
Chapitre 6
Ils croisèrent la Directrice qui faisait sa ronde quelques minutes plus tard.
Poliment, ils lui expliquèrent qu’en tant qu'anciens Préfets, ils voulaient rencontrer les nouveaux et s’assurer que tout se passait bien. Ils rajoutèrent qu’ils avaient cru entendre du bruit dans une des salles du 3ème étage, mais qu’ils n’avaient pas eu le temps d’aller voir.
« Rentrez vous coucher, jeunes gens, je vais aller jeter un coup d’œil. »
Ils la regardèrent partir. Elle découvrirait un Serdaigle évanouit et un Serpentard ligoté dos à dos avec un autre Serdaigle. Ils avoueraient tout car ils avaient malencontreusement ingéré du Veritaserum. Alors ils seraient punis, de nouveau, par la Directrice de Poudlard puis les Aurors.
« Comment as-tu deviné ? Que je les avais trouvés. Où nous étions. »
« Je t’ai vu rentrer en chasse. Je savais que tu ne resterais pas les bras croisés parce que j’ai vu la haine dans tes yeux. Alors je t’ai observé. » confia-t-elle en fixant les étoiles à travers les fenêtres.
Sa voix se réchauffait progressivement mais il y avait toujours cette violence sous-jacente qui menaçait de remonter.
« Je ne sais pas comment tu as fait pour découvrir les coupables ou ce qui est arrivé au Serdaigle mais je ne chercherais pas plus loin si tu ne le souhaite pas. »
Il était reconnaissant envers la jeune fille de ne pas chercher à découvrir son secret. Il se sentit triste, de ne pas pouvoir se confier à elle. De ne pas pouvoir lui dire qu’une part de lui hurlait, déstabilisée par ce qui venait de se passer. Qu’il était terrifié. Qu’il sentait cette Aura étrangère changer de couleur, devenir peu à peu la sienne.
Mais son Don devait rester secret. Ce qui venait de se passer ne devait jamais être connu.
Jamais, jamais, jamais.
Avec l'adrénaline qui retombait, l’horreur commençait à remonter.
Il avait volé l'Aura d’un autre !
Une vague de nausée monta jusqu'à sa gorge mais il s’obligea à déglutir et à ne rien laisser paraître. Il avait envie de fermer les yeux et de retourner dans la chaleur protectrice de Harry. Il avait envie de ne plus penser à rien, de ne plus trembler.
Son corps était si froid.
Son esprit était si froid.
Ils atteignirent enfin le tableau d’entrée et celui-ci s’ouvrit lorsque la jeune fille prononça le mot de passe. Dans la Salle Commune, face au feu, Harry tourna la tête vers eux. Son Aura se teinta immédiatement d’une jalousie épinard. Quand était-il rentré ?
« Il est trois heures du matin. » leur indiqua-t-il d’une voix froide. Il les fusillait du regard.
« Harry ! »
Hermione se précipita vers lui pour le prendre dans ses bras mais il recula d’un pas avant qu’elle n’ait pu l’atteindre, pinçant les lèvres. Colérique. Jaloux.
« Qu’est-ce que vous faisiez tous les deux ? »
« Nous… » commença Hermione avec hésitation avant de se tourner vers Draco.
Pouvaient-ils lui dire ? Ce qu’ils avaient fait. Maintenant que le moment était passé, que la haine était retombée, ils se rendaient compte qu’ils avaient été un peu trop loin. Draco vit l'Aura de Harry devenir de plus en plus sombre, de plus en plus agitée, de plus en plus furieuse. Il pouvait presque le voir imaginer des absurdités, une relation entre eux.
Il avait envie de hurler que c’était faux. Il avait envie de le prendre dans ses bras mais il se souvint de ce que ses mains étaient capables de faire et il eut peur de ce qu’elles pourraient lui faire. Et si il lui faisait du mal ? Et si il lui volait son Aura, son Aura qu’il aimait tant ? Et s’il le tuait ?
Il eut une vision. A la place du Serdaigle, c’était Harry qui convulsait, écroulé sur le sol.
NON, NON, NON, NON.
Il ne se le pardonnerait jamais.
