
Premier mot
Severus n’approcha pas Horace Slughorn le lendemain. Il ne souhaitait nullement gâcher sa mission en suscitant les soupçons de celui qui avait été son professeur et qui était à présent son collègue. Horace Slughorn n’était peut-être pas l’homme le plus brillant qu’il connaissait, mais le nouvel enseignant jugeait qu’il avait tout intérêt à rester prudent. Si Dumbledore pensait que le directeur de Serpentard détenait une information capitale, alors Severus devait le croire.
Quand Severus était encore élève, Slughorn avait remarqué son talent pour les potions et l’avait encouragé à l’exploiter. Lui et Lily étaient les meilleurs dans ce domaine et avaient travaillé main dans la main pendant cinq années. Severus avait même été invité à rejoindre en cinquième année l’illustre club de son professeur : l’ultime consécration pour un pauvre gosse de Carbonne-les-Mines. Mais contrairement à Lily, qui savait briller en société, Severus ne s’y était pas senti à sa place. Slughorn, à l’occasion de ses réceptions, recevait dans son bureau du beau monde : commerçants, chercheurs, journalistes, écrivains, joueurs de Quidditch, duellistes, Aurors… Slughorn comptait même parmi ses relations le fondateur d’une chaîne d’apothicaires, mais aussi le directeur de Ste Mangouste. Severus avait même été poussé par son enseignant dans les jambes des deux hommes impeccablement vêtus. Slughorn avait chanté ses louanges, vanté ses mérites, sa créativité. Et Severus avait été incapable de parler, de dire le moindre mot aux deux hommes qui auraient pu lui garantir un avenir professionnel.
Severus avait toujours été un élève discret. Il n’avait jamais su se mettre en avant et ses origines étaient très modestes. Sa mère, Eileen, s’était illustrée en devenant la présidente du club de Bavboules, un passe-temps déjà considéré comme ringard au temps où elle était élève. Au moins, Slughorn avait décelé ses talents, lui qui n’avait jamais innové, ni fait de grandes recherches. Durant toute sa carrière académique, Horace Slughorn s’était contenté des mêmes manuels sans jamais déceler les aberrations qu’avaient pu écrire leurs auteurs. Il avait préféré s’entourer d’une cour d’élèves brillants et – surtout - issus des meilleures couches de la société, organiser des soirées mondaines au sein même de Poudlard. Slughorn n’avait jamais été un enseignant très attentif avec les élèves qui ne l’époustouflaient pas ou qui n’étaient pas liés à des sorciers et sorcières connus. Mais il avait vu Severus. Pourquoi ne s’était-il pas contenté de cela au lieu de rejoindre les Mangemorts ? Pourquoi n’avait-il pas joué le jeu des mondanités ?
*
Le vendredi, dès quatorze heures, Severus retourna chez lui après sa journée de cours et eut le déplaisir de retrouver Sirius Black avachi et roupillant dans son fauteuil. Quel toupet ! Il était censé veiller sur Lily et Harry, et non pas piquer un roupillon dans son fauteuil. Il était tenté de lui lancer un sort cuisant. Pour une fois Black était seul et non accompagné de ses chers amis qui avaient fait vivre un enfer à Severus. Mais en faisant cela, Severus passerait pour le méchant, le vilain… Et réveillerait le gamin. C’était sûrement l’heure de sa sieste.
- Je ne te dérange pas Black ?
Le crétin fit un bond et se réveilla. Un ours en hibernation aurait aussi été tiré de son sommeil, car Severus avait veillé à prononcer très fort les mots.
- Merde ! Je pensais que tu rentrerais plus tard…
- Et c’est une excuse ? Que fiches-tu dans mon fauteuil ? Et où sont Lily et Harry ? Tu dois les surveiller !
Ce fauteuil était le sien et il ne pouvait supporter que Black y pose son petit derrière. Sa présence dans sa maison était déjà une concession qui lui coûtait énormément.
