Nuit Fatale

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
G
Nuit Fatale
Summary
L'amour est un traumatisme dont le cœur ne guérit jamais. Hesperia Delacroix est peut-être la sorcière la mieux placée pour le raconter. A trop vouloir jouer, même contre son gré, avec l'épée de Damoclès, elle finit par vous pourfendre. Il ne faut qu'une rencontre, à la faveur des ténèbres, pour vous briser. Une nuit trouble, sous le sceau du secret, pour vous révéler.S'en souviendra-t-elle, entre silence et oubli..?S'en souviendra-t-elle avant la fin ?
Note
Vous êtes mis au défi de deviner qui se cache derrière le doux prénom d'Orpheus... GOOD LUCK !Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du WITCH HUNT FEST organisé par FESTUMSEMPRA. La liste complète des œuvres participantes est disponible sur la collection : https://archiveofourown.org/collections/Witch_Hunt_Fest/works Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici : https://discord.gg/73rYkUNPTx
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Rencontre fatale


« Je me demande comment tant de jeunes filles osent encore faire l’amour avec cette terreur, cette épée de Damoclès sur leur ventre ? Sont-elles héroïques ou inconscientes ? »

Benoîte et Flora Groult, Journal à quatre mains, Denoël, 1962, entrée du 29 juin 1941, page 169.

 


7 Juin 1981,

Camden, Londres.

 

-Hesperia ! Comment vas-tu ? Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vues...

-Oui, que deviens-tu depuis l’école primaire à Ravenscourt Park ?

-Tu avais promis de nous écrire !

 

La jeune femme sourit. Cela était bon de voir qu'on ne l'avait pas oubliée, dans son monde d'origine.

 

-Calmez-vous, les filles. Toi aussi, Cameron. Je sais, j'aurais dû vous écrire plus souvent. Mais les études étaient tellement prenantes...

-Poudlard, c'est ça ? A ce qu'il paraît, c'est une bonne école de droit.

-Oui, j'effectue là-bas une licence droit-lettres, que je viens de terminer, tout comme vous !

 

Hesperia savait que ce n'était pas l'exacte vérité, que Poudlard n'était pas une école privée de droit mais de magie et que les informations qu'elle avait données à ses anciens amis étaient des mensonges destinés à créer une couverture sur ses réelles activités, mais en aucun cas les Moldus ne devaient avoir vent de l'existence de ces deux mondes qui coexistaient fondus l'un dans l'autre. Quelquefois, ça la rendait triste. Ils manquaient tellement de choses. Tellement de connaissances, de personnes et d'événements auxquels ils n'auraient jamais accès... prétendument à cause de leur origine, de leur sang, ou de leur manque de prédisposition pour la magie. En fait, c'était assez flou, en termes de justification. Mais peu importe.

Hesperia était, comme beaucoup de jeunes sorciers se rendant à Poudlard, issue de ces deux mondes. Un produit du meilleur, diraient certains, et du pire, pour d'autres. Tout ce qui pouvait en être déduit, c'était ça : ce décalage, parfois bienheureux, parfois insupportable entre elle et les autres. Entre ce qu'elle avait en trop - sa personnalité, mais aussi ses pouvoirs - et ce qu'elle ne possédait pas - une origine purement sorcière.

Coincés entre les deux mondes, Hesperia et ses semblables évoluaient constamment sur le fil du rasoir, ne sachant pas trop où aller, comment dériver. Elle chérissait ses amitiés passées, avec lesquelles elle continuait d'entretenir des relations, parce que tout de même, le monde Moldu n'avait pas été qu'un lieu sombre.

La majorité des sorciers Nés-Moldus racontaient l'extrême souffrance de vivre dans un monde répressif et violent, dans lequel ils devaient vivre en dissimulant leur personnalité parfois excentrique, flamboyante, et leurs capacités hors norme. Ils accueillaient avec soulagement le monde sorcier comme une communauté qui les accepterait pour ce qu'ils étaient, ne feraient pas d'eux des fous à jeter en asile psychiatrique, des cobayes de laboratoire. Mais Hesperia gardait de bons souvenirs du monde qu'elle avait côtoyé en premier lieu depuis sa naissance.

 

Sortant de ses pensées, elle se joignit de nouveau à la conversation, qui tournait essentiellement sur les diplômes et études de chacun, leurs espoirs, leurs avenirs.

 

Cecilia rêvait de devenir infirmière au sein du National Health Service et suivait ses études en parallèle d'un internat en médecine.

Holly suivait une grande carrière de scientifique à l’Imperial College de Londres, jonglant entre plusieurs licences et un hobby d'artiste-peintre. L'un de ses projets consistait notamment à créer une immense fresque avec les aides-soignants et les enfants résidents du St Mary’s Hospital afin d'égayer ces lieux médicaux, souvent peu amènes pour des enfants.

 

-Vous saviez qu'Owen Rose et Kaitlyn Stewart, la fille qui nous détestait en primaire, sortent ensemble ?

-C’est vrai ? Je n'aurais pas osé y croire. Que devient-il ?

-Apparemment, il fait partie d’un groupe qui se produit non loin d'ici. Du rock alternatif...

 

-Et toi, Hesperia ? Que comptes-tu faire plus tard ?

