Black Sunset

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
G
Black Sunset
Summary
"La dernière fois que Voldemort a eu du pouvoir, il a failli détruire tout ce à quoi nous tenions le plus…"Cette histoire est celle de Bellatrix, fidèle lieutenant de Voldemort ; et de Sirius Black, le plus rebelle des membres de l'Ordre. Deux Black, deux camps, une seule guerre… Et une gamine précipitée au milieu de la tourmente.
Note
Un immense merci à Petit Saumon pour m'avoir permis d'imaginer cette histoire, pour ses impressions et son soutien. Un sincère merci à Sun Dae V pour sa relecture attentive, sa correction méticuleuse et ses retours plus que motivants. Un dernier merci à Coco , parce qu'elle me prête gentiment son oreille à chaque fois que je parle de cette histoire.
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Chapter 3

«… I have a dream for you

It's better than where you've been

It's bigger than your imagination

You're gonna find real love

And you're gonna hold your kids

You'll change the course of generations… »

(Family Tree - Matthew West)

 


 

Vendredi 6 Juin 1980, Manoir Lestrange.

Bellatrix ouvrit la double fenêtre qui donnait sur le balcon de sa chambre et laissa le vent froid de la nuit l'envelopper. Elle s'avança sans frémir quand ses pieds touchèrent le sol glacé et agrippa la rambarde en fer forgé.

Le ciel était d'un noir d'encre et de lourds nuages masquaient la lune autant que les étoiles, comme si on lui refusait l'espoir.

Bellatrix éloigna cette pensée en serrant les dents. Etait-elle tombée si bas qu'elle s'en remettait à des entités supérieures pour décider de sa vie ? Etait-elle à ce point désespérée qu'elle commençait à se comporter en Gryffondor ? A croire que la vie serait tendre avec elle si elle devenait tendre à son tour ?

Elle était Bellatrix Lestrange, née Black. Elle était riche, sang-pur, et promettait de devenir la Mangemort la plus redoutable de tous. La vie lui tendait les bras et tout ce qu'elle voulait, elle l'obtenait.

Alors pourquoi ?

Pourquoi Narcissa et pas elle ?

Sa jeune sœur était mariée depuis moins longtemps qu'elle et était tombée enceinte dès qu'elle avait enfin pris la décision d'avoir un enfant.

Pourquoi Narcissa et pas elle ?

Draco était né voilà deux jours maintenant. C'était un magnifique bébé, vigoureux et sain. Il ferait un parfait héritier pour la famille Malfoy et incarnait la nouvelle génération des sang-purs. Bellatrix n'avait pas supporté de le voir plus de quelques minutes alors que le bonheur de Narcissa lui donnait envie de vomir.

Sa main droite se posa sur son ventre désespérément plat. Rodolphus et elle n'arrivaient pas à avoir d'enfants.

Bellatrix repensa à toutes les fausses couches qui s'étaient succédées en dix ans. Huit au total. Il lui semblait parfois que son propre corps lui était étranger… Elle voulait un enfant. Elle voulait donner un héritier à Rodolphus, agrandir la nouvelle génération pour son maître. C'était un de ses vœux les plus chers et elle faisait tout pour y arriver… Mais son corps refusait tout simplement de laisser la vie grandir en elle. Et ce phénomène n'irait pas en s'améliorant avec les années - elle allait bientôt fêter ses vingt-neuf ans -. Ses chances diminuaient, elle en avait conscience. Et plus elle désirait tomber enceinte, plus son corps se rebellait contre elle. La dernière fois que le test s'était avéré positif remontait à trois ans.

Le vent forcit et elle resserra ses bras autour d'elle. Des bruits de pas derrière elle lui apprirent que Rodolphus s'était aperçue de son absence. Il la rejoignit en silence et l'attira contre lui, sa chaleur repoussant le froid ambiant.

- On ferait mieux de rentrer, tu es gelée Bella, souffla-t-il.

Elle acquiesça en silence et le laissa la guider jusqu'à leur lit. Blottie contre son mari, elle ne tarda pas à se réchauffer mais elle savait bien que ce n'était qu'une illusion. Les pires hivers sibériens ne seraient jamais rien comparés au vide glacial qui se creusait un peu plus chaque jour dans son ventre.

- Bella, tu pleures ?

Elle sortit de sa léthargie dans un sursaut et essuya rageusement les gouttes d'eau salée le long de ses joues. Une Black ne pleure pas. Elle ne pleurait jamais.

Rodolphus alluma la lumière et l'obligea à la regarder. Bellatrix réalisa que c'était peut-être la première fois qu'elle voyait autant de tendresse, presque de l'amour, dans les yeux de son mari.

- Bella, que se passe-t-il ?

Elle serra les lèvres, voulut garder ce qui la rongeait pour elle, comme elle l'avait toujours fait, mais la volonté de fer qu'elle s'était forgée n'était plus aussi solide qu'avant. Elle frémit, seul signe du combat qu'elle livrait, et une larme roula sur le velours de sa joue pâle.

Rodolphus se pencha et fit disparaître la perle d'eau d'un simple baiser.

- Bella…

- Nous n'aurons jamais d'enfants, murmura-t-elle du bout de lèvres.

Ces simples mots lui arrachèrent la gorge. Elle les savait trop vrais, trop proches d'une réalité qui la torturait. Que n'aurait-elle pas donné pour pouvoir les oublier à jamais ?

- Est-ce si grave, Bella ? Cette vie me convient, je te l'ai déjà dit. Ta présence suffit à me rendre heureux…

- Pas moi. Je veux plus que seulement toi et moi dans cet immense Manoir. C'est dans l'ordre des choses… Je veux un enfant.

- Les Médicomages ont dit que cela serait dangereux. Une nouvelle fausse couche pourrait te tuer, Bella. Je ne veux pas que cela arrive.

- Cela n'arrivera pas. Rolf, je t'en prie…

Elle vit le doute danser dans son regard pendant de longues secondes. Finalement, il se rallongea à ses côtés, l'attira contre lui, déposant un baiser sur ses cheveux.

