Nuit Fatale

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
G
Nuit Fatale
Summary
L'amour est un traumatisme dont le cœur ne guérit jamais. Hesperia Delacroix est peut-être la sorcière la mieux placée pour le raconter. A trop vouloir jouer, même contre son gré, avec l'épée de Damoclès, elle finit par vous pourfendre. Il ne faut qu'une rencontre, à la faveur des ténèbres, pour vous briser. Une nuit trouble, sous le sceau du secret, pour vous révéler.S'en souviendra-t-elle, entre silence et oubli..?S'en souviendra-t-elle avant la fin ?
Note
Vous êtes mis au défi de deviner qui se cache derrière le doux prénom d'Orpheus... GOOD LUCK !Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du WITCH HUNT FEST organisé par FESTUMSEMPRA. La liste complète des œuvres participantes est disponible sur la collection : https://archiveofourown.org/collections/Witch_Hunt_Fest/works Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici : https://discord.gg/73rYkUNPTx
All Chapters Forward

L'amour est un traumatisme...

Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abîme de ta couche ;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.

A mon destin, désormais mon délice,
J'obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,

Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë
Qui n'a jamais emprisonné de cœur.

 

Charles Baudelaire, "Le Léthé", Les fleurs du Mal, 1857.

 


 

Dix ans plus tard.

 

Le sol tremblait sous ses pieds alors qu’Hesperia était toute à ses préoccupations du moment, à savoir trouver la parfaite tenue pour la prochaine soirée organisée par un des amis, à elle et Melchior. 

Hesperia fit un pas dans la boutique, promenant des yeux gourmands vers les portants flamboyants de toutes les couleurs, matières et textures. La femme brune cherchait la prochaine pièce maîtresse de sa future livrée. Elle avait toujours été attachée à son apparence, et il le savait.

Puis, Hesperia se rendit compte que cette pensée s'envolait vers deux destinataires différents, et ça creusait le trou dans son âme.

Aussitôt, elle chercha à s’échapper de l'étouffement qui la prit de la gorge aux poumons, ce manque qu’elle ne savait qu'à peine nommer et dont elle s’inquiétait souvent  de la profondeur, qui ne faisait que s'agrandir avec le temps. Elle se maudit de toujours être ramenée, même inconsciemment, à lui, et essaya de passer à autre chose, se concentrant sur les pièces de la collection de la modeste échoppe. Ses doigts passèrent sur la soie d'Acromentule, la fourrure de Boursouf et les plumes d'Augurey.

Elle était sur le point de trouver ce qu'il lui fallait, quand... mue par un instinct irrépressible, la sorcière se retourna vers la devanture vitrée du magasin.

 

Un instant, tout bas, un rire passa ses lèvres. Elle se trouvait si bête...

 

Pendant un instant, Hesperia crut que l'ombre se trouvait là, à la regarder. Mais ce n'était qu'un reflet.

 

Et puis son rire s'arrêta, remplacé par la surprise. La stupeur s'envola à son tour, et ce fut la panique.

 

Le sol tremblait. Derrière la vitre, dans la rue, la cohue se formait. Les gens couraient. Et ce n'était pas simplement qu'ils s'affairaient aux occupations de la vie quotidienne, à quelques emplettes dont on aurait annoncé des promotions. Ses sens captèrent, en bruit de fond, les cris. Les hurlements des femmes, les cris inquiets des enfants, les appels des hommes.

Hesperia resta plantée là, figée. Sa baguette pesait une tonne dans son sac à main, lorsqu’elle parvint péniblement à la sortir, luttant contre la paralysie, le cœur battant à tout rompre. Les vitres se brisèrent et la jeune femme recula de quelques pas en sursautant ; le chaos envahit le magasin jusqu'alors calme. Les gens vinrent s'y réfugier en masse, se cachant là où ils le pouvaient. Il y eut des explosions. Et maintenant, maintenant, Hesperia entendit ce que le chaos de hurlements de la foule prononçait, le mot qui bourdonnait sur toutes les lèvres : les Mangemorts

 

Non loin d’elle, une mère et ses deux enfants se mirent à l'abri derrière un portant. De nouvelles explosions retentirent, des flammes non loin dont la fumée âcre leur parvenait. L'obscurité tomba sur la rue. Les sorts ricochaient sur les murs ; les gens s’en protégèrent tant bien que mal. Certains vêtements finirent en lambeaux, et l'expression des gérants, recroquevillés derrière le comptoir, oscillait entre la peur et la catastrophe de voir leur business ainsi partir en fumée.

 

- Par Merlin, tu n'as vraiment aucun instinct de survie. Faut-il vraiment que je fasse tout par moi-même..?

 

La voix la stupéfia. C’était la même qu'il y avait toutes ces années, quoiqu'épaissie par l'âge. Mais Hesperia n’eut pas le temps de se retourner vers elle, de briser le mystère, ou de menacer l'individu de sa baguette qu'une main lui barra la taille ; la sorcière se retrouva aspirée dans le néant.

Lorsqu’elle atterrit de nouveau sur ses jambes, Hesperia se trouvait dans la galerie intérieure d'une ruelle adjacente à la boutique.

Orpheus la lâcha vivement. Hesperia se retourna, saisissant son intention de s'enfuir - elle voulut prouver, aussi bien à elle qu'à lui, que ce n’était pas un rêve, un fantasme, une chimère dans laquelle elle se complaisait depuis tout ce temps. Il y avait besoin de preuves solides, et la sorcière accomplie qu’Hesperia était devenue irait les chercher, quoi qu'il en coûtait. Ces années de ... rien, lui avaient déjà assez pris.

 

Elle se retourna, et son corps s'agrippa à un autre.

 

-J'étais sûre que... j'étais sûre, balbutia-t-elle, ne sachant d'un coup plus quoi dire alors que leurs yeux se rencontraient à nouveau.

 

Les siens parurent si graves, une lueur d'urgence qui disparut maintenant que la femme brune était en sécurité, ou qu’elle était assez lucide pour la remarquer...

Son air demeurait impénétrable. Ses cheveux, légèrement ébouriffés. Il était comme autrefois... et plus beau encore. Il avait pris en maturité autant qu'en charisme. Hesperia s’agrippa à lui, plus fort que jamais. Elle ne voulait pas, surtout pas, qu'il disparaisse.

 

-Tu dois te cacher, souffla-t-il.

 

Bras tendu vers elle, l'homme semblait avoir du mal à résister à l'envie de rester avec elle, à passer une main dans ses cheveux. La confrontation soudaine entre leurs corps était trop intense, après tout ce temps.

Hesperia n’enregistra pas son avertissement.

 

-Pendant tout ce temps... tu étais là. Je t'ai vu, je t'ai parlé ! Et tu ne m'as jamais invitée. Tu... Pourquoi ? Pourquoi m'as-tu laissée vivre sans toi ?

Pourquoi m'as-tu laissée me marier à un autre, si tu tiens tant à moi ?

 

Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu’elle se réfugiait dans ses bras. La tête enfouie dans sa poitrine, elle inspira son parfum et le monde lui sembla plus clair, mais en même temps plus sombre qu'il ne l'avait jamais été. Elle en oublierait qu’ils étaient en pleine attaque de Mangemorts. L'espace d'un instant, Hesperia oublia tout. Le monde se reconstruit. Tout redevenait comme avant. Comme lorsqu’ils s’étaient rencontrés.

 

-Je crois que je te l'ai déjà dit, ma douce.

 

La sorcière frissonna à ce mot tendre qu'il eut pour elle. Son corps sembla se souvenir de quelque chose, quelque chose qu’elle ne parvint pas à retrouver. Mais elle eut la sensation que ce rien qu’elle avait si désespérément cherché s'emplissait de nouveau.

 

-Je dois vivre sans attaches.

 

Le ton tendre n'empêcha pas le mordant cruel des mots de lui lacérer les oreilles, lui arrachant le cœur en lambeaux alors même qu'il était censé appartenir à un autre.

