
Appâter Slughorn
Severus avait méticuleusement élaboré son plan, s’attachant à chaque détail comme un alchimiste à sa formule la plus précieuse. Il arpentait lentement sa salle de classe des cachots, les pas feutrés dans le silence, le regard perçant balayant chaque paillasse, chaque chaudron, et chaque fiole. Ici, l’odeur du soufre et des herbes rares se mêlait aux ombres tremblotantes des torches, créant une atmosphère pesante, presque solennelle. C’était précisément dans cette ambiance que Severus espérait tisser la toile de son subterfuge.
Il avait sélectionné, pour ce cours en apparence ordinaire, la confection d’une potion d’enflure, normalement réservée aux élèves de deuxième année. Une tâche simple pour lui, une formalité même, mais une montagne infranchissable pour les élèves de première année, et notamment pour les Poufsouffle, que Severus savait moins aguerris face aux exigences techniques des potions délicates. Pour ces jeunes sorciers encore inexpérimentés, les erreurs seraient inévitables : explosion de chaudrons, potions aux reflets étranges, fumées inquiétantes, autant de signes d’un désastre annoncé.
Pour Severus, l’enjeu était ailleurs. Cette mise en scène orchestrée servait une cause bien plus grande : arracher à Slughorn des informations cruciales sur Voldemort. Le vieux maître des potions savait des choses, c’était certain, des secrets qu’il taisait derrière son sourire chaleureux et son amour des bonnes choses. Severus n’était pas dupe et comptait bien exploiter les faiblesses du professeur, quitte à mettre son propre orgueil en veilleuse, juste un instant.
Il n’avait nullement l’intention de se ridiculiser ou de se faire passer pour un incompétent. Non, il conserverait un masque de sérieux, un air de rigueur, celui d’un professeur un brin trop ambitieux avec des attentes démesurées. Cela suffirait pour attirer l’attention de Slughorn, qui ne pourrait s’empêcher de se pencher vers lui, de lui prodiguer des conseils en toute bienveillance. Il imaginait déjà son ancien professeur, le regard pétillant de fausse modestie, lui confier quelques astuces pour « faciliter la tâche » des élèves, un peu comme s’il prenait Severus sous son aile pour l’aider à se modérer. Severus se contenterait de hocher la tête, l’air pensif, alors qu’il préparait chaque mot de leur future conversation avec la précision d’un duelliste, prêt à déjouer toutes les défenses de Slughorn et à en soutirer chaque information essentielle.
Lorsque les élèves commencèrent à entrer dans la salle, Severus se redressa et fixa la porte d’un air impénétrable. Les premiers à franchir le seuil furent des Serdaigle, impeccables et silencieux, suivis de près par un groupe de Poufsouffle un peu plus agités. Severus attendit que chacun ait pris place, observant discrètement leurs visages juvéniles, leur nervosité palpable. Il le savait : face à cette potion d’enflure, leur inexpérience les trahirait, et c’était précisément ce qu’il espérait.
Une fois le dernier élève assis, il entama le cours, d’une voix lente et grave.
- Aujourd’hui, annonça-t-il en accentuant volontairement sur chacune des syllabes, vous allez préparer une potion d’enflure. Cette potion demande une maîtrise que, soyons honnêtes, la plupart d’entre vous n’atteindront jamais à la fin de l’année, voire absolument pas.
Comme il s’y attendait, un élève de Serdaigle osa lever la main. Il savait déjà ce qu’il dirait.
- Monsieur ? Il me semble que la potion d’enflure n’est pas au programme de cette année.
- Qu’ai-je dit sur l’utilisation du manuel ? C’est moi qui fais le programme, répondit Severus sur un ton acerbe.
L’élève baissa les yeux et se tut définitivement. Le regard de Severus passa lentement sur les rangs. Plusieurs élèves échangèrent des œillades anxieuses, tandis que les plus confiants prenaient leurs plumes, prêts à noter chaque instruction. Severus eut un sourire en coin, imperceptible. La crainte sur leurs visages lui procurait un sentiment de toute puissance. Lily le blâmerait certainement, mais la fin justifiait les moyens pour le plus grand bien.