- Si cela compte tellement pour toi, Bellatrix, alors nous trouverons une solution. Je te le promets.

Samedi 7 Juin 1980, QG de l'Ordre du Phénix, localisation inconnue.

Sirius étouffa un bâillement avec plus ou moins de succès, ragea en silence que Minerva McGonagall refuse catégoriquement qu'il fume pendant les réunions de l'Ordre, et tenta de retrouver le fil du débriefing, fait par Fol-Oeil, sur les conséquences de la dernière attaque massive des Mangemorts au stade de football dix jours plus tôt. Pour avoir été présent lors des événements, Sirius n'avait pas spécialement envie qu'on lui rappelle par le menu les atrocités commises lors de cette nuit. Les images des corps sans vie - souvent mutilés - lui revenaient encore quand il fermait les yeux, il avait parfois l'impression d'entendre les cris de panique des moldus et les hurlements des sirènes des secours, et, chaque fois qu'une quinte de toux lui déchirait la gorge, il repensait à la fumée âcre de l'incendie, à l'odeur des chairs calcinées… Cette nuit-là avait été un véritable cauchemar pour tout le monde. Aux dernières nouvelles, près de mille cinq cent moldus avaient trouvé la mort mais le bilan s'alourdissait encore à mesure que l'on déblayait les décombres. Le Royaume-Uni moldu était encore sous le choc : la peur paralysait les habitants au point que les rues de Londres étaient désertes, tous les événements sportifs avaient été annulés par mesure de sécurité, on parlait de l'instauration d'un couvre-feu et de faire descendre l'armée pour renforcer les effectifs des forces de police. Voldemort avait réussi à créer un climat de terreur sans précédent depuis qu'il avait fait parler de lui, neuf ans plus tôt.

La communauté sorcière n'était pas en reste, bien sûr : l'attaque du stade s'était révélée être une immense diversion afin de vider le Ministère de la Magie de ses défenseurs. Presque tous les Départements avaient été visités, notamment ceux de la justice, des transports, du contrôle et de la régulation des créatures magiques. Les Mangemorts s'étaient appliqués à vandaliser les bureaux, si bien que personne ne pouvait dire quelles informations Voldemort était venu chercher et s'il les avait trouvées. De plus, en s'attaquant au siège du pouvoir, le Seigneur des Ténèbres venait de donner un aperçu de sa puissance et de sa détermination.

Conséquence de tout cela, le poison distillé par Voldemort s'infiltrait peu à peu à travers toutes les couches de la société. Le clivage entre les pro-sang-purs et les autres était de plus en plus marqué, et Dumbledore leur disait craindre une guerre civile sorcière dans les années à venir.

Face à cette crise d'envergure, l'Ordre ne pesait pas lourd, mais Sirius était convaincu d'être à sa place. Ils n'étaient peut-être pas nombreux - pas assez nombreux pour être tout à fait objectif - mais chacun était décidé à inspirer le changement, quitte à y laisser leur vie. Il était prêt à se jeter autant de fois que nécessaire au cœur des batailles pour aider, même un peu, à sauver des vies, et s'il fallait qu'il dise adieu à son sommeil pour suivre un Mangemort pendant des jours, il le ferait sans se poser de question. Surtout que maintenant, il était mouillé jusqu'au cou.

La voix de Fol-Oeil s'éteignit et Sirius réalisa qu'il n'avait définitivement rien écouté. Il se promit de demander un résumé à Remus plus tard et s'intéressa à la discussion.

-… il faut que l'on recrute plus de membres, Albus, dit McGonagall.

- Mais qui, Minerva ? intervint Edgard Bones. La majorité des Aurors nous soutiennent, les familles de sang-purs qui ont un minimum de valeurs se sont engagées à nos côtés et les nés-Moldus quittent le pays en nombre, quand bien même ce sont eux qui devraient se sentir le plus concernés et lutter pour leurs droits. Les autres sont morts de peur !

Sirius grimaça. Lui aussi aurait aimé que des volontaires viennent grossir les rangs de l'Ordre mais force était de constater que personne ne se bousculait au portillon. Ce n'était même pas dit que la population soit au courant de leur existence…

Minute ?

- On pourrait essayer de faire de la pub pour l'Ordre, non ? dit-il, interrompant Dorcas Meadowes.

- Comment ça ? le reprit Edgar Bones. L'Ordre du Phénix est une organisation secrète, Black. Et elle doit le rester pour notre sécurité.

- Peut-être, le soutint James après avoir échangé un regard avec lui, mais nos ennemis savent que nous existons, alors que la majorité des sorciers ignorent que des gens comme nous luttent dans l'ombre.

- Certains pensent même que seul le Ministère tente de les tirer de là, et comme le Ministère n'est pas très doué, ils se sont résignés à voir Voldemort arriver au pouvoir tôt ou tard, compléta Alice Londubat.

Fol-Oeil voulut couper court à son idée mais Dumbledore lui intima le silence d'un geste.

- Sirius, qu'as-tu en tête exactement ?

- Je ne sais pas… Si La Gazette était encore un peu libre, on aurait pu y déposer une annonce, ou faire paraître un article ou deux…

- Pendant la dernière guerre moldue, les résistants avaient créé leurs propres journaux qu'ils distribuaient via un réseau ou à la sauvette, reprit Benjy Fenwick, que Sirius savait être un né-Moldu.

La remarque du jeune homme fut suivie d'un long silence pensif. Sirius ne lâcha pas Fol-Oeil, Dumbledore et Bones du regard tandis qu'ils semblaient se consulter en silence.

Black, mon vieux, tu es parfois un génie, songea-t-il.

Son idée n'était pas si mauvaise quand on y réfléchissait bien. Les actions de l'Ordre étaient très limitées : ceux qui avaient un poste au Ministère tentaient soit de repérer les potentiels collègues sous Imperium, soit de gêner les actions des Mangemorts reconnus, selon les possibilités de chacun, bien entendu. Les autres, et Sirius était de ceux-là, s'impliquaient lors des attaques contre les civils, cherchaient à recruter des nouveaux membres fiables ou traquaient les Mangemorts quand ils le pouvaient.

