînements deux matins par semaine. En revanche, elle pouvait s'entraîner une heure ou deux le soir. Et puis elle ne comptait pas continuer tous ses cours en sixième et septième année. La défense contre les forces du mal, les sortilèges, les soins aux créatures magiques et la botanique seraient des bases suffisantes. 4 aspics seraient déjà un très bon palmarès. Et cela lui laissera plus de temps libre pour travailler les stratégies de jeux.
La porte du compartiment coulissa bruyamment et rompit le calme du moment, James et sa clique dans l'entrebâillement.
-Hey Domi. Justement c'est toi que je cherchais, ma cousine préférée, sourit le garçon aux cheveux noirs en bataille en entrant d'un pas conquérant peu vu chez un gamin de treize ans.
-Ouais, bien sûr, ironisa Domi en fermant son carnet. Et pas du tout parce que vous cherchiez un compartiment libre et qu'il n'y en a plus nulle part.
-Absolument pas. Mais pendant qu'on discute, ce serait dommage de ne pas se mettre à l'aise.
C'était Fred, grand dadais métisse aux cheveux bouclés, aux pommettes hautes et au sourire espiègle, qui venait de s'avancer aux côtés de leur cousin. Derrière eux, encore dans le couloir, Duncan Porter, grand châtain au nez un peu trop long et aux oreilles un peu trop décollées, Lorcan Scamander, tout petit blond aux yeux verts et aux tâches de rousseurs et Cheryl Reagan, rouquine aux cheveux emmêlés dans une veste en jean trop grande pour elle, attendaient le feu vert pour investir également les lieux. Cette quinte flush gagnante, qui entrait en troisième année, était à elle seule la source de toutes les embrouilles possibles et inimaginables à Poudlard. Au départ, seuls James et Fred, convaincus d'être la relève à la fois des maraudeurs et des célèbres frères Weasley, pourfendeurs de crapauds roses, avaient prévu d'en faire baver le personnel de Poudlard. Mais Lorcan Scamander, privé de l'influence de son frère par la répartition des maisons, s'était facilement laissé entraîner dans leur sillage. Cheryl, qui s'était accroché à Lorcan, elle aussi privée de sa jumelle à cause de la répartition, avait suivi le mouvement et Duncan Porter, attiré par le chaos, en avait flairé l'odeur jusqu'au petit groupe. Et voilà comment le destin de Poudlard fut scellé. Bien sûr, au départ, ils avaient essayé d'être discrets. Mais ils ignoraient être déjà fichés par le professeur McGonagall, directrice de ce vaste bordel, la réputation de leurs nobles ancêtres les précédents… Et maintenant, ce nid à emmerdes souhaitait venir squatter leur wagon.
-Bien sûr, bien sûr. Du moment que ça ne te dérange pas d'entendre des conversations plus adultes, ricana Dominique, moqueuse.
-Ouais, genre. Comme si t'avais des choses à raconter dans ce domaine, la tacla James ("Qu'est-ce que t'en sais…?") En revanche, Joanna ça ne m'embêterais pas…
-Ouais, c'est ça. Continue de rêver Minimoys, le rembarra Joanna en éteignant sa cigarette et refermant la fenêtre pour les petits. Bon, vous vous asseyez ou vous restez debout jusqu'à Poudlard ?
-C'est à dire qu'on a entendu deux premières années dire qu'il y avait un dragon dans ce compartiment alors on reste sur nos gardes, dit Cheryl en prenant place à côté de Joanna.
Joanna sourit, pas repentante pour un sous, et croisa les jambes sur la banquette. Elle tira un carnet noir de la poche de sa veste en cuir, cala un stylo dans sa bouche et s'affaissa contre le dossier, ignorant désormais les autres, déterminée à écrire le plus longtemps possible. Ce qu'elle écrivait, personne n'en savait rien. Pas même Dominique et ce n'était pas faute d'avoir demandé. Elle avait fini par accepter que cela faisait parti des petites excentricités qui faisaient de Joanna Calhoun Joanna Calhoun.