 

La question soudaine de Cameron la déstabilisa.

 

-Je ne sais pas trop. Le droit, c'est intéressant, mais... je ne me vois pas encore travailler dedans. L'administratif... très peu pour moi également. J'ai encore du travail à faire avant de trouver ma voie.

 

-Il semblerait, oui...

 

Les yeux brillants de Cameron lui rappelèrent un instant le ciel bleu de ce début d'été, la chaleur douce d'un printemps qui s'efface dans un éclat de lumière.

 

-As-tu fait des rencontres ?

-Oh..., éluda la jeune femme.

 

Bien sûr, qu'elle avait fait des rencontres. De nombreuses rencontres, même. Mais... son cœur ne s'était jamais ouvert à quelqu'un. Hesperia n'était pas le genre de femme qui s'intéressait énormément à la gent masculine au point d'en faire son centre d'intérêt principal. C'était le point commun qu'elle partageait avec Holly et Cecilia, bien que cette dernière et Cameron soient ensemble depuis maintenant plusieurs années.

 

-Je ne crois pas.

-Quoi, personne n'a encore ravi la première place de ton cœur bien gardé ?

 

Hesperia sourit devant l'hilarité contagieuse de son ancien ami de primaire.

 

-Poudlard est grand, et il y a beaucoup d'étudiants. Mais personne n'a encore attiré mon attention. 

-Je suis sûre que tu trouveras, lorsque le moment s'y prêtera. Après tout, on dit souvent que l'amour nous tombe dessus lorsqu'on s'y attend le moins...

 

Mais les deux filles avaient également capté la conversation en cours de route, et ce furent avec des cris faussement outrés qu'elles la rejoignirent :

 

-Quoi ? Hesperia, est-ce que j'ai bien entendu ?

-Tu n'as encore trouvé personne ? Mais il faut qu'on règle cela tout de suite !

-Et ne fais pas cette moue gênée, on sait que tu nous remercieras plus tard...

-Bon, Cameron, il va falloir qu'on concocte un plan... mais déjà, fêtons nos diplômes comme il se doit ! On se retrouve ce soir, dix-neuf heures, au Rose And Crown, dans le Mayfair.

-Oh oui ! C'est là où il y a le parc, n'est-ce pas ? Je me rappelle de cet endroit...

-Et, Mesdames, prévoyez une tenue complètement indécente, ajouta Cameron avec un grand rire. Car je vous emmène au Club's House cette nuit !

-A nos diplômes et au monde qui nous appartient !

-Au monde qui nous appartient, répondit Hesperia, avec au moins cette conviction en poche, bien que la perspective de la soirée la laissait intérieurement dans une grande panique.

 


 

Rose And Crown, 19h.

 

Hesperia avait longtemps hésité quant à son choix de tenue. Heureusement que le sens esthétique de Holly les avaient aidées à faire ressortir leurs charmes... L'après-midi passé à courir les boutiques entre filles tandis que Cameron se rendait avec d'autres garçons de sa promotion à un match amical de volleyball avait finalement porté ses fruits.

La jeune femme avait pu mettre en valeur les boucles légères de ses cheveux noirs en les retenant simplement par une longue barrette argentée au motif torsadé. Elle ne portait qu'un léger soupçon de maquillage sur son visage ovale, qui portait encore les rondeurs de l'enfance.

Elle s'était choisi une robe de soirée grise, au haut en dentelle qui s'évasait en mousseline légère depuis un ruban au nœud papillon argenté qui ceinturait élégamment sa taille. La robe accentuait la finesse de ses courbes élancées et ne lui arrivait qu'un peu plus haut que le genou. Une robe peut-être un peu formelle, vieux jeu, mais romantique, et dont le côté sage se retrouvait contrebalancé par les choix judicieux de Holly : une veste en cuir bardée d'insignes qu'Hesperia gardait de ses années punk rock et une vieille paire de bottines qui ne lui avait que peu servie, de la même matière.

 

Holly n'avait été satisfaite du résultat que lorsque Hesperia avait enfilé un de ses rares colliers, dont la chaîne d'acier abritait un pendentif imitation diamant taillé en forme de poire, qui retombait sur sa peau au parfait endroit.

 

L’étudiante aux origines hispaniques s'était ensuite habillée selon ses classiques à elle : une robe à fleurs bohème, une veste officier noire aux broderies dorées, une touche de rouge à lèvres, ses énormes créoles, et bien sûr, ses indétrônables chaussures à frange.

 

Hesperia et Holly avaient tranquillement attendu l'arrivée de Cecilia et Cameron en sirotant un verre, au fond du bar, observant la rue depuis l'intérieur. Cameron avait du retard, et Holly, en ramenant les verres, s'était prise à discuter avec plusieurs hommes qui la complimentaient pour son apparence. Il lui sembla, d'après l'écho lointain des conversations, qu'elle en connaissait certains.

 

Désintéressée - la vie privée de la jeune femme ne la regardait pas, après tout, même si c'était son amie d'enfance - Hesperia allait tourner à nouveau son regard vers la rue, attendant l'arrivée imminente du couple.

 

Ce fut là qu'elle le vit pour la première fois. Que faisait-il là, elle n'en savait rien. Avec le recul... il devait y avoir une mission, une permission, quelque chose.

