
Chapter 1
«… Dream, send me a sign
Turn back the clock, give me some time
I need to break out and make a new name
Let's open our eyes to the brand new day
It's the brand new day… »
(Brand New Day - Ryan Star)
Lundi 7 Avril 1980, Londres.
De nombreux passants se croisaient dans les rues de Londres en ce début de printemps : touristes et habitants profitaient du soleil pour se balader. Toutefois, les visages n'étaient pas aussi détendus qu'ils auraient dû l'être et beaucoup laissaient traîner des regards méfiants autour d'eux. Les nombreux attentats qui secouaient le pays depuis maintenant plus de cinq ans pesaient de plus en plus sur le morale des habitants du Royaume-Uni.
Sirius Black ralentit en douceur alors qu'il se rapprochait de sa destination. Il réajusta la paire de lunettes de soleil sur son visage, offrant un sourire charmeur à un groupe de filles qui marchaient sur le trottoir à sa gauche, et savoura les regards appréciateurs qu'elles lui lancèrent en retour. Il tourna finalement à droite, une centaine de mètres plus loin, puis s'engagea dans une ruelle étroite bordée par de nombreuses poubelles. Sirius plissa le nez alors que l'odeur pestilentielle devenait presque insupportable puis immobilisa son bolide devant une impressionnante porte métallique largement attaquée par la rouille. Il sortit sa baguette de sa veste pour donner plusieurs coups sur le battant. Une sonnerie stridente résonna au loin mais il lui fallut patienter plusieurs minutes avant qu'un discret panneau ne s'ouvre, laissant deviner le seul œil valide de Max.
- Ah, c'est toi Black, grogna-t-il en articulant à peine. Qu'est'c'tu veux ?
- J'ai des soucis de moteur.
- Pas de mon ressort, j'te l'ai d'jà dit. Va voir un mécano.
- Et je donne ton adresse au moldu pour que tu lui expliques pourquoi ma moto vole ?
Max marmonna quelque chose d'incompréhensible avant de céder et d'ouvrir la porte de son atelier. Sirius se retrouva face à un homme qui lui arrivait à peine à l'épaule : Max ne payait pas de mine avec son jogging usé jusqu'à la corde, sale et trop grand pour lui. Ses cheveux gras, son habitude de renifler plutôt que de se moucher, ses mains noircies et son œil borgne donnait l'impression qu'il était un clochard de plus dans la métropole européenne. Sirius avait aussi pensé ça, la première fois que Mondingus Fletcher lui avait présenté Max…
Il savait désormais que cette apparence de rustre mal dégrossi cachait un sorcier dont le talent pour enchanter les objets moldus frôlait le génie.
- Pose ta bécane dans un coin, j'verrais c'que j'peux faire. J't'enverrai un hibou quand ce s'ra bon.
Sirius haussa un sourcil et dévisagea l'homme :
- Mais j'en ai besoin de ma moto !
- T'es pas mon seul client, Black.
- Vu le prix que je t'ai payé, je suis certainement ton meilleur client. Tu pourrais faire un effort !
Max lui lança un regard sombre :
- J'suis occupé avec la d'moiselle là-bas. Ta famille t'a appris à être galant, non ?
Sirius faillit rétorquer qu'il avait pour principe de ne jamais faire ce que ses parents lui avaient inculqués, mais ses yeux venaient de se poser sur la cliente de Max alors que la jeune femme s'approchait d'eux.
Légèrement plus petite que lui, elle était toute de cuir vêtue, à la manière des motards moldus que Sirius avait déjà fréquenté, et cette tenue mettait parfaitement en valeur sa silhouette élancée. De longues mèches blondes encadraient un visage au menton légèrement pointu. Sirius s'attarda sur ses lèvres carmin, s'empêcha de trop fixer le léger décolleté que laissait deviner sa veste entrouverte et s'obligea à la regarder droit dans les yeux. Elle avait de très beaux yeux bleu nuit.
- Il y a une problème ? demanda-t-elle avec un fort accent américain.
Max jura entre ses dents, comme souvent, mais continua à le fixer d'une oeillade particulièrement sombre.
