Nuit Fatale

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
G
Nuit Fatale
Summary
L'amour est un traumatisme dont le cœur ne guérit jamais. Hesperia Delacroix est peut-être la sorcière la mieux placée pour le raconter. A trop vouloir jouer, même contre son gré, avec l'épée de Damoclès, elle finit par vous pourfendre. Il ne faut qu'une rencontre, à la faveur des ténèbres, pour vous briser. Une nuit trouble, sous le sceau du secret, pour vous révéler.S'en souviendra-t-elle, entre silence et oubli..?S'en souviendra-t-elle avant la fin ?
Note
Vous êtes mis au défi de deviner qui se cache derrière le doux prénom d'Orpheus... GOOD LUCK !Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du WITCH HUNT FEST organisé par FESTUMSEMPRA. La liste complète des œuvres participantes est disponible sur la collection : https://archiveofourown.org/collections/Witch_Hunt_Fest/works Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici : https://discord.gg/73rYkUNPTx
All Chapters Forward

…Dont le cœur ne guérit jamais.


« Soyons heureux ! buvons, car la coupe est remplie ; cette heure est à nous, et le reste est folie ! »

 

Victor Hugo - Hernani, II, 4 (1830)


Lorsque Hesperia reprit conscience, il faisait nuit. Son mari dormait à poings fermés à côté d’elle dans leur lit. Ses bras entouraient, protecteurs, son corps. 

Des yeux, elle chercha ce qui l’avait réveillée. La sensation lointaine d’une présence. Quand elle remarqua que les volets de la chambre n’étaient pas fermés, la nuit sans lune lui sembla particulièrement obscure. Mais, alors que son visage se relevait vers la fenêtre, elle perçut une ombre.

Un bruit de claquement léger. Le glissement des panneaux l’un sur l’autre. L’ombre s’avança. Elle reconnut peu à peu la silhouette, le visage. 

 

Son cœur s’arrêta. 

C’était lui. 

En chair et en os, cette fois. 

 

Ce fut comme si elle avait toujours attendu ce moment depuis dix ans. Une sensation extatique roula le long de son dos en séries de frissons. Toutes les versions de lui auxquelles elle avait eu affaire se superposèrent enfin sur la même personne.

 

L’incongruité du moment la submergea ; et si son mari se réveillait ?

Il était là,, dans leur maison.

Il est venu me chercher, il a tenu sa promesse, fut tout ce à quoi elle put penser, malgré la peur. Hesperia ressentit tant de choses à ce moment précis où leurs regards se croisaient, magnétiques. Il aurait été impossible de tout lister, de tout démêler. Il était simplement vêtu de sa cape sombre, mais il n’avait pas ses habits. Il sourit, d’un sourire aux accents entendus, qu’elle trouva presque cruel, alors qu’il relevait la manche de sa chemise et de son pull sur son bras. La Marque y apparaissait, toujours aussi noire, aussi terrifiante.

Le secret honteux. 

 

Tout lui revenait, à présent. Tout. Tout, dans les moindres détails. Elle étudia ses yeux, attendant de savoir ce qu’il comptait faire, à présent qu’elle savait, à nouveau. 

La main d’Orpheus Travers se resserra sur sa baguette. 

 

-Ne lui fais pas de mal, lit-il sur les lèvres silencieuses de la femme qu'il était venu … quoi ? Secourir ? Enlever ?, alors qu’il s’apprêtait à lancer un sort informulé sur l’homme qui dormait à côté d’elle. 

 

Il roula des yeux et se concentra sur la formule, qui prit effet l'instant d'après. Les muscles de l’homme qui était censé être son mari devinrent lâches, et Hesperia put se dégager de son étreinte sans craindre de le réveiller ; il dormait très profondément. 

Elle se leva lentement, essayant d’éliminer le vertige qui menaçait de pointer. Elle prit quelques affaires au hasard et s'habilla dans une autre chambre alors qu’il l'attendait dans la cuisine. 

 

-Tu m’as manqué, furent ses premiers mots pour Hesperia. 

-J’ai cru devenir complètement folle. Ça n'est pas passé loin, je crois. Ton sort d’Oubliettes est vraiment lamentable…

-C’est toi qui es trop forte, c’est tout, répliqua-t-il, la plaquant contre lui. Tu t’acharnes… 

 

Le frémissement qui les parcourut les fit frissonner tous les deux. 

 

-Allez, prépare-toi, lui dit-il, la laissant se reculer. 

 

La lueur d’hésitation qui se trouvait dans ses yeux le fit tiquer. Il ne ratait rien d'elle.

 

-Tu n’as plus le choix, Hesperia. Tu vas être accusée au même rang que moi. Je ne peux pas te laisser entre leurs mains. Je ne vais pas les laisser faire si facilement… J’ai déjà trop fauté avec toi. 