Autrement dit, Sirius passait plus de temps dans les réunions de l'Ordre à écouter les autres décrire leurs avancées, que sur le terrain. Il s'en était très bien accommodé depuis le début mais il n'aurait rien contre un peu plus de missions.

Et puis, mettre le bazar dans les plans de Voldemort en distribuant des tracts où l'on pourrait peut-être lire « Contre l'oppression, prenez un bonbon au citron !» était un travail parfaitement taillé pour les Maraudeurs.

Finalement, Fol-Oeil esquissa l'un de ses sourires tordus et Edgar Bones soupira fortement en croisant ses bras sur la poitrine. A la lueur amusée dans les yeux de Dumbledore, Sirius comprit de suite qu'il venait de séduire les chefs de l'Ordre.

- Je pense que c'est une idée à creuser, jeunes gens. Je vous propose de m'apporter quelques suggestions d'ici la prochaine réunion.

Le directeur de Poudlard leur glissa un clin d'oeil et Sirius se tourna vers James, incrédule.

Il avait loupé un épisode ou Dumbledore venait de leur refiler le bébé sans plus de consignes ?

- Chez moi, vingt heure, demain, lui souffla Cornedrue en guise de réponse.

Sirius haussa les épaules et passa l'information à Remus, qui la murmura à Peter à son tour. Lentement, un sourire se dessina sur ses lèvres. Voldemort n'avait qu'à bien se tenir, les Maraudeurs allaient s'occuper de son cas.

Samedi 7 Juin 1980, Manoir Malefoy.

Bellatrix enfila son masque, savourant avec plaisir le contact du métal contre sa peau. Le Seigneur des Ténèbres le lui avait remis lors de son vingt-cinquième anniversaire et elle n'oubliait jamais l'honneur qu'il lui avait fait ce jour-là. Car de tous les Mangemorts, elle avait été la plus jeune à être adoubée officiellement. A l'image de Rodolphus, elle rabattit la large capuche noire sur ses cheveux et trouva sa place dans le cercle des plus proches fidèles du Maître.

Le Seigneur des Ténèbres se leva du trône où il était installé avec cette grâce qui le caractérisait. Agenouillée sur le sol en marbre du Manoir Malefoy, Bellatrix ne voyait guère de son Maître que le bas de sa robe noire pourtant, elle aurait pu décrire parfaitement les postures qu'empruntait le Mage Noir. Après tant d'années passées à l'observer discrètement, son corps avait appris à comprendre les changements dans l'aura du sorcier.

Définitivement, cet homme avait quelque chose de plus. Peut-être était-ce son talent inné pour la Magie Noire, ou son charisme écrasant, mais toujours était-il qu'en sa présence, on ne pouvait qu'être captivé.

- Mes chers amis, je commencerai cette réunion par une excellente nouvelle : la prochaine génération des Sang-Purs s'est élargie au cours de la semaine. Lucius et Narcissa Malefoy sont les parents du jeune Draco. Puisse-t-il suivre les traces de son père et servir notre cause quand l'heure sera venue.

Bellatrix répéta la bénédiction de Seigneur des Ténèbres, même si le cœur n'y était pas. Tout la ramenait définitivement au même point ces derniers temps.

La séance passa sans qu'elle n'y prenne vraiment part. Elle qui pensait pouvoir se changer les idées en venant ici avait eu tout faux. Bien sûr, il y aurait des attaques prochainement et cela l'avait réjouie. Mais c'était un bonheur éphémère, rien qui ne puisse la satisfaire bien longtemps. Il lui fallait plus.

Elle voulait cet enfant.

Alors que le cercle se brisait et que chacun repartait vaquer à ses occupations officielles, Rodolphus et elle restèrent agenouillés sur le sol froid du Manoir Malefoy. Ce qu'ils s'apprêtaient à faire était si délicat, presque fou. Personne ne devait rien exiger du Maître et elle avait eu du mal à croire son mari quand il avait évoqué cette idée.

Elle ne sut pas combien de temps ils passèrent à contempler les dessins délicats dans le marbre. Il ne fallait pas y penser, encore moins s'impatienter. Le Maître parlait toujours en premier. Finalement, le bruit de ses pas résonna dans la grande salle vide et il s'approcha d'eux. Bellatrix sentit son regard sur elle, si perçant qu'il pouvait très certainement lire ses pensées. Si tel était le cas, elle les livra tout à fait. Elle n'avait rien à lui cacher.

- Je sens beaucoup de tristesse se dégager de vous deux, ces derniers temps. Surtout de toi, Bellatrix.

- Cela n'a rien à voir avec votre cause, Maître, s'empressa-t-elle de répondre.

- Je sais cela.

- Nous n'arrivons pas à concevoir d'héritier, Maître, dit Rodolphus dans un souffle. Vous êtes le plus puissant des sorciers, nous pensions que vous pourriez peut-être changer cet état de fait.

Il resta un long moment silencieux et ils se gardèrent bien de relever la tête pour voir sa réaction.

- Je ne pensais pas que tu veuilles à ce point devenir mère, Bella.

- Je… C'est dans l'ordre des choses, Maître. Je ne souhaite pas que notre lignée meurt avec nous. Les enfants représentent l'avenir de notre monde.

- C'est juste. Et le monde magique ne comptera jamais trop de Sang-Purs… Je vais réfléchir à votre demande.

Dimanche 8 Juin 1980, Résidence de Sirius Black, Londres.

Sirius étala la pâte sur le dessus de sa tourte avec soin puis la badigeonna avec un mélange de beurre fondu et de jaune d'oeufs, avant de contempler le résultat avec fierté.

Vivianne en soit témoin, Fleamont Potter n'aurait pas fait mieux.