- Black, c'est à prendre ou à laisser.
Sirius soupira mais se résigna à laisser sa moto. Il avait eu beaucoup de mal à la démarrer ce matin et le moteur avait eu plusieurs ratés depuis…
- Très bien. Mais tu ne fais pas traîner ça aussi longtemps que la dernière fois, pigé ?
Max grogna un « d'accord » puis fit de nouveau face à la jeune femme. Sirius alla déposer son engin près de l'atelier de l'homme avant de quitter le vieil abattoir désaffecté, laissant le soin à Max de fermer derrière lui. De nouveau piéton, il transplana aussitôt dans la ruelle.
…
Lundi 7 Avril 1980, Manoir Lestrange.
Bellatrix fixait le plafond de son somptueux lit à baldaquin avec hargne tandis que son Médicomage personnel déployait une longue série de sortilèges sur son corps. Elle détestait être ainsi allongée, sans défense, auprès d'un homme qui la couvait de regards où se lisaient de la pitié. Elle était peut-être une femme mais elle était loin d'être faible ou fragile. Elle était Bellatrix Lestrange son nom était craint dans le monde sorcier et particulièrement respecté parmi les Mangemorts. Pourtant, elle avait parfois l'impression d'être la plus faible de toutes les femmes, surtout quand elle recevait ses soins quotidiens afin d'augmenter sa fertilité.
- Vous devriez essayer de vous détendre, Lady, dit l'homme avec douceur.
Bellatrix eut un rictus froid et se retint de justesse de ne pas saisir sa propre baguette pour le soumettre à une séance de Doloris jusqu'à ce qu'il en oublie son nom. Etait-il idiot à ce point ?! Ne comprenait-il pas qu'elle le haïssait, lui et toute sa science, et que rester dans la même pièce que lui était un supplice ? Elle n'aurait jamais dû avoir à vivre cela. Elle était Bellatrix Lestrange. Elle était une Sang-Pur, elle était l'aînée des trois sœurs Black ! L'héritier qu'elle se devait de donner à son mari aurait dû naître depuis des années. A l'heure actuelle, il aurait commencé à recevoir ses premières leçons et se préparer à occuper la place de choix qui lui reviendrait dans la société que le Maître allait créer.
Oui, cette situation était aberrante. Tous ces spécialistes qui se penchaient sur son dossier comme si elle était le sujet d'une expérience particulièrement intéressante. Tous ces médicomages qui ne faisaient que jouer avec elle, entretenant son espoir d'être un jour mère, sans qu'aucun signe d'une grossesse ne se laisse deviner.
Pourtant, Bellatrix savait que l'homme près d'elle - un grand ponte tout droit venu d'Allemagne - était son ultime chance. Alors elle serrait les poings et tentait de se convaincre que ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Elle finirait par être récompensée de ses efforts. Tous ces régimes, ces potions, ces exercices et ces examens. Tout cela finirait par payer. Il n'y avait pas d'autre issue possible.
Il lui fallait cet enfant.
- Voilà, c'est terminé Lady. Restez tranquille une bonne heure et n'oubliez pas de prendre vos potions.
- Merci, Médicomage, souffla-t-elle pour toute réponse même si ces mots lui arrachaient la gorge.
L'homme prit congé et Bellatrix se redressa légèrement :
- Numéro 1 !
Son Elfe de Maison se matérialisa aussitôt à ses côtés et attendit ses instructions en prenant bien soin de ne pas la regarder.
- Je veux un thé ! Ensuite, tu referas ma manucure. Je vois le Seigneur des Ténèbres ce soir.
L'Elfe s'exécuta aussitôt et Bellatrix saisit le grimoire de Magie Noire sur sa table de chevet.
…
Lundi 7 Avril 1980, Chaudron Baveur, Londres.
Sirius entra dans le Chaudron Baveur d'un pas assuré et salua Tom d'un signe de la main, comme à son habitude. Il louvoya entre les différentes tables tristement vides et parvint jusqu'au fond de la salle où Remus, Peter et James étaient déjà installés.
