Nuit Fatale

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
G
Nuit Fatale
Summary
L'amour est un traumatisme dont le cœur ne guérit jamais. Hesperia Delacroix est peut-être la sorcière la mieux placée pour le raconter. A trop vouloir jouer, même contre son gré, avec l'épée de Damoclès, elle finit par vous pourfendre. Il ne faut qu'une rencontre, à la faveur des ténèbres, pour vous briser. Une nuit trouble, sous le sceau du secret, pour vous révéler.S'en souviendra-t-elle, entre silence et oubli..?S'en souviendra-t-elle avant la fin ?
Note
Vous êtes mis au défi de deviner qui se cache derrière le doux prénom d'Orpheus... GOOD LUCK !Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du WITCH HUNT FEST organisé par FESTUMSEMPRA. La liste complète des œuvres participantes est disponible sur la collection : https://archiveofourown.org/collections/Witch_Hunt_Fest/works Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici : https://discord.gg/73rYkUNPTx
All Chapters

Tombent les Ténèbres de la nuit finale à l’aube du dernier jour


“Ce qu'on fait par amour s'accomplit toujours par-delà le bien et le mal."
Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886.


 

Elle se souvenait.  De tout. Une nouvelle, énième fois. De toute cette vie qui n'avait eu que pour seule teinte celle douce-amère du désespoir à partir du moment où Orpheus y avait fait irruption. 

 

Une partie d'elle était morte avec lui, ce soir-là. Depuis la rencontre même ; ça n'avait été qu'un sursis. 

 

Sans cesse, l'image de leurs derniers instants repassait dans sa mémoire,  rejouait le moment du drame devant ses yeux, à ses sens maintenant perdus mais hier aguerris, aiguisés par le danger. L'instinct de survie.

 

 

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. 

 

Non : un seul être vous manque et il envahit tout, fantôme ultime qui peuple vos cauchemars, hante vos jours de tous vos souvenirs, brouille votre monde d'une réminiscence. Vous tombez, toujours plus profond en perdant le pied entre rêve et réalité. Entre confusion et clarté. Si avant elle s'était crue folle à se souvenir d'une sorte de fantasme dont on lui avait fait croire qu'il n'existait pas, désormais, les spectres n'avaient jamais été plus ancrés dans la réalité. 

 

Pourquoi avait-il fallu qu'elle soit la seule à leur survivre ? Pourquoi avait-il fallu qu'il meure en voulant la protéger ? 

Tu aurais dû le suivre. 

 

Il était mort. Mort ! Elle l’avait vu, y avait assisté. C'était comme si elle l'était déjà, d'une certaine manière. Peu importait, au fond des choses.

 

Entourée de gardes, menottée à la barre, Hesperia regardait sans voir, un peu comme lorsqu'on fixe un écran trop longtemps. Parmi les chuchotis de la foule, les flashs des appareils photomagiques, les jurés, la partie civile, les regards convergeaient vers un seul point de mire. Mais ce n’étaient ni les Aurors Shacklebolt et Dawlish qu’ils dévisageaient. Ni le sorcier par d’innombrables fois vainqueur de Voldemort, ni ses acolytes, qu’on surnommait le Trio d’Or. 

 

Le silence était si épais, une barrière de verre entre elle et le monde. Hesperia ne perçut même pas l'homme qui s'était levé pour témoigner devant elle.

 

-Je connaissais cette personne depuis des années. Nous nous sommes mariés,  nous avons vécu ensemble chaque jour et chaque nuit. Je savais qu'il y avait quelque chose qu'elle ne me disait pas. Un événement qu’elle taisait. Quelque chose qui aurait pu être sans importance, ne pas exister. Et pourtant… C’est ce qui a tout fait basculer. 

 

Son regard trouble se posa sur la foule. Tout le monde retint sa respiration face au discours du mari éploré, qui voyait sa compagne lui échapper une seconde fois. Elle balaya le premier rang, le second, rangée gauche, droite, gauche-droite. 

 

D’un coup, le temps s’arrêta. Bouger fut impossible. Le froid envahit son corps, coupa ses jambes, horrifia sa peau. 

 

Parmi l’assemblée se trouvait, à demi-dissimulée, une paire d’yeux au ton plus intense que l’orage. Plus tranchants qu’une lame d’acier. Plus précieux que n’importe quels joyaux. Une paire d’yeux qui la transpercèrent de leur flamme sereine, froide, dansante. 