Il paraissait être dans la grande et fière vingtaine. Ses yeux ardoise reflétaient la lumière douce et chaude des lumières du pub. Il était habillé à la manière d’un gentleman. Son costume noir faisait ressortir la teinte unique de ses prunelles et la beauté anguleuse de son visage. Sa légère barbe, ses cheveux tout en boucles désordonnées et le surplomb vertigineux qu'il utilisait à son avantage - l'homme dépassait aisément d'une tête tous ceux qui étaient présents, à de rares exceptions - ajoutaient à ce quelque chose qu’il avait de magnétique. Une présence, une prestance. 

Il était là, seul, un verre de whisky à la main, l’air passablement neutre, bien qu’Hesperia puisse déceler une teinte d’ennui dans la ligne arrogante de ses épaules. 

 

-Oh, as-tu lu cette pancarte ? C’est une bonne blague ! Ah, si cela existait vraiment… Quel drôle de nom, les Moldus, tu ne trouves pas ?

 

Holly surgit dans son champ de vision, pointant d’un geste de l’épaule une pancarte accrochée à l’avant du bar : “Les Moldus le jour, à la nuit les Sorciers”. 

Un rapide coup d'œil à l’horloge accrochée au-dessus du stand : dix-neuf heures trente. 

 

-Un canon te mate, chuchota Holly dans son oreille alors qu’elle posait les verres pleins sur la table. Hesperia souffla à son tour : 

-J'ai remarqué. Yeux d’orage ? 

-Ouais, exactement. Beau comme un dieu, et il a l’air de s’ennuyer à en mourir. …Et si tu allais le rejoindre ? 

 

Hesperia se pencha légèrement afin de contourner visuellement l’obstacle Holly, assise en face d’elle. Les regards se percutèrent. Un coup de tonnerre retentit au loin, la faisant tressaillir, mais ce n’était que les battements effrénés de son cœur. 

Elle se sentit perdre pied devant l’intensité des yeux qui la dévisageaient, le profil harmonieux des traits du visage et battit aussitôt en retraite, reprenant la conversation avec Holly. 

Il lui sembla que sa baguette, logée dans une poche qu’elle avait aménagée dans les dessous de sa robe, avait doublé de volume et de poids. Sa main la démangeait de l’avoir, comme pour se rassurer. 

 

-Holly, je t’assure que cet homme n’est pas du tout pour moi… assura Hesperia d’une voix blanche.

Le visage de l'inconnu lui apparut en écho depuis sa mémoire visuelle, comme lorsque les yeux se posent par inadvertance sur un éclair par temps sombre.

-Tu ne me la feras pas, Hesp ! Tu rougis… 

-Il est… 

 

Il est si beau que ça en devient effrayant, voulut-elle dire, mais rien ne sortit de sa bouche. 

 

Il la regardait encore. Rien ne paraissait, pourtant, sur le visage de marbre. Mais il exsudait de lui une aura... Il ne se mêlait à aucune foule, ne discutait pas, ne goûtait que du bout des lèvres son alcool. Comme s'il attendait. Quelque chose, quelqu'un. L'ennui que reflétait sa posture pourtant soutenue flirtait avec le temps, avec chaque seconde passée, dans un mélange subtil d'arrogance et de tension, qui rappelait les fauves, tapis dans les fourrés, à l'affût.

Il y avait quelque chose de plus, chez lui. Un minuscule éclat de couleur, une dimension supplémentaire que la plupart des gens n'étaient pas capables de discerner.

Hesperia en aurait mis sa main à couper ; c’était un sorcier. 

 

-Tu sais quoi ? Je vais chercher Cecilia et Cameron. A tous les coups, ils se sont perdus…

 

Hesperia la regarda, la panique se diffusant en elle comme de la lave en fusion. 

 

-Ne me laisse pas, chuchota-t-elle tout bas à Holly, dont le sourire diabolique ne fit que confirmer ses soupçons. 

-Tu as peur qu’il entende que tu flippes parce que tu le trouves indécemment canon…? Fais-moi le plaisir de tenter ta chance, Hesperia. Mon petit chaperon rouge…

 

Cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas appelée comme ça. Ça remontait à l’époque où tous les quatre jouaient au Loup dans les immenses jardins publics de Ravenscourt Park, sous les cerisiers… 

Le temps que la rêverie se dissipe devant ses paupières, Holly avait malicieusement disparu. 

 

Un regard - discret, accrocheur - plus tard, deux choses étaient sûres : un, cet homme était un sorcier. Deux, il savait à présent qu’elle était une sorcière également. 

Ce fait s'enracinait en elle avec une certitude qu'elle ne reconnut pas. Cela ne l'empêcha pas de suivre les mouvements dansants de sa curiosité et de son intuition, que cet homme avait réussi à éveiller.

