
Chapitre 5
Il était bien. Entouré d’un cocon de chaleur.
Autrefois, il y a très, très longtemps, quand sa mère le prenait dans ses bras et lui offrait l’un de ses très rares câlin, il ressentait cette même chaleur.
Cette protection.
Cet apaisement.
Il n’avait pas envie d’ouvrir les yeux et de revenir à la réalité. Il voulait continuer à nager dans cet océan de vert.
Ce vert… Il connaissait ce vert par cœur. Il l’avait observé sous toutes ses teintes. Le vert de Harry Potter.
Il pouvait maintenant sentir son épaule contre sa joue, leurs bras qui se touchaient, la tête de Harry posée sur son crâne. Ils s’étaient endormis l’un contre l’autre, hier soir. Draco ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il avait si bien dormi.
Il était bien.
Il se laissa de nouveau emporter par le sommeil.
***
« Bonjour Potter, bonjour Malfoy. Bien dormit ? »
Une voix moqueuse, qu’il ne connaissait que vaguement, le tira de son rêve avec un grognement. Il ouvrit les yeux et sentit tout son corps râler : il avait dormi dans une position terriblement inconfortable et un début de torticolis le menaçait.
En face de lui se tenait un Serdaigle, d’après sa cravate bleue, visiblement amusé. Il entendit un grognement dans ses cheveux et le corps contre lequel il était appuyé se mit en mouvement.
« Hm… Trop tôt… »
Il leva les yeux pour voir Harry frotter les siens puis s’étirer en baillant. Encore une fois, il fut envahi d’un élan de tendresse. Il ne semblait pas encore s’être aperçu de la situation : lui et Draco Malfoy découverts en train de dormir lovés l’un contre l’autre en pleine Salle Commune. Heureusement, il n’y avait que le Serdaigle dans les parages. Il utilisa toutes ses forces pour s’empêcher de rougir quand le Gryffondor ouvrit les yeux et les posa sur lui.
« Bonjour. » lui dit-il d’une voix un peu rauque par le sommeil qui le fit frissonner.
Le Serdaigle secoua la tête puis quitta la Salle Commune sans plus un mot.
« Bon… Bonjour. »
Il grimaça mentalement quand il bégaya. Un Malfoy ne bégaie pas !
Déception, déception, déception.
Il observa en direct Harry se souvenir de la veille, son Aura s’agitant d’un spasme de gêne pistache. Puis la joie émeraude. Tendresse vert pâle. L’émerveillement prairie. Émerveillement de quoi ? Le brun lui sourit et il ne put que le lui rendre.
« On devrait remonter avant que quelqu’un d’autre ne nous surprenne. »
Il acquiesça et ils se levèrent. Il tenta d’ignorer la petite voix qui lui susurrait que Harry ne voulait pas être vu en sa compagnie, ou du moins pas si proche. Son cœur se serra et il pinça les lèvres.
« Tu ne veux pas qu’on nous voit ? » demanda-t-il avant de se maudire pour son manque de contrôle.
Le Survivant se retourna. Son Aura vint s’enrouler autour de lui, d’une possessivité lichen qui lui coupa le souffle. Avec un sourire qui lui fit rater un battement de cœur, l’autre répondit.
« Je préfère te garder pour moi tout seul. »
Et il monta, le laissant rougissant en bas des escaliers.
***
La coïncidence tenait du miracle. Ce fut ce jour-là, et non pas un autre, que Draco décida d’aller manger dans la Grande Salle.
Il voulait voir les sentiments de Harry quand ils étaient en public.
Si sa tendresse était réservée au calme et au silence.
Il s’installa à la table des Poufsouffles avec ses deux amies, car la table de Serpentard n’était plus vraiment accueillante à son égard, et qu’il préférait manger avec ses amies que seul. Ils étaient peu nombreux par rapport à la population habituelle car c’était les vacances et les règles étaient plus laxistes.
La table des Gryffondor était celle adjacente à la leur et le Trio d’Or était installé non loin. Draco discutait avec Lexie quand Harry se mit à tousser. Tousser encore et encore, de plus en plus fort. Il tomba du banc et roula sur le sol, tenant sa gorge à deux mains. Il s’étouffait.