 

Elle hurla, hurla, mais le monde ne l’entendit pas. Son cœur cogna contre ses côtes, elle manqua s’étouffer. Mais son corps ne bougeait pas. Pourquoi, pourquoi ? Elle ne put que soutenir ses yeux. Les chérir à nouveau. Hesperia aurait voulu graver à jamais les traits anguleux de son visage en elle, pour que plus rien de lui ne lui échappe plus jamais. Les graver à l’encre de son esprit, à la cendre de son amour, sur la lame qui avait fini par s’abattre sur elle - l’éclat bourdonnant de ces prunelles en était l’épée même de Damoclès, celle qui fendait les Ténèbres et l’avait accueillie en son écrin. 

 

Elle aurait voulu périr de cette épée. Plus que jamais. 

 

Mais... son âme n’a pas fleurie entre ses bras, elle a fané. Pourri. C’est le toucher de la Mort qui l’a corrompue. La Marque qui les a condamnés. 

 

Il portait son éternel costume. Sa manche droite déchirée révélait à tous l’appartenance sombre à laquelle son âme s’était retrouvée vouée. A laquelle l’âme d’Hesperia se confondait. 

 

La Mort vient toujours chercher son dû. La noirceur aussi. 

 

Le monde tourbillonna sous ses pieds. D'un mouvement impassible, son cœur continua de cogner. Son regard, de s’ancrer au sien. 

 

Il est venu. 

 

Et l’éclat de l’épée dans les yeux d’argent la mit à mort une seconde fois. Refléta toute leur histoire. Elle se souvint, et ce savoir se déversa par vagues. Un peu comme les embruns carmins de sa souffrance dans la salle noire du Manoir Malefoy, mais en sens inverse, parce qu'ils remontaient à elle. Les vagues en étaient floues, translucides, comme des flots de chaleur. Elles distordirent tout sur leur passage - temps, espace, réalité. S’acheminèrent lentement, comme une torture finale, jusqu’à la source de son être, où une nausée abominable prenait racine. Jusqu’au point même où elle et le vertige ne firent soudainement plus qu’un. 

 

Et elle se souvint. 

 

La dernière nuit. La nuit de toutes les fins. 

 

-Hesperia, chuchote une voix. 

 

Un Mangemort. Sa baguette le tient en joue sans tarder. Elle ne refera pas les mêmes erreurs. 

 

Elle étudie les yeux gris derrière le masque ouvragé. Lentement, une main vient le chercher, l’agrippe, le retire. L’objet tombe au sol.

Orpheus.

 

Tout son corps se relâche. Il a réussi à la retrouver. Poudlard est en flammes. C’est étrange de voir un lieu qu’on a fréquenté longtemps partir en fumée d’un coup de baguette magique. Il a dû partir à l’attaque avec ses camarades Mangemorts. Avec ce salopard d’Avery - elle n’oubliera jamais, bien que les marques se referment sur sa peau, et elle espère qu’il paiera. Si elle le recroise… - Goyle la brute épaisse, et tant d’autres. Avec Voldemort. 

 

La forêt regorge d’ombres alors que les flammes offrent tellement de lumière que les alentours du château sont nimbés d’une lueur orangée. 

 

Il l'a suppliée de rester cachée. Mais elle ne pouvait pas demeurer sans rien faire, aussi loin de la bataille. Sans savoir s’il en ressortirait, sans savoir qui remporterait la victoire. 

Il y a du sang sur ses tempes, sur ses vêtements. Elle s’agrippe à lui, sent sa baguette dans son dos alors qu’il accueille son étreinte. Il fleure la sueur et le combat, le sang et la survie, l’adrénaline, et, bien sûr, la fumée, qui lui rappelle celle, vile et piquante, des ténèbres. Elle inspire à s’en faire éclater les poumons, laissant l’essence d’Orpheus la faire sienne. Il respire péniblement. Elle le voit lutter contre l’adrénaline, sursauter au moindre bruit, au moindre fumet que charrie le vent au-delà de l’odeur ozonée des sorts et des cendres. 

 

-J’ai cru… 

-Je sais. 