Comme à chaque fois qu'il préparait l'un des plats que le père de James lui avait appris à concocter durant les longs étés qu'il passait chez les Potter, un sentiment de nostalgie mêlé de tristesse lui serra le cœur. Fleamont et Euphémia Potter avaient été de vrais parents pour lui depuis le premier Noël qu'il avait passé chez son meilleur-ami en première année, après que Walburga lui ait fait comprendre qu'il devait rester au château. Il se souvenait encore de l'air outré de James quand il avait lu la lettre par-dessus son épaule, puis de la série d'insultes particulièrement grossières qui avaient suivi le nom de Walburga dans la bouche du jeune garçon de onze ans. Avant que Sirius n'ait eu le temps de dire quoique ce soit, son meilleur-ami lui avait pris la lettre des mains et avait griffonné un mot à l'intention de ses propres parents, annonçant que Sirius passerait les vacances de Noël avec eux.

Dès lors, le couple Potter l'avait pris sous son aile et Sirius s'était toujours senti chez lui au Manoir Potter, où il avait d'ailleurs eu sa propre chambre.

Cela ferait un an en juillet que Fleamont et Euphémia avaient succombé à la Dragoncelle. Leur départ restait une blessure douloureuse, dont la guerre ralentissait la cicatrisation.

- Tu ne mentais pas quand tu disais que tu savais cuisiner !

La voix de Judy le ramena à la réalité et il releva la tête. La jeune femme était appuyée sur la chambranle de la porte qui séparait la cuisine de son salon.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle en désignant le plat devant lui.

- Tourte au poulet et champignons façon Potter, répondit-il tout en ouvrant la porte du four pour y glisser sa préparation.

Judy eut une moue impressionnée et il fut surpris qu'elle ne lui lance pas une remarque ironique dont elle avait le secret. En la détaillant du coin de l'oeil tandis qu'il nettoyait son bazar - comment Fleamont réussissait à garder sa cuisine immaculée quand il cuisinait le dépassait encore -, il remarqua qu'elle semblait légèrement nerveuse, ce qui ne manqua pas de l'étonner. Il ne connaissait Judy que depuis deux mois, mais il avait bien compris qu'elle avait une confiance en elle qui devait rivaliser avec celle de James.

- Un problème, Adler ?

Remus et Lily n'étaient pas là, mais il pouvait très clairement entendre leur « quel tact Black » . Judy grimaça et sembla hésiter avant de répondre :

- Tu es sûr que je ne vais pas déranger ?

Sirius éclata de rire.

- Absolument certain. Je te promets que Lily fera en sorte que James surveille ses manières.

L'allusion à sa rencontre avec James, deux semaines plus tôt, lui tira un sourire amusé.

- Il a raison de se montrer prudent. Votre Voldemort a l'air d'être particulièrement prêt à tout.

Sirius ne chercha pas à la contredire - Voldemort était décidé à prendre le pouvoir et tous les moyens étaient bons - mais James semblait plus convaincu que les Black cherchaient à se débarrasser de lui.

Et par les Black, il fallait surtout entendre Bellatrix.

Toutefois, Judy n'avait pas besoin de savoir à quel point sa famille n'était qu'un ramassis de cinglés consanguins.

- Les repas du dimanche ont une seule règle, Jud' : le sujet de la guerre est banni des discussions.

Judy sembla vouloir lui dire quelque chose, mais l'arrivée tonitruante de James dans le salon la coupa.

- C'est nous ! Cria le jeune Potter tout en se débarrassant de la suie sur ses vêtements.

Une poignée de secondes plus tard, Lily apparut à son tour. La jeune femme portait une longue robe couleur crème moldue qui tranchait avec ses cheveux rouges foncés, et donnait l'impression qu'elle était encore plus enceinte que ses sept mois de grossesse. Lorsqu'elle aperçut Judy, un large sourire éclaira son visage fin et ses yeux verts étincelèrent.

- Ooooh une autre fille ! s'exclama-t-elle avant de s'avancer pour prendre Judy dans ses bras.

Judy eut un éclat de rire à moitié nerveux tandis que Lily la relâchait, avant de la détailler de la tête au pied.

- Je suis vraiment contente de te rencontrer, Judy ! Sirius n'arrête pas de parler de toi et il était temps que je puisse mettre un visage sur un nom.

A la réflexion de Lily, Judy se tourna vers lui, son sourire tordu sur les lèvres et un regard malicieux qui annonçait une séance de moqueries interminable.

- Tu parles tout le temps de moi ?

- J'extériorise mon traumatisme, marmonna-t-il.

- Pauvre chaton.

James éclata de rire au chaton et Sirius lui dédia un regard noir.

- La ferme, Potter.

- Ne sois pas désagréable, Black.

James alla déposer sa boîte de gâteaux sur la table de cuisine et inspecta le contenu du four.

- Oye, mon père aurait été très fier, Pat'. On verra si tu es à la hauteur niveau goût.

- Je crois que tu n'es pas en mesure de critiquer, étant donné que tu es incapable de cuisiner.

James se renfrogna et ils passèrent tous au salon. Lily se lova dans le fauteuil favori de l'Oncle Alphard, James s'installa à même le sol aux pieds de sa femme, non sans avoir conjuré un cousin au préalable et Judy prit place sur le canapé. Sirius allait s'asseoir quand la sonnerie de sa porte résonna dans l'entrée.

- Qui est-ce ? demanda-t-il, sa baguette en main dans l'éventualité qu'un Mangemort se tiennent derrière la porte.

- Lunard.

- Et comment je peux être sûr de ça, mon petit agneau ?

- Voyons voir… Angelina, sixième année, troisième étage…

Il ouvrit la porte avant que Remus ne commence à entrer dans les détails. Le loup-garou lui offrit un sourire goguenard et entra, suivi de Peter.

Sirius lui barra le chemin avant qu'il ne puisse passer le seuil. Queudver leva les yeux au ciel.

- Le devoir de métamorphose sur les Animagi.

Peter n'attendit même pas qu'il lui donne son accord et se glissa sous le bras tendu qui l'empêchait de passer. Tandis qu'il relançait les charmes protégeant sa porte, Remus avait déjà rejoint le salon.

- Ah, tu dois être Judy Adler ! Sirius ne démérite pas à ton sujet

- C'est ce que j'ai cru comprendre, s'amusa Judy. Peter, c'est ça ?

- Je suis Peter, intervint Queudver.