- Suivez mes instructions à la lettre, continua-t-il en désignant d’un signe de tête le tableau. La moindre imprécision, le moindre écart de concentration… et vos chaudrons deviendront des bombes prêtes à éclater. Ce n’est pas un exercice pour les cornichons.
Alors qu’ils commençaient, Severus parcourait les rangs avec une lenteur calculée, observant leurs gestes, notant leurs erreurs sans intervenir. Quelques Poufsouffle s’y prenaient déjà mal, ajoutant trop ou pas assez d’ortie dans leur mortier, écrasant mal les yeux de poisson… C’était pourtant un jeu d’enfant. S’il n’attendait pas après un désastre, Severus aurait copieusement rappelé à l’ordre ces quelques élèves inattentifs.
Les minutes s’égrainèrent et une légère fumée verdâtre s’éleva d’un des chaudrons, piquant le nez de ses voisins. Severus retint un soupir exaspéré, s’efforçant de garder une expression neutre, presque ennuyée, comme s’il assistait à un spectacle attendu, presque divertissant. Slughorn ne tarderait pas à passer dans le couloir, et bientôt l’un de ses fichus chaudrons déborderait, ou mieux… exploserait !
Severus n'eut pas à attendre longtemps. À peine quelques minutes plus tard, un gargouillement sinistre résonna dans un coin de la salle, suivi par un « boum » étouffé. Un épais nuage de fumée vert olive s’éleva d’un chaudron d’un élève de Poufsouffle, accompagné d’une odeur nauséabonde d’œuf pourri. La catastrophe qu’il attendait temps lui avait été livrée sur un plateau d’argent.
Severus jubilait intérieurement, mais il n’en montra rien, car les élèves autour de l’incident se mirent à tousser et à s’agiter. Severus leva lentement une main impérieuse, imposant le silence sans un mot. Il s'approcha du chaudron incriminé, son visage impassible et son regard noir glissant d’un élève paniqué à l’autre.
- Incompétence manifeste, Mr Billbucket, souffla le jeune enseignant sur un ton glacial. Les instructions étaient pourtant d’une simplicité déconcertante.
Billbucket, tétanisé, n’osa regarder dans les yeux Severus, préférant son désastreux chaudron. Severus plissa les yeux et fit un geste sec de la baguette pour atténuer la fumée.
- Vous avez de la chance, Mr Billbucket. Votre incompétence notoire vous a épargné…
Alors qu’il réprimandait l’élève, un mouvement dans l’ombre attira son attention. Comme prévu, Slughorn venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte, l’air alarmé, son regard scrutant la pièce en quête de l’origine de la perturbation.
- Severus, mon garçon, tout va bien ici ? demanda Slughorn d’une voix inquiète mais indulgente.
Le second miracle venait de se produire et Severus ne se formalisa pas de l’attitude quasi paternelle de Slughorn à son égard. Toutefois, il se redressa, affichant une mine faussement contrariée, comme s’il hésitait entre l’agacement et l’humiliation.
- Je crains que ses élèves soient atteints de crétinisme aigu, Horace.
Slughorn, sentant une occasion de jouer les mentors, entra dans la salle de classe sans y être invité et son regard s’attarda quelques instants sur le tableau où Severus avait inscrit les instructions de la potion du jour.
- Ambitieux, commenta le plus âgé des deux professeurs, un sourire sur les lèvres. Laissez-moi vous aider, mon cher Severus.
Slughorn s’approcha du chaudron qui émettait encore des volutes vertes et, devant toute la classe et Severus, il rectifia l’erreur de son auteur d’un coup de baguette précis. La mixture étrange concoctée par Billbucket avait complètement disparu.
Puis Slughorn vérifia chaque chaudron, gratifia les élèves de commentaires encourageants, voire élogieux pour certains. Enfin, il revint auprès de Severus qui était retourné près de son bureau, et, à voix basse, lui dit :
- Ce n’est pas le protocole du manuel, pas vrai ?
