
La nuit et le sang, deux dimensions infinies d’une forteresse imprenable
"On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d'hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu."
Pensées d'un biologiste, Jean Rostand.
Hesperia attendait, comme chaque jour de la semaine, qu’Orpheus rentre du Ministère. Seul, accompagné, elle se méfiait toujours plus, désormais.
Entendant du bruit dans l’entrée, la porte qui claque, le bruit des pas, la femme s’avança prudemment jusqu’à la source du chahut.
Retourne te cacher.
L’instinct fit se mouvoir Hesperia avant que ce ne soit trop tard. L’intrus - de plus en plus clairement, il ne s’agissait pas de son amant clandestin - s’était mis à fureter un peu partout, ouvrant les armoires, les tiroirs, les portes. Les bruits de pas se rapprochaient.
Elle traversa le salon, la cuisine, sans trouver d’endroit où se terrer. Une de ses chances résidait dans une chambre située à proximité, mais les pas venaient dans sa direction, ayant remarqué la danse légère mais cadencée des foulées d’une autre personne.
-J’en étais sûr, grogna une voix non loin d’Hesperia. Ça sentait la Sang-de-Bourbe… Un lieu bardé d’autant de sortilèges, ça attire l’attention… Ne m’en veux pas trop, j’ai toujours été fin limier.
Une voix familière.
Ses mains se crispèrent sur sa baguette, prête à combattre.
Au moment où Avery se retrouva face à elle, son charme de repousse contra un éclair rouge.
-Quel est ton nom, ma jolie…?
Un sort fusa, que la jeune femme parvint à bloquer, son bouclier encaissant avec difficulté le coup. Elle lança un Expelliarmus dans une tentative désespérée mais celui-ci n’atteignit pas sa cible.
-Ah mais suis-je bête. La salope de Travers suffira…
Hesperia frémit sous l’insulte. La colère flamba dans ses veines, malgré le danger. Elle ne l’avait jamais vu en combat, mais il lui apparut évident qu’elle ne ferait pas le poids. Il était trop rapide, trop précis. Létal. Elle se mit à courir dans la maison, se guidant là où elle le pouvait, connaissant la plupart des pièces par cœur.
Hesperia s’engouffra dans un escalier sous une pluie de sorts qui ricochèrent sur les murs, faisant tomber les portraits, lacérant les tableaux, explosant tous les objets qui se trouvaient sur leur trajet.
-Tu ne m’échapperas pas…
Pendant qu’elle s’enfuyait, piégée dans un huis clos qui allait devenir potentiellement mortel d’ici quelques minutes, lançant des sorts protecteurs et des maléfices au hasard dans l’espoir de ralentir la progression du Mangemort vers elle, Hesperia écoutait les paroles rudes, la voix railleuse s’élever dans la maison.
-Je me disais bien qu’il dissimulait quelque chose ici, mais je ne m’attendais pas à tomber sur toi. J’ai entendu parler de ta disparition…
Les bottes en cuir de dragon martelaient le sol malgré l’agilité de l’assaillant. Il évita les meubles sur son chemin, les vases brisés, les tableaux, le plâtre qui s’effritait dans le couloir à la violence de l'affrontement. Hesperia s’était réfugiée dans les chambres dont elle savait qu’elles étaient communicantes en cas de problème, mais il n’y avait pas d’issue pour fuir.
Il entra dans une des pièces d’un coup d’épaule violent contre la porte, baguette pointée devant lui.
-Hesperia Delacroix… Une Sang-de-Bourbe dont le mari travaille au Ministère. Il a parlé de toi, fillette. Partout, aux Aurors, au Magenmagot, dans toutes les grandes villes, mais il n’a jamais remis la main sur toi. Et Orpheus qui se cachait… ce sale traître.
La porte qui menait à la buanderie où Hesperia s’était cachée s’ouvrit brutalement -la sorcière ne demanda pas son reste, fuyant encore à travers la grande maison. Un sort la toucha à l’épaule, éclaboussant le mur et le carrelage d’une trainée écarlate. Elle accéléra, mais il n’était pas loin derrière. Les lampes vacillèrent.