Draco n’avait jamais autant haït son Don. Il devait s’éloigner de Harry. Arrêter de dormir contre lui. Son cœur ne devait plus s’accélérer face à son regard. Il ne devait plus chercher constamment son Aura des yeux. Il ne devait plus se laisser aller. Écraser son cœur.
Alors il fit la seule chose qu’il pouvait faire.
Son corps était si froid.
Son esprit était si froid.
« Ça ne te regarde pas. »
Sa voix était glaciale, gelée comme ses os. Il le dépassa, sans un regard. Il ne voulait pas voir ce qu’il ressentait. Il ne voulait pas voir ce qu’Hermione ressentait. Il monta les marches puis s’effondra dans son lit. Il ferma les rideaux de son lit pour la première fois depuis le début de l’année et laissa enfin les larmes couler sur ses joues.
***
Quand le soleil se leva, il n’avait toujours pas fermé les yeux. Son esprit était vide.
Il avait l’habitude de se réfugier dans cette partie de son esprit, celle qui atténuait tout et le protégeait du monde.
Son corps était si froid.
Il était vide. Vide et fatigué. Il avait intégralement ingéré l'Aura de l’autre et ne la sentait plus frémissante au fond de lui. Elle était devenue une part de lui.
Il ne voulait pas se lever. Affronter le soleil, Harry, Hermione. Il voulait rester là, jusqu’à dormir, ou mourir.
Il aurait dû mourir avec les autres.
Il était un monstre. Un monstre dangereux qui pourrait faire du mal à Harry, à tout le monde. Il ne pourrait survivre avec l’idée de blesser quelqu’un, surtout Harry.
Son corps était si froid.
Est-ce que le Serdaigle était encore en vie ? Est-ce qu’il allait bien ? Est-ce que le Professeur McGonagall les avait découverts ?
Il resta enfermé dans son lit, des cauchemars terrifiants sous les paupières.
***
Il avait de nouveau sombré.
Non, en fait, c’était pire qu’en début d’année. Il voulait s’éloigner de tout le monde, y compris Lexie et Amy. Alors il était redevenu le Malfoy désagréable. Méchant, manipulateur, méprisant. Un vrai Serpentard en puissance. Il envoyait bouler tout le monde, s’était disputé violemment avec Lexie et restait seul le plus possible.
Son corps était si froid.
Il évitait Hermione. Il s’efforçait d’ignorer Harry, et c’était réciproque. Le Gryffondor était toujours en colère et jaloux.
Il ne parlait plus à personne, il mangeait à peine, ne dormait pas plus. Il était constamment épuisé, sur les nerfs. Il devait s’éloigner, il devait repousser tout le monde, il devait rester seul.
Il était dangereux.
Le Serdaigle était tombé dans le coma. Les deux autres étaient indemnes, mais renvoyés.
Hermione, Lexie et Amy s’inquiétaient pour lui. Même Ron avait essayé de lui proposer une partie d'échec ! Harry l’ignorait. Il ignorait Harry.
Ne m’approchez pas.
Il avait envie de pleurer, et de hurler en même temps. Il se sentait encore plus mal que lorsque Voldemort vivait à quelques murs de lui, encore plus seul que pendant la Guerre alors que Blaise était loin.
Il fallut deux longues semaines à Lexie et Amy pour abandonner.
Chaque mouvement nécessitait trop d’énergie. Chaque pas était douloureux, chaque nuit était interminable. Il n’avait pas faim, envie de vomir, envie de dormir, incapable de dormir. Son corps était glacé jusqu’aux os. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, un fantôme comme sa mère.
Froide et silencieuse, qui ne le regardait plus, ne lui parlait plus.
Cela faisait maintenant trois semaines. Peu importait la douleur, peu importait combien c'était dur d’être méprisant avec ceux qu’il aimait, de les repousser encore et encore, de ne pas craquer devant leur inquiétude. Il devait rester seul.
Dangereux, dangereux.