- Ah… J'avais une chance sur deux.

D'ici à ce qu'ils passent à table dans la vaste salle à manger servait uniquement quand Sirius recevait les Maraudeurs, la nervosité de Judy avait complètement disparu. Lily y avait sans nul doute aidé en insistant pour qu'elle lui raconte les Etats-Unis, concluant avec enthousiasme que lorsque la guerre serait terminée et que le bébé serait assez grand, James et elle se devraient d'y faire un voyage. Un peu plus tard, Remus s'était découverte une adversaire redoutable dans le domaine de la dérision quand il avait commencé à se moquer de lui, insinuant sans subtilité aucune que c'était la première fois que Sirius incluait une autre fille que Lily dans leur repas du dimanche. Il avait cru une folle seconde que Judy allait évacuer le sujet avec aisance - son sens de la répartie était redoutable - mais elle avait au contraire donné de la matière au loup-garou en expliquant qu'il lui devait bien ça après qu'elle ait sauvé sa moto de la rouille.

A partir de ce moment-la, Sirius n'avait rien pu faire à par l'écouter décrire ses compétences en mécanique, ce qui avait fait rire chacun de ses quatre amis.

Une chance que sa tourte ait été une réussite et que James ait mis fin à son calvaire en louant sa capacité à reproduire avec exactitude les recettes de Fleamont Potter.

Après le repas, Peter proposa une partie de Monopoly - jeu auquel les avait initiés Lily durant leur sixième année -. James insista pour qu'ils jouent par équipe, et Sirius se retrouva de justesse avec Peter - le seul d'entre eux à réussir à battre Lily de temps à autre -. Lily et Judy firent appel à l'entraide féminine, ce qui laissa Remus et James en dernière paire.

Ils se firent éliminer au bout du cinquième tour, après avoir été poussé en faillite par Judy et Lily et Peter eut beau se démener, les filles remportèrent la première manche.

Et les trois autres qui suivirent.

- Le monde de l'immobilier n'a qu'à bien se tenir, Adler ! A la fin de la guerre, toi et moi devenons associées.

- Tenu, Evans !

Dimanche 8 Juin 1980, Manoir Lestrange.

Bellatrix était installée dans le grand salon du Manoir Lestrange. La pièce était plongée dans une obscurité parfaite, si bien qu'au bout d'un moment, on pouvait avoir l'impression de flotter hors de son propre corps tant on perdait ses repères.

Elle aimait cette sensation de liberté. Sans ses entraves physiques, elle se sentait un peu plus elle-même. Le vide dans son ventre devenait presque imperceptible et ses idées se clarifiaient comme par magie. Elle réussit à ne plus penser à cet enfant qui ne venait pas, à cet échec récurrent dans sa vie, et put se concentrer sur la seule chose qui méritait toute son énergie.

La cause du Seigneur des Ténèbres.

Sa cause.

Des souvenirs de leur dernière attaque lui revinrent et elle esquissa un sourire satisfait. Elle avait tué une centaine de moldus à elle seule, se faisant un honneur de ne pas utiliser l'Avada Kedavra. Le Maître disait parfois que ce sortilège devait être réservé aux grandes occasions. Les moldus n'étaient pas digne de cette mort rapide et sans douleur. Le Seigneur des Ténèbres avait été particulièrement satisfait de la scène de carnage qu'ils avaient laissée derrière eux.

Trois coups furent frappés à la porte, la sortant de son hébétude, et la lumière revint brusquement.

Bellatrix tourna la tête, prête à fustiger l'importun comme elle savait si bien le faire mais se retint en reconnaissant Narcissa dans l'encadrement. Elle nota avec une pointe de jalousie le ventre encore arrondie de sa jeune sœur. Bellatrix ne se faisait toutefois aucune illusion : d'ici un mois, et grâce à un régime qu'elle savait drastique, Lady Malefoy aurait retrouvé sa ligne.

- Bonjour, Bella, dit-elle avant de venir la rejoindre sur le canapé. Comment vas-tu ?

- Je suis en pleine forme. Et toi ?

Elle lui sourit avec chaleur et Bellatrix retrouva la petite fille qu'elle avait été, à l'époque où Androméda et elles étaient inséparables.

- Un peu fatiguée… Draco ne fait pas encore ses nuits.

- Il est jeune, répondit-elle un peu plus froidement qu'elle ne l'aurait voulu. Que me vaut ta visite surprise ?

- Et bien, cela fait longtemps que nous n'avons pas discuté toi et moi, et j'avais une après-midi à tuer alors…

Bellatrix fit semblant de ne pas avoir deviné le mensonge et se contenta d'appeler son Elfe de Maison pour qu'il leur prépare du thé.

Narcissa tenta de l'étourdir en lui racontant tous les derniers ragots du monde sorcier mais face à son manque d'enthousiasme, elle finit par aborder le sujet pour lequel elle était venue.

- J'ai appris que tu avais demandé au Seigneur des Ténèbres de t'aider à avoir un enfant… Est-ce la vérité, Bella ?

Bellatrix se redressa face au reproche.

- Le Seigneur est le Mage Noir le plus puissant du monde.

- Je ne le nie pas. Mais la Magie Noire n'est pas assez positive pour ce genre de choses… Je…

- J'ai déjà tout essayé, Narcissa. Tu ne peux pas me reprocher de vouloir être mère alors que tu connais désormais le bonheur que cela représente !

Narcissa soupira et passa ses mains sur son visage comme si elle cherchait à rassembler ses idées. Elle hésita longuement avant de reprendre la parole, son regard évitant soigneusement le sien.

- Je… Je ne comprends pas d'où te vient ce besoin d'avoir un enfant, Bella.

- Pardon ?

- Tu n'as jamais été attirée par eux ! Tu ne supportes pas quand ils pleurent, quand ils jouent en faisant du bruit… J'ai peur que tu te sois mise cette idée dans la tête pour les mauvaises raisons.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, gronda-t-elle sur la défensive.

De quel droit sa sœur la jugeait-elle ainsi ?

