
Chapitre 3
Quand Draco ouvrit les yeux ce matin-là, il se sentait léger. Son corps entier semblait flotter sur un nuage et le poids dans sa poitrine s’était évaporé. En fait, se rendit-il compte, il était heureux. Pour la première fois depuis très, très longtemps.
Son Aura était d’un magnifique bleu turquoise, dispersée à travers la pièce. Libre. En sécurité.
En se levant, il ouvrit les rideaux et la pièce se remplit d’une lumière éblouissante. Il éclata de rire face aux grognements de ses camarades et s’empressa d’aller s’enfermer dans la salle de bain. Il en ressortit une demie heure plus tard, frais et pimpant, prêt à entamer la journée. Il avait une faim de loup. En passant devant Harry, il lui sourit et celui-ci lui rendit.
C’est ainsi que Lexie et Amy le trouvèrent de bon matin, sautillant presque, lançant des sourires à la Lockhart. S’il n’était pas Draco Malfoy, nul doute qu’il se serait mis à chantonner. Elles furent surprises, mais heureuses pour leur ami. Elles avaient compris qu’il avait très bien avancé dans sa mission et qu’il leur dirait tout quand il sera temps.
Cela ne tarda pas.
Ils étaient installés dans leur petit coin tranquille à l'abri des regards, la petite cour étant devenue leur endroit à eux. Ils avaient ramené de quoi grignoter, car Draco détestait manger dans la Grande Salle.
Toutes ses couleurs qui se mélangeaient et changeaient à toute vitesse.
Il leur raconta, d’une petite voix, la soirée. Ses excuses, le rire de Harry.
Il faillit même leur parler des Auras, mais se retint juste à temps. C’était un secret. Personne ne devait savoir. Il en avait fait la promesse. Même Blaise l’ignorait alors qu’il était son meilleur ami.
Elles furent encore plus heureuses et Lexie improvisa une danse de la joie qui le fit rire. Plus que rire même, ce fut un fou-rire qui lui mit les larmes aux yeux et lui fit mal au ventre.
Il ne vit pas Harry, de l’autre côté de la cour, s’arrêter et le dévisager avec stupeur et émerveillement. Le Survivant fut tellement ébahi, aussi bien par ce qu’il voyait que par ce qu’il ressentit, qu’il s’enfuit sans demander son reste.
***
Il trouva l’opportunité de s’excuser auprès d’Hermione Granger quelques jours plus tard.
Ils travaillaient à la Bibliothèque, Draco avec Amy et Lexie d’un côté, Harry avec ses meilleurs amis de l’autre. Ils n’étaient pas très éloignés et Draco entendait clairement Ron se plaindre du manque de rivalité entre Harry et lui, qu’il n’y avait plus rien de palpitant cette année.
Finalement, Ron râla tellement qu’Hermione leur permit de partir, avec la promesse qu’ils termineraient leur devoir de Métamorphose avant la date limite. Trop heureux de s’échapper de cet endroit, Harry et le roux s’empressèrent de prendre leurs affaires et de déguerpir. Hermione se retrouva seule.
Il n’eut pas le choix, tant Lexie lui labourait la jambe de coups de pieds et Amy de regards appuyés. Elles partirent à leur tour pour lui laisser le champ libre et il s’approcha de la jeune fille. Cependant, il se trouva à cours d’inspiration quand elle releva la tête vers lui.
« Le devoir…de Métamorphose… La Loi de Zantrop… »
Il attendit la colère mais à la place il la vit clairement se retenir de rire et son Aura prit une nuance chocolat.
Il se demanda si Trio d’Or avait décidé de faire table rase sur les rivalités du passé.
Une lueur malicieuse dans les yeux et un sourire restreint aux lèvres, elle glissa vers lui un livre. Après un coup d'œil, il se rendit compte qu’il parlait justement de la Loi de Zantrop : la métamorphose d’un animal en un autre en lui laissant ses caractéristiques principales.