- Vingt-sept minutes de retard ! s'exclama Lunard en le voyant arriver. Pet', tu remportes la mise cette fois-ci !
Queudver se rengorgea et ramassa les quelques Noises qui traînaient sur la table. Sirius dévisagea ses amis un à un, peinant à croire ce qu'il voyait. Depuis quand pariait-on sur son dos ?!
- C'est un plaisir de faire affaire avec vous deux.
- Bonjour Sirius ! intervint-il finalement d'une voix maussade. Content de te revoir ! Comment vas-tu ? Très bien et vous ?
- Je t'en prie, Pat', fais pas ton rabat joie, répliqua James. Tu n'as qu'à arriver à l'heure.
Sirius aurait bien voulu argumenter mais il savait très bien que c'était un combat perdu d'avance : la ponctualité n'était pas son fort. Il s'installa en face de son frère de cœur et commanda une Bièraubeurre.
- Alors, quoi de neuf les gars ? demanda-t-il une fois que sa boisson fut devant lui.
James lui adressa un regard affable et Peter haussa les épaules.
- J'ai trouvé un boulot, annonça Remus.
- Génial, Lunard ! Et alors ? C'est quoi cette fois ?
- Déménageur chez les moldus.
- Les moldus emploient des gens pour salir leur maison ? s'étonna-t-il.
Remus éclata de rire et sa remarque réussit à dérider James l'espace d'une seconde.
- Je vais aider les moldus à déménager. Mettre toutes leurs affaires dans un camion et les décharger dans leur nouvelle maison.
- Ah… Tu vas te faire les muscles en gros ?
- On peut voir ça comme ça.
Sirius détailla son meilleur-ami du coin de l'oeil : Remus lui rendait dix bons centimètres et presque autant de kilos. Son teint maladif et les nombreuses mèches blanches qui éclaircissaient ses cheveux châtains avaient beau donner l'impression qu'il était fragile, Sirius avait appris à se méfier. Car quand l'homme laissait la place au loup-garou, Remus devenait mortellement dangereux.
- Je vais peut-être me remettre au Quidditch, convint Sirius. Je ne tiens pas à mourir lors de la prochaine pleine lune.
Un silence inhabituel s'installa ensuite et Sirius ne tarda pas à trouver ce qui clochait : d'ordinaire, James et lui se chargeaient de sortir les deux autres de leur réserve. Leur discussion finissait toujours pas se transformer en chamaillerie bon enfant que Remus arbitrait et que Peter commentait… Aujourd'hui, James Potter fixait son verre avec hargne - comme si la Bierraubeurre qu'il contenait s'était rendue coupable d'un affreux crime - et ne semblait pas décidé à ouvrir la bouche. Avant de commencer à s'inquiéter, Sirius tenta de trouver une réponse chez ses deux autres amis : Peter haussa les épaules en signe d'ignorance et Remus lui fit une grimace qui sonnait comme « Aucune idée de ce qui cloche. Tu veux bien demander ? ».
- Potter, on peut savoir pourquoi tu fais la gueule ?
James se redressa, le visage sombre, mais croisa les bras sur son torse pour indiquer qu'il ne répondrait pas.
- Charmant. Dois-je te rappeler que je suis le plus têtu de nous deux ? Je finirais par te faire céder alors ne nous fais pas perdre notre temps.
Son frère de cœur resta sans réaction et Sirius se pencha vers lui, les yeux plissés pour essayer de lire ses pensées sans y parvenir : quoiqu'il en dise, il y avait des jours où James savait lui résister. Toutefois, dans ce genre de situation, Sirius avait développé une technique imparable :
- Lily a décidé de te quitter, pas vrai ? Bébé ou pas, je savais bien que ça ne pourrait pas marcher entre vous… Tu…
- Tout va très bien entre Lily et moi !
- Ah ! Tu parles ! Si c'est pas Lily le problème, c'est quoi ? Le bébé ?
James se rembrunit plus que de raison et Sirius sentit l'inquiétude monter d'un coup, tel un monstrueux coup au cœur.