 

Hesperia commença à percevoir les pas réguliers de toute une escouade de silhouettes encapuchonnées qui traversaient la rue où se trouvait l'échoppe où elle était partie. Les explosions, les cris et les râles de douleur se rapprochèrent. Et soudain, ça la percuta.

 

-Il y a des femmes, des enfants ! Il faut aller les aider. Les sauver !

Mais elle vit à son regard qu'il n'en ferait rien. Hesperia n’avait jamais vu ce regard-là sur lui. Troublé. Désabusé, presque.

 

-Je t'en prie... ils sont innocents, ils vont mourir !

-Je ne peux pas.

 

Cet aveu la fit reculer d'un pas. Elle ne comprenait pas ce qu’il voulait dire. Comment était-ce possible ?

 

-Je dois m'en aller. Je regrette. Tu... il s'arrêta, inspira un coup. Oublie cette journée.

 

L'histoire aurait pu s'arrêter là, si Hesperia n’avait pas été aussi déterminée à le faire rester, à lui demander des comptes, sur son silence, sur ce qu'il venait de dire. Si elle n’avait pas saisi le mauvais bras dans sa précipitation à le retenir.

Si elle n’avait pas été aussi perspicace, s'il avait su mieux retenir l'éclat de douleur qui l'avait traversée jusqu'au visage.

Beaucoup de “si” qui auraient changé leurs mondes s’ils ne s’étaient pas produits. 

 

Il ne retira pas son bras aussi promptement que ce à quoi elle s'était attendue, mais le geste, et la cape noire qu'il portait, et bien d'autres choses encore faisaient que cette fois, quelque chose se produisit. Quelque chose claqua dans l’esprit de la sorcière, comme une pièce manquante d'un puzzle, celle qu'on a longtemps cherchée et qu'on vient enfin de remettre à sa place.

 

L'air se raréfia entre Orpheus et Hesperia. Il vit le changement dans son expression, dans ses yeux, et la sienne se modifia en conséquence. Il devint plus froid, plus glacé qu’elle ne l’avait jamais connu.

 

-Ma pauvre Hesperia. Si seulement tu n'étais pas si... forte. Si ton esprit n'essayait pas constamment de se rebeller contre moi. Crois-moi, c'est pour ton bien.

 

Il s'apprêta à lui lancer un sort familier, mais cette fois, Hesperia recula et sortit sa propre baguette, qu'il avait omis de lui retirer.

 

-Une regrettable erreur, commenta-t-il.

 

Hesperia tourna la tête de tous côtés, cherchant une issue, mais il avait pensé à sa sécurité avant tout. Les deux personnes qui se faisaient face s’étaient barricadées à l'intérieur de la galerie grillagée.

 

-Alors c'est ça, le secret que tu voulais à tout prix me cacher...?

 

Le cri de la femme aux cheveux noirs s’entendit à peine parmi le tumulte du dehors.

 

-Allons discuter ailleurs.

-Non ! Non, on va discuter ici et maintenant ! Si tu as passé tant de temps à m'éviter, pourquoi ne réapparaître que maintenant ? Qu’as-tu à cacher ? Il y a eu tellement de meurtres de gens comme moi, de Moldus. Que des innocents… ne me dis pas que c’est parce que je compte à tes yeux. Ne me dis pas que… tu es avec eux.

 

L'air qu'il lui renvoya la tua de l'intérieur, mit le feu à chaque bouffée d'air dans ses poumons, n'en déplaise aux incendies qui se déclaraient partout.

Il ne réagit pas.

 

-Cette nuit-là... et Hesperia s’arrêta, parce que sa voix était sur le point de craquer. Ses yeux se mouillèrent brutalement de larmes ; elle tremblait malgré sa baguette toujours pointée sur lui.

 

-...j'ai toujours essayé de me rappeler ce qui manquait. Cette partie des choses qui m'était cachée. Tu ne voulais pas me montrer ton bras. Tu m'as oubliettée après que je l'ai découverte. Alors... cette nuit-là... n'ai-je été qu'une erreur, pour toi ? Une perversion ?

 

Ce fut à son tour de se retrouver figé comme une statue.

 

-Je suis sûre que tu connais le statut de mon sang, puisque cela vous importe tant, cracha-t-elle. Quand je pense que j'avais tous les indices, et que pourtant je ne croyais pas…

 

Les larmes reprirent.

 

-Ne pleure pas, finit-il par chuchoter. A peine un murmure. Je n'aime pas quand tu pleures. Regarde dans quel état tu es, maintenant.

 

-Quel état ? Tu te fiches de moi ? Vous tuez des innocents ! J'ai - Hesperia se refusait à le dire, mais il le fallait - couché avec un homme qui a du sang sur les mains..! Et tu m'as quand même sauvée... que suis-je pour toi ?

 

Silence.

 

-Un jour, tu devras répondre à cette question. Que ce soit à moi, ou...

 

Il revint à la charge alors qu’elle s’effondrait en vertiges, tremblements et pleurs. Ce n’était pas le moment de craquer, surtout face à lui, mais les choses devinrent soudainement  incontrôlables. Hesperia n’arrivait qu'à peine à respirer alors qu'il la recueillit dans ses bras et s’assit par terre, dos à la pierre solide de la galerie.

 

-Tu vois ? C'est pour ça que je préfère que tu oublies. Non seulement tu ne le supporterais pas, mais en plus tu finirais par me détester. Et ça, je ne le permettrai pas.

 

Sa baguette glissa de ses mains tremblantes. D'un mouvement, il la récupéra. La suite devint floue.

 

Lorsque la sorcière émergea enfin, clignant fort des yeux, elle se trouvait seule dans une galerie inconnue en plein Londres. Elle se revit en train de flâner dans les magasins, et l’attaque. Elle ne se rappelait en revanche pas comment elle était arrivée là. Baissant son regard, son pull impeccable se trouvait ruiné par des traces de larmes. Ses joues étaient humides. Le froid avait envahi ses vêtements, ses mains tremblaient, et elle se trouvait trop près au bord du chaos. Encore. 

 

Aussitôt qu’elle recouvra ses esprits, un transplanage devint la seule solution.

 


 

Hesperia passa la porte de la maison, hagarde. Évidemment, Melchior n’était pas revenu du Ministère. Son corps lui sembla lourd, son esprit le pilotant en mode automatique. Sans réfléchir à ce qu’elle faisait, enfoncée dans un brouillard mental qui confinait à l’irréel, elle se doucha, prépara le plat du soir, trouva un peu de ménage à faire, quelque chose pour occuper ses mains. Puis, lorsqu’il n’y eut plus rien pour détourner ses pensées, ce fut le canapé qui l'accueillit.

Ses yeux demeurèrent fixés sur le feu à lui en faire mal aux rétines, mais elle resta là, sans bouger. Une demi-heure. Une heure. Deux heures. Le seul indicateur du temps qui passait fut ce pied qui battait nerveusement contre le tapis sans qu’elle ne s’en rende compte. 

Hesperia sombra dans le flou. 

 

Le cliquètement de la porte la fit sursauter, mais ce n’était pas assez pour la faire sortir de la torpeur. Enfin, il est rentré. Hesperia ne savait pas quelle heure il était, mais la nuit s’était levée depuis longtemps. 

 

-Chérie ?

 

Posant ses affaires sur le portemanteau à côté de l’entrée, Melchior Delacroix vit sa femme affalée sur le canapé, fixant le feu. Son corps immobile. Il s’approcha aussitôt, sourcils froncés. 

 

-Qu’est-ce qui se passe, Hesperia ? Tu n’as pas l’air bien… 

La sorcière se tourna vers lui, et il haussa les sourcils. 

 

-Tu n’en as pas entendu parler ? elle croassa, mais le son de sa voix était rauque de ne pas avoir parlé pendant longtemps. Ses mains se tordaient nerveusement sur ses cuisses. 