Il la remercia d’un signe de tête et retourna à sa place avec le livre. Les minutes défilèrent avant qu’il ne prenne son courage à deux mains. C’était maintenant ou jamais ! Il empoigna toutes ses affaires et vint les déposer en face de la Gryffondor. Elle releva la tête mais ne dit rien. Seule son Aura noisette révélait sa curiosité.
Ils travaillèrent en silence, l’un en face de l’autre. Quelques fois, ils échangeaient quelques mots sur leurs livres ou leurs impressions. Au bout d’un moment, ils finirent par ne plus faire que parler de Métamorphose, partant dans un débat houleux et passionné, s’échangeant leurs avis et leurs émerveillements, oubliant leurs parchemins entamés et le temps qui défilait. Ce fut quand il sonna l’heure du repas qu’ils reprirent conscience du lieu où ils se trouvaient. Ils rangèrent leurs affaires et sortirent de la Bibliothèque vide.
Au moment où elle allait partir de son côté, direction la Grande Salle, il l’arrêta.
« Granger ! Je… J’ai été ravi de travailler avec toi. Tu as un avis très détaillé et cultivé. J’espère que nous pourrons reprendre une autre fois. »
« Avec plaisir, Malfoy. » répondit-elle en souriant.
Il espéra que ça voulait dire qu’elle acceptait sa proposition d’amitié.
***
Les jours suivants, Hermione et Draco continuèrent de travailler ensemble, Harry et Draco continuèrent de se sourire, Lexie et Amy continuèrent de se tourner autour et Draco continua à être heureux. Dorénavant, ses camarades n’hésitaient plus à venir vers lui ; on l’invitait aux jeux, aux parties de boules de neige, aux discussions.
Le Serpentard et la Gryffondor se retrouvaient tous les soirs à la Bibliothèque et découvrirent qu’ils aimaient discuter ensemble. Il n’y avait plus de gêne et même parfois, ils se surprenaient à rire.
Draco était de plus en plus conscient qu’il devait des excuses à la jeune femme. Elle était incroyable : intelligente et passionnée mais à l’écoute et ouverte. Il avait plus ou moins pensé la plupart des insultes profanées à son égard durant son adolescence, mais il avait été élevé ainsi. De plus, il était aussi terriblement jaloux ; comment une fille qui ne connaissait rien aux sorciers avant de se découvrir elle-même sorcière pouvait avoir de meilleures notes que lui ?
La déception de son père, qui le glaçait jusqu’aux os.
Mais il devait avouer que cette rivalité, si elle était terriblement frustrante et vexante, lui avait aussi permis de se dépasser.
Ils n’allaient pas tarder à ranger pour rejoindre le repas du soir quand il trouva enfin le moment.
« Je tenais à m’excuser auprès de toi, Granger. Pour tout ce que je t’ai fait subir. Je n’espère pas que tu me pardonnes, car je ne l’aurais pas fait à ta place, mais je devais te le dire. »
Dans un premier temps, elle ne dit rien. En fait, elle ne releva même pas la tête et il crut qu’elle ne l’avait pas entendu. Mais elle finit par se tourner vers lui, les lèvres pincées. Son Aura dévoilait beaucoup de sentiments mélangés. Joie ambre, colère sépia, peine citrouille, pardon caramel. Elle hésitait clairement entre accepter ses excuses ou les rejeter. Elle choisit de ramasser ses affaires.
« Merci. Je vais y réfléchir. » répondit-elle en partant.
Il pouvait comprendre. Quand la personne qui vous a insulté toute votre enfance s’excusait auprès de vous, il y avait de quoi avoir à réfléchir. Elle avait besoin de temps et il était prêt à lui laisser le temps qu’il faudrait pour qu’ils puissent devenir vraiment amis.
Mais il espérait qu’elle finirait par lui pardonner car Hermione avait un grand cœur. Et puis, il avait changé, Lexie et Amy l'avaient changé, Harry l’avait changé, la Guerre l’avait changé.
Il n’avait plus peur de la déception de son père, car son père était loin et ne pourrait plus jamais l’atteindre.
Ils travaillaient ensemble, ils s’entendaient bien.
Cette nuit-là, il s’endormit tôt. Il ne vit pas Harry, inquiet de ne pas le voir descendre, venir voir s’il allait bien. Il ne vit pas son Aura se teinter d’une tendresse vert pâle.