Avant même de se sentir bouger, Draco était à ses côtés mais la panique avait envahi son esprit, l’empêchant de réfléchir.
« Harry ! »
« Finite Incantatem ! Spirare ! Poisonus stopa ! »
Harry s’arrêta de tousser et perdit connaissance. Il ne fallait pas être devin pour se rendre compte qu’il avait été empoisonné et sans Hermione et son sang-froid, il serait mort. Mort .
Mort, mort, mort, mort, mort, mort.
A cet instant, il vénérait plus que quiconque Hermione Granger. Elle avait su garder son sang-froid pour se souvenir des sorts utiles avant même que les Professeurs n’interviennent. Ron s’accroupit à son tour et il souleva Harry.
« Je l’emmène à l’infirmerie. »
« Je te suis. » signala la sorcière.
Tout autour c’était la panique. Les élèves criaient, se bousculaient, se disputaient. Toutes les Auras se mélangeaient jusqu’à ne former qu’une seule masse mouvante. Voilà pourquoi il détestait tellement manger ici. Toutes ces vies, toutes ces Auras. Mais à cet instant c’était à son avantage : Laquelle était hostile ? Laquelle était ravie ? Laquelle était déçue ?
Où ? Où se cachaient-ils ? Les coupables !
Il était furieux. Remplis de haine. On avait essayé de tuer Harry. Quelque part dans cette école, quelqu’un en voulait à sa vie. Son Aura s’agita, brûlante, outremer.
Elle clamait la vengeance, la torture, la punition.
Le sang sur les pierres.
On avait osé s’en prendre à Harry.
La Guerre fait des choses terribles aux gens, et tout particulièrement aux enfants.
Elle inhibe les limites, décuple la colère, repousse la moralité.
Quand on est confronté à la cruauté des autres, on ne peut y répondre que de la même manière car c’est la seule façon de survivre.
Draco dormiens nunquam titillandus.
***
Il pista les coupables durant trois jours alors que Harry demeurait à l’infirmerie par sécurité.
Trois jours où il observa l'Aura de chaque âme dans ce château gigantesque. Trois jours où il dressa et élimina des listes et des listes de suspects. L’Aura était un gigantesque détecteur de sentiments. De secrets. Il n’avait jamais poussé son don si loin, au maximum. Jamais dans le but de découvrir chaque détail du cœur des autres non plus.
Mais il n’avait plus aucun scrupule : Harry était toujours dans ce lit blanc.
Il repéra les coupables le soir du troisième jour.
Ils étaient deux Serdaigles et un Serpentard. Ils étaient colorés de satisfaction et de peur. Ils n’avaient pas encore vu les yeux de Draco sur eux, la Faucheuse qui les attendait dans l’ombre. Le blond n’avait encore prévenu personne. Il voulait les torturer un peu avant de les livrer à Hermione Granger, qui n’hésiterait pas à prolonger la torture.
La Guerre fait des choses terribles aux gens.
Elle remanie les mœurs et les déforme.
Draco attendit le moment propice et celui-ci ne tarda pas à se montrer. Il faisait nuit et les trois criminels arpentaient les couloirs pendant le couvre-feu, grisés par la réussite et l’alcool. Caché dans un recoin sombre, il avait du mal à tenir en place mais il se contint, patient.
Il avait tout préparé avec soin. La potion, la salle, les enchantements. Il attendit qu’ils soient passés devant lui pour se glisser silencieusement dans leur dos, baguette en main.
Il était doué pour le silence.
Pour se fondre entre les murs jusqu’à ne plus être perceptible.
« Bonsoir. »
Sa voix était froide, tranchante comme une lame.
Il avait entendu tellement de fois son père parler de cette manière.
Le groupe sursauta et se retourna mais avant d’avoir pu faire un seul geste, Draco les avait piégés par un sort paralysant. Il s’approcha d’eux lentement, se montrant petit à petit à la lumière. Il vit clairement leurs yeux s’écarquiller de panique, puis de peur en remarquant qu’ils ne pouvaient plus bouger.