- Calme-toi, répondit Sirius sur un ton désinvolte. Une question à la fois, veux-tu ? J’avais quelques heures de sommeil à rattraper, alors j’ai profité de la sieste du petit bonhomme pour dormir un peu. Lily est sûrement à l’étage, ou peut-être au grenier…
- Je me moque éperdument de tes excuses ! répliqua Severus sur un ton courroucé. Tu n’es pas ici pour dormir ou pour passer du bon temps !
Des pas précipités se firent entendre dans les escaliers et peu après une jeune femme rousse apparut dans le salon, l’air furieux.
- Quel est donc ce vacarme ? Je vous entends depuis le grenier ! Harry fait sa sieste !
- Je n’y suis pour rien, se défendit Sirius. Demande à ton ami hyper susceptible qui me prend pour un geôlier !
- Un geôlier ?! Vraiment, Black ?! s’offusqua Severus. Dumbledore t’a envoyé ici, chez moi, pour veiller à la sécurité de Lily et de son fils !
- Arrêtez de vous chamailler ! ordonna Lily.
Les deux hommes se turent et baissèrent les yeux.
- Bon sang ! reprit Lily. Vous n’êtes plus des gamins. Apprenez à être cordiaux l’un envers l’autre.
- Il dormait dans mon fauteuil, murmura Severus.
- Et alors ? Je suis là et j’ai toujours sur moi ma baguette. Aurais-tu préféré qu’il s’assoupisse dans ton lit ? Non, je ne le pense pas. Ce n’est pas le bagne ici !
Severus se ratatina, tandis que Black jubilait. Mais son triomphe fut de courte durée.
- Quant à toi, ajouta Lily à l’endroit de Sirius, je ne le répèterai pas deux fois. Arrête d’exciter mon fils avant sa sieste. C’est un bébé ! Pas un souaffle de Quidditch ! Quelle idée de le lancer en l’air alors qu’il doit dormir ! Tu as de la chance qu’il n’ait pas vomi son déjeuner sur toi.
- On ne faisait que jouer…
Severus ricana. Black n’avait vraiment aucune jugeote. Severus n’avait eu aucune expérience avec les bambins avant de rencontrer Harry, mais il savait au moins ça.
- On ne faisait que jouer, répéta avec sarcasme Lily. Tu n’imagines pas à quel point il est difficile de calmer et d’endormir un enfant quand il est excité.
Penaud, Sirius Black murmura un simple désolé. Severus était certain qu’il allait déguerpir et le laisser seul avec Lily. Mais Black décida de s’éterniser chez lui, alors qu’il avait des heures de sommeil à rattraper.
- As-tu trouvé ton bonheur dans le grenier ? s’enquit l’ancien Gryffondor en souriant.
- Que faisais-tu dans le grenier ? s’empressa de demander Severus.
Il regretta le ton abrupt qu’il avait employé, mais aussi la question quand il vit Lily pâlir. Il n’avait rien à cacher dans son grenier, et Lily s’y était déjà rendue pour dégoter quelques objets pour décorer le salon.
- Je suis désolée… J’aurais dû te demander, je te prie de m’excuser.
- Non ! s’exclama Severus, complètement confus. Je pensais simplement que tu avais pris dedans tout ce dont tu avais besoin. Tu peux te rendre au grenier quand tu le souhaites, sans me demander l’autorisation. Tu es chez toi, ici.
- Oh ! répondit en souriant Lily. Je voulais simplement voir si je trouvais quelque chose pour aménager le vestibule. Je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Je voulais d’ailleurs te parler d’un projet.
- Quel projet ? lança Black sur un ton soupçonneux.
De quoi je me mêle, pensa Severus. Ce type devait toujours fourrer son nez dans les affaires qui ne le concernaient pas.
- Le vestibule est vraiment trop petit. On ne peut même pas y placer un tout petit meuble, répondit Lily. Je me suis dit que nous pourrions abattre la cloison afin d’agrandir le salon.
- C’est… c’est une bonne idée, acquiesça Severus.
- Ça ne te gêne vraiment pas ?
- Je t’ai dit que tu pouvais faire tout ce que tu voulais de cette maison. Tu peux même repeindre les murs en rose chewing-gum si ça te chante.