- Bella… Nous avons été élevée de la même façon… Combien de fois notre mère nous a-t-elle répété qu'une femme était faite pour assurer une descendance, que c'était son premier devoir ?

- Je me fiche de cela ! se récria-t-elle en se levant pour marcher jusqu'à la porte fenêtre qui s'ouvrait sur une magnifique terrasse.

Narcissa resta parfaitement calme, nullement impressionnée par son éclat de colère, mais elle sentait son regard observateur sur sa nuque. Bellatrix devina au tintement de la porcelaine qu'elle reposait sa tasse sur la table basse, avant de la rejoindre.

- Bella, devenir mère, ce n'est pas seulement transmettre son sang à une nouvelle génération. Devenir mère, c'est s'oublier complètement pour un être qui dépend totalement de nous. C'est aimer sans questions, ni conditions.

- Pourquoi es-tu venues me dire cela ?

- Parce que tu es ma sœur et que j'ai peur que tu sois en train de faire une bêtise. Essaye de te poser les vraies questions.

Elle resta silencieuse et ne réagit pas quand Narcissa déposa un baiser sur sa joue pour lui dire au revoir. Avait-elle raison ? Voulait-elle un enfant uniquement parce que leur mère leur avait inculquer une image archaïque de la femme ?

Bellatrix appuya son front sur la vitre, plongeant son regard dans celui de son reflet, tandis qu'elle n'arrivait pas à mettre des mots clairs sur le flot de pensées qui se bousculaient sous son crâne. Elle se maudit silencieusement pour sa faiblesse. Depuis quand n'arrivait-elle pas à maîtriser ses émotions ?

Cette simple constatation chassa tout le reste et Bellatrix réussit à retrouver son sang-froid en une poignée de secondes. Elle se redressa fièrement et affronta ses problèmes avec le calme qui convenait.

Elle ne pouvait pas enlever une part de raison à Narcissa. Bien sûr, elle n'était pas la plus maternelle d'elles deux. Narcissa était celle qui avait le plus joué à la poupée, enfant, et elle s'était occupée de Sirius et Regulus bien mieux qu'elle. Il était vrai aussi qu'elle trouvait les enfants inintéressants tant qu'ils n'étaient pas capables de se tenir correctement et de suivre une conversation d'adulte avec sérieux.

Toutefois, elle ne voulait pas un enfant uniquement pour satisfaire Rodolphus ou perpétrer la lignée des Lestranges. Elle n'était pas une poule pondeuse comme Molly Weasley, qui semblait bien décidée à repeupler la Grande-Bretagne à elle seule.

Il y avait autre chose. Un rêve secret dont elle n'avait jamais parlé à personne. Un rêve secret sur lequel elle se devait de mettre des mots si elle voulait le réaliser.

Elle voulait une fille.

Une héritière.

Une nouvelle vie qu'elle modèlerait à son image, pour qu'elle devienne une Mangemort aussi dévouée au Maître et à sa cause qu'elle l'était elle.

Oui, tout était limpide.

Elle voulait une fille.

Pas pour se sentir mère, ni pour Rodolphus.

Mais pour Lui.

Elle voulait une fille pour lier le nom des Lestrange à celui du plus grand mage Noir de tous les temps.

Samedi 14 Juin 1980, Résidence de Sirius Black, Londres.

La porte d'entrée claqua avec force.

Sirius se mit aussitôt sur ses pieds et ne put retenir un soupir de soulagement quand Judy apparut dans son salon.

Alors qu'il était mort d'inquiétude moins d'une minute plus tôt et qu'il voulait savoir ce qui lui était arrivé pour qu'elle arrive avec autant de retard, il jugea pourtant plus sage de garder le silence.

Judy, trempée jusqu'aux os, se tenait immobile sur le seuil de la pièce, deux sacs encombrants dans chaque main. Son regard noir et son expression crispée finirent de le convaincre qu'elle avait passé une très mauvaise journée.

Finalement, elle lâcha ses sacs et poussa un cri de rage impressionnant compte tenue de sa silhouette.

- Je déteste ce pays ! éructa la jeune femme tout en se débarrassant du sac à dos qui ne la quittait pas avec des gestes que la colère rendait saccadés.

Sirius retint son sourire de justesse et préféra - de loin - détailler la jeune femme pendant qu'elle était occupée à retourner son sac pour le vider de son contenu sur le sol. La pluie avait rendu son t-shirt blanc transparent, lequel faisait comme une seconde peau tant il était collé à son corps, ce qui ne laissait guère plus de place à l'imagination. Son mini-short en jean troué et rapiécé était si mouillé que de l'eau dégoulinait le long de ses jambes.

Le long de ses très jolies jambes, songea-t-il tandis qu'elle ramassait quelque chose sur le sol.

Judy lança un sortilège sur ses vêtements et ils redevinrent parfaitement secs.

Sirius sortit de son état second avec un cruel temps de retard et crut bien que Judy allait l'écorcher vif par la seule force de son regard.

- Ne te gêne surtout pas, Black, grogna-t-elle.

Sirius se garda bien de répondre. Le désolé qu'il avait sur le bout de la langue n'était pas du tout sincère et ne servirait qu'à l'énerver encore plus.

- Mauvaise journée ? glissa-t-il à la place avec une grimace compatissante.

Judy se rembrunit et sa colère sembla lui faire oublier qu'elle venait de le surprendre à la dévorer du regard.

- C'est un euphémisme ! Est-ce que tu sais au moins où j'ai passé la journée ? Dans un commissariat ! Deux crétins imbibés d'alcool se sont battus cette nuit et un gars du quartier a appelé les flics ! Est-ce que les gens se rendent compte parfois ? Des flics dans un bar de bikers ! Ça ne choque que moi ?! Évidement, quand la patrouille est arrivée, ça a dégénéré. Et j'ai eu l'idée d'ouvrir la bouche… Avec mon accent, je me suis fait repérer tout de suite… Vu le climat du moment, il ne fait pas bon être étranger dans le coin. Quand je suis rentrée chez le gars qui e, il m'a fait comprendre que je devais partir ! Tu m'étonnes, je n'ai pas voulu coucher avec lui il y a une semaine ! Il a l'âge de mon père ! Pour couronner le tout, la pluie est de retour.