- Le bébé va bien, n'est-ce pas James ? intervint Remus avec douceur.
- Il est en pleine forme… Pour l'instant.
L'amertume dans sa voix ne pût leur échapper et Sirius échangea un regard lourd de sens avec Lunard et Queudver. La raison de la mauvaise humeur de James était limpide mais malheureusement, ils ne pouvaient rien faire pour arranger le problème. Depuis leur sortie de Poudlard, le couple Potter avait plus d'une fois fait la une de la Gazette du Sorcier en s'opposant publiquement à Lord Voldemort, n'hésitant pas à appeler le monde sorcier à la résistance. Leur hostilité affichée leur avait valu la haine inconditionnelle du Seigneur des Ténèbres, et avec elle une menace de mort. Par trois fois déjà, James et Lily avaient croisé la route de Voldemort lors des attaques de Mangemort à travers le pays et par trois fois, ils s'en étaient sortis avec quelques bleus et une envie encore plus forte de faire tomber leur ennemi.
La grossesse de Lily avait tout changé.
Bien sûr, pas au début. Les premiers mois, James avait continué à aider l'Ordre comme il le faisait depuis leur sortie de Poudlard. Une de ses missions avaient toutefois mal tournée. L'intrépide Gryffondor avait bien failli perdre la vie lors d'un duel avec Bellatrix Lestrange et Lily lui avait fait comprendre à grand renfort de cris et de larmes que ni elle, ni lui ne pouvaient risquer leur vie : ils devaient penser à leur enfant.
Cela s'était passé un mois auparavant et Sirius savait à quel point la situation lui pesait pour être l'oreille attitrée qui écoutait ses sempiternelles plaintes, mais aussi loin qu'il était concerné, il préférait que son meilleur-ami soit de mauvaise humeur et vivant.
- C'est ça alors ? Y'a eu du changement depuis la semaine dernière ?
- Non, grogna James.
- Tu me rassures ! Tu deviens bon tu sais ? Pendant dix secondes j'ai cru à ta crise existentielle !
James le fusilla du regard et il haussa un sourcil, nullement impressionné.
- Tu veux qu'on échange nos vies, Cornedrue ? proposa Peter. C'est quand tu veux ! Je rêverais d'être beau, riche, marié et sur le point de devenir père.
- Toi au moins, tu peux faire ce que tu veux…
- Vraiment ? Tu es le seul à croire que travailler aux Archives du Ministère est un passe temps, Potter.
- Peter a raison, Jamesie, ta vie n'est pas si horrible que ça. Remus a dix fois plus de raisons de se plaindre et il ne le fait pas.
- Un point pour Sirius, renchérit Remus. Cette histoire finira par se tasser, James… Dumbledore a promis de vous trouver un endroit sûr une fois que le bébé sera là.
- Et puis tu sais bien qu'on va lui botter le cul à ce dégénéré, conclut Sirius pour mettre à un terme à cette conversation.
James soupira.
- Sérieux Potter ! Imagine, ma moto est en panne, toute ma famille veut ma mort et mon propre frère est passé Mangemort ! Tu as une vie de roi !
- Pourquoi est-ce que tu es toujours obligé de tout ramener à toi ?
- Parce que pendant que tu me détestes, tu arrêtes de te plaindre et je t'assure que ça n'a pas de prix.
James finit par éclater de rire et l'ambiance s'allégea considérablement. Sirius paya une nouvelle tournée de Bierraubeurre tandis que Peter les régalait des ragots qui circulaient au Ministère de la Magie, puis le sujet de la grossesse de Lily revint sur le tapis. Sirius fut à nouveau ravi d'apprendre que tout se passait pour le mieux et il eut beau tout tenter, James ne leur donna aucun indice sur le prénom du bébé.
…
Lundi 7 Avril 1980, Manoir Rosier.