 

-Il y a eu plusieurs attaques aujourd’hui. J’étais inquiet… Ne me dis pas que tu étais partie ! 

-Tu sais bien que je devais acheter cette robe pour la soirée des Macmillan, répondit Hesperia avec un sourire d’excuse. 

 

Il s'assit aux côtés de celle qu’il avait épousée, et la prit dans ses bras. La chaleur se communiqua. 

 

-Tu es gelée, constata-t-il. 

 

Le silence eut raison d’eux un petit moment. 

 

-Le Bureau des Aurors a été en alerte toute la journée, les portes closes. Ils sont intervenus, mais… 

 

C’était déjà trop tard, continua-t-elle à sa place en pensée. La chaleur du trentenaire chassa peu à peu le brouillard et l’inertie, timide rayon de soleil qui parvint à percer la confusion. 

 

-De ce que j’ai compris, ils vont avoir besoin de témoins. Mon cœur… je sais que ça n’est pas facile, que tu es choquée par ce à quoi tu as assisté, et c’est normal. Mais il faut qu’on aille témoigner. Tu es d’accord avec moi ?

 

Hesperia acquiesça d’un signe de tête, n’ayant plus l’énergie de quoique ce soit. De se battre. 

 

-Nous irons demain matin. Je vais les prévenir. 

 

Il s’en alla momentanément, cherchant Patience, son hibou grand-duc. Elle se retrouva seule, à nouveau. Le feu ne parvenait pas à la réchauffer. La soirée se termina dans un flou semblable au coma. Dans le noir, elle s’était mise à pleurer, et ni les bras, ni les paroles chuchotées de son mari ne semblaient pouvoir la réconforter. Elle ne savait même pas pourquoi. 

 


 

Hesperia se réveilla au son familier de la vaisselle et de l’eau qu’on versait dans un récipient, au-delà du mur de la chambre qui donnait sur la cuisine. La nuit avait été longue.

 

-Je t’ai fait un thé à la camomille. On dit que c’est bon pour apaiser l’esprit.

 

La sorcière sourit faiblement à l’homme qui lui apportait son petit-déjeuner au lit. Il s’occupait si bien d’elle… En même temps, il s'y était habitué. La femme se redressa afin que Melchior puisse poser le plateau sur ses genoux. L’odeur des plantes mêlée à l’eau chaude raviva un instant son esprit embrumé par le sommeil. Ou le manque de sommeil, difficile de savoir. 

 

-Il faut que tu manges un petit peu. 

 

Assis au bord du lit, il poussa quelques scones vers elle. Hesperia mâcha, pour lui faire plaisir, mais elle n’avait aucune sensation de faim à contenter. Le thé, en revanche, lui fit plus de bien. Comme s’il combattait le brouillard et le froid de l’intérieur. 

Elle sourit plus franchement et il le lui retourna, un certain soulagement scintillant dans les prunelles de Melchior. Elle se sentit revenir un peu plus à elle-même. Un peu plus forte, et il allait y en avoir besoin, pour la journée qui l'attendait. 

 


 

Hesperia agrippa fermement la main de Melchior lorsqu’ils transplanèrent dans l’Atrium. Elle n’était encore jamais venue au Ministère. Comme tous les matins, c’était la cohue. Hesperia serra plus fort la main de son homme pour ne pas le perdre dans la foule qui remuait en tous sens. Ils traversèrent la grande allée, passant devant la fontaine magique, qui eut le don de l’émerveiller. Ils s’arrêtèrent aux ascenseurs. 

 

-Ne t’inquiète pas, je t’accompagne, chuchota-t-il, tout en appuyant sur le niveau deux. 

 

Département de la Justice Magique. 

 

L’ascenseur se remplit. Hesperia et Melchior descendirent après que les grilles dorées se soient fermées. Il y avait beaucoup de monde et la sorcière suffoquait un peu. Mais cela ne dura pas longtemps. Les grilles se rouvrirent, laissant sortir la plupart des personnes à d’autres niveaux. 

Enfin, le niveau deux fut annoncé. Le couple sortit, traversa un long couloir jusqu’à une porte intitulée Bureau des Aurors

Lorsque son mari la lâcha, Hesperia se sentit plus démunie que jamais. Il toqua à la lourde porte. Aussitôt, celle-ci s’ouvrit, dévoilant un sorcier à la robe écarlate et aux cheveux coiffés en catogan. 

 

-Auror Williamson, se présenta-t-il. 

-Melchior Delacroix, du département des Transports magiques. Je vous présente ma femme. Nous avons sollicité un rendez-vous auprès du Bureau. 

-Ah, oui, je vois, fit-il en consultant une liste flottant à côté de lui. Entrez, Madame, je vous prie. 

 

Son mari l'embrassa sur le front avant de laisser son aimée sur quelques paroles réconfortantes. Il reviendrait la chercher à midi, se disant qu’ils devraient en avoir terminé jusque-là. Hesperia se sentit pourtant nerveuse. 

Elle s’avança vers l’Auror en robe pourpre et la porte se ferma derrière elle, la séparant définitivement du dehors. 



Le Bureau des Aurors était grand, avec une salle centrale où une immense carte de toute l’Angleterre était projetée sur une table. Des points rouges clignotaient à certains endroits. Mais ce n’était pas là où le dénommé Williamson la conduisait. 

Il y avait d’autres salles, plus petites, plongées dans la pénombre. Des salles d’interrogatoire. Et d’autres, plus richement décorées. Les bureaux individuels des Aurors. La paperasse semblait s’étendre comme une forteresse sur certains de ces meubles tandis que d’autres paraissaient plus organisés. 

 

-Par ici, Madame. Je vous en prie, installez-vous. Je vais prévenir mes collègues que vous êtes arrivée, déclara-t-il d’un ton affable. 

 

Hesperia s’assit en face du bureau vide, terriblement mal à l’aise. Mais, quelque part, savoir qu’elle n’avait pas droit aux salles d’interrogatoires sembla un fait tout à fait réconfortant. 

 

-Bonjour Madame Delacroix.

 

Un homme aux cheveux gris, courts, entra dans le bureau, accompagné d’une femme blonde, au long châle vert émeraude. 

 

-Je me présente : John Dawlish. Et voici Miss Vance, qui se chargera de vos dépositions.

 

La jeune femme hocha la tête. 

 

-Nous allons commencer par la procédure standard, dit Dawlish en lui présentant une fiole contenant un liquide étiqueté “ Veritaserum ”. 

-Je suis désolé, mais nous sommes obligés. Question de sécurité, vous comprenez. 

-Oui, bien sûr, répondit Hesperia, et c'était sincère. 

 

Ils ne pouvaient se permettre de fonder leurs activités sur de faux témoignages. La sorcière porta la fiole à ses lèvres et but le contenu. 

 

-Vous vous appelez Hesperia Delacroix, c’est bien ça ? 

-Oui. Mon nom de jeune fille était Ryan. 

-Statut de votre sang ? 

 

Elle fronça les sourcils, tant cette question semblait saugrenue. Qu’est-ce qu’ils en auraient à faire ?

 

-Née Moldue. 

-Pourquoi avoir sollicité un entretien avec nous ?

-Parce qu’il se trouve que j’ai un témoignage direct à livrer, qui pourrait vous aider dans votre enquête, se sentit-elle obligée de répondre. C’est en rapport avec les événements de la veille…

-Je vois. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a eu plusieurs attaques simultanées, dans la journée d’hier… 

 

Dawlish jeta un œil aux coupures de journal qui venaient d'atterrir sur son bureau. La Gazette, mais aussi Le Londonien, et des journaux Moldus dont l’employée de bureau ne reconnut pas les noms, parlaient des attaques. Et des morts. Sa tête se mit légèrement à tourner. 

 

-...où étiez-vous, hier après-midi ?

 

Hesperia ne mit pas longtemps à répondre. 

 

-Je me trouvais dans la Galerie Marchande du Londres Sorcier. A Dedalus Street. 