Dominique se replongea dans son carnet de tactiques, ignorant les complots chuchotés par la Quinte Flush de 3ème année. Vingt minutes plus tard, une rouquine de treize ans, le portrait craché de Cheryl mais en plus soignée, habillée de bleu et sans doute d'un balais dans le derrière, entra dans leur compartiment pour rendre à sa jumelle un sac de matériel pour farces et attrapes acheté du côté moldu de Londres qu'elle avait oublié dans son compartiment.
-Oups, merci frangine, avait répondu Cheryl.
-Merci frangine ! Avaient surenchéris James et Duncan alors que Shannon Reagan s'en était allée sans leur accorder même un regard.
Coupé dans leurs manigances, Duncan avisa le carnet dans lequel Dominique semblait consigner des pages et pages.
-Me dis pas que tu fais tes devoirs depuis tout à l'heure ? C'est un mythe qui s'effondre.
-Mais non ! C'est son carnet de Quidditch. Elle est frustrée que Weaver est eut le poste de capitaine.
-Elle est clairement moins douée que moi ! S'indigna Dominique en réponse à la remarque de James.
-Techniquement oui, dit Lorcan. Mais elle est plus structurée et se donne autant que toi.
-Pff, impossible !
-Je t'assure que si. On l'a même croisée une fois dans les cuisines, elle demandait aux elfes de maison d'adapter leurs repas aux besoins nutritifs d'une athlète. D'ailleurs ça ne m'étonnerait pas qu'elle tente de l'imposer à toute l'équipe maintenant qu'elle en a l'autorité.
-L'horreur !
-Non, ma tarte à la mélasse ! C'est monstrueux de faire ça ! Pleurnicha le poursuiveur de 3ème année.
-Voila pourquoi c'est elle la capitaine, conclut Fred en riant, visiblement pas embêté par la menace de régime sportif.
-L'an prochain, ce sera moi.
-C'est ce que tu disais déjà l'année dernière, fit remarquer Joanna à son amie.
-Dans quel camp es-tu, toi ?
-Le tiens, évidemment. Promis si tu ne reçoit pas le badge, je t'aiderais à le voler.
-C'est trop aimable.
-Si mon insigne disparaît l'année prochaine, je saurais où chercher, les prévint James vantard, semblant persuadé de l'avoir.
***
Après le banquet, qui fut sommes toute agréable malgré la bataille de nourriture qui avait failli avoir lieu entre elle et l'équipe de Quidditch de Serdaigle qui s'était fait un plaisir de la narguer en ressassant leur victoire de l'année passée, Dominique et ses camarades de chambre montèrent directement dans leurs quartiers où elle se laissa tomber sur son lit en étoile de mer alors que Joanna jetait sa veste en cuir sur le sien. Elle resta un instant sans bouger, la tête enfoncée dans l'oreiller, avant de reprendre la position en étoile de mer mais sur le dos. Le brouhaha et le chaos s'étaient installés dans le dortoir des filles griffondors de 6ème année, les malles déversaient leur contenu sur les lits et des objets volaient tout seuls se ranger dans les tables de chevet ou se rangement sagement dans les quelques tiroirs en dessous des lits à baldaquins. Pointant sa baguette sur chaque objet un par un, Molly Weasley mettait de l'ordre alors que ses deux amies, Lottie Simons et Julie Moss, essayaient de l'imiter avec plus ou moins de succès. Il faut dire que les sorts liés aux tâches ménagères n'étaient pas enseignés à Poudlard car il était clairement préférable d'apprendre à ces jeunes gens à se battre plutôt qu'à tenir une maison. C'est ce qu'avait déploré Molly Weasley senior alors qu'elle avait réunis chez elle tous ses petits enfants, garçons et filles, pendant une après-midi pour leur apprendre les sortilèges de base. Dominique regarda faire sa cousine, n'ayant aucune envie de se lever pour faire pareil. Elle laisserait le rangement pour le lendemain puisque cette année le 1er septembre tombait un samedi et que les cours ne commenceraient bien évidemment que le lundi. Dominique tourna la tête pour regarder le lit à sa gauche, celui de Joanna. Son amie, à plat ventre sur son lit en train d'écrire dans son carnet, avait enlevé ses grosses chaussures à plateforme pour dévoiler des chaussettes roses avec des petits lapins qui sautillaient d'un pied à l'autre.