- En effet… J’expérimente.
- Et la fabrication de cette potion me semble un peu prématurée, d’autant plus qu’elle est au programme de deuxième année. Mon garçon, vous vous compliquez l’existence, ainsi que celle de vos élèves. Venez me voir dans mon bureau après votre cours. Je vous offrirai une bonne tasse de thé et nous en discuterons.
Le tout avait été dit avec un sourire affable qui aurait pu rendre Severus nauséeux dans des circonstances différentes. Slughorn salua chaleureusement les élèves et quitta la salle de classe.
Moins d’une heure plus tard, Severus frappa à la porte de son collègue qui l’invita à s’asseoir dans un fauteuil en cuir très confortable. Slughorn avait toujours aimé le confort et le luxe. Son bureau et son appartement étaient à son image, celle d’un mondain, d’un bon vivant.
Le jeune homme, qui regardait son ancien professeur lui verser une tasse de thé, était déterminé à gagner sa confiance, quitte à passer pour un enseignant novice en quête de conseils.
- Mon cher Severus, j’ai toujours su que vous deviendrez un potionniste méticuleux, exigeant, dit-il en lui en tendant une tasse. Quand Dumbledore m’a soumis votre nom pour alléger mon emploi du temps, j’ai de suite approuvé cette idée. Vous étiez mon meilleur élève avec Miss Evans…
Un voile de tristesse passa dans les yeux de Slughorn.
- Je devrais dire Mrs Potter… Quelle tragédie, vraiment… Je n’ose imaginer ce qu’elle traverse après avoir perdu son époux… et leur pauvre petit garçon. Je me souviens lui avoir écrit quelques semaines avant le drame, en mentionnant dans ma lettre que vous aviez été recruté à Poudlard… J’ai eu tant d’élèves, mais si mes souvenirs sont exacts… vous étiez amis, n’est-ce pas ? Ah, je m’en souviens ! Vous formiez un binôme inséparable, jusqu’à votre sixième année, où, pour une raison que j’ignore, vous avez pris des chemins séparés. C’était rare, un Serpentard et une Gryffondor travaillant ensemble… J’espère que ce n’était pas une brouille entre vous. Peut-être pourriez-vous me dire, cher Severus, comment Mrs Potter se porte-t-elle depuis cette terrible perte. Dumbledore reste bien silencieux sur ce sujet, mais puisque vous étiez proches, vous en savez peut-être davantage.
Severus n’avait pas envisagé que son plan puisse se retourner contre lui. Il était impératif que personne — surtout pas Slughorn — n’apprenne que Lily vivait sous son toit. Il ne pouvait pas non plus laisser filtrer qu’ils avaient renoué leur amitié. Si les soirées du club de Slug avaient eu une utilité, c’était bien celle de lui avoir appris que Slughorn correspondait régulièrement avec Barnabas Cuffe, le rédacteur en chef de La Gazette du Sorcier. La dernière chose qu’il souhaitait était de voir l’une de ses confidences étalée en première page du journal, compromettant ainsi la sécurité de Lily et de Harry.
- Malheureusement non, Horace. Mrs Potter et moi avons mis un terme à notre amitié à la fin de notre cinquième année. Je ne souhaite pas m’épancher sur les raisons de notre rupture.
- Vous m’en voyez navré, Severus. Les amitiés vont et viennent, hélas ! J’ai lu dans la Gazette quelques suppositions… Mais j’ai écrit à ce cher Barnabas Cuffe d’arrêter de publier des sornettes. Il a toujours pris en compte mon opinion et me sollicite de temps en temps quand il a besoin d’une idée pour un reportage.
Pour Lily, Severus était prêt à écouter Slughorn se vanter sur son carnet d’adresse bien rempli. Mais il devait à tout prix reprendre en main cet échange.
- Passons, mon cher Severus. Vous n’êtes pas venu ici écouter un vieillard nostalgique. Je voulais discuter avec vous de votre cours… Rassurez-vous, mon garçon, je vous ai trouvé brillant, mais un tantinet trop ambitieux.