 

La femme aux cheveux blonds consignait silencieusement chaque mot qui sortait de sa bouche sur un parchemin. 

Le visage de Dawlish resta impénétrable. 

 

-Cela semble recouper nos informations, en effet. Que faisiez-vous, là-bas ? 

 

-Je flânais dans les magasins. J’espérais trouver une tenue appropriée pour une soirée mondaine à laquelle je suis censée assister avec mon mari dans quelques semaines. J’étais chez Couture & Elegance quand… ça s’est passé. 

-Vous étiez seule ? 

-...oui. 

 

L’instant d’hésitation n’échappa à personne. Le cœur de la sorcière témoin se mit soudain à battre à tout rompre. Elle ne savait pas pourquoi elle avait hésité comme ça. On allait croire qu’elle avait des choses à cacher… était-elle déjà devenue suspecte à leurs yeux ? C’est absurde, se défendit une autre part de sa psyché. Tu n’as rien fait. Elle ne s’en souvenait pas, en tout cas, et ç' aurait été si improbable de sa part, de toute manière, qu’elle n’y songea pas un seul instant. 

 

-Racontez-moi en détail ce qui s’est passé. 

 

-Comme je vous l’ai dit, je cherchais une tenue… et puis soudain le sol s’est mis à trembler, rappela-t-elle. 

 

Le malaise l’envahit aussitôt. Les entrailles de la femme aux longs cheveux noirs se nouaient et se dénouaient d’une manière insupportable. Recroquevillée sur son fauteuil, les ombres transperçant son visage. Hesperia eut l’impression qu’elle allait s’évanouir. 

 

-Apportez-lui de l’eau, ordonna Dawlish, remarquant le teint soudain très pâle de la sorcière venue apporter sa déposition, et un verre apparut sur le bureau. 

 

-Prenez votre temps, Madame. Nous savons que ces choses peuvent être difficiles à raconter. 

-Respirez lentement, lui conseilla Miss Vance.

 

Hesperia fit ce que la femme Auror lui conseillait, but le verre d’eau, attendit que l’angoisse nauséeuse passe. Lorsqu’elle sentit qu’elle pouvait à nouveau parler, elle se lança. 

 

-Le sol tremblait. Je n’ai pas compris tout de suite qu'il s’agissait d’une attaque. Vous savez, souvent on pense que ça n’arrive qu’aux autres, et puis on se retrouve dedans… Les gens couraient, tout le monde était affolé. Il y avait des cris, des hurlements. Et puis j’ai entendu leur nom, quand les vitrines se sont brisées et que les gens se sont mis à se cacher dans le magasin. Je n’ai pas voulu y croire. Je…je crois que j’ai transplané dans une passerelle couverte pour me cacher. 

-Combien étaient-ils ? Vous vous souvenez ?

-Une vingtaine, je dirais. Peut-être plus. Ils étaient vêtus de sombre et masqués. Ils descendaient dans la rue. Ils ont massacré les femmes, les enfants. Il y a eu ensuite beaucoup de fumée à cause des incendies. C’était comme si les Ténèbres étaient tombées sur nous…

-Bien. Vous souvenez-vous de certains détails, de quelqu’un en particulier ? Quelque chose à ajouter ?

 

La sorcière ne sut que répondre. 

 

-...non, affirma-t-elle après un long silence. 

 

Les Aurors se regardèrent. Une sorte d’affrontement silencieux sembla se jouer entre eux, puis Dawlish prit de nouveau la parole. 

 

-Bien. Nous allons vous libérer, dans ce cas. Nous vous recontacterons probablement dans la journée afin d’en savoir plus. Nous allons prendre vos empreintes magiques afin de pouvoir vous retrouver plus facilement. 

 

Elle comprit qu’elle était en sursis. Le vertige la prit un instant alors qu’elle se relevait, mais se stabilisa aussitôt. Ça y est, c’était fini. Du moins pour le moment. La dénommée Miss Vance l’accompagna pour prendre ses empreintes. Hesperia pressa sa main contre une plaque lisse, puis ce fut fait. Elle n’avait plus qu’à attendre que l’on vienne la récupérer. Il y avait une sorte de vestibule à l’entrée du Bureau des Aurors ; c’est là qu’elle s’installa, et que son mari la trouva après sa matinée de travail. 

 

-Tout va bien ? 

-Oui, parvint-elle à répondre après un énième effort. Mais elle se sentait déjà épuisée. Elle n’attendait qu’une chose : pouvoir dormir, en sécurité, dans les bras de celui qui partageait sa vie. 

 


 

Hesperia fut rappelée l’après-midi même alors que Melchior était reparti travailler. Cette fois, elle transplana seule dans l’Atrium, direction le Bureau des Aurors. Elle avait réfléchi à tout ce qui s'était passé le matin. Et se doutait, intérieurement, que les choses étaient en train d’aller dans une direction imprévue. Elle l’avait senti, quelque chose clochait, avec tout ça.

Un trou, un blanc, un faux. Quelque chose manquait. Encore. C’était ce qui la mettait dans un état tel qu’elle n’était pas arrivée à une tâche aussi simple que celle de manger, une fois de retour à la maison. 

 

-Madame Delacroix. 

 

Elle se trouvait dans un bureau différent, cette fois. Sur la plaque dorée qui l’ornait était inscrit : “Rufus Scrimgeour, Chef du Bureau des Aurors” . Ce dernier en était absent, et ce fut Williamson et Dawlish qui la reçurent, mais ça n’en était pas moins impressionnant. Et… ça sentait les ennuis à plein nez. Mais qu’avait-elle fait ? C’est la question que tout le monde semblait se poser, Hesperia comprise. 

 

-Nous avons plusieurs raisons de penser, Madame Delacroix, que votre témoignage n’est pas complet. C’est pourquoi nous vous avons convoquée à nouveau. Nous aimerions vous entendre sur certains détails de votre déclaration. 

-Ne vous inquiétez pas, c’est une formalité, rétorqua Williamson, au vu de l’air désorienté de la sorcière. 

-Nous aimerions pouvoir, outre ce que vous nous avez révélé, - ce dont nous vous remercions - consigner votre souvenir de ces évènements pour archive. 

 

Aussitôt, sans savoir comment, Hesperia sut qu’ils mentaient.

Qu’ils voulaient son souvenir, mais pas pour l’archiver. L’angoisse remonta en flèche dans son ventre, une douleur semblable à un coup de poing violent. Et cela la fit s’interroger elle-même sur cette réaction, qu’elle essaya de dissimuler malgré tout, car après tout, ce n’était qu’un souvenir et elle était supposée ne rien avoir à cacher. N’est-ce pas ?  

 

Ne leur donne pas. 

 

Les mots semblaient être venus du plus profond d’elle ; la panique s’invita alors qu’elle combattit cet instinct. Elle ne voulait pas leur donner de raison supplémentaire de la trouver louche, estimant qu’elle en avait assez fait. 

 

-Très bien, abdiqua-t-elle, lèvres sèches, mains nouées. 

 

Williamson apporta une Pensine, qu’il posa sur le bureau, devant la jeune sorcière. Dans la bassine argentée, son reflet se détacha, l’air surpris.

On aurait dit qu’elle était malade. Qu’est-ce qui se passait, avec elle, par Merlin ?

Hesperia tenta de se ressaisir, essaya de se composer un air neutre. Pourvu que ça suffise. Et à l’intérieur, tout bouillonnait. Un instinct puissant lui ordonnait de fuir la situation. Elle se sentit piégée, alors qu’elle n’avait rien à se reprocher, un comble ! 

 

-Je suppose que vous connaissez le fonctionnement de ce type d’objet magique, poursuivit Dawlish d’un ton monocorde. 

 

Hesperia acquiesça. 

 

-Je vais vous prélever le souvenir. Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal. Pensez très fort à ce qui s’est passé hier. 