D’un simple signe de baguette, sa magie décuplée par sa colère les expédia dans la salle de classe voisine puis referma silencieusement les portes derrière lui. Il déposa tous les sorts nécessaires à sa tranquillité avant de se tourner vers ses victimes. L’un des Serdaigle tremblait de peur mais les deux autres se forçaient à se montrer courageux. Le Serpentard eut l'insolence de se montrer outré d’un tel traitement.
Il libera leurs bouche sans pour autant leur permettre de bouger autre chose que le visage.
« Malfoy ! » cracha un Serdaigle, le fusillant du regard. « On peut savoir ce que tu fous ? »
« Facilitation. Je dois avouer que je suis admiratif. »
Ils échangèrent un regard hésitant et perdu. Finalement le Serdaigle reprit la parole, gonflé de fierté.
« Génial pas vrai ? C’est William qui a eu l’idée du mercure ! »
« La ferme, Johnson ! » siffla le Serpentard, percevant le piège.
Draco éclata d’un rire qui devint de plus en plus froid, de plus en plus menaçant. Puis il poussa un profond soupir et se leva de la table sur laquelle il s'était assis. Il s’approcha du Serdaigle qui n’avait encore rien dit.
« Thomas Byrne, Serdaigle. Matthew Johnson, Serdaigle. William Davis, Serpentard. Je vous ai observé. J’étais curieux de voir qui étaient les personnes qui osaient s’en prendre à Harry Potter. »
Il passa sa main sur le visage de Davis dans une tendresse terrifiante, regardant avec extase le Serpentard trembler. Lorsque sa voix s’éleva, elle était douce, comme si elle comptait une histoire, murmurait un secret.
Il avait entendu tellement de fois Voldemort parler de cette manière.
« J’ai appris beaucoup de choses au cours de ces derniers jours… Par exemple, tu as beau avoir une multitude petites amies, tu restes indéniablement gay, Davis. »
Le garçon se rempli de panique et de honte alors que ses joues devinrent rouge pivoine. Tout le monde savait que sa famille était d’une homophobie profonde. Son voisin commença à paniquer lui aussi.
« Johnson… Non seulement tu es attiré par la meilleure amie de ton petit frère, mais en plus elle n’est qu’en première année . La pédophilie tu connais ? Je suis sûr que les Aurors seront ravis d’en entendre parler. »
Il n’eut comme réponse rien d’autre qu’un gargouillement. A ses côtés, Byrne semblait sur le point de vomir.
« Mon cher Bryne ! Tu m’épates, vraiment. Trafic de potions illégales, triche aux examens, prise de photos pornographiques de tes camarades de dortoir à leur insu… »
Se délectant de leur terreur, il leur fit boire un flacon de Veritaserum et enclencha les enchantements. Les nuances de leur terreur étaient exquises. Demain, ils seraient forcés de crier à tue-tête tous les secrets. Ses victimes étaient au bord de l’évanouissement. Elles étaient prises au piège. Lorsque tout sera révélé, leur vie deviendrait un enfer.
Mais Draco n’en avait pas encore fini avec eux. Ils avaient failli tuer Harry .
Sa haine était du bleu de minuit, sombre et presque noir.
« Je vais vous torturer. Lentement. Je vais vous arracher vos ongles. Vous planter des aiguilles sous les pieds. Vous lacérer la peau des cuisses. Je vais planter des plumes dans vos yeux, vous ouvrir le ventre et vous faire manger votre queue. Je vais vous détruire, lentement, douloureusement et à chaque fois que vous vous évanouirez, je vous réveillerais et nous reprendrons tout à zéro. »
La Guerre fait des choses terribles aux gens.
Elle les broient jusqu’à ce que la pire partie d’eux remonte à la surface.
Johnson s’était évanouit. En fait, il s’était fait dessus également.
« Draco ! » cria Hermione en pénétrant violemment dans la pièce, ayant visiblement réussi à déjouer ses sorts.