 

Chaque mot était prononcé avec une dose de rage, de venin impressionnante. Sauf pour ses dernières paroles, évidemment. 

 

-D’accord, finit-elle par admettre. Elle sortit une valise à extension magique de sous le lit où dormait Melchior et la remplit de quelques affaires. 

 

Pendant ce long moment de silence, Orpheus se mit à parler, tout bas.

 

-Tu sais, ma douce… j’ai réfléchi à ce que tu m’as dit, à Londres, la dernière fois que nous nous sommes vus. Le statut de sang m’importe peu… depuis toi. 

 

Elle s'arrêta un instant dans ses gestes pour le regarder, complètement prise au dépourvu. 

 

-Tu le penses vraiment ? 

-A ton avis ? 

 

Pour toute réponse, Hesperia sourit. C’était déjà un début. 

 

Enfin, elle parvint à boucler la valise. Elle songea un instant à écrire un mot, mais, de nouveau, il n’y avait pas de mots pour la trahison qu'elle s'apprêtait à commettre. Seulement, s’il y avait quelque chose avec laquelle Hesperia partait avec certitude, c'était celle de ne pas oublier ce qu'elle avait vécu avec Melchior, quand bien même l’impératif de protéger l’Autre - qui n’était autre qu’Orpheus Travers - primait sur tout le reste. 

Elle s'en alla, par la fenêtre, comme une voleuse, entre les regrets et l’excitation, entre un nouveau passé et un passé devenu futur. Qui aurait pu prévoir qu'une femme telle qu'Hesperia tournerait ainsi ? Qu'elle tournerait le dos à toutes ses valeurs, à toute sa famille, son travail, son monde, tout ça pour un Mangemort ? Un de ceux qui tuaient les gens comme elle, qui tuaient tout court… 

 

La pensée lui donna le vertige à nouveau, son estomac chuta, mais elle ne parvint pas à le regretter. Tout ce qu'elle savait c’était qu’il était enfin là, qu'ils étaient enfin réunis, et qu'elle devait le protéger comme lui l’avait protégée jusque-là. Lui rendre la liberté quand il lui avait offert la survie. Elle aurait dû mourir, cette après-midi-là, à Londres. 

Elle pensa à lui, aux sacrifices qu’il avait consentis pour elle, même si cela avait involontairement contribué à l’impliquer dans des affaires parmi les plus sombres et les plus graves. Et elle ne parvenait pas à regretter cette rencontre fatale qui avait eu lieu il y avait dix ans. Parce que maintenant, Hesperia se sentait pleinement elle-même. 

Elle s'en alla sans un regard pour la vie qu'elle laissait derrière elle. Pour la date qui s’égrenait sur le calendrier de la maison. Pour la première fois, ça n’avait plus d’importance. 

 


 

Orpheus avait fait transplaner Hesperia jusqu'à une flopée de maisons située sur une côte. Le jour commençait tout juste à se lever sur les eaux calmes, illuminant les grandes bâtisses colorées du port d'une lueur timide. Lumière qui n'allait pas tarder à forcir pour projeter de l'orange doré sur les façades et l'océan.

 

-Île de Mull. Ma famille possède une dépendance ici, avait raconté le sorcier noir.

 

C'était isolé de tout, charmant et contrasté, la beauté sauvage de la nature se confrontant à celle, tout à fait ordonnée et architecturale, des maisons portuaires. Un peu comme Orpheus.

 

-Ne vont-ils pas savoir où nous nous trouvons ?

-Ils ne penseront pas à celle-ci, lui assura l'homme à son bras. Ce sera comme si je t'emmenais en lune de miel, souffla-t-il, fervent. 

 

Il avait les yeux si gris... et pourtant zébrés d'un quelque chose qui n'avait rien à voir avec l'heure dorée qui se profilait.

Une pointe aiguë de joie mêlée de désir perça les entrailles d'Hesperia à ces paroles. L'avenir s'ouvrait brutalement sous ses yeux à moitié éblouis par l'aube. Les lèvres de la femme s'ouvrirent, invitation que l'homme marqué s'empressa d'accepter, l'embrassant aussitôt sous les premiers rayons écarlates du soleil. Leurs corps si proches semblaient bourdonner, vibrer en une même fréquence, et la latence des désirs refoulés refit surface, éclatant comme la lumière du petit matin.

 

Se séparant essoufflés, après d'inlassables regards, les fuyards se hâtèrent de rejoindre l’une des nombreuses maisons de vacances des Travers, un peu plus enfoncée sur une autre partie de l'île.

 

-Bienvenue dans votre nouvelle demeure, Madame...

