
Chapter 9
« Just please don't say you love me
'Cause I might not say it back
Doesn't mean my heart stops skipping when you look at me like that
There's no need to worry when you see just where we're at »
(Please don't say you love me - Gabrielle Aplin)
Lundi 22 Septembre 1980, Londres Est.
Par cette froide nuit d'octobre, un brouillard épais s'était levé sur la banlieue londonienne, si bien que la lumière des réverbères semblait incapable de lutter contre l'obscurité.
Bellatrix adorait par-dessus tout ce temps lugubre qui réveillait les peurs des simples d'esprit. En d'autres circonstances, elle se serait arrangée pour organiser un raid dans un village moldu et faire le plus de morts possibles, mais elle avait une mission plus importante à accomplir. Elle repoussa la mèche qui lui tombait devant les yeux et reprit sa veille silencieuse devant la maison où vivait Peter Pettigrow. Il s'agissait d'une petite habitation défraîchie, coincée entre deux immeubles imposants et flambants neufs.
Rodolphus s'était chargé de trouver l'adresse de l'ami de son cousin en parlant aux bonnes personnes.
La porte de la maison s'ouvrit sur une petite femme replète, vêtue d'un long manteau sombre qui touchait presque le sol. Bellatrix fit claquer sa langue d'impatience alors que la mère de Pettigrow mettait un temps fou à dire au revoir à son fils.
Finalement, la porte se referma et la femme rejoignit sa propre maison deux rues plus loin.
Bellatrix fit signe à Rolf, Stan et Bartémius Croupton Junior, et ils traversèrent tous les trois la route qui les séparaient de leur objectif.
Elle frappa deux coups secs à la porte et des bruits de pas se firent immédiatement entendre depuis l'intérieur.
- Maman, qu'est-ce que tu as oublié cette fois ? demanda Pettigrow avant même d'avoir ouvert la porte.
Quand il vit qui se tenait sur le seuil de sa maison, son visage de décomposa et il se mit à trembler de tout son corps. Bellatrix savoura la peur panique qu'elle lisait dans ses yeux.
- Bonjour Peter, dit Rodolphus.
Le jeune homme voulut parler mais quand il ouvrit la bouche, aucun son n'en sortit.
- Nous pouvons entrer ? reprit Bellatrix en faisant un premier pas.
Pettigrow ne tenta même pas de les empêcher de passer. Il se plaqua contre le mur, laissant échapper un gémissement de peur au passage.
- C'est charmant ici, remarqua Rabastan avec ironie.
Bellatrix fronça le nez pour toute réponse : l'intérieur était à l'image de l'extérieur. La décoration venait d'un autre âge, les papiers peints étaient délavés et le sol usé. Tout ici transpirait la médiocrité, jusqu'à l'odeur qui s'échappait encore de la cuisine. Madame Pettigrow n'était sûrement pas une fine cuisinière.
- Qu'est-ce… Qu'est-ce que vous me voulez ? réussit à articuler Pettigrow après un long silence.
- Excellente question ! fit-elle mine de s'enthousiasmer. Nous sommes venus te chercher. Notre Lord meurt d'envie de te rencontrer, alors il nous a demandé d'organiser une petite entrevue avec toi.
De livide, le teint de Pettigrow devint verdâtre, et une fine pellicule de sueur commença à faire étinceler son front. Il se ratatina encore plus contre le mur, comme s'il avait soudainement du mal à tenir debout.
- Je… Je ne veux pas… venir, pleurnicha-t-il d'une voix faible.
- Quel dommage, reprit Bellatrix avec un sourire torve. Nous allons devoir te tuer, dans ce cas.
Pettigrow déglutit avec difficulté, puis son regard devint vitreux et sa respiration sifflante. Bellatrix eut une moue de dégoût face à ce spectacle pathétique. Elle s'attendait à mieux de la part d'un Gryffondor.
- Ce jeune homme semble en état de choc, ma chère Lady, dit soudain Bartémius. Ne pensez-vous pas que le sortilège Doloris l'aiderait à retrouver ses esprits ? Peut-être sera-t-il plus à même de nous donner sa réponse définitive ?
Bellatrix adressa un sourire au Mangemort. Elle l'avait repéré dès ses débuts, il y avait de cela plus de cinq ans déjà. Depuis, il avait grimpé les échelons, ravissant le Maître tant sa dévotion semblait sans limite.