La jeune fille le fixa, furieuse. Il ouvrit la bouche, prêt à se défendre, mais elle le doubla.
« Comment as-tu osé commencer sans moi ! »
Elle le dépassa et vint flanquer une droite au Serpentard, Davis, qui se mit à saigner du nez et à gémir de douleur, incapable du moindre geste. Puis elle lança un premier sort. Puis un second. Puis un troisième. Draco observa avec fascination son Aura sépia furieuse se déchainer vicieusement.
Puis il comprit qu’elle ne les laisserait pas sortir. Qu’elle détruirait chaque parcelle de leur âme, qu’elle les écartèlerait lentement et avec satisfaction. Mais aussi qu’elle détruirait sa propre vie s’il la laissait suivre sa colère.
La Guerre fait des choses terribles aux gens.
Après son passage, le prix du sang n’est plus le même. La violence répond à la violence, la cruauté à la cruauté.
« Hermione… »
Elle se tourna vers lui et soudain toute sa colère se transforma en un océan de tristesse cannelle et de douleur citrouille. Il la prit dans ses bras et elle éclata en sanglots.
« J’ai eu tellement peur de le perdre ! C’était comme si on était de nouveau pendant la Guerre ! Je les déteste tellement… »
Il vit une jeune femme qui avait survécu à une Guerre alors qu’elle n’était même pas considérée comme une adulte. Une jeune fille qui avait eu peur, à chaque seconde, de perdre les personnes qui comptaient plus que tout à ses yeux. Une jeune fille qui avait été blessée, détruite encore et encore, trouée, déchirée, piétinée et qui pourtant souriait toujours. Vivait toujours. Aimait toujours.
Il vit son âme, si fragile, si lumineuse. Et sa peur terrible face à la vague gigantesque qui avait failli engloutir tout son bonheur. Aurait-elle survécu à sa mort ? Il connaissait la réponse. Ils la connaissaient tous les deux.
Le monde glacial qu’aurait laissé Harry derrière lui. Les cœurs gelés qui l'auraient suivi.
Johnson qui s’était évanouit plus tôt avait été libéré de l’emprise de Draco. Le blond ne le vit pas bouger. Il ne le vit pas lever sa baguette. Il leva simplement les yeux et se retrouva face à une Aura grondante. Il n’eut pas le temps de réfléchir.
Il devait protéger Hermione.
L’Aura réagit aux émotions. Quand un certain degré d’intensité émotionnelle est dépassé, l’Aura tend naturellement vers l’objet de vos pensées. A cet instant, un fuseau sombre et mortel pointait droit sur eux.
Avant même que le sort ne soit lancé, sans savoir ce qu’il faisait, Draco tendit la main. L’Aura se fracassa contre sa paume et il sentit une vive douleur le déchirer en deux.
Mais à sa plus grande surprise, l'Aura adverse fut aspirée dans son corps.
Il venait d’ingérer l’attaque. De voler de l'Aura. Il pouvait la sentir, grondante, étrangère, gênante, quelque part au fond de lui. Il pouvait la voir manquer autour du Serdaigle. Il regarda avec horreur ses mains qui tremblaient.
Il l’avait dévorée.
Matthew Johnson s’effondra sur le sol, blême, la respiration coupée. Il tremblait de tous ses membres. L’autre Serdaigle, Byrne, se précipita vers lui.
« Malfoy ! Qu’est-ce que tu lui as fait ?! » couina-t-il.
Gardant son sang-froid, Hermione le stupéfixa avant qu’il ne puisse les attaquer à son tour, assomma le Serpentard puis leur lança le sortilège d’oubliette. Elle resta là un moment, silencieuse, avant de se tourner vers le sorcier convulsant au sol.
Ses yeux étaient froids. Son Aura elle-même paraissait glacée. Calme.
« Il faudrait l’amener à l’Infirmerie. »
Aucun des deux ne bougea.
« Ou bien on le laisse là. » proposa Draco, qui se sentait tout aussi froid.
La Guerre fait des choses terribles aux gens.
Ils partirent sans un regard en arrière.