 

Hesperia se mit à rire au souvenir de ces folles années. Toute à sa légèreté, gaieté qui la laissait bourdonnante et à la fois étourdie comme lorsque l'on se perd dans les tourbillons des valses, elle ne remarqua pas de suite l'air profondément étonné d'Orpheus.

Son rire lui avait tellement manqué, que, une fois son souffle retrouvé, il l'embrassa à nouveau d'un geste passionné avant de la prendre dans ses bras pour lui faire passer le seuil de la maison. Entre ses mains chaudes, elle semblait avoir la physionomie d'une plume, pourtant, ce fut elle qui se retrouva secouée de frissons. Et d'une tension qui avait tout à voir avec le poids des années perdues.

Un temps qu'ils s'étaient donnés pour mission, très urgente, de rattraper.

Reposant doucement son amante sur ses pieds, il déverrouilla magiquement d'un informulé toutes les pièces, dont les portes puis les fenêtres s’ouvrirent, libérant en une brise les rideaux clairs, gonflés au vent doux du soir. 

D’un geste, il attrapa Hesperia par le bras, la rapprochant de lui alors qu'elle faisait mine de s'éloigner pour visiter les lieux.

 

-Quand je pense que tu aurais pu être... mienne.

 

Le mot, aux oreilles d'Hesperia, eut un mordant de désir qu'elle ne put ignorer, réveillant ce qui était alors un trou béant, brûlant. Ce n'était plus alors qu'un trop-plein tout aussi ardent, comparable à un volcan entrant en éruption, dont la lave incandescente montait, montait, menaçait de l'envahir toute entière. Dont le souffle de fumée occultait habilement l'identité obscure d'Orpheus Travers. La Marque sur son bras. Le sang et les larmes qui ne manqueraient pas de venir.

 

Elle avait connaissance de tout cela, mais aucune émotion ne parviendrait à éveiller les remords de sa conscience. Pas tant que la passion qui s'était éveillée lors de cette nuit fatale ne les aurait pas consumés. Et même à ce moment-là, rien n'était moins certain.

Tout ce qui comptait, c'était le présent. Ce qu'ils pouvaient gagner de leur maintenant ensemble.

 

-J'aurais tant voulu, dix ans en arrière... Tout aurait pu être différent, confia la sorcière brune d’un ton doux. 

-Pour toi, oui. Ça ne fait rien. Dans mon esprit, tu es déjà Hesperia Travers, souffla-t-il à nouveau, ses mains ramenant déjà la femme à lui dans une étreinte pleine d'ardeur et de promesses que seuls les corps pouvaient se donner.

 

Ils trouvèrent tant bien que mal le chemin de la chambre à coucher, profitant de la lumière encore tamisée du jour filtrant à travers les persiennes pour apprivoiser de nouveau leurs corps frissonnants, fiévreux de désir, avides l'un de l'autre. Au-delà de leurs corps transis, des sens aiguisés par le parfum de l'autre, le poids, la chaleur du toucher, la sensation de manque qui disparaissait pour déborder, c'était comme une reconnaissance pour Hesperia. Elle sentit son âme frissonner, vaciller sous le regard d'ardoise, et ce dernier devenir plus expressif, plus franc dans les ressentis qu'il traversait.

Ce n'était plus un ballet parmi les ombres, mais une danse composée de ténèbres et de lumière, dont le couperet à présent parfaitement visible au-dessus de leurs têtes pouvait les faucher tous deux sans qu'ils n'y prennent garde. Ou plutôt alors que la chose se dévoilait à leurs esprits. Peut-être que ce baiser serait le dernier. Et lorsqu'ils en prirent conscience, chacun à leur tour, le frisson violent qui les agita menaça de faire exploser la passion en quelque chose de plus frénétique, sauvage et désespéré.

 

La Marque, plus délavée que dans son souvenir, n'effraya pas la sorcière. Mais, si elle y jeta un œil, elle se refusa à l'effleurer. Il lui avait soufflé que c’était du passé, qu’il ne fallait plus y penser. Que le Seigneur des Ténèbres était mort. 

 

Lorsqu'on avait goûté à l'Autre, on ne pouvait plus s'en passer. Ce fut ce rappel terrible mais fervent qui se communiqua dans tous les échanges passionnés qu'Orpheus et Hesperia partagèrent, avant de s'endormir jusqu'aux heures les plus claires de la journée. Hesperia se réveilla blottie dans les bras d’Orpheus à la manière d’un chaton des rues blotti contre son sauveur. Elle s’étira contre lui, savourant la chaleur douce du sorcier, écoutant le bruit hypnotique, miraculeux de son cœur battant dans sa poitrine, cocon dont elle espéra ne jamais avoir à sortir alors qu’il la serrait plus fort contre lui. 

