
G-A Brook
Qukkol était particulièrement amusée par la scène qui se déroulait dans son grand miroir de communication. La scène se tenait dans un hall d’un tribunal de Provence. Un petit d’Homme encadré par deux gardes impériaux se débattait comme un beau diable. Les cheveux noir d’encre en bataille et les yeux bleus, brillants de pouvoirs, l’enfant était sauvage, puissant et indompté.
Assise dans son trône d’ossements, la vénérable Mage Noire était pensive. Elle pouvait voir la magie de l’enfant s’échapper par vagues de son corps.
Il était vraiment puissant. Il était comme un diamant brut. Il avait un potentiel incroyable…
Qukkol savait que son heure venait. Elle avait déjà trop tiré sur la corde. Elle pouvait sentir son corps et son esprit se déliter et sa puissance s’assécher. Elle savait qu’il ne lui restait qu’un temps de vie incroyablement court. A peine une trentaine d’année et elle rejoindrait la Grande Déesse.
Bientôt, elle rejoindrait Hellheim.
Elle ne voulait pas que son savoir s’évanouisse avec elle et elle refusait de signer le contrat des Seigneurs Liches. Elle n’avait donc qu’une seule solution. Il lui fallait un héritier.
Et le gamin avait toutes les qualités nécessaires. Oh, oui, il était parfait. Elle allait faire de cette pierre brute le plus parfait des diamants.
Éclatant de rire, la vénérable Mage Noire, plusieurs fois centenaire s’évanouit dans les Ombres. Elle avait un héritier à sauver des mains de ces idiots de gardes napoléoniens.
OoO
Gabriel posa les iris noirs sur la tombe et adressa une brève prière pour l’âme de sa tutrice.
Le jeune homme qui avait physiquement vingt ans ne savait pas vraiment si Qukkol avait encore une âme lorsqu’elle était morte ou si elle avait tout sacrifié à la Nécromancie.
Mais ce n’était pas son problème.
La Mage Noire qui l’avait pris sous son aile trente-sept ans auparavant lui avait transmis tout son savoir. Avec elle, Gabriel avait appris les plus sombres arcanes de la Magie. La Nécromancie n’avait plus de secret pour lui, pas plus que la légimancie ou les rituels de possession.
Gabriel était puissant. Il le savait, il le sentait. C’était un fait avéré. Et en plus de cela, il était un Nécromancien naturel. Il était donc immunisé contre la lente décrépitude qui avait rongé sa tutrice pour avoir joué avec des forces qui les dépassaient tous. Rares étaient les élus à pouvoirs jouer avec la Vie et la Mort.
Maintenant que Qukkol était partie pour Hellheim, désormais sans attache, Gabriel était libre. Libre de quitter le vieux château de pierre où il avait passé ces dernières années et Libre de courir le monde, de faire des rencontres, d’apprendre, d’apprendre encore et toujours.
Vu qu’il savait comment ralentir le vieillissement de son corps et qu’il avait largement la puissance nécessaire pour le faire, il allait pouvoir profiter de cette nouvelle liberté. Longtemps.
OoO
L’air était chaud et humide. Le dernier morceau de jazz à la mode passait en boucle sur les ondes et formait un fond sonore que les deux hommes n’entendaient plus.
Accoudé au comptoir, Gabriel faisait tourner entre ses doigts son verre de rhum. À ses côtés, Nicolas sirotait une grande mousse.
« Pourquoi le A ? »
L’étrange question de son ami sortit le Nécromancien de ses pensées. Il se tourna vers l’homme aux cheveux couleur rouille et au sourire malicieux.
« Pardon ? »
« Tu signes G-A Brook. Or, tu n’as pas de second prénom. »
Gabriel soupira.
« C’est une longue histoire. »
« On a tout notre temps », ricana Nicolas, faisant sourire le Nécromancien.
Après tout, les deux immortels, ou assimilés, avaient du temps.
« Aliénore Penthièvre… Elle fut ma femme durant sept merveilleuses années. Elle est morte en couche. Je n’ai rien pu faire, même avec ma magie. »
« Je suis désolé… L’enfant ? »
« A survécu. C’était une petite fille. Je l’ai faite adopter par un couple de marchands français. Je ne voulais pas m’en occuper. Elle me rappelait trop Aliénore. »
« Je suis vraiment navré que ma question t’oblige à replonger dans un passé douloureux », s’excusa Nicolas, réellement contrit.