Ses sorts n’arrivaient plus à ralentir Avery. Chaque seconde, l’espoir de s’en sortir faiblissait. Et Orpheus qui ne revenait pas…
Le couloir touchait à sa fin et l’ennemi en profita pour y acculer sa proie, entre le coin du mur et une lourde commode de bois contre laquelle Hesperia se cogna douloureusement. La poigne puissante d’Avery réussit à la maîtriser malgré la force surprenante de la femme - la force du désespoir. Elle tenta, avant qu’il ne réussisse à lui subtiliser sa baguette, un Impardonnable, n’importe lequel.
-Pas de ça avec moi…
Elle sentit l’homme sourire alors qu’il avait réussi à l’épingler de tout son poids.
-Vous avez assez cavalé tous les deux. Maintenant, tu vas goûter à ta condition, Sang-de-Bourbe. Et je te promets que le goût va en être magistral.
Elle se sentit tournoyer, accrochée au nombril par un objet qu’il lui faisait tenir. Avec horreur, elle réalisa la faille dans leur plan. Ils n’avaient pas pensé au Portoloin.
Carrelage noir sur toute la pièce. Hesperia roula au sol, se releva, le front en sang. Avery avait réussi à lui dérober sa baguette. Elle se trouvait sans défense à présent. A peine le temps de se remettre d'aplomb que le Mangemort lança des sorts cuisants qui atteignirent précisément leur cible.
Touchée au bras. Au flanc.
-Je me demande ce qu'il te trouve. Tomber si bas, ça ne lui ressemble pas.
Au loin jouait un piano dont le chant aux notes claires et aiguës s'étendit dans la pièce en échos fantômes.
Une autre salve de sorts. Elle courut. Mais il n'y avait aucun endroit où se cacher. Les jambes, cette fois. Le dos. Une estafilade longue comme la main.
Hurlements de douleur.
Avery prenait son pied.
-Qu'importe. Tu ne le reverras jamais. Tu vas crever ici, dans la bourbe de ta race, de ma propre main...
Tombée à terre, Hesperia entendit un hurlement. C'était elle.
Endoloris.
Halo rouge souffrance. Tout, tout pour y échapper. Et le piano déroulait ses trilles, la sonate vrillant ses oreilles comme le chant d'une sirène obscure. Elle espérait encore. Il allait la retrouver.
Des sorts coupants, encore et encore.
-Tu prendras pour lui. Quand je lui mettrai la main dessus... je lui ferai voir ce qu'il en coûte de briser son serment, lança-t-il dans un accès de colère brusque.
Des rigoles de sang coulèrent entre les pavés. Elle se demanda si sa vie allait se terminer là, laissée pour morte par Avery. Sans qu’il ait eu le temps de la retrouver.
Mélodie sombre, tourmentée. Une alternance lancinante entre les noires et les blanches. Le piano ne semblait jamais s'arrêter, ni quand Avery en avait fini avec elle, ni lors des moments de souffrance qu'il lui infligeait. C'est à croire que le temps ne poursuivait plus sa course pour lui indiquer où était le jour, où était la nuit. L'instrument devait être enchanté.
Elle imagina des mains voleter sur les touches, la douleur suivant la mélodie. Enchaînée, elle ne pouvait rien faire contre Avery. Contre le voile rouge et le liquide de la même couleur qui s'échappait d'elle en vagues régulières. Alors elle se laissa submerger, son souffle partant et revenant en râles silencieux mais brûlants dans sa gorge.
-Silence, tu gâches la musique.
Mais si elle ne pouvait plus faire bouger les chaînes qui retenaient ses mouvements parce que le bruit métallique du raclement sur le carrelage quand son corps se tordait, en lutte, le dérangeait, ses cris, les gargouillis de son sang, l'odeur âcre, infâme, faisaient partie du concert.