- C'est une excellente proposition.
Elle sortit sa baguette et s'approcha de Pettigrow jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres du sien. Etre aussi proche de ce minable sang-mêlé lui donnait la nausée, mais elle était prête à endurer bien plus pour le Maître.
- Qu'en penses-tu, Peter ? souffla-t-elle. Veux-tu que je te lance le Doloris ? Je suis devenue experte en la matière… Je te promets que je ne te louperais pas.
Pettigrow se mit à haleter.
- Je…
- Oui ?
- Si… Si j'accepte… Vous ne me ferez rien ?
- Nous trois, non. Cela dit, je ne peux pas m'engager au nom du Lord.
Sa réponse sembla le calmer un peu.
- C'est d'accord, dit-il après de longues minutes de silence obstiné. Je vais vous accompagner.
Bellatrix se recula vivement.
- Merveilleux. Messieurs, il est tout à vous !
Ses trois complices se saisirent de Pettigrow sans ménagement puis lui bandèrent les yeux.
- Vous aviez dit que vous ne me feriez pas de mal ! cria Pettigrow en commençant à se débattre.
Bellatrix décida d'ignorer sa remarque, sans pouvoir s'empêcher de se demander combien de temps il aurait pu résister au Doloris si elle s'était laissée aller à le lancer… Elle sortit une corde de sa poche, la passa autour du cou du jeune homme, puis la transforma en Portoloin. Quelques secondes plus tard, elle eut l'impression qu'un crochet se plantait dans son nombril et le monde bascula en un kaléidoscope de couleurs.
…
Mardi 23 Septembre 1980, Chemin de Traverse.
Sirius Black fit décrire à sa baguette un énième enchaînement compliqué.
- Torris Ordinis Phaenissia.
Le mur qui lui faisait face fut progressivement recouvert d'une substance rougeâtre qui évoquait vaguement le symbole de l'Ordre. Il grimaça en voyant le résultat, avant de hausser les épaules avec désinvolture. S'il était raisonnablement doué en sortilèges, il n'avait jamais eu la prétention d'être bon dessinateur. Lily devrait s'en contenter.
- Patmol, il nous reste cinq minutes avant la prochaine patrouille !
Sirius se tourna vers James par habitude, avant de se souvenir que son meilleur ami était sous sa cape d'invisibilité.
- On a juste le temps de déposer un dernier paquet de journaux au bout de la rue. Magne-toi !
Les bruits de pas qui firent écho aux siens le firent sourire. Un troupeau d'Hippogriffes roses réussirait à passer plus inaperçu que James.
Tout en se promettant de se moquer de Cornedrue plus tard, il sortit de sa poche une enveloppe de parchemin et en sortit un petit rectangle brun. Il le posa à terre, lui rendit sa taille originelle puis s'appliqua à lancer la série de sortilège que lui avait appris Lily et Remus l'après-midi même.
- Dépêche !
- Ça te va bien de dire ça, Potter ! T'es même pas capable de réussir la moitié de ces charmes !
- Je…
- Tais-toi, il faut que je me concentre !
James étouffa plusieurs jurons mais s'abstint de commentaires.
Sirius dut s'y reprendre à deux fois avant de réussir à camoufler la pile de parchemins. La lumière qui se faisait de plus en plus grise lui apprit qu'il avait perdu trop de temps. La patrouille serait là d'un moment à un autre et si les deux Aurors croisaient un jeune homme occupé à Merlin savait quoi en pleine nuit, Sirius pouvait être certain de se faire arrêter.
- Tant pis, Patmol. Il faut qu'on dégage !
Sirius eut une moue contrariée. C'était la première fois qu'ils distribuaient des tractes. Plus le spectacle serait impressionnant, plus ils avaient de chance de marquer les esprits.
- Sirius… insista James.
Des éclats de voix percèrent soudain le silence. Si son intuition était bonne, la patrouille venait de tomber sur les premières inscriptions qui défiguraient les murs. La tension des habitants du Chemin de Traverse était telle que les volets s'ouvrirent au-dessus d'eux, laissant apparaître des visages endormis et inquiets.
Sirius se glissa dans la flaque d'ombre qui lui offrait un abri salvateur, puis se transforma en chien.
- Génial, Patmol, se plaignit James. On fait comment pour partir d'ici maintenant ?
Sa question resta sans réponse et le jeune homme se résigna à suivre l'énorme molosse dans le dédale de ruelles qui partaient de l'artère principale.