« Tu ne pouvais pas savoir. C’était il y a longtemps… Le temps cicatrise toutes les blessures, même celles que l’on pensait inguérissables. »
Gabriel sourit à son ami.
« Mais cessons de ressasser de vieux souvenirs. On est là pour fêter tes 648 ans par la barbe de Merlin ! » S’exclama le Nécromancien avant d’avaler son verre cul sec.
« Arg, je me sens vieux. »
« Tu es vieux. »
« Silence gamin », grommela Nicolas.
Gabriel éclata de rire. Les deux hommes se connaissaient depuis trois décennies et le Nécromancien s’amusait toujours autant à embêter son ami.
« Sinon, tu penses que Gandhi va réussir à faire plier le vice-roi des Indes ? »
« Oui. Lord Irwin va finir par signer l’accord sur les prisonniers politiques et sur le sel. S’il ne le fait pas, les Indes plongeront dans une guerre civile sanglante. Il n’a pas le choix. »
oOo
Gabriel A Brook vieillissait de façon incroyablement lente. En deux siècles, il avait à peine pris cinq ans. La magie intrinsèque des Nécromanciens Naturels ralentissait leur vieillissement et un puissant sortilège de nécromancie renforçait encore cette caractéristique. Vu comme il était parti, si personne ne lui lançait d’Avada, ne lui tirait dessus ou ne lui plantait une lame dans le corps, il vivrait plus d’un demi-millénaire.
Mais la nécromancie n’était pas l’unique moyen d’obtenir une vie quasiment infinie. L’Homme avait toujours été effrayé par la Mort et avait toujours cherché à la fuir. C’était cette quête d’immortalité qui avait poussé l’humanité à créer les horcruxes ou la Pierre philosophale.
Seuls cinq Alchimistes avaient réussi à créer une telle pierre. Le premier d’entre eux était Quetzalcóatl. L’homme avait vu le jour quasiment trois millénaires avant JC. Il était un sorcier et un Alchimiste doué. Il s’était fait passer pour un dieu auprès de ses compatriotes avant de partir en exil, après quelques siècles à être déifié. Aujourd’hui, il vivait quelque part en ermite dans la Cordillère des Andes.
Le second Alchimiste était une petite sorcière chinoise du deuxième siècle avant J.-C. qui officiait comme guérisseuse dans les contreforts de l’Himalaya. G-A ne l’avait jamais rencontrée.
Le troisième Alchimiste était Nicolas Flamel. Il avait ensuite guidé sa femme dans la création de ses propres pierres. Cependant, si Pernelle avait une pierre philosophale et savait comment en fabriquer, elle n’était pas considérée à proprement parler comme une Alchimiste, car elle était avant tout une Mage Elémentaliste.
Les quatrième et cinquième Alchimistes étaient les frères Elrics. Ils étaient nés au début du vingtième siècle et avaient grandi durant la Première Guerre Mondiale. Les gamins, Edward et Alphonse avaient réussi cet exploit à respectivement quinze et treize ans au cœur de la guerre. Le couple Flamel les avait pris sous leur aile, les éduquant correctement et leur apprenant à manier avec sagesse et prudence l’Alchimie.
Gabriel avait rencontré les deux frères une fois lorsqu’il s’était fait invité à manger chez Nicolas et Pernelle. Il avait beaucoup aimé asticoter l’aîné sur sa petite taille.
D’après ce que G-A savait, la pierre philosophale était le seul moyen pour les Hommes de ne pas mourir sans passer par des malédictions ou des rituels de magie noire.
Les Seigneurs Liches étaient d’anciens Nécromanciens qui passaient un contrat avec la Mort et la Magie. Ils étaient alors maudits et devenaient quelque chose d’absolument pas humain.
Lorsque leur magie était au repos, ils pouvaient passer pour de simples moldus avec une peau très froide et une absence de pouls. Cependant, lorsque leur magie s’activait, ne serait-ce que pour créer un simple lumos, ils perdaient leurs apparences humaines et révélaient leurs véritables visages.
Les Seigneurs Liches étaient des squelettes ambulants animés par un mélange de Magie Mortuaire, de Magie Sanguine et de Magie de l’Âme. Ils étaient particulièrement puissants et Gabriel était certain que s’ils décidaient de conquérir le monde, personne ne pourrait les stopper, si ce n’est la Mort elle-même.
Dans la même veine, il y avait les Vampires qui ne pouvaient mourir de vieillesse. Seule la décapitation et l’incinération des corps permettaient de « tuer » un vampire.