 

Williamson approcha sa baguette de sa tempe, et en extrait un long filament argenté. Ce n’était pas censé faire mal, pourtant… le trou béant logé dans sa poitrine, fiché dans son âme, se mit à se consumer. Des bords incandescents qui faisaient mal, menaçant de partir en cendres. Une vague de sensation acide parcourut son corps, imprégna sa salive. Elle eut de nouveau l’air nauséeuse.

Pâle, trop pâle. 

Avoir le souvenir distancié d’elle, de ses sensations et émotions ne la soulagea pas, bien au contraire. Hesperia se garda de montrer le moindre indice de son malaise aux enquêteurs alors que le souvenir s'écoula dans la Pensine, dont le liquide se mit à tourbillonner. Le fluide parut plus agité que ce que la sorcière connaissait du fonctionnement normal d’un tel objet, puis vira au noir. 

 

-Souvenir modifié, souffla Dawlish, la détermination crispant ses traits. J’en étais sûr. 

 

Williamson lui jeta un regard qu’elle n'aurait su identifier. Si ce n’était pas déjà fait, maintenant, elle devenait suspecte. 

 

-Je suis navré, Madame, mais il semblerait que nous devions vous garder avec nous… tempéra l'Auror en robe écarlate qui l'avait précédemment accueillie.

Le regard fauve qui s'était brusquement allumé dans les yeux de Dawlish n'avaient rien de rassurant. Derrière la jeune femme née-Moldue, la porte s’ouvrit, puis se referma, définitivement. L’Auror Scrimgeour était arrivé.

 


 

Lorsqu’Hesperia ressortit, il était tard. Melchior l’attendait dans le vestibule. Aussitôt, elle remarqua sa posture affaissée, lui qui était toujours si droit, si mesuré. Et les cernes sous ses yeux. Elle l’étreignit brièvement avant qu’ils s’en aillent en silence. Leurs mains étaient à nouveau jointes, et Hesperia y puisa tout le soutien qu’il pouvait lui apporter dans la chaleur de ses paumes. 

Ils ne parlèrent pas avant d’être rentrés. 

 

-Tu as l’air fatiguée. 

-Toi aussi, rétorqua Hesperia, mais Melchior lui répondit aussitôt que c’était le travail qui l'occupait. 

 

-Que s’est-il passé, ma chérie ? Pourquoi t’ont-ils gardée tant de temps ? 

 

Les frissons l’envahirent. D’un coup, un froid s’invita en elle. Hesperia enlaça son mari. Melchior passa ses bras autour de sa taille dans un geste protecteur, mais incertain. Elle eut besoin de sentir son cœur battre, sa tendresse, sa force. 

 

-S’il te plaît… je ne veux pas en parler, souffla-t-elle dans un murmure à peine audible. Mais il vit bien son regard perdu, ses lèvres desséchées. L’apparence de sa femme était toujours soignée mais quelque chose lui indiquait que ça n’allait pas. 

 

-Tu m’inquiètes. Promets-moi que tu m’en parleras, Hesperia. Promets-moi…

-Oui, souffla-t-elle, se blottissant plus fort contre lui. 

 

Mais ça n’éteignit pas la brûlure béante qui menaçait de l’engouffrer toute entière. 

 

Ce trou se consumait telle une cigarette ; plus on tirait dessus pour panser les blessures de l’âme, plus on y sombrait, à moitié parce que c’était complètement illusoire et inefficace, n’apportant qu’un soulagement momentané, à moitié parce que c’était un mensonge à la portée addictive, un mensonge bien trop puissant pour les esprits qui ne pouvaient jamais qu’y succomber une fois qu’ils tombaient dedans. L'illusion que tout allait bien, qui ne durait que quelques minutes, avant de les avaler jusqu’à la prochaine bouffée. 

 

Cette nuit-là, Hesperia pleura à nouveau. Rêva, confusément, que quelqu’un était là, la surveillait, tapi dans l’ombre. Au bout de ses doigts, seuls indices plongés dans la lumière, une cigarette brûlait. Lorsque la femme se réveilla en hurlant, son incandescence rougeoyante et l‘odeur chimérique de la cendre restèrent incrustés devant ses yeux, dans ses narines. 

 

Melchior avait beau la prendre dans ses bras, cette fois elle commença à avoir un début de réponse. Un détail refit surface.

Dix ans en arrière.

Elle se dégagea des bras qui l’entouraient chaudement. D’un coup, leur contact devint insupportable. Il faisait trop chaud, de toute façon. Trempée de sueur, les larmes au bout des yeux, ses pas la menèrent dans la salle de bains, où elle s’enferma. Ses yeux évitèrent les miroirs, la lumière, de peur de croiser la folie dans son reflet. La douche, glacée, sembla apaiser un instant la fièvre du vide, noya les tremblements sous de longs frissons. Enroulée dans son peignoir, Hesperia finit par s'endormir à même le carrelage frais, transie de ce froid qui l’envahissait à nouveau toute entière. 

 

Cette fois, son sommeil s’emplit de vagues calmes. 

 




Lorsque ses yeux s’ouvrirent de nouveau, il faisait grand jour. Les événements de la nuit lui revinrent peu à peu, confus, chaotiques, mais lointains. On dirait que le sommeil lui avait fait du bien. Il faisait à présent jour. Les rayons du soleil perçaient la fenêtre, illuminaient sa peau. Lorsque ses yeux tombèrent sur le grand miroir fixé au-dessus du lavabo, elle ne vit plus ce qui hier lui faisait si peur dans son reflet. Elle avait l’air, enfin, normale. Comme avant. Même si plus rien n’était plus vraiment pareil, depuis dix ans en arrière. 

Hesperia se sentit enfin prête à affronter son mari, tout en sachant combien les choses s’annonçaient compliquées. Elle sortit de la salle de bains, s’élança dans le couloir et rejoignit la chambre conjugale. Heureusement qu’on est samedi, se dit-elle, contemplant son mari encore endormi. Il avait eu de rudes nuits, récemment. Tout ça… à cause d’elle. Il était temps de le rassurer, se jura-t-elle. 

Prenant discrètement quelques vêtements, elle s’habilla en vitesse puis entra dans la cuisine afin de préparer le petit-déjeuner. Ou même un brunch, tellement il était tard. 

 

La femme s’attela, tout en mangeant, à répondre aux messages que les hiboux n’avaient pas cessé de laisser dans la boîte aux lettres. Son absence aux bureaux administratifs de la boutique de Charmes dans laquelle elle travaillait avait inquiété, même si Melchior avait pris soin de poser quelques jours de congés pour elle lorsqu’elle se trouvait au plus mal. Ses collègues avaient également envoyé des missives en apprenant l’attaque. Des amis, aussi. La famille… la famille était le plus difficile. 

La sœur d’Hesperia, notamment. 

 

S’il te plaît, réponds-moi dès que tu lis ces lignes. Est-ce que tu vas bien ? Tu sais qu’il faut qu’on parle. Les choses s’enveniment. Tu ne peux pas ignorer que ça peut avoir un lien avec la nuit que tu sais. D’après Melchior, tu avais la même tête qu’il y a dix ans, lorsque je t’ai récupérée. 

Ne m’ignore pas.

 

Malgré les prières et protestations du message, elle choisit de mettre de côté le courrier. Pour l’instant. Elle n’était pas prête à faire face à tout ça. Le remue-ménage de la cuisine et la bonne odeur du café attira son mari dans la pièce. 

 

-Bonjour.

 

Hesperia répondit d’un salut timide, et Melchior et elle s’embrassèrent. Pendant qu’il déjeunait, elle le contempla en silence, se demandant encore ce qu’elle avait le droit de raconter. Les enquêtes des Aurors étaient censées être secrètes. D’ailleurs, elle se  demandait ce que le Sceau de Silence apposé sur elle lui laisserait dire. 

 

-Hesperia, dit-il finalement, et elle reconnut ce ton. Il faut que tu me dises ce qui se passe. 

-Je sais, répondit-elle, dans le déchirement. Elle lui montra la marque bleue du Sceau et il se rembrunit. 