Sirius la laissa vider son sac sans rien dire : grandir avec Walburga Black lui avait appris à gérer les colères du sexe féminin dès son plus jeune âge et en général, il valait mieux attendre que l'orage passe.

Je déteste ce pays ! Dès que Max aura fini ma moto, je partirais et je ne reviendrais plus jamais ici !

Sirius fronça les sourcils en l'entendant évoquer un départ définitif : plus les semaines passaient, plus il appréciait de passer du temps avec Judy. Elle était indépendante, drôle, intelligente… Elle

aimait les motos. Elle connaissait tout du monde moldu.

Elle lui donnait l'impression que la guerre n'existait pas.

Il ne s'était jamais senti aussi proche d'une fille et penser que du jour au lendemain, il risquait de ne plus la voir - et qu'il ne lui manquerait sans doute pas - le contraria plus qu'il ne l'aurait cru possible.

Il faillit lâcher une boutade ironique pour lui faire remarquer que ce n'était pas très sympa pour lui mais l'air soudainement abattu de Judy l'en empêcha. Maintenant que la colère était passée, elle semblait épuisée et légèrement perdue.

Tout en se promettant de se moquer de ses malheurs plus tard, Sirius s'approcha d'elle et la prit doucement dans ses bras.

Judy se laissa faire, ce qui en disait plus long que sa tirade.

- Je veux rentrer chez moi, marmonna-t-elle après avoir posé son front sur son épaule.

Sirius raffermit ses bras autour de ses épaules et sentit les cheveux mouillés de la jeune femme sur sa joue.

- Tu es ici chez toi, Judy.

- Tu me prêterais ta chambre d'ami ? releva-t-elle presque timidement.

Le presque lui tira un léger sourire. Judy était indépendante, drôle, intelligente et manipulatrice quand la situation l'exigeait.

- Hum… J'ai aussi un grand lit et…

Et pour appuyer ses paroles, il fit glisser ses doigts le long de son bras gauche dans une caresse presque suggestive.

Judy le repoussa d'un geste brusque et il recula en riant, tandis qu'elle le dévisageait, à moitié outrée et à moitié amusée.

- Écoute bien mes paroles Black : jamais ça n'arrivera.

- C'est un défi ? répliqua-t-il, joueur.

Judy croisa les bras sur sa poitrine et le toisa durement :

- Essaie un peu pour voir et je te montre pourquoi les coups de poings sous la ceinture sont interdits à la boxe.

Sirius leva les mains en signe de reddition et fit un premier pas vers la cuisine.

- Si j'ai bien compris, il est inutile que je te propose un thé pour te réconforter ?

- Très spirituel Black, répondit-elle avec une grimace.

Sirius lui offrit son meilleur sourire éclatant et s'éloigna pour aller prendre deux verres, ainsi que la bouteille de Whisky Pur Feu que James lui avait offert lors du dernier Noël.

En revenant dans le salon, il ne put s'empêcher de ramasser une carte plastifiée qui traînait sur le sol avec le reste des affaires de Judy.

Il s'agissait d'une carte d'identité américaine. Curieux, il l'examina sous toutes ses coutures et resta interdit face à la photo moldue qui occupait la moitié d'une des faces. Une adolescente, cheveux noirs charbon coupés à la garçonne, donnait l'impression de vouloir tuer quelqu'un tant son regard était sombre. Ce sentiment était largement accentué par le maquillage noir autour de ses yeux et le rictus dur qui déformait ses lèvres - elles aussi noires -. Légèrement décontenancé par l'apparence du personnage, Sirius mit une bonne minute à réaliser que la jeune fille sur la photo était Judy.

Il éclata de rire, attirant l'attention de Judy, et brandit la carte vers elle pour toute explication quand elle le dévisagea.

- Tu sortais de prison ? railla-t-il.

Judy serra les dents mais une légère rougeur colora ses joues.

- J'avais quinze ans, marmonna-t-elle. Rends-moi ça.

- Sûrement pas ! répliqua-t-il aussitôt en s'éloignant avec prudence. Je détiens l'arme absolue pour obtenir tout ce que je veux de toi. Ne crois quand même pas que je vais laisser passer ma chance.

Judy quitta le fauteuil sur lequel elle était avachie et le fusilla du regard :

- Rends-moi ça Black !

- Hors de question. En tout cas, je comprends pourquoi les Aurors moldus t'ont gardée. Tu fais peur sur cette photo !

Judy serra les poings - ce qui n'était jamais bon signe, il le savait - et fit un premier pas vers lui. Sirius jugea plus sage de reculer et de déposer les verres et la bouteille sur la table sans la quitter des yeux. Malgré le danger - Judy pouvait être redoutable, il en avait conscience - cette situation l'amusait : taquiner Judy était son passe temps préféré et il savait pertinemment que si les rôles avaient été inversés, elle ne se serait pas gênée pour se moquer de lui.

- Donne-moi cette carte, s'il-te-plaît, demanda-t-elle en bougeant à peine les lèvres. Ma journée a été suffisamment longue et je n'ai pas envie de me battre avec toi pour un bout de plastique.

- Pourquoi en faire tout un plat ? Ce n'est qu'un vulgaire bout de pla…

Elle se jeta sur lui et il eut juste le temps de lever la main pour mettre la carte hors de sa portée. Elle n'essaya pas de sauter pour l'atteindre mais recula légèrement, arma son bras. Sirius encaissa le coup beaucoup plus facilement que ce qu'il avait craint et sourit plus largement encore. De deux chose l'une, soit Judy craignait de lui faire mal - ce qui l'étonnerait beaucoup - soit elle était trop fatiguée pour frapper correctement.

Il réussit sans mal à l'empêcher de récupérer sa carte en l'esquivant avec souplesse, un bras toujours levé très haut, l'autre maintenant la jeune femme à une distance raisonnable.

- C'est tout ce que tu peux faire, Adler ?

- Tu es un gamin, Black, marmonna-t-elle tout en sautant pour gagner de la hauteur.