 

C’est un miracle qu’il soit là. C’est un miracle qu’elle ait pu passer à travers les battues de Mangemorts qui quadrillent le périmètre. Mais Hesperia a toujours été bonne à ce jeu. Elle n’a pas hésité une seule seconde. Ils se sont entraînés, depuis. Elle a toutes les cartes en main, et sur chacune d’elles le symbole honni d’un Impardonnable se dévoile. Ils savent tous deux qu’ils n’hésiteront pas à y recourir tant que la vie de l’autre - leurs vies -  se trouve menacée. 

 

-C’est fini, souffle-t-il. Harry Potter est mort. 

 

La nuit ne finira jamais. Hesperia sent les larmes s’amasser au coin de ses yeux, sans comprendre pourquoi. Que l’un ou l’autre camp gagne, ça leur est égal. Elle ne sait pas ce qui aurait été le mieux pour eux. Dans chaque cas, la condamnation est la même. L’épée les séparera, à jamais. 

Jamais. 

Un souffle tremblant échappe à la sorcière alors que le Mangemort contemple son visage comme la plus belle des œuvres d’art qu’il ait jamais admirée. La plus belle des étoiles dans cette nuit sans lune, sanglante et morbide. Jamais ses doigts sur sa peau n’ont laissé trace plus vibrante. C’est leurs âmes qui tremblent, dans ce baiser, leurs âmes qui se consument, bougies craignant d’être soufflées trop fort par la tempête qui sévit autour d’eux. 

 

-J’ai perdu foi, Hesperia. Je ne sais pas ce que je fais encore là. Enfuyons-nous, chuchote-t-il d’un ton qu’elle n’a jamais entendu, comme si tout flanchait. 

 

Et ça lui fait peur autant que ça l’attire. Cette confession et cette promesse, elle les a attendues longtemps. 



-Elle s’est enfuie avec cet Orpheus, sur lequel j’avais mené quelques recherches. Je savais qu’il travaillait au Ministère. J’ai contacté les Aurors et nous nous sommes concertés pour retrouver Hesperia, l’arracher à cet homme qui l’avait complètement changée depuis sa rencontre. Jamais elle ne se serait enfuie comme ça. J’en étais persuadé. 

 

Sous l’œil attentif des jurés et de la presse, John Dawlish prit la parole. La femme aux cheveux noirs qui se tenait dans le box des accusés conservait un visage calme, placide, sans émotion. Ses yeux se fixaient obstinément sur un point au loin que nul ne pouvait comprendre. Elle semblait déjà hors de ce monde. On aurait pu faire d’elle une statue humaine tant son stoïcisme détonnait. 

 

-Nous avons découvert, grâce aux recherches de Mr Delacroix et au témoignage indirect qu’il a pu nous livrer, que le fugitif était un Mangemort du nom d’Orpheus Travers. Nous avons cherché sa trace pendant des années et des années sans le retrouver. C’était un homme dangereux, connu pour être le meurtrier de la famille McKinnon. Et pas seulement : lors des raids orchestrés par Voldemort et de la Bataille de Poudlard, ce dernier a occasionné de sérieux dommages aux Aurors et alliés présents. Il a été établi qu’il a assassiné de sang-froid de nombreux Moldus et nés-Moldus, dont voici la liste.

 

Des noms s’égrenèrent, comme un chapelet de prières, dans un silence de plomb. 

 

D’un souffle, le public s’agita. Les chuchotements surpris et exclamations d’horreur fusèrent en tous sens. Le calme fut ramené par le président de séance. Dawlish reprit.

 

-Selon les souvenirs de Mme Delacroix elle-même ici présente, il a été prouvé qu’il maîtrisait tous les Impardonnables, notamment les plus retors tels que l’Imperium, auquel il a soumis cette femme - la sorcière stoïque au fond du box des accusés fut désignée - après lui avoir effacé la mémoire pour ne pas laisser de traces de sa rencontre. 

 

Pour la première fois, le regard du public tomba sur la femme à l’air perdu, menottée et encadrée par des gardiens de prison. Un souffle de sympathie anima la foule, mais elle n’eut aucune réaction. 

 

Il était là, parmi les corps qui se pressaient dans la salle trop petite, parmi les flashs, les visages anonymes, les regards inquisiteurs, choqués, compatissants. Parmi les tailleurs, les hommes en cravate, les journalistes éclectiques et les curieux. Parmi les parfums écœurants, le maquillage, les odeurs d’après-rasage, les montres et les mallettes de cuir, les manteaux colorés ou bien sombres, les robes prunes. 