- C'est le symbole de l'Ordre du Phénix ! cria un homme à l'intention de tous les curieux.
La stupeur, la colère, le mépris et la joie partagèrent les témoins, et une rumeur incroyable agita le Chemin de Traverse pendant de longues minutes. Sirius et James profitèrent de l'agitation pour s'éloigner en silence. Quand ils furent certains que personne ne pouvait les voir, ils transplanèrent.
- Tu crois que ça va tout faire foirer ? Demanda-t-il alors que James enlevait sa cape.
- Personne ne nous a vu, pas vrai ?
- Ouais… Mais tu as vu la réaction de tous ces gens ? La moitié de l'Angleterre sera au courant avant le lever du soleil.
- Ça faisait partie du plan, je te rappelle. Tout le monde va venir sur le Chemin de Traverse pour admirer tes prouesses. Il y aura donc un maximum de personnes quand les tracts se disperseront. Tu n'écoutes jamais ce que dit Dumbledore aux réunions ?
Sirius haussa les épaules et fit signe à son meilleur ami de le suivre hors de la petite ruelle où ils avaient choisi d'apparaître. Les énormes poubelles qui étaient alignées le long du mur étaient particulièrement repoussantes mais au moins, aucun moldu ne s'attardait longtemps dans le secteur.
- Tu veux boire un café chez moi ? proposa-t-il.
- Lily doit m'attendre.
- Tu n'auras qu'à lui passer un coup de Cheminette pour la rassurer.
- D'accord… Mais c'est moi qui fait le café.
Sirius leva les yeux au ciel.
- Je suppose que je dois comprendre que le mien n'est pas bon ?
- Je n'ai jamais compris pourquoi tu t'obstinais à l'appeler café.
- Très drôle, marmonna Sirius tout en poussant le portail qui donnait sur son minuscule jardin.
Enfin, sur ses trois mètres carrés de friche personnelle, pour être plus précis.
Il mit presque une minute à défaire tous les charmes qui protégeaient sa porte d'entrée de toute intrusion. Il n'eut pas le temps de faire deux pas qu'une personne déboula du salon et le percuta de plein fouet. De surprise, il lâcha sa baguette et perdit l'équilibre. Il s'imaginait déjà que sa dernière heure était venue quand il reconnut Judy.
La jeune femme l'embrassa fougueusement et il ne se fit pas prier pour lui rendre son baiser. Du moins jusqu'à ce que James ne se racle bruyamment la gorge.
Malgré lui, Sirius sentit ses joues devenir brûlantes : sa relation avec Judy était toujours la cible des moqueries de Remus, James et Peter - surtout depuis la fois où James avait trouvé Judy endormie dans son salon - mais jusqu'ici, Sirius avait très bien manœuvré pour ne pas donner une occasion à ses meilleurs amis de lui prouver que - peut-être - Judy était plus qu'une très bonne amie.
- Tiens donc Potter ! Je commençais à me demander si ta femme ne t'avait pas enfermé quelque part.
- Moi aussi, je suis content de te revoir, Adler.
Sirius fit mine de ne pas remarquer le sourire victorieux que lui adressa James quand Judy se fut détournée en direction du salon.
- Je vais faire le café, dit-il pour empêcher son meilleur ami de dire quoique ce soit.
- J'en ai fait un quand je suis arrivée, lança Judy. Il doit être encore chaud.
Sirius fila à toute vitesse dans la cuisine et se dépêcha de sortir deux tasses à peu près propres. Une part de lui ne voulait pas que James reste seul trop longtemps avec Judy (James était d'une curiosité parfois gênante), une autre lui enjoignait de disparaître à jamais dans l'instant (il redoutait la réaction de James, même s'il n'était pas tout à fait certain de savoir sur quoi ni pourquoi…). Quand il réalisa que ses mains tremblaient comme des feuilles, il s'obligea à souffler un bon coup, tout en se fustigeant mentalement. La dernière fois qu'il s'était senti aussi nerveux, il venait de quitter le Manoir Black et se tenait devant la maison des parents de James. Ce jour-là, il avait passé deux heures sous la pluie avant de trouver suffisamment de courage pour frapper à la porte. James lui avait ouvert, goguenard, avant d'annoncer à sa mère « qu'il avait gagné le pari. Que Sirius avait bien mis deux heures à se décider. Que de par ce fait, il ne ferait pas la vaisselle jusqu'à la fin de la semaine ».