 

Comment était-ce possible, alors qu’il n’était même pas l’heure de retrouver dans le bar leur communauté, qu’un autre sorcier s’y trouve de passage, dissimulé parmi la foule ? Habituellement, les êtres doués de magie tels qu’eux deux se renfermaient sur leur monde, évitaient le contact des autres. Ils préféraient vivre entre eux, rendant la démarcation entre les deux mondes extrêmement claire et taboue. Notamment à Poudlard. Il n’y avait que deux catégories de sorciers qui se fondaient ainsi entre les mondes : ceux qui étaient nés dedans et qui cherchaient à y retourner par nostalgie, ou les sorciers nés dans leur communauté sincèrement curieux des Moldus et de leurs manières. Les Traîtres à leur sang et les Sangs-de-Bourbe, pour ainsi dire. Hesperia connaissait sa catégorie. Cela lui avait valu tant de choses qu’on ne pouvait pas imaginer. Mais lui, cet étranger sorcier, qu’était-il ? 

 

L’homme en costume initia le premier contact. Hesperia le vit sonder la foule d’un regard, puis s’approcher vers elle. Il y eut une impression de ralenti, comme si le temps lui-même s’étirait afin de prolonger ce moment. 

 

-Puis-je ? 

-Bien sûr, s’entendit-elle répondre, étudiant attentivement ce nouveau visage pour être sûre de ne rien rater. Mais son analyse tourna court. 

 

-Nous sommes du même peuple, je crois. Orpheus, enchanté de vous rencontrer. A qui ai-je l’honneur…?

 

Il l’avait bel et bien reconnue en tant que sorcière. 

Reprends-toi, Hesp ! Ne te laisse pas impressionner. Tu ne le connais même pas.  

 

-Hesperia Ryan. Enchantée également…

-Un très joli nom. Dites-moi, d’où venez-vous, Hesperia ? Il ne me semble pas vous avoir déjà croisée auparavant, mais peut-être pourriez-vous me détromper.

-Je ne crois pas. En fait, je sors tout juste de Poudlard, je viens d’obtenir mes ASPICS… et nous fêtons cela entre amis. Et vous, que faites-vous ? 

-Eh bien… Je travaille au Ministère. Service des usages abusifs de la Magie. 

 

Il n’avait pas l’air d’exercer un quelconque préjudice envers quelqu’un comme elle. Se trouvait-il dans la catégorie des curieux ? 

Son sourire avenant, malgré les ombres qui parsemaient son visage, et ces yeux, ces yeux qui la transperçaient jusqu’à l’âme sans rien dévoiler de la sienne, le rendirent moins intimidant aux yeux de la jeune sorcière. Ils continuèrent à discuter de tout et de rien, leur intérêt pour l’autre ne faisant que grandir au fil de leurs découvertes. 

 

-Ce sont vos amis ? 

 

Il désigna une autre table, autour de laquelle étaient assis Holly, Cecilia et Cameron, dont les visages familiers essayaient de ne pas se tourner vers eux. Ils riaient ensemble, discutant de quelque chose qui se perdit dans le brouhaha animé du lieu. 

 

-Nous avons été à l’école ensemble. 

-...Ils ne sont pas au courant, n’est-ce pas ? 

-Non, admit Hesperia en souriant. 

-Ah, j’en déduis qu’ils ne sont pas… comme nous, sourit en retour le dénommé Orpheus. 

 

Malgré ses paroles, il ne sembla pas sous-entendre ces choses que les sorciers les plus virulents à l’égard des Moldus réservaient à ces gens. Ou elle ne le sentit pas. Il fallait dire que son sourire et son attitude avaient quelque chose de flatteur, d’intéressé. Une bonne humeur, une légèreté. Une énigme, aussi. Hesperia sentit ses lèvres s’étirer malgré elle. 

 

-En effet… Mais je ne peux pas me résoudre à les abandonner. 

-Pourquoi ? 

-Ils sont ce qui me reste de plus cher dans ce monde. 

-Je vois. 

 

Ce fut son tour de sourire, à moitié dissimulé derrière la main qui caressait pensivement son menton. 

 

-Parlez-moi de vous, fit-elle brusquement. Qu’est-ce qui vous amène à Londres ? 

-Oh, rien que quelques contrôles de routine, vous savez… le travail, répondit le mystérieux sorcier. 

 

Il semblait qu’il pourrait l’écouter toute la journée, toute la nuit. Il y avait quelque chose en lui, quelque chose d’attentif, d’intéressant… de charmant. Il semblait froid envers tout le reste, sauf la jeune sorcière. Hesperia apprécia les manières de l’homme alors qu’elle et ses amis s’en allaient pour profiter de la soirée dans un club. 

 

-J’ai passé une merveilleuse fin d’après-midi en votre compagnie. Peut-être que nous nous reverrons ?

-Je peux vous emmener quelque part, si vous le souhaitez. 

-Vous…vous voudriez bien ? 

-Bien sûr. Vous me plaisez, chère Hesperia. Vous êtes une des nôtres. Je pourrais vous faire visiter les paradis cachés du Londres sorcier, si le cœur vous en dit. 

 

Son souffle empli de paroles invitantes fut comme une oasis en plein désert. Comme une caresse sur la joue, en parole. 

 

-Bien sûr. 

 

La jeune femme se retourna vers Holly, Cameron et Cecilia et leur fit signe de ne pas l’attendre, ce à quoi ils répondirent par l’affirmative avant de s’éloigner, cherchant un taxi. 