-C’est grave, alors. 

-Je ne saurais pas te le dire. En fait, tout ce que je sais, c’est que… Il s'est passé quelque chose pendant l’attaque. Quelque chose dont je ne me souviens pas. On a modifié ma mé… 

 

Le Sceau brilla avant de lui couper le souffle. Hesperia se tut, et elle put de nouveau respirer. 

 

-C’est pour ça qu’on m’a gardée. Mais je suis aussi perdue que toi. Je ne sais pas ce qui est arrivé… 

 

Les larmes perlèrent à nouveau dans ses yeux. 

 

-Je suis sous Sceau de Silence jusqu’à ce que je me rappelle de tout. Ils estiment que… 

 

Elle fut à nouveau coupée. 

 

-Okay, okay, ne force pas, ma chérie. 

 

Melchior s’installa à ses côtés, la prit à nouveau dans ses bras. 

 

-Il faut que tu te reposes. On va trouver une solution. On va trouver une solution… Je suis désolé, te souffle-t-il. Si je ne t’avais pas laissée, ce jour-là… Rien de tout ça ne serait arrivé. Tu n’aurais pas été attaquée… 

 

Il y avait des choses qui n’étaient pas du ressort du Sceau, que pourtant la femme évita. Et elle s’en voulut. Mais c’était mieux ainsi. Du moins, c’était ce qu’elle croyait. 

 


 

La semaine suivante passa. Hesperia retrouva ses collègues de bureau, leur expliqua dans les grandes lignes ce qui était arrivé. Elle ne supportait qu’à grand-peine les regards de commisération, les mains sur son épaule en signe de soutien. Mais peu à peu, on se désintéressa d’elle pour des sujets plus triviaux, et la vie normale reprit son cours. Plongée dans les relevés de compte de la société dont elle s’occupait, dans les transactions dont elle calculait les montants et consignait les acomptes et bordereaux, Hesperia laissa de côté toute cette histoire. 

Sauf le message de sa sœur. Il fallait bien qu’elle lui réponde quelque chose. Mettant également sa culpabilité de côté, la jeune femme se mit à réfléchir à un message approprié. Elle n’oubliait pas qu’elle était surveillée par les Aurors. Ils la suivaient, de loin, alors qu’elle se rendait au grand marché de la ville, à son travail, ou, comme cette après-midi-là, au service postal. Ils n’entraient pas, se contentant de l’escorter, mais c’était déjà bien assez. 

Hesperia ne parvenait pas à estimer dans quelle mesure ils lui faisaient confiance. 

 

Je ne peux pas te parler pour le moment. Je ne sais pas si ça a vraiment un lien. J’ai été choquée, c’est tout. Je vais bien. Pas de quoi s’inquiéter. 

 

Elle remit son parchemin à un agent, qui s’occupa d’apprêter une chouette pour le service. 

 

-Postage léger par voie express : huit Mornilles, s’il vous plaît. 

 

Elle paya et s’en alla, espérant que ça suffise. Le fantôme que sa sœur avait suggéré dans sa lettre pour elle revint dans sa tête alors qu’elle franchit en sens inverse les portes de la petite agence de poste. Hesperia ne se rappelait qu’à peine de son visage. Est-ce que ça avait vraiment un lien ? Ça semblait si lointain... et en même temps les frissons qui parcouraient son corps ne lui semblaient pas étrangers.

Peut-être n’était-ce que le coup de vent qui la surprit alors qu’elle s’engouffrait dans la rue animée. 

 


 

Les jours, nuits et rêves se succédaient. La cigarette se consumait, inlassablement. Et Hesperia inspirait la fumée qu’elle envoyait, inhalant le poison toxique pour les poumons comme le plus subtil des parfums. Cette légère odeur de fumée convoquait quelque chose de vague, d’effacé. Elle s’efforça d’ignorer l’envie de fouiller plus profondément, au risque de réveiller le trou béant dans sa poitrine. 

 

Mais il y avait cette soirée organisée par des amis de son mari. Les Macmillan. Hesperia ne savait toujours pas quoi porter. Se posant devant sa garde-robe, l’après-midi après le travail, elle examina les possibilités. 

Finalement, elle opta pour quelque chose qui traînait dans son placard depuis si longtemps qu’elle l’avait oublié. La robe qu’elle avait portée au bal de la journée de la cérémonie de remise des diplômes de Poudlard : la robe de soirée argent, celle-là même. Celle qui soulignait gracieusement sa taille et la couleur claire de ses yeux. 

 

Elle laissa ses cheveux dégagés, librement bouclés autour de son visage. Le maquillage sorcier effaça toute trace des épreuves qu’elle avait dû subir ces dernières semaines, qui hantaient encore ses traits comme autant de fantômes. 

Revêtant une cape autour de ses épaules, elle avisa Melchior, qui ne put s’empêcher de l’admirer, un discret sourire aux lèvres… et d’embrasser son front avant de les faire transplaner. 

 


 

Hesperia se réfugia discrètement aux toilettes. Mais le regard de Melchior ne trompait pas. Elle voulut s’en aller loin, très loin. Son estomac se retourna. Les mains accrochées au lavabo à en faire pâlir les jointures, elle se regarda et aussitôt se dégoûta. 

La révulsion s’accrocha à son corps et d’un haut-le-cœur, la jeune sorcière rendit une partie du repas. 

 

C’est lui. 

 

O... Non, ne prononce pas son nom.

 

Il était là.  

 

Du moins, c’est ce qu’il cherchait à lui faire savoir. 

 

Les yeux fixés sur ceux du reflet, elle eut l’impression de se dédoubler. Tout ça n’était pas réel. Son visage prenait des reliefs étranges.

 

Les choses commençaient de nouveau à se remettre à leur place. Il avait disposé d’un intermédiaire, mais la remarque que l’ami des Macmillan lui avait faite ne pouvait être interprétée autrement. 

 

Il fallait à tout prix qu’elle s’en aille. Qu'elle se cache. Qu’elle évite Melchior. S’il savait, il risquait de faire le lien… et les fantômes du passé n'étaient jamais bons à confronter, surtout lorsqu’ils ressurgissaient, plus vivants que jamais. Les pensées fusaient à toute vitesse dans son esprit. Son regard croisa son expression affolée dans le miroir et Hesperia eut de la peine à se reconnaître. La scène rejoua, inlassablement. Ce n’était pas la même voix, pas la même apparence, mais le sentiment de déjà-vu était plus qu’un sentiment. C’était une certitude. 

 

-J’ai un message de la part d’une connaissance à vous, Madame. Quelqu’un qui souhaite rester anonyme. Il vous transmet ses compliments. Il m'a chargé de vous dire ceci : vous resplendissez comme un papillon argenté, ce soir… belle Hesperia. Il vous conseille de vous envoler tant que vous le pouvez encore, quoi que cela veuille dire. 

 

L’inconnu avait glissé ça en passant, sous les traits d’un ami, mais Hesperia avait tout de suite compris ce que ça signifiait. Mot pour mot. Ça l’avait renvoyée dix ans en arrière d’un seul coup. 

Les paroles qu’il lui avait adressées, ce soir-là. La nuit fatale. Alors qu’elle fêtait son diplôme avec ses amies Moldues dans les rues de Londres. 

Il n’y avait que lui pour l’appeler ainsi. Pourquoi ce message ? Pourquoi l’homme avec qui elle avait couché il y avait si longtemps désirait la revoir, de surcroît maintenant ? Ça n'avait pas de sens. 

Une chose que la femme savait, cependant, une connaissance louvoyant dans ses tripes, viscéralement : il ne fallait pas qu’elle reste seule, ce soir. 

 

Il est dangereux.  

 


 

-Je savais qu’on n’aurait jamais dû venir ! se mit-elle à hurler dans la maison vide, relâchant la pression contenue dans ses poumons, alors que Melchior transplanait tout juste derrière elle. 