- Patmol, ça va pas ? Tu es super pâle.
Sirius releva la tête et croisa le regard de James. Il lut autant d'inquiétude que de curiosité sur le visage de son meilleur ami… Et beaucoup trop de rire dans son regard ! Il plissa les yeux en un avertissement silencieux : si James se permettait le moindre commentaire, il se ferait une joie de placer une remarque déplaisante en présence de Lily. D'ordinaire, James se moquait bien de ses menaces (qu'il mettait rarement à exécution, il fallait bien l'admettre) et Sirius s'attendait à le voir éclater de rire. Contre toute attente, le visage de James se fit sérieux. Il jeta un coup d'oeil à Judy avant de hausser un sourcil interrogatif. Sirius inspira profondément : trois mois s'étaient écoulés depuis la première fois où il avait embrassé Judy, et si cela était un record exceptionnel pour lui, le plus incroyable résidait dans le fait qu'il se voyait continuer ainsi encore longtemps.
A vrai dire, la possibilité d'une rupture lui faisait presque froid dans le dos.
Il hocha lentement la tête.
James eut un sourire que Sirius lui connaissait trop bien : il était heureux pour lui.
La bénédiction de James lui donna l'impression qu'il se trouvait au bon endroit, au bon moment, en compagnie des seules personnes faites pour lui apporter le bonheur auquel chaque être humain avait le droit.
Il se rappela soudain qu'il n'y avait pas que James dans la pièce.
Judy, installée dans ce qui avait été le fauteuil préféré de l'Oncle Alphard, les fixait avec incrédulité, la bouche légèrement entrouverte par la surprise. Quand elle sentit qu'elle était à son tour dévisagée, elle secoua la tête comme pour sortir de son état second.
- Je suis très impressionnée par votre capacité à discuter sans parler mais je veux savoir ce que vous avez dit sur moi.
Sirius ne put s'empêcher de sourire face à son regard noir, et même si le ton qu'elle avait utilisé exigeait une réponse immédiate, il prit le temps de poser les deux tasses sur la table et d'enlever sa veste de cuir.
- Il m'a demandé si toi et moi, c'était sérieux, souffla-t-il à son oreille.
L'expression de Judy s'adoucit aussitôt et Sirius s'amusa de la voir retenir un sourire.
- Et qu'est-ce que tu lui as répondu ? demanda-t-elle d'une voix indifférente.
Sirius leva les yeux au ciel, tout en se demandant pourquoi il sortait avec une Serpentarde en puissance. Il déposa un baiser sur sa joue et murmura un « oui » qui n'était destiné qu'à elle.
Cette fois, Judy sourit largement et quand il croisa son regard, Sirius eut l'impression qu'une nouvelle galaxie s'était épanouie dans le bleu de ses yeux.
Il se pencha pour embrasser ses lèvres…
- Ton café est tout à fait délicieux, Judy !
…
Mardi 23 Septembre 1980, appartement de Cygnus Black, Londres.
Les hurlements qui déchiraient le silence de temps à autre ne cessaient plus de monter en puissance. Bellatrix resserra sa prise sur sa baguette magique, si bien qu'un nuage d'étincelles vertes s'échappa du bout de l'artefact. Elle grogna de mécontentement et adressa un regard noir à Rodolphus quand son mari tendit sa main dans sa direction, lui demandant sans nul doute possible qu'elle lui donne sa baguette le temps qu'elle se calme.
Excédée par son insistance, elle rangea sa baguette dans sa cape et croisa les bras sur sa poitrine, tout en continuant à ressasser sa colère en silence. Elle n'arrivait toujours pas à croire la nouvelle qui était tombée très tôt le matin même : l'Ordre du Phénix avait organisé une opération de propagande à grande échelle. Dans tous les lieux sorciers, le symbole de leur organisation avait été peint sur les murs. Bien entendu, les curieux s'étaient amassés dans les rues pour voir le phénomène de leur propre yeux… En milieu de matinée, des milliers de prospectus vantant les actions de l'Ordre ces dernières semaines étaient apparus de nulle part. Depuis, le monde sorcier était en ébullition : on ne parlait plus que de cela et les rumeurs allaient bon train sur la véritable motivation de ces personnes qui se disaient « résistants ».