-Encore une chose que tes semblables ont ruinée. Ces animaux incapables de raffinement. Ces porcs indignes de nos pouvoirs.
Il faisait si froid, dans ce cachot. Les relents qui y sévissaient, inimaginables. Des dalles rectangulaires, un peu comme celles qui tapissaient les parois du métro, ou celles qui entouraient le Ministère de la Magie, mais noires, plus noires encore. Comme la nuit. La mort.
Dans cette pièce dédiée à la boucherie, Hesperia n'eut plus la force de bouger. Le piano qui ne cessait de jouer lui rappela tous ses souvenirs d'eux lors de ces dernières années. Son esprit sombra dans un brasier devenu écho de la douleur physique.
-Malefoy.
-Avery.
Les deux sorciers se saluèrent. Elle n'entendit que de très loin leur conversation, dans un flou et un état d'épuisement si avancé que ça sembla irréel.
-Que fais-tu dans les cachots ?
-Je m'occupe d'une invitée clandestine.
-Ah.
Malefoy n'eut pas l'air enthousiasmé par la perspective de se salir les mains.
-C'est entre moi et Travers, Avery continua, d'un ton qui laissait sous-entendre une certaine complicité. J'attends son arrivée d'une minute à l'autre. Si tu le trouves, sois sûr de lui dire de descendre venir la voir. Je suis sûr que ça l'intéressera. Et je l'y attends.
-Les cris sont particulièrement déchirants et évocateurs, ce soir. Quelque chose à avouer ? Reprit Malefoy.
Le reniflement hautain d'Avery lui repondit.
-Même pas. C'est déjà fait…
La fin n'était plus qu'un chuchotement aux oreilles d'Hesperia alors que le Mangemort reprenait son travail.
-Il n'y a rien entre nous, articula-t-elle entre deux gorgées de son propre sang.
-Menteuse ! Depuis combien de temps ça dure, cette histoire...?
Maîtrisée par le poids de son corps sur le sien, Avery planta ses prunelles dures et brunes dans les siennes, lançant le sort qui lui permettrait de trouver ses réponses le plus rapidement, juste à la source.
L'intrusion dans l'esprit d'Hesperia, déjà consumé par les flammes acides de la douleur, fut une nouvelle violence à encaisser. Une tornade contre les barrières faibles de sa psyché, qui se laissèrent emporter par le chaos.
Un maëlstrom d'images et de sons défila dans sa mémoire. Ses yeux se révulsèrent, son corps s’arquant sous les assauts mentaux. Elle crut son heure arrivée, crut sentir son âme se briser sous le poids des souvenirs, le miroir éclater à nouveau, le serpent aux écailles noires de la folie s’emparer des derniers morceaux de sa conscience.
-Oh, mais dis-donc...! Ça, pour une histoire, c'est une histoire... que c'est touchant, ricana-t-il d'un air absolument dégoûté. Il a réellement essayé de te protéger en effaçant ta mémoire. Il doit vraiment tenir à toi...
Elle hurla, mais la souffrance ne faisait qu'empirer. Elle haïssait tellement son corps lourd sur le sien inerte, son esprit lisant le sien avec trop de facilité, trop d'indélicatesse, de brutalité. A bout de souffle, ses muscles tremblaient, se bloquaient en réponse à l’agression, mais ça continuait et continuait, encore et encore et encore, une force implacable écrasant la sienne.
-Je vais devoir lui rappeler à qui doit revenir sa loyauté. Bien que je suis sûr que notre Maître s'en chargera en temps voulu. Lorsque je lui aurai rapporté son petit penchant pour les Sang-de-Bourbe comme toi...
Elle ne répondit rien. Qu'aurait-elle pu...? Il lui sembla voir, du coin de l’œil, une ombre à l'entrée du cachot, juste devant les grilles qui le fermaient. Sûrement une hallucination. Ça ne serait plus la première, à présent. Un Mangemort venu se délecter de sa souffrance, un Malefoy, peut-être.