Roc dans la foule. Orage latent dans une atmosphère irrespirable. 

C’était bien la seule chose qui l’aidait à reprendre haleine, quand bien même la chamade de son cœur semblait vouloir l’étouffer de l’intérieur. Sans compter la sensation de froid qui remontait le long de ses jambes, de ses mains.

 

Tout son corps l’appelait, mais seuls ses yeux répondirent. Ces yeux gris qui avaient tissé leur toile autour d’elle dès les premiers instants, qui l’avaient attirée dans leurs secrets les plus effroyables. Le vertige aspirait Hesperia, et tout ce qui venait à ses lèvres pour le conjurer était le murmure enchanteur de son nom. Pour la sortir de cet Enfer. La gracier par la mort. 

Abattre le dernier mur qui les séparait. Cette prison invisible, ce plan d’existence factice. 

 

Orpheus. 

 

Elle avait toujours su qu’il charmait les ombres aussi bien que les femmes. Les valses avec la Mort et les danses hymnes d’amour n’avaient jamais été vaines. Il y avait encore une chance. S’il était là… 

Elle continua à scander son nom comme la dernière prière qu’elle adressait à ce monde. Comme le seul mot d’amour qu’elle avait jamais su prononcer. C’était à peine si ses lèvres bougeaient. 

 

Il y avait tant de choses dans son nom. Le feu couvant sous les cendres, croisé de ses propres larmes. Les Enfers et le Léthé. 

 

Personne ne les voyait. 

 

-Oui, répond-elle, avec une ferveur qui se répand dans son corps à la vitesse d’un éclair. Sauvons-nous. Pendant qu’il est encore temps. Vite ! 

 

C’est elle qui l’entraîne au plus profond de la forêt qui entoure le château, qui l’attire dans les ténèbres, parmi l’obscurité du ciel, de la fumée, des frondaisons et des troncs. Leurs pas précipités, leurs souffles heurtés par la course laisse quelques traces qu’ils effacent du mieux qu’ils peuvent. 

Le moindre bruit les met en alerte. Mais leurs mains qui ne tiennent pas leurs baguettes, elles, sont liées, et c’est plus qu’un pacte, plus qu’une promesse. C’est plus tangible que le monde qui bascule devant leurs yeux. Plus concret que n’importe quel je t’aime, que n’importe quel baiser. 

Ils s’enfuient pour leur vie, pour tout ce qu’ils veulent dissimuler et conserver et chérir et protéger et prolonger. Mais les patrouilles de Mangemorts sont partout. 

 

Orpheus déambule aussi bien dans les ombres qu’à l’accoutumée, louvoyant parmi elles à l’aide de sa robe noire et de son masque argenté, qu’il a replacé sur son visage. Hesperia n’a pas le temps de s’en accommoder, ou de ressentir quoi que ce soit. Il faut s’en aller. Quitte à faire croire qu’elle est sa proie. 

Alors qu’ils croisent une patrouille, leur souffle se suspend. La course de leur cœur s’effrène. Orpheus passe un bras autour de sa taille. La vue de la Marque leur laisse la voie libre. Ils ne posent pas de questions. 

 

Jusqu’à ce qu’une clameur résonne depuis le château. Ils se retournent. Un éclat vert. Immense. Brillant. Dévastateur. 

Orpheus tombe à genoux, le masque tombe, dévoile son teint blême. Elle se précipite vers lui pour l’aider à se relever. Ses yeux habituellement si calmes, ne dévoilent en cet instant qu’une surprise horrifiée. Une main s’est refermée sur son bras droit. Il chancelle, mâchoire serrée. Et elle comprend. 

Quelqu’un a réussi à vaincre Voldemort. 

 

Cela ne la soulage pas comme cela le devrait. Orpheus la regarde, et pour la première fois, elle voit la peur panique s’emparer de lui. Son corps tremble contre le sol. Et il n’a pas repris sa respiration depuis quelques minutes. Elle le rassure comme elle peut, mais son étreinte, chaude et vivante, ne sera jamais suffisante. Il essaie d’emmener tous ses disciples avec lui. 