***
Il trouva un papillon de papier déposé sur son sac de cours. Le papier était d’un doux jaune pâle. A l’intérieur, quelques mots écrits à l’encre noire.
Je te pardonne.
PS : Tu peux m’appeler Hermione.
Il sourit.
***
Il eut un accident à la Bibliothèque un mois plus tard.
Encore une fois les deux Trio travaillaient à quelques tables de distance. Draco vit Ron s’enfoncer entre les étagères et, comme il avait un souci sur l’un de ses devoirs et que ses amies ne parvenaient pas à l’aider, il décida d’aller voir ses autres amis.
Il s’arrêta devant la table des Gryffondor avec une aisance naturelle venue du fait qu’il avait l’habitude de côtoyer l’un et l’autre, oubliant qu’il ne l’avait encore jamais fait quand ils étaient ensembles. Harry lui sourit, il lui rendit son sourire. Hermione le salua et il lui rendit son salut. Leurs Auras étaient heureuses, accueillantes. Un peu curieuses aussi. C’était comme s’asseoir sous un gigantesque arbre qui vous couvrait de ses feuilles sous un ciel d’été. Apaisant.
« Hermione, est-ce que tu serais si— »
Il n’eut pas le temps de finir. Une furie rousse bondit sur lui, laissant tomber ses livres sur le sol dans un grand bruit. Il lui empoigna le col et le fit reculer d’un pas. Son Aura était d’un rouge bordeaux vif, menaçante, colérique, rancunière.
L’espace d’un instant il se retrouva de nouveau pendant la Guerre, quand tout était violent et sanglant.
« Malfoy ! Qu’est-ce que tu nous veux ?! »
« Ron ! » s’interposa Hermione en libérant Draco.
Elle se plaça entre les deux garçons, furieuse contre son meilleur ami. Le Gryffondor fut surpris puis encore plus en colère quand il comprit qu’elle défendait le Serpentard. Une violente dispute éclata et il sentit Amy lui tirer le bras pour quitter la Bibliothèque.
« Comment peux-tu le défendre, Hermione ? Je me moque qu’y ait changé ! Comment peux-tu lui pardonner après tout ce qu’il a fait ? Tout ce qu’il t’a fait ?! Harry, dit quelque chose ! »
Par la suite, il entendit une multitude de rumeurs. Le Trio d’Or aurait eu une profonde dispute. Hermione aurait frappé Ron. Harry aurait pris le parti de la jeune fille. Ron n’était pas revenu au dortoir cette nuit.
Les Auras d’Hermione et Harry étaient agitées. Colère sépia et bouteille, blessure citrouille et avocat, tristesse cannelle et absinthe, culpabilité châtain et kaki. Celle de Ron n’était pas mieux. Beaucoup de colère bordeaux. Un peu de culpabilité rubis. Peine grenat.
Ils s’étaient disputés à son sujet. Il le savait car Harry ne lui souriait plus, car Ron le fusillait du regard. La possibilité de s’excuser auprès de Ron devenait de plus en plus nulle alors que cela devenait de plus en plus nécessaire.
La tension menaçait de dévorer tous les étudiants en 8ème année. Draco ne descendait plus à la Salle Commune pour discuter avec Harry. Il ne rejoignait plus Hermione à la Bibliothèque. Il préférait se faire discret, disparaître entre les murs.
Il avait l’habitude.
Il avait terriblement peur que l’un ou l’autre lui en veuille pour ce qui se passait et décide de ne plus être son ami. Heureusement que Lexie et Amy étaient là et qu’elles le soutenaient dans cette période difficile. Lui qui était si heureux n’était désormais plus qu’angoissé. Ses insomnies avaient repris. Il ne mangeait plus. Il y avait une boule, une boule énorme qui lui écrasait la poitrine. Il avait réalisé que tout ce qu’il voulait, c’était être ami avec eux, et ce n’était plus possible.
S’il avait su un jour que séparer le Trio d’Or lui apporterait une telle culpabilité, il aurait ri au nez de l’inopportun et lui aurait lancé un sort.