 

-J'ai l'impression d'être dans un rêve duquel je ne me réveillerais jamais. Et c'est parfait. Je ne veux jamais me réveiller de ça. Jamais sans toi.

 

-J'ai l'impression de continuer à traverser l'Enfer. Tout me brûle. Mais ça ne fait rien, tant que c'est juste pour toi. Je ne veux plus te perdre. Plus jamais.

 


 

Ils sortirent de la demeure le lendemain au petit matin afin de poser les protections nécessaires. 

 

Le soleil s'était à peine levé sur l'île. Les ombres des plantes et des rochers s'étiraient encore en haut de la falaise. Les escaliers taillés dans la roche qu'ils avaient empruntés afin d'accéder à la dépendance des Travers se zébraient de ténèbres en même temps qu'ils s'emplissaient de la boule de feu qui se levait au-dessus d'eux. Plus loin encore, l'océan. Le bruit des vagues. Le calme trompeur des eaux lointaines, là où la mer rencontrait l'horizon.

 

Il faisait si bon vivre. Ils pourraient rester là, finir leurs jours ici, dans ce tableau qui fleurait bon l'éternité et la perfection, l'ordre humain et la sauvagerie naturelle.

 

-Comment s'y prend-on pour ancrer un tel endroit ?

-J'ai déjà eu à poser des protections similaires dans le passé. Je sais comment de tels sortilèges fonctionnent. Procédons par ordre graduel. Plus l'incantation est longue...

-...plus la quantité de magie à fournir est conséquente, poursuivit Hesperia, ravie de savoir qu'elle n'avait rien perdu de ce qu'elle avait appris durant ses années de formation en sorcellerie. Donc, des sortilèges basiques. Je m'en occupe.

 

Elle lança un Protego Totalum doublé d’un maléfice anti-Transplanage sur la maison. L'air ambiant se mit à vibrer et le dôme protecteur que le sortilège créait se trouva presque visible durant un instant avant de s'estomper. Hesperia entendit vaguement un Repello Moldum et un sortilège d'incartabilité.

La surface à couvrir courait sur plusieurs kilomètres ; ainsi, le moindre sortilège pesait sur leur énergie. Essoufflés, ils durent faire une pause récupérative durant laquelle Orpheus s'assura de la bonne application des sortilèges.

 

-Nous en venons au plus difficile.

 

Orpheus traça d'un geste de la baguette un cercle, qui se dessina tout autour de la maison, comme si un doigt invisible l'avait creusé dans le sol sur quelques centimètres, comme lorsqu'on dessinait dans le sable.

 

-Joins-toi à moi, Hesperia.

 

La sorcière aux longs cheveux bruns se mit dans la position indiquée par son amant, dos à lui, sa main libre jointe à la sienne, sa main de baguette pointée devant elle, et répéta ses mots. Elle s'était toujours dit que maîtriser le latin constituait un atout ; preuve en était qu'ils se comprenaient parfaitement.

C'était la langue de ce monde-là, de leur monde, celui qui réunissait les deux : le Moldu et le Sorcier, le normal et le différent, l'extraordinaire et le banal. L'amour et la haine.

C'était un véritable chant qu'ils adressèrent à la nature, à la magie elle-même.

 

-J'ancre cette maison devant les cieux, qu'elle soit protégée de tous les yeux. Hanc domum ante caelum ancoram, ab omnibus oculis protegi potest.

 

Ce fut comme une vague électrique qui les foudroya. Deux éclairs, dont le trajet se faisait à l'envers : venu de la terre, traversant l'intérieur de leur corps, les illuminant des pieds au bras de baguette, se joignant entre eux dans leurs mains jointes. Une sensation chaude, puissante, grandit, enfla, n'ayant pas encore son échappatoire.

 

-Que la terre et l'air absorbent les sorts. Terra et aer trahunt carmina. Maintenant et à l'heure de notre mort ! Nunc et in hora mortis nostrae !

 

La vague magique envahit les baguettes, s'échappant en un flux blanchâtre, pur et intangible - comme un arc électrique - jusqu'au ciel, où elle retomba dans le cercle tracé au sol en une sorte de fontaine, formant un dôme dans l'air, qui vibra avant de claquer. Le dôme disparut, laissant dans son sillage un bourdonnement étourdissant et une sensation irréelle. Les réminiscences chaudes du sort d'ancrage s'enroulaient encore autour de leurs muscles crispés d'effort. Les sorciers s'écroulèrent au sol, jambes coupées, souffle difficile.