- Là je crois qu'on est deux, glissa-t-il en s'écartant à nouveau, lui arrachant un grognement de mauvaise augure.

Toutefois, Judy n'était pas du genre à abandonner et il devina qu'elle allait frapper à nouveau à sa façon de monter sa garde. Au lieu de prendre le risque de recevoir un vrai coup, il attrapa le poing qui visait son visage et la tira vers lui. Surprise, elle perdit l'équilibre l'espace d'une seconde et il en profita pour l'attirer contre lui, son torse plaqué contre son dos et son bras maintenant fermement ses épaules.

- Lâche-moi ! exigea-t-elle tout en essayant de se soustraire à son étreinte.

- Dans tes rêves !

- Tu l'auras voulu !

Quelque chose dans sa voix lui souffla qu'il fallait qu'il se méfie mais Judy le prit de vitesse : elle recula avec force, le forçant à l'imiter au risque de tomber. Il heurta le mur qui séparait la cuisine du salon et le choc lui fit relâcher son attention. Judy réussit juste à se retourner et Sirius la soupçonna aussitôt d'essayer de retrouver une position qui facilitait le corps à corps.

Il poussa à son tour, usant de tout son poids, et inversa leur situation. Judy, bloquée entre lui et le mur eut un rictus sauvage, puis un cri de rage quand elle échoua à le repousser.

- C'était bien essayé, reconnut-il tout en essayant de reprendre son souffle, mais je suis assez fort à ce jeu-là.

- Qui te dit que tu as gagné ? répliqua-t-elle en plantant son regard dans le sien.

Sirius voulut lui faire remarquer qu'elle n'avait aucun moyen de récupérer sa carte vu sa position, mais il n'en eut pas l'occasion.

Judy venait de poser ses lèvres sur les siennes et il ne songea pas à la repousser.

A vrai dire, il ne pensa pas du tout.

Ses sens s'étaient brusquement réveillés et la tension de la bagarre venait de changer de forme.

Il s'était parfois dit qu'embrasser Judy serait une expérience intéressante et il avait raison : ses lèvres étaient douces, chaudes, incroyablement douées dans l'art d'embrasser. Leurs langues se découvraient dans un ballet sensuel qui le laissait avide. Leurs corps se répondaient parfaitement, comme s'ils vibraient sur un même temps, unis par une alchimie qu'il n'avait jamais goûté.

Sa prise d'immobilisation se transforma en étreinte et il eut vaguement conscience des mains de Judy qui se promenaient sur son corps comme si elles étaient déjà en terrain conquis. Elle l'obligea à basculer et il se laissa faire, ravi de retrouver une plus grande liberté de mouvement pour pouvoir approfondir un peu plus ce baiser.

Sauf qu'elle recula d'un pas.

Sirius rouvrit les yeux - qu'il ne souvenait pas d'avoir fermé - et perdit le contrôle de sa mâchoire quand il découvrit le sourire tordu de la jeune femme.

Avant qu'elle ne fasse jouer la carte qu'elle avait récupérée entre ses doigts.

- L'avantage d'être une fille, Black, c'est qu'on peut embrasser un beau garçon et garder la tête froide.

Elle haussa un sourcil équivoque et Sirius se contenta de se redresser avec nonchalance : il n'avait pas pour habitude de s'excuser après avoir cédé à une pulsion, et encore moins celle d'être gêné quand une femme repoussait ses avances.

De plus, quoi que puisse en dire Judy, il avait la très nette impression que son baiser avait été un peu trop enthousiaste pour n'être qu'une diversion et il n'allait pas la laisser s'en sortir à si bon compte.

- Tu m'as pris par surprise, dit-il en se rapprochant légèrement d'elle, ses yeux rivés sur son visage pour guetter la moindre de ses réactions.

- Un vrai séducteur n'est-il pas toujours prêt ? répondit-elle tout en croisant ses bras sur sa poitrine.

Sirius fut ravie de constater qu'elle ne se sentait pas aussi sûre d'elle que ses paroles le laissaient entendre. Il combla lentement la distance qui les séparait encore, lui laissant le temps de reculer tout en espérant qu'elle n'en ferait rien : la part de lui qui avait toujours trouvé Judy très attirante semblait avoir pris le dessus sur l'autre, qui se bornait à la considérer comme une simple amie. Le jeu avait changé : il n'était plus question de chahuter comme des enfants mais de savoir qui s'abandonnerait au désir le premier.

Judy resta immobile, plantée face à lui, le regard fixé au loin, semblant mettre un point d'honneur à rester stoïque.

Semblant mettre un point d'honneur à garder la tête froide.

Sirius s'amusa de son entêtement quelques secondes puis il repoussa les mèches de cheveux humides qui collait à sa joue gauche, s'attardant à peine plus longtemps que nécessaire.

Malgré ses résolutions, elle tressaillit quand leurs peaux se touchèrent et Sirius dut faire appel à tout son self-control pour ne pas l'embrasser sur le champ.

Il effleura son épaule du bout des doigts, posa sa main à la naissance de ses côtes, retint de justesse un sourire quand il découvrit qu'elle respirait un peu trop vite pour quelqu'un d'impassible, puis commença à tracer de petits cercles innocents avec son pouce.

Elle pouvait s'écarter à tout moment, rien ne l'empêchait de le faire puis de lui asséner un de ses fameux coup de poings non homologués.

Elle n'en fit rien. Au contraire : Judy semblait avoir de plus en plus de mal à ne rien montrer et il l'entendit déglutir difficilement quand il se pencha vers elle, stoppant ses lèvres à quelques millimètres des siennes au prix d'un immense effort.

Judy se tendit tout à fait et serra les paupières, comme pour rassembler courage et maîtrise d'elle-même.

- Tu es toujours une fille, chérie, mais j'ai l'impression que tu…

Judy l'embrassa sauvagement, mordant ses lèvres pour se venger. Sirius raffermit aussitôt son bras autour de sa taille et l'attira au plus près de lui, bien décidé à lui prouver à quel point il pouvait lui faire perdre la tête…

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