Jonhson était dans le coma et personne ne savait s’il se réveillerait un jour. Quand il parvenait à dormir, il rêvait qu’il volait l'Aura de tous ceux qu’il connaissait. Il voyait Harry lui dire qu’il n’était qu’un monstre. Lexie déclarer qu’elle aurait préféré ne jamais l’avoir rencontré. Amy pleurer. Ron le regarder avec dégoût. Hermione le craindre. La déception de son père, l’indifférence de sa mère.
Il aurait voulu s’excuser auprès du monde entier. S’excuser d’être né.
Il aurait dû mou—
« Draco ? »
Il se retourna par réflexe. Hermione se tenait derrière lui. Inquiétude feuille-morte. Tristesse cannelle. Il croisa un regard vert qui le foudroya. La colère bouteille, la jalousie épinard. Puis l’inquiétude. L’inquiétude tilleul partout, partout. Sa respiration se coupa. Les larmes montèrent dans sa gorge et une vive douleur le remplit. Il recula d’un pas.
Ne me regarde pas comme ça.
S’il continuait à le fixer de la sorte, il allait craquer.
Il secoua la tête plusieurs fois, en continuant de reculer. Il frôlait l’hyperventilation. La crise de panique.
Non.
Il devait continuer à l’ignorer, à le détester, sinon ce serait trop dur, sinon il ne tiendrait pas.
« Draco… »
Hermione fit un pas en avant et il la regarda brusquement, se souvenant de sa présence. Elle tendit la main et il fit un bond en arrière.
NE ME TOUCHE PAS !
La jeune fille était elle aussi aux bords des larmes. Tant de tristesse…
Il s’enfuit.
Il avait toujours été doué pour ça.
***
Il arriva dans un couloir vide et sombre, perdu au fond du château. Il ralentit, et quand il fut certain que personne ne le trouverait, il se laissa tomber derrière une armure. Il plaqua ses mains sur sa bouche et laissa les larmes couler. Il pleura toute sa douleur. C’était si dur…
Il était si fatigué… Si faible…
Il voulait dormir. Dormir et oublier, ne plus jamais faire de mal à personne. Ne plus voir Harry.
Ne me regarde pas.
Il faisait du mal à tout le monde mais il n’avait pas le choix. Il était dangereux. Personne ne savait ce qui était arrivé à Matthew Johnson. Personne ne savait ce qu’il avait fait. Seule Hermione se doutait de quelque chose, mais elle lui avait fait une promesse.
Il ferma les yeux et se laissa dévorer par les cauchemars.
***
Il ouvrit les yeux sur le plafond blanc de l’infirmerie.
« Vous êtes dans un état lamentable, Monsieur Malfoy. Malnutrition, insomnie, fatigue intense, déshydratation… »
Madame Pomfresh se coupa pour observer sa réaction mais il ne broncha pas, observant toujours le plafond.
« Je vous ai fait dormir 3 jours. Vos Professeurs sont venus à votre chevet et m’ont fait parvenir leurs inquiétudes à votre égard. Vos camarades sont venus eux-aussi. Si on m’avait dit un jour que Harry Potter serait inquiet pour Draco Malfoy… Que s’est-il passé, Monsieur Malfoy, pour que vous vous soyez mis dans cet état ? Je vais devoir informer votre mère. »
Sa mère ? Qu’en aurait-elle à faire ? Elle continuerait de pleurer, seule dans son manoir sombre.
Il écouta d’une oreille distraite les propos de l’Infirmière. Elle parlait de psycomage, de potion de Sommeil Sans Rêve, de potion revitalisante.
Son esprit dériva et il se mit à penser à Harry.
A leurs soirées, qui lui manquait tant. A ces moments où ils s’asseyaient l’un contre l’autre, se touchant presque, à ces moments où le silence était reposant, à ces moments où l'Aura de Harry l’entourait, le réchauffait. Il se mit à repenser à ces moments où ils se cherchaient du regard dans les couloirs, en cours, à ces moments où enfin, ils se souriaient. Il se mit à penser à leurs rires face aux flammes, à leurs rires avec Hermione.
Il lui manquait tellement…
Dire qu’il était enfin ami avec lui. Dire qu’il le voyait enfin. Maintenant, il fuyait son regard.
Regarde-moi.
Ne me regarde pas.