 

La nuit avait tout juste commencé à tomber ; la ville s’inondait de lumières. Réverbères, vitrines aux lampes colorées, tout clignotait et scintillait comme les trésors que seule une couverture de ténèbres pouvait révéler. Et Orpheus était là, à son bras, marchant tout près d’elle. Hesperia s’étourdit de réaliser à quel point il était facile, et pourtant étrange et excitant que de se promener au bras d’un homme, surtout lorsque c’était lui. C’était forcément un sorcier issu d’une grande famille. Ses manières galantes, son travail au Ministère, sans compter la lueur intelligente et fière qui se pressait dans les prunelles grises lorsqu’on y brisait la glace froide qu’il réservait au monde environnant. Pouvait-elle rêver d’une meilleure forme d’intégration à ce monde fermé, qui la rejetait malgré ses pouvoirs…? Parce qu’il fallait se l’avouer, les sorciers réellement curieux, ou du moins, qui ne possédaient pas de préjugés dévalorisants à l’encontre des Moldus - du monde dont Hesperia était elle-même issue - brillaient par leur extrême rareté.

 

Orpheus lui fit visiter des lieux qu’elle ne connaissait pas de Londres. Elle qui croyait avoir tout vu de cette ville, voilà que son charme l’éblouissait à nouveau. Elle rit alors qu’ils transplanaient à nouveau et qu’il la retint dans ses bras afin qu’elle ne tombe pas. La chaleur de l’étreinte et la proximité de leurs corps la submergeaient de frissons puissants. 

 

Il replaça une mèche ondulée de ses cheveux derrière son oreille, dégageant son cou. Hesperia frissonna derechef, alors que la brise de ce début de nuit soufflait chaude contre sa peau. 

 

-Vous resplendissez comme un papillon argenté, ce soir… ma belle. Sage et belle Hesperia Ryan. Je suis heureux de vous avoir rencontrée.

 

Leur étreinte se modifia, devenant de moins en moins accidentelle. Son pouce passa sur la joue de la sorcière en une douce caresse. 

 

-Je suis heureuse également d’avoir fait votre connaissance, Orpheus, s’entendit-elle répondre, à bout de souffle. 

 

Les choses auraient dû en rester là, sans s’engouffrer dans le vertige tourbillonnant dont ils s’approchaient, imprudents. Inconscients.

 

Ils se jaugèrent un instant du regard, se sondant, puis, mus par une force qui sembla les dépasser, une attraction relevant d’une autre gravité que la gravité terrestre, leurs lèvres s’effleurèrent. Électrique. Le goût de l’orage, du danger froid et sombre, nocif, de la foudre qui ne se trouvait jamais loin des grondements du tonnerre. Le goût du Paradis, embrumé du parfum de violette et de lavande de la jeune femme aux cheveux noirs. 

 

Ils se séparèrent à bout de souffle, de mots, mais jamais de regard. Hesperia espéra pouvoir un jour entrer dans les secrets que gardaient jalousement ces iris couleur ardoise qui brillaient aux mille lueurs de la nuit. 

 

-Je ne voudrais pas te quitter… souffla-t-elle sur le ton de la confidence. 

-La nuit est longue et fervente. Que voudrais-tu..? Je serais prêt à exaucer le moindre de vos désirs, Madame, répondit-il en s’inclinant, affectant les manières surannées du parfait gentleman, ce qui fit rire l’ancienne étudiante. La décision ne se fit pas attendre. 

 

-Je veux être avec toi. 

 

-Mes appartements ne sont qu’à quelques rues d’ici… souffla Orpheus, et ce souffle se perdit dans les oreilles de la jeune femme, rejoignant les tambours de son cœur. 

 

Ils transplanèrent à nouveau, traversèrent les couloirs et escaliers sombres d’un immeuble qui menait jusqu’au quatrième étage. Le temps que l’homme déverrouille d’un tour de clé son appartement apparut à Hesperia un temps infiniment long, créé dans le but de narguer son cœur par tant d’appréhension. Mais le déclic suivit, et la main qu’Orpheus passa à travers son dos pour la guider dans la pénombre eut tout d’une découverte. Un sursaut de panique surgit dans son estomac avant que le sorcier ne fasse un geste afin qu’elle se retourne pour l’embrasser à nouveau, plus voracement que jamais, toute prudence, toute réserve oubliée. 

Se savoir désirée à ce point fit l’effet d’une bombe dans le corps et l’esprit de la nouvelle diplômée. Ils reculèrent à tâtons jusqu’à la chambre, leurs corps se heurtant, se frôlant et ne se lâchant plus. Deux silhouettes dansaient dans le noir, se reflétant sur les miroirs glacés de l’armoire placée à côté du lit. 

 


 

Hesperia finit par tout perdre, la course du temps en même temps que ses vêtements qui tombaient sur le sol au profit des mains qui couraient sur sa peau, lui arrachant des frissons tour à tour sourds et aigus. Alors que des feux d’artifice furent tirés non loin de là, dont les lumières parsemaient ici et là de couleurs, de flashs lumineux les corps qui s’adonnaient à l’amour, Hesperia questionna les ténèbres environnant l’homme comme une couverture physique. Elle voulut le voir, voir sa beauté ravager son corps et son âme comme aucun homme ne l’avait jamais fait si vite, ne l’avait jamais fait avant. 