L'un des Mangemorts que le Maître était en train de punir cria de toutes ses forces. Près d'elle, Pettigrow sursauta vivement avant de se recroqueviller contre le mur en gémissant. Bellatrix le trouva particulièrement pathétique et elle se demanda l'espace d'une seconde comment son cousin avait fait pour devenir ami avec une loque pareille.
Finalement, les cris prirent fin et la porte de bois sombre s'ouvrit sur les cinq Mangemorts qui avaient failli à leur tâche cette nuit. Bellatrix apprécia leur visage tourmenté, leurs yeux injectés de sang et leur démarche chancelante. Ils méritaient ce qu'il venait de leur arriver… Le Maître leur avait demandé de surveiller les hauts lieux sorciers et d'intercepter tout membre de l'Ordre du Phénix. Après ce qu'il s'était passé ce matin, il était évident qu'ils ne s'étaient pas montrés à la hauteur de la Cause.
Il était normal qu'ils payent le prix fort.
Comme la porte était restée ouverte, Bellatrix en déduisit que le Maître les attendait. Elle repoussa sa lourde chevelure en arrière, lissa sa robe avec soin, puis fit signe à Rabastan et Croupton Junior de s'occuper de Pettigrow.
Les deux hommes attrapèrent chacun un bras du jeune homme et le remirent sur ses pieds avec brusquerie.
- Grâce à tes petits copains, le Seigneur des Ténèbres n'est pas d'humeur clémente aujourd'hui, marmonna Bartémius. Si tu tiens à la vie, évite de le contrarier davantage.
Pettigrow sembla changer de couleur pendant quelques secondes, puis il se redressa avec la plus grande difficulté. Bellatrix laissa son mari prendre la tête de leur procession, préférant fermer la marche pour surveiller Pettigrow.
Le bureau du Seigneur des Ténèbres était toujours aussi écrasant de magnificence : le parquet reluisait, un feu brûlait haut et fort dans la magnifique cheminée décorée d'ivoire sculptée, et le lustre de cristal créait un étonnant jeu d'ombre sur les murs.
Tous ces éléments avaient pour seul but d'intimider le visiteur… L'effet qu'ils produisaient n'était rien comparé à ce que dégageait le Seigneur des Ténèbres : il se tenait debout près de son bureau, le visage vide de toute expression et seul son regard parlait. Bellatrix ne se permit pas de le croiser, mais elle sentit quelques picotements sur sa nuque quand le Maître la dévisagea.
L'escorte de Peter Pettigrow s'arrêta à une distance respectueuse du Lord et les quatre Mangemorts s'inclinèrent dans un parfait ensemble.
Pettigrow, lui, resta immobile, comme pétrifié.
Bellatrix sortit sa baguette magique dans un geste flou.
- Agenouille-toi devant le Seigneur des Ténèbres ! ordonna-t-elle dans un souffle, tout en lançant un sortilège à Pettigrow.
Le jeune homme plia les genoux sans même tenter de se défendre.
- Relève-toi, Peter, dit le Lord en s'approchant du jeune homme.
Pettigrow mit plusieurs secondes à s'exécuter tant son corps tremblait. Tout en se torturant les mains, il gardait les yeux rivés au sol et les épaules voûtées.
- Sais-tu qui je suis, Peter ? demanda le Seigneur des Ténèbres, après avoir détaillé son interlocuteur pendant de longues minutes.
- Vous… réussit-il à articuler après avoir longuement hésité. Vous êtes Lord V… Lord Voldemort.
Bellatrix serra les dents pour se retenir de lui arracher la langue. Elle ne supportait pas d'entendre le nom de son Maître salit par la bouche d'un sorcier aussi minable.
- C'est exact, répondit le Lord. D'après ce que je sais, Peter, il semblerait que tu sois rattaché à un groupe de personnes qui tentent de me nuire.
- Je… Je n'ai rien à voir avec ce qui s'est passé cette nuit ! gémit Pettigrow d'une voix plus désagréablement aiguë encore.
- Je sais cela également… Tout comme je sais que de tous les membres de l'Ordre du Phénix, tu es l'un des moins actifs… Pourquoi cela, Peter ?