Heureusement pour Hesperia, les Mangemorts n’ont pas tous suivi cet appel macabre. Après de longues minutes d’angoisse, Orpheus finit par reprendre sa respiration et se relève doucement. Hesperia souffle un instant, une vague de soulagement la traverse des pieds à la tête, laissant encore la réminiscence de quelques frissons. Ils essaient tant bien que mal de reprendre la marche, mais le combat et l’appel a affaibli le sorcier. Impossible de le faire transplaner sans risquer plus de dommages. 

 

Ils continuent de s’éloigner de Poudlard. Mais ils ne peuvent aller plus loin. Le dôme protecteur qui avait été établi au-dessus du château est revenu, et s’est étendu, juste devant eux. Orpheus et Hesperia essaient différents sorts, mais ceux-ci sont rejetés par le bouclier. Ils ne peuvent sortir de cet espace, piégés dans le dôme. Et c’est à ce moment qu’ils comprennent qu’il n’y a pas d’issue. 



-Au fil du temps, j’ai commencé à désespérer de ne jamais la revoir. Alors qu’elle était aux mains de cet homme. Sous son emprise. J’ai commencé à questionner tout ce que je connaissais d’elle. Et je me suis rendu compte que je ne connaissais pas Hesperia Ryan. Ma propre femme, je ne la connaissais pas. Sa sœur m’a beaucoup éclairé à son sujet. Elle m’a raconté comment elle avait retrouvé Hesperia après sa rencontre avec Orpheus Travers. Comment elle avait changé. Mais aussi toutes ces choses que je ne soupçonnais pas. Des expériences, des anecdotes d’enfance. Et j’en suis venu à cette conclusion : quoi qu’on puisse imaginer, les gens sont toujours plus sombres que ce qu’on croit. Sa mort… 

 

Melchior Delacroix frissonna. Les appareils photomagiques ne manquèrent pas de surprendre l’événement d’un flash racoleur. 

 

-Sa mort ne me ramènera pas Hesperia. Cette femme… - il désigna Hesperia, muette, à peine émue dans le box des accusés - je ne la connais pas. Elle m’a préféré un meurtrier en puissance. Cette femme, harangua-t-il, une larme à l’œil, le visage souverain et indigné, s’adressant cette fois aux jurés, à la foule, à l’entièreté de la salle, est une criminelle !

 

La foule eut un mouvement de recul. Les exclamations allaient bon train, mais furent stoppées d’un coup de maillet.

 

Les chefs d’accusation résonnèrent, énoncés par le commis. 

 

Hesperia Delacroix née Ryan, vous êtes accusée d’un refus de participation à la Bataille de Poudlard alors que vous étiez présente. Vous êtes accusée d’avoir fréquenté l’ennemi au point de vous être rangée aux Mangemorts. Vous êtes accusée d’avoir commis plusieurs meurtres au second degré dans votre fuite avec le Mangemort Orpheus Travers, tuant Alicia Spinnet et Ernie Macmillan. Vous êtes accusée de blessures par maléfices sur l’Auror Emmeline Vance, entraînant une invalidité permanente. 

Vous êtes accusée de vous être battue au côté de plusieurs Mangemorts connus contre les Aurors dépositaires de l’autorité du Ministère, dont Orpheus Travers, jusqu’à la mort de celui-ci. 

 

Hesperia n’entendit pas. Elle voyait Orpheus, et tout ce qu’elle entendit fut ce chuchotement qu’elle put lire sur ses lèvres : 

 

“Tu sais que tout ça n’est pas vrai. Tu sais que tout ce que tu as fait, c’était pour me protéger. C’était de la légitime défense.”

 

Elle le vit dans ses yeux. Le flash métallique de la vérité. Un goût de rouille et de fumée envahit ses papilles. 

 

De jeunes écoliers de Poudlard apparaissent, essoufflés. Les vêtements maculés de terre, de fumée, de sang. Baguettes pointées sur le couple. 

 

-Ne bougez pas ! crient-ils. 

 

Hesperia et Orpheus, main dans la main, se préparent à attaquer. Personne ne se dressera sur le chemin de leur salut, ni le dôme, ni de trop jeunes combattants qui veulent devenir des héros. 

Ils ne cherchent qu’à les désarmer, les Stupéfixer au mieux, mais ils se battent avec une surprenante expérience. Ce qui n’est pas normal pour leur âge. Alors, dans leur désespoir, toutes leurs cartes s’abattent sur la table, une par une. Et les sorts deviennent graduellement de plus en plus graves. Sorts cuisants, sorts coupants. C’est presque un duel d’escrime qui se joue entre les quatre sorciers. Un duel d’escrime qu’ils ont intérêt à remporter s’ils veulent avoir encore une chance de réchapper aux vainqueurs de la guerre. 