Bellatrix fit disparaître la cendre qui s'était accrochée à sa cape noire et prit le temps de s'arrêter devant le large miroir de la magnifique entrée du Manoir Rosier. Elle réajusta les quelques mèches que son voyage avaient déplacé et sourit, satisfaite de l'image qu'elle voyait. Ses cheveux d'un noir de jais relevés en un chignon compliqué mettait parfaitement en valeur le dessin de sa mâchoire, ses lèvres paraissaient plus charnues grâce à un savant maquillage et elle n'avait pas lésiné sur le mascara pour rendre son regard plus sombre encore. Bellatrix Lestrange était belle, elle le savait, mais cela n'était pas suffisant quand elle rencontrait le Maître.
Il fallait qu'elle soit parfaite.
Rodolphus finit par apparaître à son tour et elle attrapa le bras qu'il lui tendait avant de s'engager vers le couloir menant à la salle de réception.
Bellatrix détailla la décoration des lieux et laissa une moue ironique jouer sur ses traits : elle détestait la manie des Rosier d'étaler leur argent. Ici, des tableaux hors de prix côtoyaient des lustres de cristal et des tapis luxueux. Elle parvint finalement à destination et se glissa à sa place autour de la longue table. Rodolphus tira sa chaise pour elle et s'installa à ses côtés, plus loin du maître qu'elle ne l'était.
Le Seigneur des Ténèbres apparut devant eux avec sa soudaineté habituelle. Elle le détailla du coin de l'oeil, sans jamais oser fixer son visage plus d'une fois à chaque réunion, même si la tentation était grande. Lord Voldemort était un homme séduisant, au regard aussi sombre que le sien, qui tranchait avec sa peau diaphane. Ses traits nobles clamaient son rang de Sang-Pur et sa belle carrure renforçait l'impression de force qui se dégageait de lui. De toute façon, Bellatrix songeait souvent qu'il aurait pu être difforme, l'aura qui se dégageait de lui aurait suffi à le lui faire oublier. Une fois de plus, elle sentit un étrange frisson naître au niveau de son ventre et remonter le long de son corps pour exploser sous la peau fine de son visage, lui donnant l'impression qu'il était en feu.
- Comme vous le savez tous, notre communauté doit changer de Premier Ministre à la fin de la semaine. Malgré tous nos efforts pour placer un de nos sympathisants au pouvoir, certains d'entre vous savent que Millicent Bagnold reste la candidate favorite depuis que Dumbledore lui a apporté son soutien. Je crois donc que nous allons devoir passer à la vitesse supérieure afin de débarrasser notre classe dirigeante des amoureux des moldus.
Un murmure d'approbation traversa la table. Bellatrix se redressa imperceptiblement et attendit la suite. A force de s'abstenir à ne pas le dévisager, elle avait appris les modulations de sa voix par cœur. Elle aurait mis sa baguette à brûler qu'un grand projet était en préparation.
- Une fois au pouvoir, Bagnold mettra tout en œuvre pour arrêter et c'est pourquoi il va être essentiel que nous frappions les premiers !
Bellatrix approuva l'idée du Seigneur des Ténèbres tandis que le goût métallique du sang la faisait frisonner d'anticipation. Elle aimait plus que tout servir la Cause en tuant ces moldus et ces Sang-de-Bourbes. Quand elle le pouvait, elle leur réservait une mort lente et douloureuse, pour qu'ils aient le temps de comprendre ce qui les attendait. Rien n'égalait leurs suppliques quand ils ne désiraient plus qu'une chose : qu'elle les achève. Jamais elle n'acceptait. Jamais elle ne se rabaisserait à satisfaire ces êtres. Ils périssaient sous ses Doloris, ou saignés comme des porcs. Plus l'agonie était longue, plus Bellatrix était satisfaite, et elle savait que le Maître aimait quand elle laissait de véritables scènes de carnage derrière elle.
- Je vous expliquerais votre rôle un à un plus tard, reprit le Seigneur des Ténèbres. En attendant, je veux entendre où en sont les diverses missions que je vous ai confiés.
Bellatrix se renfrogna légèrement à l'idée de ne pas en apprendre plus aujourd'hui mais sa déception ne dura pas tant les nouvelles qui suivirent témoignaient de leur succès à venir.
Tout n'était plus qu'une question de mois et elle avait hâte.