La porte de l’infirmerie s’ouvrit mais il ne l’entendit pas, perdu dans ses pensées mélancoliques. Ce ne fut que lorsqu’une Aura tilleul l’entoura qu’il comprit que Harry était ici. Il se redressa vivement, et passa outre son soudain vertige pour se noyer dans un regard émeraude avec la détresse d’un assoiffé.
Il ne sut pas quoi dire. Il ne sut pas quoi faire. Il avait encore la tête remplie de toutes ces images, de tous ces souvenirs. Il y a quelques secondes, ils étaient sur ce canapé au milieu de la nuit, à discuter à voix basse. Il y a quelques secondes il avait encore le droit de tomber amoureux de lui, il avait encore le droit de le toucher.
« Hermione m’a expliqué ce que vous faisiez ce soir-là. Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? » demanda Harry, si doucement. Il n’y avait plus de jalousie dans son Aura.
La terreur remonta avec la puissance d'un tsunami. Il garda la bouche close. Il ferma les yeux, se roula en boule.
Ne me regarde pas.
Il voulait se boucher les oreilles, ne plus sentir son Aura contre sa peau à vif.
« Pourquoi Draco ? Pourquoi me fuir ? Qu’ai-je fait ? »
Tais-toi, tais-toi, ne me regarde pas.
Il ne devait pas craquer. Il ne devait pas le blesser.
« Je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment notre relation a pu se détruire ainsi. Nous étions amis… » la voix de Harry trembla à la fin, et le cœur de Draco se serra. Il avait envie de pleurer.
Son secret le mieux gardé. Sa monstruosité.
« Parle-moi Draco. Dis-moi quelque chose. Ne me laisse pas… » Il reprit une inspiration tremblante, chargée de larmes. « Ne me laisse pas avec rien d’autre que nos souvenirs. »
Draco se retourna brusquement vers lui. Il ouvrit la bouche pour lui hurler… quelque chose. De ne pas l’approcher. De ne pas le toucher. Qu’il était dangereux, qu’il allait lui faire du mal, qu’il allait le tuer. Qu’ils ne pouvaient pas être amis, qu’ils ne pouvaient pas rire ensemble, dormir ensemble, travailler ensemble.
Douleur avocat, tristesse absinthe, inquiétude sinople.
Il n’arrivait pas à respirer.
Il se noyait. Il suffoquait. Il sombrait. Il sentait son cœur se disloquer, son âme hurler, sa tête exploser. Il ne faisait que couler, de plus en plus profondément au fond d’un océan vert.
Il avait chaud.
Il ne put réagir quand Harry tendit la main vers lui. Il ne put que se tendre quand il la posa sur sa joue, puis quand l’autre fit de même. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, dans ses oreilles, dans son crâne, dans ses doigts. Il avait tellement peur de lui faire du mal. Il était attentif aux moindres variations de leurs Auras, à la moindre réaction de son cœur.
Mais il ne se passa rien. Harry déposa son front contre le sien et il ne se passa rien.
Il ne le blessa pas. Il ne le tua pas. Il le touchait. Il le voyait.
« Ne m’abandonne pas… »
Il lâcha prise. Il prit une profonde inspiration, ferma à demi les yeux, laissa son cœur reprendre un rythme normal. Il se laissa couler, noyer, suffoquer, sombrer. Il accueillit l’immensité de vert avec désespoir, la chaleur verte avec langueur. Il se laissa envahir par la plénitude que lui apportait Harry.
Il releva une main tremblante et hésitante vers celle de Harry. Sa peau était chaude, presque brûlante. Son Aura l’entourait, l’enveloppait, le protégeait. Amour jade. Il sentit des larmes silencieuses couler le long de ses joues.
Lentement, sans brusquerie, Harry embrassa ses larmes. Une par une, avec une tendresse et une douceur qui lui donna encore plus envie de pleurer. Puis, les yeux dans les yeux, ils s’embrassèrent.
Ce fut simplement leurs lèvres posées l’une sur l’autre mais c’était suffisant pour calmer ses larmes, pour teinter son Aura d’amour cyan et de joie turquoise.
Il n’avait plus froid.