 

Pourquoi avait-il fallu que, des deux camps, ils ne puissent trouver d’asile nulle part ? Pourquoi, alors qu’ils gagnaient leur alliance, fallait-il qu’ils perdent tout le reste ? 

 

Le duel commence à s’étirer en longueur. Et bientôt, les Aurors vont apparaître afin de capturer Orpheus. Et Hesperia sur leur passage. Il en est absolument hors de question. 

 

Une voix retentit. 

 

-Lâchez vos baguettes ! 

 

Emmeline Vance menace Orpheus, qui s’apprête à lancer un de ses sorts sur la fille au sol. Il voit qu’elle n’est pas prête à abandonner, même aussi blessée qu’elle l’est. Il n’y aura que la poigne ferme de la Mort pour la faire lâcher, pour équilibrer le combat -en finir. La lueur verte se concentre au bout de la baguette…

Hesperia, occupée par Ernie Macmillan, dont elle ne connaît que trop bien la famille, distraite par les paroles amères qu’il lui lance, essayant de la raisonner, comprend qu’ils sont en mauvaise posture. Et lorsque Vance pointe sa baguette sur Orpheus, son sang ne fait qu’un tour. 

 

Elle n’a pas de Marque, mais elle est loin d’être la chose impuissante tombée aux mains d’Avery. Et elle ne laissera personne se mettre en travers de la survie d’Orpheus. D’un retournement souple, elle envoie valser Macmillan loin d’elle et se retourne vers son amant. 

 

Ils sont trois contre eux. Et ils seront plus s’ils ne trouvent pas le moyen de s’enfuir. 

Le combat s’engage - du sang jaillit des deux côtés. Et c’est alors que l’épée surgit. Pour tout détruire. 

Hesperia ne comprend plus ce qu’elle voit. Mais, en face d’elle, Vance l’a acculée. Au milieu des deux femmes, du combat, gît une forme floue. 

 

Hesperia s’effondre. Son corps se tord vers le sol alors que sa vision se floute et que le brouillard tombe sur elle, sur le monde. Des ténèbres absolues, il ne reste plus que cette vision. Cette silhouette tombée à terre. Elle lui caresse les cheveux, tendrement, cherche un pouls, cherche ses yeux - mais la lueur s’est éteinte. L’épée l’a fauchée. Le prisme, anéanti. 

Et, de tout ce qu’elle ressent, de tout ce qu’on pourrait ressentir dans ce genre de situation, il n’y a plus qu’un vide. Un abîme béant, cruel. Un vide, parce que la vie s’est échappée, alors que ça aurait dû être impossible. 

Tout devient détraqué, irréel. Elle voit le monde changer d’angle après le passage de l’épée. La lumière et l’ombre ne recouvrent plus les mêmes espaces. Comment peut-elle y croire ? La réalité n’est qu’un leurre. Un labyrinthe truffé de pièges, dont les chemins multiples s’ouvrent et se referment à chaque instant. Le passage vient de se refermer dans son dos ; il a emporté l’Autre dans ses méandres, dans l’ombre et le néant. 

Hesperia se trouve en pleine lumière. 

 

Il ne bouge plus dans ses bras. Il n’y a plus de pulsation. Des yeux vides qui la regardent, et elle leur hurle de prendre son âme avec, mais rien n’y fait. 

 

Il n’y a plus de magie, plus de baguette. Alors qu’elle est tenue en joue par les trois alliés du camp du Bien, la femme se relève, membres désarticulés, yeux flous. Ses cheveux noirs coulent sur elle comme des rivières de sang et de ténèbres, et elle hurle. 

 

Ses yeux sont sourds à l’appel de la clarté. Trois coups de rage contre le mur aveugle du labyrinthe. Non, c’est impossible, pas comme ça, elle ne peut pas le perdre, pas si près de la sortie… 

 

Un son aveugle résonne, lancé aux oreilles sourdes de cette nuit innommable. Le nom de celui qu’elle a perdu retentit, inaudible dans cette litanie inarticulée. Ils ont échoué à lui prendre sa baguette, cependant, et c’est une erreur fatale. 