Mais d’un geste, l’accès à la lumière lui fut interdit. De suaves confidences à son oreille la persuadèrent de laisser retomber le voile épais qu'elle avait cherché à soulever, lui assurant que l’expérience n’en serait que meilleure. Il appuya ses propos par des gestes, dont la mélodie soupirée revint aux sens de l’homme comme le chant d’une déesse. Il le lui raconta, provoquant de doux esclaffements. Cependant, bien que la tentation l'attire, Hesperia ne se laissa pas faire. 

Malgré les protestations vives, elle déboutonna sa chemise, toute à son plaisir de toucher cet homme qui la troublait tant. 

 

-Porte cela pour moi, si tu tiens tant à me découvrir… chuchota-t-il à son oreille.

 

Sans attendre de réponse, il passa à ses yeux un bandeau. Même dans le noir, Hesperia se retrouva encore plus aveugle, se sentit plus vulnérable. Acculée, la seule réponse logique aurait été de s’arrêter, de fuir, biche effarouchée par une lumière lointaine. Mais, les verres  consommés précédemment aidant, Hesperia finit par prendre la situation comme une nouvelle énigme et se prêta au jeu, loin de reculer face à l’épreuve. Ils s’apprivoisèrent, et le plaisir finit par les emporter jusqu’au plus fort de la nuit, alors que l’air se fit plus épais et que la joie et la fête envahissaient les rues de Londres. 

 

Mais il y avait une ombre dans ce tableau. 

Une ombre énorme, latente, qui planait silencieusement au-dessus d'eux. L’éclat trouble du plafond avait cet air d'épée de Damoclès prête à s’abattre sur sa victime au moindre signe, à la moindre découverte de l’éclat tranchant dissimulé derrière les ténèbres. Et Hesperia tombait, toujours plus profond, à mesure que son souffle se creusait, que son regard s’élevait vers cette nue sinistre… prête à être sacrifiée à son insu. 

 

Alors que l’exploration d’un autre corps accaparait chacun de ses sens avec une acuité nouvelle - la même que lorsque l’on se tient sous une tempête qui menace d’éclater -  ce qu’elle y découvrit bloqua son souffle. Et cela n’eut rien à voir avec les attentions de l’homme. 

 

Sur son bras droit. Un relief. 

 

Un tatouage ?  

 

Ce fut ce qu’elle crut, au début. Pauvre sorcière aux réflexes issus de son monde primitif…

 

Il se figea, la laissant contre toute attente parcourir le dessin de ses doigts. 

 

Alors que l’homme l’emmenait au bout de son désir, Hesperia ne sut pas si le cri étranglé - léger, si léger - qui déchira sa gorge et traversa la barrière de ses lèvres fut dû au plaisir ou à la découverte qu’elle venait de faire. Elle ne le vit pas, mais le regard de l’homme tomba ensuite sur le miroir après s’être détaché des courbes et du visage féminin. Impossible de savoir ce qu’il vit dans ce visage qui lui appartenait, dans ces yeux soudainement flamboyants, dans le tressaillement de ses lèvres, dans son expression de marbre. 

 

La nuit emporta dans son drap de ténèbres et d’inconscience toutes les braises qui s’étaient allumées. 

 


 

Quatre heures trente du matin. Orpheus se leva avant elle. S’alluma une cigarette, s’en alla fumer près de la fenêtre, qu’il laissa ouverte. Les frissons éclataient sur la peau de l’homme, mais l’air frais lui fit du bien. Son regard évita le corps endormi gisant au travers du lit, se posa sur leurs baguettes, placées sur la table de nuit. 

Il savait pertinemment ce qu’il fallait qu’il fasse. Les pensées n’avaient jamais arrêté de l’assaillir, toute la nuit durant. Serpentaient, tourbillonnaient, bruyantes, fourmillantes. Il se sentait tergiverser. Trop à son goût. Il savait, en vérité, à quel monde elle appartenait, ce qu’il en devenait des gens comme elle. Des gens comme lui. Ils étaient si différents que ça aurait dû être impossible - d’où la raison pour laquelle de tels actes étaient interdits. Mais, au fond de ses yeux, de l’étrange pic glacé qui se logeait dans sa poitrine, aucun soupçon de regret ne parvint à s’établir. 

 

On ne savait la valeur des choses que lorsqu’on y goûtait et par là-même lorsqu’on mordait à la chair savoureuse de ce fruit, au danger de les perdre. 

 

Il avait été trop faible. 

Si cela se savait… S’ils se revoyaient… 

 

Le bout incandescent de la clope au bout de ses lèvres finissait de se consumer, phénix qui ne tenait jamais ses promesses. Il haïssait ces merdes parce que ça venait de Moldus, et pourtant, le cigare avait toujours été autorisé, à la maison. Il ne pouvait pas s’empêcher de replonger dans ces eaux noirâtres. Plus fort que lui, sans doute. Mais il ne ploierait pas. 

Pas pour une Née-Moldue. 

Même pas pour une femme aussi faible qu’elle. Un tour de passe-passe, et Orpheus l’avait pour lui. Mais lui, personne ne manipulerait jamais son cœur. 