Lexie et Amy échangèrent un regard inquiet quand il refusa une énième fois d’aller manger.
Il avait l’habitude.
Elles ne savaient pas quoi faire.
La solution arriva par la personne la moins susceptible de l’apporter : Ron Weasley en personne.
Après un quatrième jour de Guerre froide, alors que Draco venait de traverser le tableau pour rentrer dans la Salle Commune suivit par ses amies, Ron se planta devant lui. Les bras croisés, les jambes écartées, un air déterminé sur le visage. Son Aura était violente, couleur sang : détermination, provocation.
Le blond ne savait pas comment réagir. Hermione et Harry, dans un coin de la pièce, les observaient et leurs Auras trahissaient leur surprise.
« Malfoy. »
« Weasley… »
Ron pinça les lèvres et fit demi-tour jusqu’à une table vide, où trônait un unique plateau d'échecs sorcier.
« Une partie. Après je déterminerai si tu es digne de confiance, ou pas. »
Il déglutit. Le reste de l’année, son amitié avec Harry et Hermione, serait définie par une partie d’échec ? Devait-il perdre ? Gagner ?
Amy le poussa doucement vers la chaise en face du roux et il s’assit. La partie débuta dans un silence pesant. Tous les étudiants les observaient en retenant leur souffle.
Au début, il joua avec méfiance. Il plaçait ses pions aux endroits stratégiques mais pas déterminants, cherchant à prolonger le plus longtemps possible la partie. L’Aura de Ron ne montrait que sa concentration.
Quand il grogna face à l’un de ses pions mis au tapis, elle s’éclaira de satisfaction. Il comprit que pour Ron, les échecs n’étaient pas un jeu. C’était quelque chose de sérieux, d’important, qu’il ne fallait pas prendre à la légère. A partir de ce moment-là, il joua vraiment. En face de lui, Ron gardait le rythme et ne se décomposait pas. La partie durait bien plus longtemps que toutes celles qu’ils avaient pu disputer auparavant. Leur adversaire était un adversaire à leur hauteur, qui ne laisserait rien tomber.
« Échec et mat. »
Ron sourit, Draco aussi et ils se laissèrent tomber en arrière, sur le dossier de leur chaise, épuisés. Ce n’était pas tant qui était le vainqueur qui était important mais la qualité de leur jeu.
« Par Merlin ! Je ne m’attendais pas à ce que tu sois si coriace ! » s’exclama le roux.
« Moi non plus, je dois avouer que je t’ai sous-estimé. Tu as mon respect, Weasley. »
Ron le dévisagea par-dessus le plateau. Son Aura était d’une nuance plus rose : il s’était apaisé à son propos. Il soupira et c'était comme si toute la tension retombait, comme si tout le monde reprenait son souffle. Il lui tendit la main.
La main de Ron était chaude et ferme.
« Je crois que nous devrions faire une trêve, Malfoy. »
« Je crois que je te dois des excuses, Weasley. J’étais jaloux, et méprisant, et quand je me suis rendu compte de mon erreur, j’ai préféré continuer de t’insulter plutôt que de l’admettre. » répondit le Serpentard.
Ron lui offrit une grimace.
« Ouais, et bien on ne sera pas amis, mais on est pas obligé d'être ennemis. Pour Hermione et Harry… » rajouta-t-il à voix basse, son Aura se colorant du rouge capucine de l’amour et de l’amitié.
Draco sourit devant ce spectacle. Quelques secondes plus tard, Lexie lui sautait dessus et criant que cette réconciliation était géniale et qu’il allait pouvoir arrêter de broyer du noir. De l’autre côté, Hermione offrait à Ron un baiser dont il se souviendrait pour le reste de son existence. Il sentit clairement une Aura émeraude joyeuse se frotter contre lui, qu’accueillit la sienne avec une joie suspecte, soudainement turquoise.
S’ils continuaient sur cette voie, il finirait indéniablement par tomber amoureux de lui. La question était alors, est-ce que cela le dérangeait ?
Il avait peur de connaître déjà la réponse.