…
Lundi 7 Avril 1980, Londres.
Sirius s'installa au bar d'un pub moldu qui avait l'avantage de servir des repas à n'importe quelle heure de la journée. Il commanda des lasagnes au serveur et se perdit dans la contemplation de la salle. Le pub accueillait généralement des hommes d'un âge avancé qui passaient leur soirée à s'enfiler pinte sur pinte en jouant aux cartes. Sirius avait appris à quitter les lieux dès que le volume sonore montait, après s'être fait copieusement insulté par un poivrot un peu trop éméché. Le reste des clients étaient pour la plupart des personnes seules qui venaient ici pour les mêmes raisons que lui.
Une assiette fut déposée devant lui, agrémenté d'une grimace de la part du cuistot, et Sirius commença à manger sans plus faire attention à ce qui se passait autour de lui. Ses pensées retracèrent sa journée : James n'était pas resté longtemps au Chaudron Baveur, pour des raisons évidentes de sécurité. Sirius trouvait malin que son meilleur-ami donne à l'ennemi l'impression qu'il continuait à vivre normalement pour ne pas encourager Voldemort à le suivre au train, mais cette manie avait ses inconvénients et James était devenu le plus grand courant d'air de toute l'Angleterre. De toute façon, Sirius avait été d'astreinte toute la soirée pour surveiller l'Allée des Embrumes et avait donc abandonné Remus et Peter de bonne heure.
- C'était le carburateur.
Sirius, surpris alors qu'il venait de prendre une bouchée de son plat, manqua de s'étouffer. Toussant comme s'il allait mourir, il tourna la tête vers la personne qui venait de lui parler et faillit ne pas reconnaître la fille qu'il avait croisé chez Max à cause des larmes qui brouillaient sa vue. Il réussit à se calmer après une longue minute et avala une gorgée de bière avant de parler.
- Je te demande pardon ? coassa-t-il difficilement.
La fille eut un sourire tordu.
- Ta moto. C'était le carburateur qui était mort. Max a réussi à le bidouiller mais si j'étais toi, j'en commanderai un autre dès que possible.
Sirius resta un long moment à dévisager la jeune femme près de lui. Elle avait troqué sa tenue de motarde pour une veste en jean et une robe d'un rouge sombre resserrée à la taille qui mettait en valeur son léger bronzage. Il avisa ses ongles manucurés et son maquillage travaillé sans réussir à faire coller cette image à l'idée qu'il avait des moldus qui réparaient habituellement des motos.
- Tu me fais marcher, pas vrai ? marmonna-t-il.
- Pourquoi tu me demandes ça ?
- Parce que t'as pas la tête de l'emploi.
- Parce que je suis une fille ?
- Ouais… Une fille canon en plus.
Elle haussa les sourcils, le dévisagea à son tour, puis éclata de rire en secouant la tête.
- Quoi ?
- Rien… dit-elle en faisant tourner les glaçons au fond de son verre. Je suis étonnée, c'est tout. On m'avait dit que les anglais étaient plus réservés que ça.
- Le parfait gentleman, ça n'a jamais été mon truc.
- Je les trouve chiants aussi.
Ce fut à son tour de rire et elle lui glissa un clin d'oeil complice. Sirius reprit une bouchée de son plat déjà presque froid, tout en songeant que cette fille lui plaisait vraiment bien.
- Tu vas prendre un dessert après ça ?
- C'est un interrogatoire ?
- Non. J'essaye de savoir comment je peux te remercier pour ce matin.
- Qu'est-ce que j'ai fait ce matin ?
Elle ne répondit pas tout de suite et Sirius sentit sa curiosité grandir. Cette fille l'intriguait. Finalement, elle se pencha vers lui avec une mine de conspiratrice qui lui allait très bien.
- Disons que grâce à toi, j'ai pu négocier le prix des services de Max en échange d'un peu de mécanique sur ta moto.
- Il n'a pas dû aimer ça.
- Pas vraiment. Mais les affaires sont les affaires.