 

Il contempla la Marque qui s’étendait à son bras. L’arche de ses croyances, de ses combats ; son passeport vers la liberté. Le pouvoir. 

 

L’énergie revint d’un coup. Il allait le faire, et de surcroît sans baguette. La formule coula de ses lèvres aussi naturellement qu’un chant, que les paroles mielleuses qu’il réservait à ses associés, à ses amantes de passage. 

 

-Oubliettes. Oublie ta découverte, papillon d’argent. Oublie comment tu es arrivée dans mon antre. 

 

Il voulut ajouter oublie-moi tout court mais sa voix se déroba, laissant le silence retomber dans la pièce embrumée de vapeurs de sexe, de sommeil, de cigarettes et d’alcool. Et de parfum. Son parfum. 

Le mégot alla s’écraser dans un cendrier alors que les premières lueurs du jour s’amassaient à l’horizon. La fenêtre se referma en claquant ; elle allait sûrement bientôt se réveiller. 

Il s’approcha du lit, baguette en main. La femme brune dormait paisiblement, son buste se soulevant puis s’abaissant en rythmes réguliers. Loin de se douter de ce qui l’attendait… 

Il ne savait même pas pourquoi il l’avait ramenée, à y regarder de plus près. Il pensait, à entendre son nom, à quelqu’un de moins… innocent. Ce n’était pas son genre. Pourtant il l’avait fait. 

 

Inutile de se lamenter sur le passé. Seul l'avenir comptait. 

 

-Impero, chuchota-t-il à son oreille du même ton amoureux que quelques heures plus tôt. Le corps endormi réagit par un minuscule tressaillement, ouvert à chaque suggestion qu’on pourrait lui faire. 

 

-Lorsque tu te réveilleras, tu t’habilleras et t’en iras d’ici sans la moindre pensée d’étrangeté, sans le moindre égard pour moi. Tu n’auras aucun souvenir de cette soirée, à part celui de t’être réveillée dans une chambre inconnue, seule. 

 

La suggestion fut reçue attentivement - raidissement de la posture, même dans le sommeil le plus profond - et mise en application dès l’éveil de la femme. 

 

Hesperia Ryan… pauvre petit papillon égaré. Tu as besoin de lumière pour vivre. L’obscurité ne tue pas, elle étouffe, asphyxie. Sauve-toi avant qu’il ne soit trop tard.

 


 

Août 1981, Inverness.

 

Hesperia se hâtait dans sa promenade, croisant trop de visages inconnus. Et autant de menaces. Le parc champêtre de la ville n'avait jamais paru moins propice aux attaques.  

Pourtant, dans cette marée empressée par la peur, le travail et le froid inhabituellement glacial de cette matinée d'août, un grand homme en costume sombre déambulait, un journal en main. Quelque chose dans sa démarche sereine et souple dénotait du reste.

 

Des yeux gris, froids, percèrent l'ambiance étrange. Se posant sur Hesperia, dont le corps se raidit, il s'adoucit aussitôt. 

 

-Bonjour.

 

La voix grave familière fit sursauter la jeune femme. 

 

-Bonjour, répondit-elle, replaçant nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille. Puis l'étincelle se fit dans ses yeux.

 

-Nous nous sommes déjà rencontrés... Londres, c'est ça ?

-En effet.

-Oui, je me souviens ! 

 

Les yeux brillants d'Hesperia Ryan arboraient pourtant un air de doute, un voile qui n'était pas étranger à une certaine soirée.

 

-J'avais apprécié converser avec vous.

-Vous êtes une créature aux nombreux talents, souffla-t-il. Il semblerait que vous ayez l'art de mener les plaidoiries…

 

Elle rit, sans remarquer le tressaillement minuscule qui agita les épaules de l'homme. Puis se reprit brutalement. N'était-elle pas en train de discuter avec un inconnu ?

 

-Les temps sont dangereux, chère Hesperia. Prenez soin de vous.

 

Elle hocha la tête, les yeux soudainement emplis de larmes alors que les nouvelles sorcières affichaient en lettres capitales sur le papier : VAGUE DE MEURTRES EN GRANDE-BRETAGNE : LA TERREUR S'INSTALLE, LES MANGEMORTS SE RÉGALENT !

Une photo de la famille McKinnon souriait en gros plan. "Des membres de l'Ordre du Phénix attaqués, tout une famille massacrée. L'enquête a été confiée aux Aurors pour éclaircir les circonstances de ce drame innommable. D'après les rumeurs que propagent de nombreux témoins, les activistes Mangemorts auraient revendiqué l'attaque. Que fait le Ministère ?"

Son visage à lui resta de marbre, bien qu'empreint d'une sorte de dérangement, qu'Hesperia prit pour de l'affection. Ils étaient loin d'être inconnus, même si cet instinct lui venait de nulle part.

 

-Alors vous en avez entendu parler..? C'est affreux. Je ne les connaissais pas si bien que ça, mais...

 

Ils se promenèrent jusqu'à un parc public, où leur discussion continua, assis côte à côte sur un banc, soumis aux caprices du vent et du soleil qui s'amusait à se dissimuler derrière les nuages.