 

-Mais enfin, Hesperia, vas-tu m’expliquer la raison de ce comportement ? Qu’est-ce qui se passe, nom d’un Scroutt à Pétard ? Qui était cet homme qui t’a transmis ce message ? Qu’est-ce qu’il te veut ? Tu le connais ? 

 

-Non ! 

 

Maladroitement, elle enleva cette robe à laquelle il avait fait référence - elle ne voulait plus jamais la porter. Elle voulut la voir brûler, de peur de voir l’Autre surgir de l’étoffe. C’était complètement irrationnel, elle le savait, mais on n’arrêtait jamais le train en marche de la peur. Surtout de cette peur. 

Son nom avait été banni ; c'était une sirène bien trop puissante. Une sirène d'alarme.

 

-Inutile de me faire une crise de jalousie parce que je viens de potentiellement nous sauver la vie ! 

-Attends. Ça a un rapport avec les Aurors ? Avec l’attaque ? J’ai du mal à te suivre. 

-Pas besoin, crois-moi. Moins tu en sauras, mieux ça vaudra… cracha la femme aux cheveux noirs d’un ton amer. 

 

Le trou béant surgit de nouveau, plus brûlant que jamais. Elle passa la nuit dans la salle de bains, refusant d’ouvrir la porte à son homme. 

 

-Tu boudes comme une enfant, se plaignit-il. 

-Parce que tu ne sais pas à quoi on a affaire, rétorqua-t-elle à brûle-pourpoint derrière l’ouverture. 

-Si seulement tu me le disais, on n’en serait pas là ! 

 

Et les larmes traîtresses coulèrent à nouveau. La culpabilité ouvrit ses vannes. Elle le comprenait. Mais dès lors que la bombe avait été lâchée, elle n’avait pas pu s’empêcher d’agir comme une de ces femmes paranoïaques rongées par la jalousie qui hantaient les fêtes et les bals. Elle avait louché sur tous les bras sans savoir ce qu’elle y recherchait. Dans toute la foule qui était présente, elle avait poursuivi une chose qui n’était pas là, sans vouloir se décrocher une seconde du bras de Melchior. Sauf pour ce passage dans les toilettes, où elle avait dû se reprendre après le message délivré par le joueur professionnel de Quidditch. 

 

Au bout d’un moment, Hesperia ne perçut plus aucun bruit. Elle crut qu’il dormait, adossé à la porte. Elle se sentait tellement mal de lui imposer ça, cet espèce de caprice, mais elle savait au plus profond de son corps, de son esprit malmené, que ça n’en était pas un. Qu’ils étaient en danger. 

Elle se sentait tellement seule, tellement perdue. Ne sachant pas ce qu’elle devait faire. Où se positionner. Le spectre de l'autre la narguait, plus vivace qu’il ne l’avait jamais été jusqu’à présent. Mais maintenant il y avait son homme, son mari, qui l’aimait et qu’elle aimait, à qui elle avait juré fidélité et soutien, même dans les pires épreuves. 

 

-Cet homme… c’est lui, n’est-ce pas ?

 

Hesperia haussa les sourcils, la surprise gravée sur son visage. Comment pouvait-il savoir ?

 

-C’est celui d’il y a dix ans, celui dont tu n’as jamais voulu me parler..?

 

Son ton à moitié interrogatif, à moitié peiné, l’accabla de la pire des manières. 

 

Ils se torturaient mutuellement, lui et elle. A quoi cela rimait-il ? Il valait mieux mettre fin à tout cela. Sauf qu’elle se rendit compte, cruellement, que les mots lui faisaient peur. Pouvaient mettre fin à tout. Hesperia n’était pas sûre d’être capable d’y survivre.

 

Ses sanglots redoublèrent à cette pensée, et les hoquettements silencieux qu’elle émettait depuis un moment augmentèrent en intensité. N’avait-elle pas assez souffert ? N’avaient-ils pas assez souffert ? 

Le chant funèbre de ses pleurs traversa les parois des murs. Melchior sembla prendre cela comme un signe de confirmation de la part de sa femme. Sa voix douloureuse chercha à crever l’abcès, et, soudain, Hesperia ne trouva plus la force de résister. 

 

-Est-ce… est-ce qu’il est lié à tout ça ? L’attaque ? 

 

Les mots sortirent tout seuls de sa bouche vaincue - le Sceau brilla sous la magie inconsciente que ces efforts déployaient. 

 

-Je ne sais pas. Je ne me souviens pas…il est dangereux !

 

Un silence assourdissant accueillit ces paroles au goût de défaite. Dans l’immobilité de la salle de bains, de la maison, Hesperia éprouva soudain l’envie de tout casser, de tout renverser. Un chuchotement s’éleva à nouveau, si faible qu’elle dut tendre l’oreille pour capter correctement les paroles de ce dernier.  

 

-Est-ce que… est-ce que tu as des sentiments, est-ce que tu ressens quelque chose  pour lui ?

 

Ses pleurs repartirent, mais ce furent des hoquets d’une souffrance silencieuse que son corps cherchait à expier, comme un démon qui aurait pris possession de son âme. C’était le trou béant, brûlant, qui faisait se mouvoir son corps en spasmes de douleur, qui lui faisait prendre ces inspirations rauques. Hesperia essaya de se raccrocher à tout ce qu’elle pouvait. Ses ongles raclèrent le sol, les murs, sans trouver de prise. 

Son corps éprouvé se tordit contre le sol, et la sorcière pria pour que ça passe, remerciant tous les dieux qu’elle connaissait, la magie même, pour ne pas avoir laissé Melchior assister à un tel spectacle. Lorsque la souffrance finit par atteindre un plateau - à peine supportable, mais elle en était rendue à un tel niveau que plus elle souffrait, plus la perception de la douleur se brouillait - et qu’elle put à nouveau parler, seuls quatre mots s'échappèrent de ses lèvres à peine closes. Un souffle. Chargé de fantômes.

 

-Je ne sais pas. 

 

Dans le silence, elle entendit un long soupir. Des pleurs, peut-être. Et la culpabilité revint l’écraser de sa morsure vive, de son poids de plomb. C’était tour à tour la souffrance du vide, puis celle de la culpabilité. Hesperia se dégoûtait. Elle avait beau se haïr, cela ne changeait rien. 

 

-Merlin, Hesperia… Depuis des années, tu hurles un nom dans ton sommeil. Tu l’appelles. Du moins, tu le cries. Comment je suis supposé prendre une telle chose ?

 

Il rit, et ce fut un rire affreux, soulignant l’absurdité de la situation.

 

-Sais-tu ce qu’il est, au moins ? Qui il est ? 

 

Un silence énorme répondit à sa question. Non, elle ne savait pas. Elle ne l’avait jamais su. Elle ne connaissait que son nom. 

Un nom fantôme. L'ombre pernicieuse dans son esprit. Orpheus. Même ça, ce non-savoir, ça avait suffi à lui faire développer quelque chose envers lui. Quelque chose qu’il lui était absolument impossible de qualifier. De dire. De penser.

 

-En dix ans, j’ai eu le temps de faire quelques recherches, avoua-t-il. Hesperia, écoute-moi, je t’en prie. Cet homme… C’est un Travers. 

 

Le silence avait beau être assourdissant, Hesperia s'en retrouva étourdie. Comme si des milliers de miroirs, de cristaux de verre se brisaient avec grand fracas. Un larsen vrilla ses oreilles, et elle dut se raccrocher au bord de la baignoire pour ne pas tomber à nouveau.

 

-Je vais faire un tour, histoire de réfléchir un peu, finit-il par dire, alors que les premières heures du matin commençaient à filtrer au dehors. 