 

Dans un effort supplémentaire, Hesperia se retourna vers Orpheus, entrelaçant leurs corps, cherchant des yeux les siens. Un voile recouvrit brièvement les prunelles grises avant que l'homme ne retrouve ses esprits. Un long échange suivit. Lentement, une main entoura le visage d'Hesperia, laissant une trace vaguement piquante - la réminiscence du sort - sur sa peau. La sorcière frissonna violemment, compléta le geste sur son amant - même résultat.

Leur baiser n'avait plus seulement la saveur de l'orage, l'odeur du parfum préféré d'Hesperia : il était l'orage et le soleil en même temps. La tempête foudroyante et le rayon de lumière. De leurs souffles coupés aux sensations étrangères, cela leur sembla un aperçu du Paradis. Ils goûtèrent les dernières traces de magie sur leur corps sans plus aucune considération pour les Ténèbres qui s'apprêtaient à les avaler une fois que leur temps serait définitivement écoulé.

 




-Il va falloir que tu apprennes à te défendre. Au cas où je ne serais pas là. Parce qu’ils nous cherchent, maintenant. 

-Mais comment ? Je ne serai jamais assez forte. 

-Je vais t’apprendre. 

 

Elle ne s’était pas doutée que les sorts qu’il souhaitait lui enseigner n’étaient pas les sorts habituels, dans une version plus avancée. Ça n'avait rien à voir avec ce qu’on apprenait à Poudlard. Ou sous l’égide de n’importe quel sorcier qui se réclamait du camp de la lumière, quoi que cela puisse vouloir dire. A entendre Orpheus, et à constater leur nouvelle situation, toute cette idéologie ne portait plus aucune signification. 

Il ne restait plus que les Impardonnables. 

 

-Non ! Je.. je ne vais pas tuer, tu m’entends ? s’agita-t-elle en croisant les bras sur sa baguette. 

 

-Chh. Calme-toi, Hesperia. Je n’ai jamais dit que tu aurais à le faire. Seulement, il faut que tu les apprennes. Que tu sois prête pour le jour où tu n’auras plus le choix. 

-Je ne peux pas faire ça. 

-Crois-tu que les autres Mangemorts hésiteront un instant, s’ils te trouvent, Hesperia ? Crois-tu que l’Ordre réfléchira avant de t’abattre à vue ? Tout le monde sait que nous nous sommes enfuis. Ils placardent des affiches partout. Les miens tuent les traîtres. Les tiens te cherchent. Concentre-toi. 

 

Il chuchota dans le vent, mais ses paroles parvinrent, par un tour malicieux des éléments, aux oreilles de la sorcière. 

 

-Crois-moi, il vaut mieux que tu sois retrouvée par l’Ordre que par les miens. 

 

Une sueur froide descendit le long du dos de la femme crispée là où la main encourageante d’Orpheus Travers s’était posée. Une flamme nouvelle s’alluma sur ses traits, dans la profondeur des yeux bruns. La détermination et le désespoir s’y reflétaient, pupille et iris, lunes jumelles flirtant sur le fil des ombres. Elle n’aurait su dire, alors, quel éclat éclipsait l’autre. 

 


 

-Je sais que tu as participé au meurtre des McKinnon, il y a plus de dix ans maintenant. 

-Hesperia. J’ai déjà dit que je n’en parlerai pas. 

-Je veux savoir. Je dois le savoir ! Crois-tu qu’il est facile de vivre avec la connaissance qu’on aime un meurtrier ? Que l’on surpasse si aisément le gouffre du désespoir pour quelqu’un qui ne parle jamais de lui, dont, finalement, on sait si peu..? 

-Crois-tu que ça m’enchante de renier tout ce que j’étais, tout ce à quoi je croyais, pour quelqu’un comme toi ? Est-ce que ça t’a déjà traversé l’esprit, Hesperia, tous les sacrifices que j’ai faits pour toi, tout ce que j’ai fait pour te protéger, te chérir, et regarde où nous en sommes à présent ! asséna-t-il, et ce fut pire que n’importe quel coup, n’importe quelle violence. 

 

-Tu as mis à mort des gens, fit-elle, mais ce n’était plus qu’un souffle choqué par l’opacité de la vérité. 

 

Elle le voyait. Le tranchant d’acier de l’épée brillait à la lumière. Brillait un dernier instant avant de s’abattre sur elle…

Et la lame ne s’abattit pas. Seul un silence essoufflé prit place entre eux, avant qu’il ne reprenne la parole, l’étincelle inédite de la colère enchâssée dans les prunelles. 

 

-Tu as toujours su qui j’étais, ce que j’étais, même cette nuit-là. Tu ne sais pas ce que ça fait d’être dans ce monde, d’être l’un d’eux, Hesperia. Tu ne l’as jamais su, parce que tu viens de leur monde. 