-Sois un peu réaliste. Il ne viendra pas te sauver. Il sait que je l'ai découvert et il sait ce qu'il risque pour sa trahison.
L'ombre s'avança.
-S'il y a quelque chose que je ne suis pas, Avery, c'est pleutre, rétorqua une voix. Tu n'es qu'un sale fouineur.
Le bourreau se retourna vers la source de la voix, un sourire de prédateur aux lèvres.
-Fin limier, je préfère. J'ai toujours eu un don pour la chasse, à ce qu'il paraît. Mais toi, tu nous as trahis. Et pour quoi ? Une de ces raclures qui envahissent le bas-monde en ne pensant qu'à se reproduire. Une de ces choses au sang fangeux qui ne rêvent que de prendre nos places, usurper nos pouvoirs. Corrompre notre monde. Dis-moi, Orpheus, as-tu pris du plaisir à en faire ta marionnette ? Ta salope ?
-Ne parle pas d'Hesperia, connard.
-Ah oui, Hesperia, c'est vrai qu'elle s'appelle ainsi. T'en as pas eu marre de l'oublietter, encore et encore ?
-Diffindo !
Le combat s'était engagé dès qu'Orpheus s'était révélé. En tentant de protéger son corps supplicié des sorts qui ricochaient contre les parois du cachot souillé, l'homme qui était venu tirer la sorcière de là subit de multiples coupures, brûlures. Il fut même touché au bras, mais trouva la force de résister. Le Doloris ne le vaincrait pas.
Reprenant le Portoloin négligemment jeté dans un coin par Avery, le traître parmi les Mangemorts le fit atterrir sur le corps inerte d'Hesperia, qui transplana aussitôt en sens inverse, happée par le tourbillon.
Il n'avait pas eu le temps d'évaluer les dégâts. Avery hurla, constatant que sa proie lui avait échappé. Ce n'était pas sans rappeler l'épisode Potter ; il y avait là une double raison de se venger. Le combat s'intensifia. Avery lui lança des sorts explosifs, essaya de le viser avec des Doloris, des sorts vicieux, comme le maléfice à aiguilles qu'il repoussa tant bien que mal tant les objets piquants surgissaient de partout dans le but de provoquer douleur et déconcentration. Les éclairs surgissaient des baguettes à une vitesse folle. Orpheus n'avait jamais été aussi bon que lui en combat, mais il était plus stratégique. Comme Nott, il attendait la faille.
-Incen...
La flamme gigantesque qui serpentait vers Travers fut bloquée par un bouclier.
-Expulso ! Impedimenta.
Cela ne l'atteignit pas. Avery fulminait. Mais cet instant de rage fut celui qui permit à Orpheus d'acculer son ennemi. Il l'assomma. Au corps à corps, Avery avait peut-être réussi à s'emparer de sa femme, mais Travers conservait l'avantage.
Avant de la rejoindre, de les soigner, il y avait une chose à faire. Une chose importante, sans laquelle ils ne pourraient pas espérer survivre longtemps. Orpheus était le seul à pouvoir le faire. Le seul à avoir perfectionné son art, encore et encore, plus loin que la simple maîtrise. Ce sort-là n'était pas létal ; il se tissait autour de la victime, peu à peu. Mais plus il était utilisé, plus le cocon se refermait et finissait par dévorer sa victime de l'intérieur.
Il le savait bien.
Il évoluait sur le fil du rasoir - c'était trop ou pas assez. Maintenant ou plus tard. Il avait encore une chance. Cette chance. Sa baguette se leva d'un geste solennel, maestro s'apprêtant à organiser une trille, à tirer son fil. Il espérait que ce ne serait pas celui qui détricoterait tout.
-Oubliettes.
Son ton était amer, et la couleur du trait qui atteignit Avery, la teinte de la confusion dans ses yeux l'étaient tout autant. Il savait que tout ça n'était qu'un avant-goût. Qu'ils allaient devoir se battre envers et contre tout. Seuls contre tous.