En le voyant tordre ses mains dans tous les sens, tandis qu'il jetait des regards affolés autour de lui, Bellatrix se demanda ce que Pettigrow faisait dans l'Ordre du Phénix. Les rares membres qu'ils avaient réussi à ramener vivant au Maître avaient fait preuve d'un entêtement sans bornes : malgré les moyens qu'avaient utilisé le Seigneur des Ténèbres, ils n'avaient quasiment rien laissé échapper tant ils étaient décidés à protéger leur camp. Bellatrix sentait au plus profond d'elle-même que quelques Doloris auraient raison de la loyauté de Pettigrow.
- Tu n'as pas de réponses à me donner ? fit mine de s'étonner le Lord. Très bien… Je vais te dire ce que je pense : tu sais que l'entreprise de l'Ordre est vouée à l'échec. Alors que tes amis croient qu'ils sont de taille à m'affronter, toi seul a su voir la vérité si vous vous opposez à moi, vous finirez par mourir. Tôt, ou tard. Tu es un homme réaliste, Peter. C'est une qualité que j'apprécie beaucoup.
- Ce n'est pas ce que je pense, marmonna Pettigrow en repoussant les épaules en arrière dans une veine tentative pour se montrer plus convaincant. Ce que vous faites… est mal. Si on ne me confie pas de grandes missions, c'est parce que je ne suis pas… assez doué en Défense Contre les Forces du Mal.
Bellatrix eut un sourire en coin en entendant le ton amer du jeune homme. Elle ne doutait pas une seule seconde qu'il dise vrai, mais cet état de fait semblait le blesser. C'était une faille de choix dans la loyauté qui le retenait à Dumbledore. Une faille que le Maître ne manquerait pas d'exploiter.
- Voyez-vous cela ? susurra le Lord. C'est donc pour te protéger que le grand Dumbledore ne t'implique pas dans ses plans ? Tu dois vraiment être un sorcier minable, Peter, pour que le défenseur des cas désespérés ne te laisse aucune chance de briller un peu. Je me demande même pourquoi il t'a recruté.
Pettigrow resta silencieux. Sa mâchoire comprimée et ses poings serrés en dirent plus long que des paroles.
- Oh… Je crois que je sais pourquoi, Maître, intervint Bellatrix.
- Vraiment, Bella ?
- A coup sûr, c'est ce Potter qui a dû demander une faveur à Dumbledore.
Pettigrow sursauta vivement. Il tourna la tête pour l'incendier du regard et retint son geste à l'ultime seconde en se souvenant à qui il avait à faire.
- Je vois que tu as deviné juste, Bella. Combien de temps encore comptes-tu rester dans l'ombre de ton cher ami, Peter ? Plus Potter brillera, plus tu deviendras insignifiant. Il y a même fort à parier que ce traître à son sang finira par se lasser de te voir graviter autour de lui. Je suppose qu'alors, tu ne seras plus rien. Enfin… Si tu t'accommodes de cette vie, grand bien t'en fasse.
- Je sais ce que vous essayez de faire! Mais James est mon ami! Jamais je ne le trahirai si c'est ce que vous voulez savoir!
- Je sens pourtant que tu en meures d'envie !
- C'est faux !
- Ta loyauté envers ton ami est touchante mais il serait peut-être temps que tu cesses de vivre à travers lui, Peter. Si ma mémoire est exacte, Potter est riche, marié et il vient d'être père. Toi, tu vis dans une maison décrépie, tu travailles aux archives du Ministère et la seule femme dans ta vie est ta mère. Tu arrives peut-être à te mentir, mais sache que l'on ne peut rien me cacher.
Bellatrix savoura l'expression de Pettigrow comme s'il s'agissait d'un met particulièrement rare. Mis à nu par la perspicacité du Seigneur des Ténèbres, le jeune homme donnait l'impression d'avoir reçu un coup de poignard au cœur. Sans nul doute, les mots du Lord le faisaient plus souffrir que des dizaines de Doloris.
Le Maître laissa le poison qu'il venait d'instiller atteindre l'âme du jeune homme avant de porter un coup fatal.
- Il m'est d'avis que l'on t'a très mal renseigné à mon sujet, aussi vais-je te dire deux choses qui vont te permettre de mieux me comprendre : je sais reconnaître la valeur de mes fidèles et je récompense les Mangemorts zélés avec autant de générosité que je punis ceux qui fautent. Ceci étant dit, les rares membres de l'Ordre du Phénix qui sont entrés ici n'en sont jamais ressortis vivants.
…
Mercredi 24 Septembre 1980, Résidence de Sirius Black, Londres.