-Ca ne veut pas dire que je ne pourrais pas comprendre. Que je ne peux pas essayer de comprendre. Mais pour ça, j’ai besoin que tu me parles. D’eux, de toi. De ta vie avant, de ta vie après. En dehors de ce que j’ai vécu avec toi, je ne sais pas qui tu es. Ce dont tu peux être capable. Et ça, ça me fait peur. 

 

Il prit une longue inspiration. 

 

-Et si je te disais que tu avais raison d’avoir peur ? 

-Tu ne me feras pas de mal. Je serais morte il y a longtemps si tu en avais été capable. 

 

Elle avait dit ça d’un ton si sûr, si évident, que cela le figea. 

 

-Je te remercie de ce rappel, je saurai m’en souvenir, fit-il d’une voix glaciale. 

 

La colère contenue refit surface à nouveau, mais Hesperia ne lâchait pas. La détermination qui se lisait par tous les traits de son visage atteignit Orpheus. Il se retourna, passant une main dans ses cheveux désordonnés. 

 

Un long silence suivit. 

 

-Et si je te disais… que ce n’est pas que je ne veux pas parler de ça, mais que je ne peux pas…

 

Il refusait de la regarder, comme toujours lorsqu’elle abordait un sujet sensible. Mais cette fois, impossible de laisser passer une telle occasion. Hesperia s’approcha, posa une main sur son épaule. Il tressaillit au contact d’une douleur fantôme, et les larmes montèrent. 

 

-Il le faut, pourtant. Il le faut. C’est le seul moyen… Je peux t’aider. Mais il faut que tu fasses un pas d’abord. Dis-moi au moins… toutes ces vies que tu as prises en son nom…est-ce que tu regrettes ? 

 

Seul le silence répondit à la question lancée dans l’air, lame tranchante de l’épée qu’ils se renvoyaient tour à tour. Un silence chargé de fantômes silencieux, de ces choses discrètes et troubles dont on ne perçoit jamais clairement si elles appartiennent aux remords ou à l’indifférence. 

 

L’altercation le renvoya à l’insomnie, autre compagne de ses nuits. Alors qu’Hesperia dormait plus sereinement que jamais, il se leva - le corps de la femme ancrée à lui semblait toujours glisser entre ses doigts, réceptif à ses moindres désirs et idées, et pourtant la prise inconsciente de ses mains l’agrippait solidement. Ses pas légers dans la maison ne le menèrent nulle part ailleurs que dans la cage enfermée de ses pensées et souvenirs les plus sombres, les plus secrets. 

 

Après le corps de l’autre, ne restait jamais que la brûlure réconfortante du whisky, la fumée familière d’un cigare pour faire le vide, sceller les murs par lesquelles les brumes inquiétantes s’échappaient parfois, volutes toxiques, remous d’un passé qui nous rattrape dès qu’on cesse de fuir. Il savait qu’il ne pouvait fuir éternellement, mais on ne lui avait jamais appris à faire autrement. 

 

Certaines nuits, tout se confondait. 

 

Les vapeurs du cigare de Père dans le salon, les trous de brûlure sur le tapis. Les Atlas du Sang qui trônaient dans la bibliothèque. La solitude. L’enfermement. Le manoir des Malefoy, lambrissé de sombre, la maison des McKinnon, lumineuse et moderne. Quelle idée stupide de confier les plans d’une bâtisse sorcière à un architecte Moldu. La foule, à Poudlard. Bruyante, trop bruyante. Mulciber et sa Sang-de-Bourbe. Les Serpentards rient. Un garçon recroquevillé par terre, hurlant jusqu’à ce que sa main tremblante lui assène un sort de silence. Le confort de la bibliothèque. L’attrait de la Réserve. Le visage tremblant de Marlene, lorsqu’elle voit son reflet - la Mort masquée, personnifiée - dans le miroir de la coiffeuse. Yeux écarquillés, chevelure tout juste coiffée. Le silence, le silence, le silence. Et les cris étouffés des sorts. 

 

La fumée des cigares, la brûlure de l’alcool. Le reflet d’encre de la robe noire de sa mère. Les armoiries, d’un vert profond, des Travers. La devise. Silentium et oblivionem. Silence et Oubli. 

 

Il passe à la sœur. Elle lui oppose plus de résistance, se bat à mains nues sans même sa baguette, qu’elle tente de récupérer, mais elle est trop loin. Son visage contracté de désespoir alors qu’il la tient en joue. Les autres s’approchent. La lueur verte a commencé à se répandre dehors, flottant dans l’air avec le parfum de la victoire. Les cris sont partout. Des femmes hurlent. Le feu, aussi. La Marque palpite à son bras. La chose entre ses bras, aussi. Des derniers souffles, tremblements, jusqu’au silence le plus immobile, le plus parfait. 