- Vous avez sans doute raison, Horace, admit-il avec une humilité calculée.
Severus but une gorgée de son thé qui dégageait un arôme d’orange amère.
- Il faut savoir doser la difficulté, surtout avec les Poufsouffle, si impressionnables. Certains de ces jeunes ne tiendront jamais une fiole correctement sans un peu de... guidance, déclara Slughorn en s’esclaffant.
- Je comprends parfaitement, acquiesça Severus, impassible.
- Ah, Severus, voilà bien l’un des plus grands secrets de l’enseignement ! Il faut savoir doser... un peu comme dans les potions, vous voyez ? Parfois, il est inutile d’insister quand on sait que l’ingrédient est récalcitrant, dit-il en lançant un clin d’œil amusé. Je l’ai moi-même constaté quand vous étiez souffrant. Vos élèves ont besoin d’être guidés, surtout les Poufsouffle et en particulier Mr Billbucket… Une catastrophe ambulante, s’il n’est pas surveillé de près.
Severus esquissa un rictus sardonique… Pauvre Tommy Billbucket.
- Cependant, vous devez reconnaître, mon ami, que votre cours du jour était un peu trop ambitieux pour cette classe. Je sais, je sais… La potion d’enflure parait un jeu d’enfant pour des personnes qui ont l’instinct comme vous et moi, et quelques élèves doués… Mais pour les autres, pour ceux qui n’ont pas nos facilités dans ce domaine, il vaut mieux s’en tenir au programme… Hum… D’ailleurs, mon cher Severus, pourquoi vos élèves n’utilisaient pas le manuel aujourd’hui ?
- Pour des raisons pratiques et pédagogiques, j’ai décidé de m’en passer, Horace. Tout ce dont ont besoin mes élèves se trouve au tableau. S’ils ont besoin de renseignements supplémentaires, je les invite à me solliciter.
- Je ne me permettrai pas de vous critiquer sur ce point, mon garçon. J’ai trop souvent vu des élèves oublier leurs livres. Mais sachez qu’avoir son manuel à portée de main rassure certains élèves. Ils peuvent ainsi y glaner les informations dont ils ont besoin sans vous importuner alors que vous êtes occupé ailleurs.
- J’en prends note, Horace.
- Et entre connaisseurs, je voulais vous dire que j’ai été impressionné par le protocole que vous avez donné à vos élèves. Je n’étais pas convaincu au départ, mais je dois admettre – après y avoir réfléchi – que l’utilisation d’ortie séchée est tout fait pertinente. Bientôt, ce n’est plus vous qui viendrez me demander conseil, mais moi qui solliciterai votre expertise, mon garçon. Vous ne pouvez imaginer à quel point il est gratifiant de voir l’un de ses élèves devenir un véritable génie !
Le talent de Severus ne devait rien à Slughorn, loin s'en fallait. Et pourtant, le vieux professeur semblait convaincu que sa pédagogie avait éveillé le don de Severus pour les potions. Une fois de plus, le jeune homme se résigna à mettre son orgueil de côté pour attirer Slughorn dans sa toile.
- Je ne vous remercierai jamais assez d’avoir été un si bon professeur pour moi, Horace.
- Ce n’est rien, voyons ! répondit le vieil enseignant avec un sourire satisfait. Sachez que c’est un plaisir pour moi de vous apporter mon aide, d’autant plus que nous sommes collègues à présent !
Un sourire nouveau naquit sur les lèvres de Severus, celui de la victoire. Horace Slughorn semblait en effet prêt à l’accueillir, à répondre à ses questions et à l’écouter. Pourtant, il était inutile de précipiter les choses en dévoilant trop rapidement ses intentions. Fidèle à sa nature de Serpentard, Severus savait qu'il devait, tel un serpent, observer sa proie avec patience, l’hypnotiser par ses mots, avant de la faire succomber. Rusé était le second prénom de Severus.