 

Hesperia voulut le supplier de rester, lui dire qu’elle l’aimait, lui expliquer, lui dire qu’il ne pouvait pas savoir, que c’était entièrement à cause d’elle qu’ils en étaient là. Elle voulut lui dire de se montrer prudent, de ne pas lui en vouloir, de prendre pitié de sa faiblesse et qu'elle-même ne comprenait rien de ce qui lui arrivait. Elle voulut lui dire tant de choses, mais aucun son ne parvint plus à sortir de ses cordes vocales. Épuisée, la femme cessa de lutter, tombant dans les bras oublieux et inconscients du sommeil. 

 


 

Ses yeux s’ouvrirent à nouveau. Elle n'était pas sortie de l’enfer, mais se trouvait à présent étendue sur le lit conjugal, seule. Péniblement, sans énergie, elle se leva, cherchant un verre d’eau. 

Melchior était revenu. Son visage demeura impénétrable alors qu’ils se saluèrent. Il ne l’embrassa pas. Aussitôt, son estomac se noua, appréhendant ce qu’il allait lui annoncer. 

Hesperia ouvrit la bouche, s'apprêtant à lui dire à quel point elle était désolée. Pour tout. Même si aucun mot n’aurait su décrire la profondeur de sa détresse… et de sa gratitude. Il l’arrêta derechef. 

 

-Je sais ce que tu vas me dire. Je ne pense pas une seconde que tu sois ce genre de fille malhonnête qui prend les hommes pour des objets à collectionner ou des relations sérieuses pour des pansements. Mais cela fait des années. Je t’en veux pour ton silence. Je t’en veux pour tout ce que tu me caches à ton propos, ou à son propos. Je t’en veux parce que je m’inquiète pour toi. Je m’inquiète de la situation dans laquelle tu te retrouves. Alors il y a des choses que j’aimerais savoir, même si je sais que tu n’en as sincèrement pas toujours la réponse. 

 

-Tout ce que tu veux, répondit-elle, la voix rauque. 

 

Après un verre d’eau, ça allait mieux. 

 

-Je veux savoir tout ce qui s’est passé lorsque tu l’as rencontré. Quand, où… ne m’épargne aucun détail. Ta sœur m’a raconté sa version des choses, mais je veux entendre la tienne, que je transmettrai ensuite aux Aurors. 

 

Son visage cerné perdit un instant de son imperméabilité, et Hesperia se douta qu’il risquait de ne pas aimer tout ce qu’il risquait d’entendre. 

 

-...aux Aurors ?

-C’est une partie de ton histoire qu’ils risquent de trouver fort intéressante. J’ai vu que le Sceau s’était brisé, hier soir. Tu peux parler sans filtre. 

-mais… ils feront le lien ! 

 

Sa voix résonna plus fort que ce qu’elle aurait voulu. 

 

-Quel lien ? Quel lien y a-t-il entre vous ? Arrête de fuir, Hesperia ! 

-Ne me vends pas aux Aurors. 

-Alors il est impliqué dans des agissements illégaux ? Dans des meurtres ? Tu as conscience de ce que tu me demandes, si tel est le cas ? 

 

Il avança vers elle. Hesperia recula. L’éclat dans ses yeux lui faisait peur. Elle ne l’avait jamais vu dans un état pareil. Mais l’indignation monta en elle de la même manière. 

 

-Je.. je n’en sais rien ! Je te l’ai dit, pourtant… Je l’ai rencontré dans un bar, alors qu’on fêtait nos diplômes respectifs, entre amies. Entre Moldues ! Oui, si tu souhaites tout savoir, j’ai eu une relation avec lui, mais ça n’a duré qu’un soir, et je ne me rappelle que de flashs de ce soir-là. J’étais alcoolisée, par Merlin ! Et il… 

 

-As-tu vu s’il portait une Marque ? 

 

La stupeur se peignit sur le visage d’Hesperia. Un fragment venait de se reconstituer. Un fragment. Les ténèbres. Un souffle choqué parvint à s'échapper d'elle.

 

-Il m’a bandé les yeux pour que je ne puisse pas le voir…il avait éteint la lumière. 

 

A la façon dont ses yeux étincelaient, Melchior sembla comprendre que la femme qu'il avait tant aimée disait la vérité. Son expression se radoucit alors qu'Hesperia sombra, les jambes coupées, sur la chaise de la cuisine. 

 

-Tout va bien, mon cœur. Ce n’est pas ta faute. On ne sait rien sur lui, pour le moment. Je suis désolé, je n’aurais pas dû te parler comme ça. Je vois bien à quel point tu es… Merlin, ta sœur avait raison. Il t’a oubliettée. Mais, en faisant ça, il t’a complètement…

 

Traumatisée. 

 

Il la prit dans ses bras. 

 

-Par Morgane, pourquoi n’es-tu pas allée consulter un psychomage ? 

 

-Je… je pensais que ça irait, confessa-t-elle en tremblant. Ses yeux ne parvenaient même plus à fabriquer de larmes, alors elle les ferma.  

-Bon. Je vais attendre quelques jours avant de prévenir les Aurors. Il faut que tu tiennes jusque-là. Ce n’est pas de ta faute, mon cœur. Ce n’est pas de ta faute. Tu dois te reposer. Bientôt, toute cette histoire sera derrière nous…

 

Elle n’eut pas la force de répliquer alors qu’il l’emmenait de nouveau dans la chambre à coucher et l’allongea sur le matelas, la remettant dans les couvertures. Ses yeux lui faisaient si mal, son corps lourd et douloureux, son esprit si confus, un amas chaotique de pensées et de peurs. De démons, d’ombres et de spectres.

Melchior prépara du thé avec des herbes apaisantes, plaça un petit tissu imbibé d’eau froide sur son visage pour faire dégonfler ses paupières irritées. 

Les jours suivants passèrent dans une torpeur mortelle : elle dormit, but, mangea, et se remettait à dormir. Son mari reprit sa juste place auprès d’elle, et tout était censé aller pour le mieux, désormais. Maintenant que l’ombre nébuleuse du secret avait été éventrée, mise au jour.

 

Hesperia avait oublié les mots que son mari avait prononcés. Jusqu’à un soir, où elle s’agita de nouveau, alors que Melchior déclara qu’il allait contacter les Aurors au lendemain, afin de pouvoir coincer celui qu’il pensait être un Mangemort aux trousses de sa femme. 

 

Alors que, dans l’écrin le plus profond de la nuit, elle avait rêvé, honteusement, de celle où elle avait fait sa rencontre. Où elle avait, dans le noir, exploré son corps. Où elle avait enlevé le bandeau qui ceignait ses yeux, qui s’étaient retrouvés plongés dans l’obscurité, avec lui. Où elle avait passé ses mains sur lui, pour le mémoriser, et où elle avait alors senti…

 

Au moment où elle arrivait à son bras droit, elle avait senti… 

 

Un relief. 

La Marque des Ténèbres. 

 

Le voilà, son secret honteux. Oui, Hesperia avait des choses à se reprocher, maintenant, elle s’en souvenait. 

 

Tu as couché avec un Mangemort, Hesperia. 

 

Sa voix intérieure la plus mesquine la narguait.

 

Et le vide brûlait, brûlait, mais elle ne parvenait pas à retirer de sentiment particulier de ce savoir qui lui avait longtemps échappé, loin de sa conscience. Regrettait-elle ? 

 

Elle semblait incapable de le savoir. Mais lorsque Melchior parla du fait qu’il risquait d’être appréhendé à cause d’elle, sa réaction ne se fit pas attendre. 

 

Ce que son mari prit pour une crise de délire, alors que la fièvre et les frissons se battirent en elle, ce n’était que ses nerfs qui lâchaient, son corps qui suppliait, se rebellait,  craignait la perspective de la mort de l’Autre. 

Et puis, alors que le soir tombait, quelque chose lui chatouilla le cerveau. Sa voix. Elle se calma instantanément. Un soulagement sans nom l’envahit jusqu’au plus profond du cœur, apaisant la tourmente de son âme. Cela faisait si longtemps…

 

Prépare-toi. Je viens te chercher. Cette nuit. Dors bien, ma belle. 

 

Forward
Sign in to leave a review.