Posée sur la table de chevet, la photo d’une femme l’interpelle, le coupe du chaos ambiant, des hurlements qui ne cessent pas, de l’odeur métallique du sang, âcre du feu, agressive, des bouteilles de parfum renversées partout. 

Une femme dont il ne peut détacher les yeux. Un élément incongru. Et pourtant, sur le papier glacé, Isla McKinnon se trouve à ses côtés. La Marque a cessé de palpiter. Silence et Oubli. 

 

-Tire-toi de là, Travers !

 

La voix se fondit dans le flou, alors que le vertige l’aspira. Certaines nuits, tout se confondait, tournoyait dans sa tête, revenait par détails imprécis. 

 

La seule chose dont il était sûr, à ce moment-là de sa vie - la sensation, pleine et entière, du devoir accompli - était en train de sombrer dans un néant absolu, figé comme l’éternité. Une indifférence, une indécision. Regrettes-tu ? 

Le visage d’Hesperia emplit tout son champ de vision. Tordu comme une supplique douloureuse, comme un dernier espoir de quelque chose qui a peur de s'éteindre. Mais il n’y avait jamais eu de flamme chez lui avant, d’aussi loin qu’il se souvienne. 

 

Tout ce dont Orpheus avait hérité n’avait jamais été que pluie de cendres, dernière étincelle avant le silence.  

 


 

Juin 1995.

 

Hesperia attendait longtemps qu’il revienne du Ministère. Il avait dû conserver les apparences pour ne pas devenir suspect. 

Lorsqu’il rentra, l’effet du Polynectar se dissipait tout juste, comme à chaque fois. Ils avaient imaginé ce stratagème afin que le mari d’Hesperia, Melchior Delacroix, ne puisse pas poursuivre Orpheus, “puisque tu refuses que je m’occupe de lui”. Hesperia avait soupiré, mais elle savait mieux que quiconque à quel point un sort tel qu’un Oubliette pouvait être destructeur, autant pour le lanceur que pour le receveur. C’était, dans le secret de son âme, le dernier et ultime Impardonnable, celui qu’elle s’était juré de ne jamais utiliser. 

 

Quatre ans. Quatre ans de tranquillité, de cette bulle qu’ils avaient créée hors de tout. Quatre ans de cavale, de planque. De réveils à craindre qu’il ne revienne pas, que la maison ne soit pas assez protégée contre les Aurors et tous ceux qui la croyaient disparue. Oh, ils l’avaient cherchée un temps, ils avaient émis des mandats contre Orpheus, mais ils ne les avaient jamais trouvés. Puis les affiches avaient peu à peu cessé de circuler, remplacées par des listes, toujours plus longues, de disparus, qu’on retrouvait souvent morts. 

 

Quatre ans de nuits tour à tour endiablées et réconfortantes, magnifiques et terrifiantes, hantées et sereines. Quatre ans loin du monde, de leurs mondes, quatre ans à reconstruire de toutes pièces ce miroir sans tain qui avait failli détruire leur vie tout en la complétant d’un Autre, qui s’apprêtaient à partir en morceaux. 

 

Elle le vit, sur son visage. Elle le vit. L'air de détresse sous le masque placide. A l'intérieur des vitraux iridescents de ses prunelles. 

 

-Hesperia…

 

Il l’embrassa, la prit dans ses bras. Il ne lui communiquait que peu, et rarement ses émotions. Et elle comprit, à son étreinte empressée, effrayée de la perdre, que l’épée ne tarderait plus à tomber pour les séparer définitivement. Ses lèvres avaient ce goût de dernière fois. Ses mains si fascinantes, qui pouvaient donner la mort aussi bien que la chérir et lui faire ressentir tant de sensations et d’émotions, enserraient sa taille, son dos avec une sorte de prise urgente. 

 

Lorsqu’il se dégagea et que leurs yeux se retrouvèrent, le sien dériva vers son bras droit, tendu vers elle. D’une lenteur infinie, sous les coups de boutoir de son cœur, il releva la manche de sa veste, puis de sa chemise. 

 

La Marque, plus noire que jamais, s’y étendait, le serpent ondulant dans le crâne couleur d’encre. Sur les tendons, le relief sinuait, animé d’une vie propre, animé par les Ténèbres mêmes.

 

-Il est revenu…

 

-Ca ne peut pas être vrai, souffla Hesperia à son tour d’une voix blanche. Mais lorsque ses doigts cherchèrent le contact du dessin maudit - de l’empreinte de Voldemort sur sa peau, elle ne put que se rendre compte de la réalité de la situation. Le serpent siffla, et elle recula instinctivement sa main. 

Il replaça le tissu de la chemise sur son bras et ce fut fini. Mais plus personne, et surtout pas eux, ne put alors nier la vérité. 