G-A avait également rencontré deux autres types d' « Immortels ». Si les Liches et les Vampires étaient issus de la magie noire, ceux-là naissaient d’une malédiction.
Le Nécromancien naturel avait fait la rencontre de Methos dans un bar de la Nouvelle-Orléans. Ils avaient longuement discuté de ses capacités. Gabriel avait ainsi appris plusieurs choses.
Methos était le plus vieux des Immortels. Il était mort une première fois, mordu par un serpent et était revenu à la vie. Depuis, il avait cessé de vieillir.
Il pouvait se prendre une balle en plein cœur, il ne mourrait pas. Seule la décapitation pouvait tuer Methos et ses compatriotes.
Tous les Immortels du type de Methos étaient, à l’origine, des moldus ignorant tout du monde sorcier. Le Nécromancien avait émis l’hypothèse que ces moldus, qui n’en étaient plus vraiment, avaient été bénis par des puissances supérieures. Par la Magie ou la Mort elle-même.
Menthos avait appris à connaître les sorciers au cours de sa longue existence. Mais il n’avait jamais cherché à faire activement partie du monde magique.
Le sorcier et l’immortel étaient restés en contact épistolaire et chacun savait que s’il avait un pépin, l’autre viendrait pour filer un coup de main.
Et puis il y avait ceux que G-A avait surnommé les phœnix. De ce que G-A savait, il n’y en avait que deux. Deux moldus qui avaient été bénis, ou maudis, selon le point de vue, d’une vie éternelle. Ou plutôt, d’une capacité de renaissance infinie.
Le Docteur Morgan et Adams pouvaient mourir. Une balle dans la tête, une noyade, un passage à tabac, une chute dans les escaliers, un coup de poignard, une avalanche… Ils étaient humains et mourraient comme des humains.
Mais ils revenaient. À chaque fois qu’ils mourraient, ils « renaissaient » dans l’étendue d’eau la plus proche.
Gabriel ne leur avait jamais parlé. Il se contentait de les surveiller de loin car Ra's les avait rapidement évoqués et que le Nécromancien était curieux.
Peut-être qu’un jour, il irait les voir pour discuter et en apprendre plus sur leurs origines.
oOo
L’homme se figea en sentant la vague de magie brute qui le traversa. Un Nécromancien particulièrement puissant était à l’œuvre sur cette île.
G-A attrapa sa sacoche et jeta quelques Drachmes sur la table pour payer sa consommation. Il enfonça son chapeau sur son crâne nu avant de sortir du café. Marchant d’un pas vif sous le chaud soleil de Grèce, il remonta la piste de la magie de la mort.
Pister le Nécromancien inconnu n’était pas compliqué. Sa trace était si forte. G-A inspira profondément et plongea dans les Ombres. Il marcha dans l’entre monde, suivant les vrilles de magie de la mort.
Il ressortit sur un chemin de randonnée perdu au milieu de la campagne grecque. Il quitta le sentier principal et s’enfonça au milieu des broussailles et des pierriers. La sombre magie de la mort était de plus en plus forte.
Et brusquement, au fond d’un comble, il les vit. Un homme adulte vêtu d’un short beige et d’une chemise verte, d’un chapeau d’aventurier sur la tête et des chaussures de marche aux pieds, tenait dans ses bras une enfant de trois-quatre ans environ. Et juste en face d’eux, un squelette à moitié recouvert de chair était en train de tituber. Le crâne se fit lentement coloniser par la chair, deux orbes saphirs apparurent dans les orbites vides, tandis que des plaques de peaux bourgeonnaient sur la chair à vif.
En une vingtaine de minutes, sous les yeux ébahis du Nécromancien, un homme revint à la vie. Celui-ci se mit brutalement à respirer. Et à tousser. Il s’écroula à quatre pattes, une main sur la gorge, toussant à en cracher ses poumons.
Le père posa son enfant par terre avant de se précipiter vers l’homme nu qui toussait au sol. Gabriel les rejoignit en courant. Son attention n’était cependant pas focalisée sur le revenant mais sur l’enfant qui, très calme, observait la scène avec des yeux brillants d’intelligence.
C’était elle qui avait ranimé l’homme. C’était elle la source de cette magie si puissante, si oppressante, si sauvage. La petite était une véritable pierre brute et G-A se ferait une joie de la transformer en le plus beau des diamants. La gamine avait toutes les qualités nécessaires pour devenir l’héritière des savoirs du Nécromancien.
Oh, oui, elle était parfaite !