-Jo ?
-Oui ?
-Tu écris quoi ?
-T'occupes.
-C'est des mots d'amour pour moi ?
-T'es pas mon genre.
-Pourquoi ?
-Je préfère les brunes.
-Tu fais mal à mon petit cœur.
Puisque Joanna n'était pas d'humeur sociable, Dominique se retourna vers ses trois autres camarades de chambre qui, assises sur leurs lits, reprenaient le récit de leurs vacances sûrement commencé dans le Poudlard Express. Lottie Simons, son teint pâle devenu rouge vif, ses yeux bleus pétillants d'émotion, ses grandes jambes repliées sous elle, racontait son coup de cœur de l'été pour un élève de Ilvermorny venu en Angleterre chez sa tante et qu'elle avait rencontré sur le Chemin de Traverse. Plus précisément, dans le nouveau salon de thé-bibliothèque de la Rue des Charmes, la rue perpendiculaire au Chemin de Traverse qui avait ouvert cinq ans plus tôt.
Dominique s'en souvenait bien parce qu'une agence d'intérim d'elfes de maison avait ouvert dans la Rue des Charmes, que sa tante avait suivi le projet du début à la fin, du business plan jusqu'à la construction des nouveaux bâtiments, justement pour cette raison et qu'elle en parlait à chaque repas de famille du dimanche.
Assise en tailleur à côté d'elle, son amie Julie Moss, une petite brune aux lunettes rectangulaire et poursuiveuse avec Dominique et James dans l'équipe de Quidditch de Griffondor, souriait avec indulgence, bien que Dominique ne doute pas qu'elle connaissait déjà le moindre petit détail de ce qu'elle lui disait par cœur puisque ces deux étaient de ferventes correspondantes. Molly, par contre, au vu de ses questions, en entendait visiblement parler pour la première fois ce qui n'était pas étonnant car elle passait toujours les deux mois des vacances d'été dans le monde moldu avec sa sœur et ses parents. Audrey Weasley, née Penbrooke, la mère de Molly et Lucy, était une moldue provenant d'une famille foutrement riche. Ignorants de l'existence de la magie, les parents d'Audrey, à qui on avait dit que Poudlard était un pensionnat d'élite et qui n'avaient fort heureusement pas cherché plus loin, exigeaient de passer tout l'été avec leurs petites filles, repas du midi le dimanche exclu.
Lassée très vite de la conversation, il faut dire que Dominique n'était pas spécialement intéressée par le flirt, elle se leva pour prendre sa douche la première dans la petite salle de bain attenante. Elle resta un moment sous le jet d'eau, se débarrassant de la saleté du voyage. Elle fut remplacée ensuite par Julie alors qu'elle s'installait sur son lit en pyjama et passait un coup de brosse dans ses cheveux. Ils étaient longs mais avaient la faculté de ne presque jamais faire de nœuds, raison pour laquelle elle ne les avait pas coupés. Cadeau de sa mère dont son frère et sa sœur avaient aussi hérité. Elle finit par poser sa brosse à cheveux sur la table de chevet et sortit la nouvelle édition de Quidditch à travers les âges pour bouquiner un peu avant que l'extinction des feux soit ordonnée.
-Ca vous dit une journée soins de beauté demain ? Demanda Lottie lorsque toutes les filles furent finalement couchées et la lumière éteinte.
Molly et Julie acceptèrent, Joanna ricana avant d'accepter si cela voulait dire qu'elle pouvait faire la sieste pendant qu'on lui mettait de la garniture salade sur le visage, Dominique fit semblant de dormir.