Sirius bascula aux côtés de Judy et encercla sa taille quand elle vint se blottir contre lui, déposant un baiser sur son épaule. Ce moment hors du temps - juste eux deux, l'un contre l'autre, leur cœur battant au même rythme - concluait parfaitement l'excellente journée qu'ils avaient passé ensemble. Après le départ de James, Judy l'avait entraîné dans le Londres Moldu, arguant qu'elle n'avait pas eu l'occasion de visiter certains quartiers lors de ses dernières vacances dans la capitale britannique et qu'elle comptait bien se rattraper. Sirius s'était finalement laissé prendre au jeu : il avait adoré la balade dans un des bus touristiques (principalement parce qu'il avait pu grimacer aux passants en toute impunité), à son plus grand regret, il n'avait pas réussi à troubler les gardes devant le château de la Reine (Judy lui avait interdit d'utiliser la magie à cette fin). Ils avaient mangé le plus immonde « Fish and Chips » qu'il lui avait été donné de goûter, puis Judy l'avait conduit jusqu'au plus grand magasin de motos de la ville. Ils avaient passé le reste de l'après-midi à contempler les plus beaux bolides du moment. Le vendeur - un passionné - les avait pris en sympathie et leur avait recommandé un restaurant indien. Sirius avait voulu invité Judy… Au moment de payer, il avait honteusement réalisé qu'il n'avait plus que de l'argent sorcier sur lui. Judy s'était moquée de lui tout le reste de la soirée et Sirius lui avait offert une glace chez Florian Fortarôme sur le Chemin de Traverse pour se faire pardonner.
Maintenant, il était allongé près de la jeune femme, il respirait son odeur à plein poumon et rarement il ne s'était senti aussi bien, comme si la guerre n'existait plus.
Savoir que toute la semaine serait à l'image de cette journée le laissait rêveur.
Que Merlin bénisse les congés payés…
Judy le sortit de ses pensées en se redressant sur ses coudes, portant son visage à hauteur du sien. Sirius accrocha son regard et ne put s'empêcher de sourire, même s'il se demanda pourquoi elle avait un visage soudainement si sérieux.
- Je t'aime, souffla-t-elle.
Sirius perdit son sourire tandis qu'un froid surnaturel venait glacer ses entrailles. Il déglutit avec difficulté, son cerveau ayant les plus grandes difficultés à comprendre ce que Judy venait de dire…
Non, pas ce qu'elle venait de dire. Ces trois mots-là, il les connaissait.
Seulement, il n'avait pas la moindre idée de ce que cela signifiait.
De ce que cela signifiait vraiment.
Judy perçut son malaise et son visage se ferma. Elle se redressa comme si elle venait de se brûler et le détailla avec une expression qu'il ne sut déchiffrer.
Qu'il ne voulut pas déchiffrer.
- En général, on répond « moi aussi, je t'aime », dit-elle avec froideur.
Sirius voulut se rattraper, mais il ne trouva pas ses mots. Il resta là, à ouvrir et à refermer la bouche comme un poisson hors de l'eau. A sa plus grande horreur, les yeux de Judy se remplirent d'eau.
- Je… tenta-t-il sans réussir à continuer sa phrase.
Elle renifla sèchement, releva le menton comme pour le défier et se leva en prenant soin d'entourer son corps nu des draps.
- Judy ! appela-t-il en se redressant à son tour.
- Je vais me laver, cracha-t-elle sans même se retourner.
Sirius se laissa retomber en arrière, le visage dans les mains et le cœur dans les oreilles.
Il avait l'impression qu'un demi million de pensées dansaient dans sa tête, en même temps qu'un silence radio lui donnait le sentiment de n'être plus qu'une coquille vide.
Ce fut à ce moment qu'un trémolo harmonieux raisonna dans sa chambre, l'obligeant à regarder autour de lui. Il n'y avait aucune trace de ce qui avait produit le bruit : seul demeurait une plume rouge et un petit bout de parchemin.
Attaque de Mangemorts à Londres.
Rdv : Trafalgar Square
Sirius jura mais se dépêcha de s'habiller. Il savait qu'il faisait une bêtise en partant après ce qu'il venait de se passer avec Judy. Sa raison lui hurlait de rester pour discuter avec la jeune femme, qu'il le regretterait toute sa vie s'il partait rejoindre les membres de l'Ordre.
Sirius n'avait jamais été raisonnable…
Il transplana.