Sirius rit à nouveau en pensant à la tête que Max avait dû faire et à la bordée de jurons qui avait dû accompagner la sortie de la fille. Max était un génie mais Max aimait l'argent. Un peu trop d'ailleurs.
- Tu as un nom ?
- Sirius. Et toi ?
- Judy.
- C'est très joli.
- Je suis sûre que tu dis ça à toutes les filles.
Sirius choisit de ne pas répondre et avala la dernière bouchée de son plat. Judy ne sembla pas dupe face à son manège sans toutefois s'en offenser.
- Alors, où as-tu déniché ta vieille dame de moto ?
- Elle était à mon Oncle. Je l'ai trouvée en rangeant son sous-sol… Ça m'a pris pas mal de temps pour la remettre en état.
Elle eut une grimace et son regard désolé inquiéta Sirius au plus au point.
- Il n'y a pas que le carburateur qui est mort, c'est ça ? gémit-t-il.
- Et bien… Je crois que cette vieille Bonnie n'a pas vraiment apprécié de passer entre les mains de Max.
Sirius déglutit difficilement : il avait sa moto depuis sa sortie de Poudlard et il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. C'était sa fierté, le symbole de sa rébellion contre sa famille… Elle ne pouvait pas le lâcher !
- Et on peut encore faire quelque chose ?
Judy prit le temps de réfléchir avant de répondre :
- Il faudrait sans doute changer beaucoup de pièces. Et doper un peu le moteur. Mais si tu ne la pousses pas trop dans les tours, elle devrait survivre à sa reconversion.
Sirius soupira de soulagement.
- Tu as l'air de savoir de quoi tu parles.
- Mon père est un Biker. Quand j'étais petite, il ne m'emmenait pas au parc faire de la balançoire, il me prenait avec lui dans son garage et me donnait des cours de mécanique.
Le serveur revint vers eux à ce moment-là et débarrassa son assiette. Judy en profita pour commander deux verres de whisky.
Sirius profita de la diversion pour deviner ce que pouvait être un Biker mais ses connaissances en matière de moldus n'étaient pas si vastes qu'il se plaisait à le dire. Il regrettait parfois de ne pas avoir choisi Etude des Moldus en troisième année. Bien sûr, il aurait raté tous les fous rires que James, Peter, Remus et lui avaient eu en Divination, mais il aurait eu moins souvent l'air idiot.
- Et c'est quoi un Biker, exactement ?
Elle le dévisagea avant de répondre, comme si elle cherchait un détail qui lui aurait échappé.
- Quelqu'un qui fait parti d'un groupe de motards. En général, ils ne vivent que pour leur moto.
- Cool !
- Je suppose que c'est une histoire de point de vue, marmonna-t-elle.
Sirius comprit que le sujet était épineux et changea aussitôt de discussion :
- T'es en vacance à Londres ?
- Pas vraiment… Je suis venue ici pour acheter ma première moto. Max doit me la modifier et comme ça risque de prendre un certain temps, je vais rester dans le coin jusqu'à ce qu'il ait terminé. Je devrais trouver un boulot quelque part.
- Je ne veux pas être pessimiste mais ça embauche pas beaucoup sur le Chemin de Traverse à cause de notre monomaniaque national.
Elle haussa les épaules et ne réagit pas à la mention de Voldemort.
- Les moldus embauchent, eux. Je suis sûre que j'aurais trouvé une place d'ici demain soir.
Sirius fut légèrement surpris par sa réponse mais n'insista pas. Outre le fait que ce n'était pas ses affaires, Judy semblait savoir ce qu'elle faisait.
Finalement, le premier verre qu'ils avaient partagé ne fut pas le dernier et Sirius ne se lassa pas de discuter moto, mécanique et conduite. Quand il rentra chez lui cette nuit-là, il réalisa qu'il s'était comporté avec Judy comme il le faisait avec les Maraudeurs, ce qui ne lui était jamais arrivé avec une fille, Lily exceptée.
S'il avait été moins fatigué et moins assommé par l'alcool, il se serait sûrement interrogé sur cet étrange état de fait mais déjà, il s'écroulait dans son lit.
Le sommeil l'emporta aussitôt.