 


 

-Si je ne suis pas seul lorsque je rentre, cache-toi. Ne montre surtout pas que tu es là. 

 

Hesperia s’était souvenue avec facilité de ces paroles, lancées en l’air avec la virulence traître de la menace, lors d’un de ces soirs où le pessimisme s’étalait dans la demeure spacieuse et colorée comme un nuage de poudre d’obscurité instantanée du Pérou. 

 

La voix d’Orpheus bataillait avec deux autres dans la grande cuisine. La seule chambre du rez-de-chaussée avait été sa retraite la plus sensée. Deux voix : une épaisse, l’autre plus fine, incisive, nerveuse. Orpheus gardait un ton calme. 

 

-...Tu sais ce qu’il exigera de nous une fois revenu. Je ne fais que te mettre en garde, Travers. 

-On sait tous que ce n’est qu’une question de temps, affirma la voix la plus épaisse. 

-Qu’est-ce que tu fais ici, d’ailleurs ? Je croyais que vous aviez tout un manoir, toi et ta famille…

-Mes parents sont morts, idiot. Ça fait longtemps. Tu vis dans une grotte, Goyle, lâcha sans ménagement la voix de son amant. 

 

Le choc s’empara du cœur de la jeune femme, dont les yeux écarquillés et la bouche aussitôt cachée d’une main marquaient et masquaient en même temps les traits du visage. Jamais elle n'avait su…

 

-Oh. Désolé, vieux, répondit le dénommé Goyle. 

-Peu importe. Nous devrons être là lorsqu’il… renaîtra

 

Des bruits de pas se firent entendre à travers les murs. Soudain, un flot de paroles au ton venimeux, inquisiteur. 

 

-Qu’est-ce que tu caches ici, Orpheus ? Tu n’as pas pour habitude de quitter les environs. Surtout quand tu travailles au Ministère… j’ai entendu parler de disparitions depuis quelques années. Et toi qui te dissimules sous une apparence comme un crabe derrière sa carapace… Tu ne planifies pas ton départ, dis-moi…

 

Goyle rit. 

 

-Lâche-moi, Avery. Rien qui te concerne. J’aime bien être ici. Ça aide à réfléchir. 

-Réfléchir à quoi, exactement ? Je ne vois pas ce qu’il y a à réfléchir. Il reprend des forces. Bientôt, nous reprendrons du service, et tout sera exactement comme avant. Nous reprendrons là où nous avions laissé. 

-Parce que tu crois qu’il nous laissera tranquilles alors que tant d’entre nous se sont dédouanés de tout à sa mort ?

-Il a besoin de nous, répondit Avery d’un ton sans appel, empli de sa propre importance. Quoi qu’il en soit, tu ferais mieux de revenir dans les environs, au lieu de t’isoler. On ne sait jamais…

-...C’est une menace ? demanda Orpheus sur le ton le plus froid et neutre qu’elle lui connaissait. 

-C’est pas la peine de monter sur tes grands chevaux, vieux. T’étais même pas à la Coupe du Monde, et y en a quelques-uns qui trouvent ça louche.

 

Un bruit dédaigneux se fit entendre. 

 

-J’ai déjà fait mes preuves. Et je les ferai à nouveau lorsqu’il sera de retour, crois-moi. 

-Je te crois, fit Avery pour toute réponse, un rire sec et bref agitant la pièce avant de sortir. 

 

Sa curiosité piquée malgré les sueurs froides qu'elle sentait couler le long de sa nuque, Hesperia se jeta dans la cuisine, ouvrant juste un peu les stores de la fenêtre alors que l’homme raccompagnait ses acolytes. Des Mangemorts. Les noms se gravèrent dans son esprit : Goyle, Avery. Rien qu’elle n’ait pas déjà entendu, en vérité, mais au moins les sources étaient sûres. Ses oreilles captèrent les lambeaux épars de leur discussion, mais ne purent occulter les derniers mots d’Avery. 

 

-Je ne sais pas quelles expériences tu fabriques là-dedans, mais tu devrais veiller à nettoyer. Ça empeste le Sang-de-Bourbe… 

 

Le ton méprisant et railleur déguisait sur le moment le propos en une blague aux dehors inoffensifs, mais il y avait un avertissement déguisé à l’encontre d’Orpheus, qui ne manqua pas de répliquer. 

 

-J’y veillerai personnellement. La seule odeur que tu pourras sentir, si tu reviens, ce sera celle de la mort. 

 

Elle vit la face plongée dans l’obscurité d’Avery sourire à travers le store et les frissons rampèrent sur sa peau. C’était comme si ce sourire était braqué tout droit sur elle. 

Forward
Sign in to leave a review.