 

Elle parla longtemps, longtemps, sans pouvoir s'arrêter. Il écoutait, lui montrait des signes de commisération, des expressions pensives lorsqu'il réfléchissait... Elle voulut graver tout cela dans sa mémoire. Même s'il y avait toujours cette aura étrange autour de lui, qui semblait déformer le monde, un peu comme les vagues de chaleur qui montaient du sol en été, Hesperia pouvait lui faire confiance.

Il n'y avait pas besoin de chercher à comprendre pourquoi elle s'était laissée entraîner dans ce parc, pourquoi elle s'appuyait subtilement sur son épaule alors qu'elle se confiait à lui.

 

-Je parle trop. Je suis désolée...

-Tout ce que tu dis m'intéresse.

 

Hesperia se lança dans un monologue sur les attaques contre les Nés-Moldus qui se faisaient de plus en plus fréquentes, ce groupe de sorciers noirs appelés Mangemorts, ralliés par un chef du nom de Voldemort.

 

-Je songe à déménager. Je ne peux pas continuer à vivre dans la peur... Les McKinnon étaient membres de l'Ordre. Et pourtant ils n'ont pas été protégés...

 

-Vas-tu les rejoindre ?

 

La question soudaine résonna entre le bruissement des feuilles secouées par un ennemi invisible et le grondement lointain d'un orage en formation.

 

-Je ne leur serais d'aucune utilité, contra immédiatement la jeune femme. Si ce n'est me peindre une cible dans le dos... Excuse-moi, je ne sais même pas pourquoi je te dis tout ça. Je devrais m'en aller.

-Dans ce cas, au revoir, chère Hesperia...

 

Elle était déjà partie.

 

-...à bientôt, ma douce.

 


 

Sans toujours s’en apercevoir, Hesperia continua, inlassablement, de croiser sa route. Lui - l'ombre - ne se trouvait jamais loin. Comme s'il ne pouvait s'en empêcher. Il avait répondu présent à tous les événements de sa vie. Son mariage avec Melchior, parmi les amis de la famille Delacroix, certaines sorties entre amis... mais elle ne le remarquait jamais. Et pourtant. 

 

Hesperia rêvait de lui, la nuit tombée, dans le palais secret de son esprit. Ce n’était pas son homme qui lui faisait l'amour, qui refermait ses bras sur elle avant de sombrer dans l’inconscience profonde, c’était lui. Et chaque fois qu’ils le faisaient, son regard se posait sur les avant-bras de son mari, recherchant quelque chose qui n'existait pas.

 

Parfois, Orpheus et Hesperia se trouvaient - même lieu, même moment -, et elle ne pouvait que le fixer, à nouveau foudroyée. Comme s'il portait avec lui le reflet de son âme, qu'il avait une fois auparavant effleurée, salie, de sa main. La sorcière le reconnaissait instinctivement. Les détails de cette soirée remontaient, par vagues de flashs. Quelques secondes, sans plus. L’obscurité. Parfois, ils n’échangeaient aucun mot. Parfois, une conversation s’engageait, et il était toujours là pour l'écouter.

Personne n’en savait rien. 

 

Un jour, il y eut quelque chose.

 

Quelque chose qui remonta des abysses profonds de son inconscient. Des détails incongrus de cette soirée, des choses que la jeune femme commença à remarquer. Elle avait tout mémorisé : son odeur, qu’elle trouvait paradisiaque, réconfortante et en même temps qui portait un soupçon d'énigme qui la faisait frissonner. Sa façon de sourire, qui dévoilait inégalement ses dents. L'étincelle dans ses yeux ardoise, concentrée, intéressée, comme si tous les détails de sa vie n'étaient pas si insignifiants que ça, finalement. Le voile qui glissait dans ses prunelles lorsqu’elle surprenait son air pensif. Le manque parfois étourdissant d'expression sur son visage. 

 

Quand Hesperia se remémorait cela, aidée des vagues d'alcool pétillant comme lors de cette soirée fatale, son corps se mettait à frissonner, proche de l’étourdissement. Il lui était impossible de savoir si les frissons qui couraient sur sa peau étaient de ceux qui appartiennent au désir... ou ceux, plus froids, de la peur. Cet homme qui lui échappait inlassablement. Qui comportait une part qu’elle  soupçonnait d'être plus sombre. Parce que sans son sourire, Hesperia ne signifiait plus rien pour lui.

Tout son entourage - sa sœur surtout - lui conseillait de l'oublier, mais en une soirée, il s'était infiltré dans sa peau, et peu importe combien elle essayait de se laver de ce péché, il revenait toujours, fantôme d'une obsession absurde, irréelle.

 

Souvent sans y prêter attention, Hesperia était rappelée à sa façon de marcher en homme sûr de lui, posé, qui n'avait pas froid au yeux. Elle y trouvait aussi quelque chose de félin. A l’orée des conversations environnantes, les quelques mots qu'il avait pu lui adresser rejouaient dans sa tête, litanies aux oreilles de sa mémoire, la douceur calleuse de ses mains sur sa peau, et quelque chose la dérangeait alors. Son corps tremblait. Son cœur se mettait à battre comme un fou dans sa poitrine, et elle faisait l’expérience d’un étrange malaise. Un décalage insupportable.  

 

Et puis il y eut cette attaque. 

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