 

Cette nuit-là, lorsqu’elle reprend conscience, il y a trois corps effondrés par terre autour d’elle. Et un autre, adossé à un arbre, assommé, jambes broyées.

Il n’y a pas de sang sur ses mains, mais l’odeur verte du sort mortel est présente partout. L’atmosphère saturée véhicule la pestilence. 

 

Hesperia n’a d’yeux que pour celui qui est au milieu. L’homme aux yeux gris. 

Elle se recueille à genoux près de lui, lui chuchote qu’elle l’aime, et c’est la fin. Un sort la percute dans le dos - elle tombe, elle aussi, et ses yeux se ferment. Pour la dernière fois, espère-t-elle. 

 

Il n’y a rien d’autre à faire que d’avancer, de gré ou de force, sourde, aveugle, mutilée - inexorablement. Arrachée aux ombres, chahutée vers la lumière. Ça fait si mal. L’épée a tranché. 

 

-Nous déclarons Hesperia Ryan coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre elle. La sentence choisie est la suivante : le Baiser du Détraqueur. 

 

…le baiser du Détraqueur. 

Les mots percèrent la distorsion, s’infiltrèrent dans la fine paroi qui les séparent du réel. Des frissons s’invitèrent sur sa peau, et la coquille de ses illusions menaça de se briser. Ils mirent plus de temps à atteindre son sens de la compréhension, comme une connexion distante. 

 

La salle s’emplit d’un tollé grondant. Certains cris retentirent outrés, d’autres approbateurs. Hesperia demeura de marbre, les yeux fixés sur un point vide. Là où il se tenait. Les yeux gris et le visage taillé d’ombres soutinrent un instant le sien - ô instant chéri, béni ! son pouls se meurt d’une saccade dans sa poitrine -, un sourire discret aux lèvres, avant de se retourner. 

Il disparut dans une marée de costumes effrayés. 

 

Une vague givrée pénétra la salle d’audience du tribunal. Les gens se contorsionnèrent subitement au passage d’une créature fantomatique, comme un voile noir, présage funeste, qui flottait dans l’air, cherchant sa proie. 

 

Hesperia tourna la tête en tous sens. Où était-il parti ? Il ne pouvait pas la laisser comme ça, évaporé comme une illusion. Pas encore. Elle avait erré partout dans le labyrinthe, croyant reconnaître dans chaque nuance subtile de lumière une ombre susceptible de dissimuler sa silhouette. Lui, la boussole de sa vie, son guide parmi l’autre face du monde, le sceau mystérieux de son existence. Hesperia ne le repéra nulle part. 

 

Alors que la foule se retrouva protégée par la montée de panneaux en verre, ceux qui entouraient le box des accusés descendirent.

 

Le Détraqueur s’avança lentement.

 

Il n’y avait plus d’épée, plus de vérité, plus que du vide, du froid et de la lumière. Un carré de blancheur inouï - la sortie du labyrinthe. Elle se retrouvait, enfin, face à l’apogée de son destin. Sa tête se leva vers le ciel, ses bras s’ouvrirent.

 

Le givre s’épanouit sur les vitres en même temps que les souffles embués qui assistaient à la scène. En quelques secondes, le Détraqueur fondit sur la condamnée. Probablement qu’elle dut ressentir un soulagement profond, un relâchement entier de l’être, alors que la créature lui volait d’un baiser son âme. Personne ne savait quel effet cela faisait ; après tout, personne n’en était jamais revenu pour le dire. Peut-être même qu’elle crut voir le visage d’Orpheus dans les traits creusés, macabres, du spectre mortel. 

 

“Cette histoire, c’est mon histoire. Notre histoire.” dirait Hesperia, et c’est ce qu’elle avait fait dans le seul témoignage qu’elle avait laissé d’elle, écrivant en prison avant son jugement, hantée de démons et de fantômes ineffables, errant dans un labyrinthe trop complexe pour être compris par quelqu’un qui ne l’avait pas fréquenté si intimement.

Tout s’était retrouvé consigné dans le seul carnet qu’elle avait rempli lors de toutes ses nuits insomniaques, se remémorant, une fois encore, parmi les innombrables qu’elle avait vécu, la seule qui avait jamais compté. 

 

Un livre perdu aux proses erratiques, que nul n’aurait su déchiffrer, dont il ne restait qu’un titre à l’encre presque effacée. La Nuit Fatale. 

Sign in to leave a review.