- En rose ? Vraiment, Rogue ? persiffla l’enquiquinant visiteur.
Severus lui adressa un regard assassin. Il n’y pensait pas réellement. Il comptait sur le bon goût de Lily pour qu’elle ne le prenne pas au mot.
- Tu n’avais pas des heures de sommeil à rattraper, Black ? demanda Severus avec un sourire narquois.
- Je crois qu’on me met à la porte. Quel dommage ! Moi qui comptais voir Harry après sa sieste… Etant donné que Remus prendra la relève dès lundi, Merlin seul sait quand je le reverrai. Il aura sans doute grandi et ne me reconnaîtra plus.
Le ton était indécemment plaintif, et exagéré. Severus était persuadé que Black cherchait à le faire enrager et à gâcher les prémices de son week-end. Il avait espéré passer un peu de temps avec Lily, discuter avec elle jusqu’à la fin de la sieste de Harry. Ensuite, il aurait sans doute lu quelques articles du Mensuel des Potions à l’enfant. Puis le petit aurait mangé une petite collation pendant que Lily et Severus prendraient leur thé.
- Oh Sirius ! se moqua Lily. Durant toute la matinée, tu t’es plaint d’être fatigué. Severus est rentré tôt aujourd’hui. Tu pourrais en profiter pour aller dormir. Et je t’assure que tu reverras très prochainement Harry.
Black capitula après avoir baillé et s’en alla pour le plus grand plaisir de Severus.
- Si tu veux mon avis, Lily, Black a sûrement fait la fête la nuit dernière.
- Bien sûr que non ! s’offusqua Lily. Il y avait la pleine lune mercredi soir. Sirius a veillé sur Remus, qui était dans un état épouvantable, toute la nuit. Il s’est aussi occupé de lui hier dès son retour chez lui. Il était vraiment exténué.
S’il n’avait pas été en présence de Lily, Severus aurait certainement trouvé quelques vilaines plaisanteries sur l’état de santé de Remus.
- C’est vraiment peu charitable de ta part de penser de telles choses, poursuivit Lily. Les nuits de Sirius sont d’autant plus courtes qu’il a perdu… qu’il a perdu…
Et Lily éclata en sanglots. Mais quel crétin ! Severus se maudit de ne pas avoir su fermer sa bouche. Quand il s’agissait de Black, il perdait son sang-froid, mais aussi la raison. Bien évidemment que Lily n’était pas la seule à pleurer James Potter, Sirius Black le faisait également.
- Lily… je suis vraiment désolé. J’ai été vraiment stupide.
Son amie lui tournait le dos et continuait de pleurer. Naïvement, il avait cru que le plus gros du deuil était passé, mais ce n’était pas le cas. Après tout, Lily allait mieux, ne passait plus son temps devant la fenêtre à regarder la pluie tomber, ou les rats galoper sur les trottoirs défoncés. Mais c’était parce qu’elle se consacrait entièrement à la rénovation de la maison pour ne pas penser à son chagrin. Y songeait-elle dans son lit, la nuit quand toutes les lumières étaient éteintes ? James Potter n’était plus de ce monde depuis seulement treize jours. Si Lily avait trouvé la mort ce soir funeste, Severus ne s’en serait jamais remis et se serait terré dans les profondeurs des cachots de Poudlard.
Il hésita à l’approcher, mais il voulait sincèrement la réconforter. Severus n’avait jamais été très démonstratif, même avec Lily qu’il chérissait plus que tout. Ses émotions – qu’il dissimulait soigneusement – l’avaient trahi à trois reprises dernièrement : la nuit où il avait cru trouver le cadavre de Lily, puis quand il lui avait avoué ses sentiments et quand il l’avait consolée après avoir appris que Potter avait été inhumé à la sauvette.
- Lily, pardonne-moi… J’ai été mesquin.
Il entendit quelques hoquètements qui le décidèrent à poser sur le dos de la jeune femme une main réconfortante. Il le caressa doucement et Lily sembla s’apaiser.
- C’est tellement difficile, dit Lily en pleurant.
La haine pour James Potter ne disparaitrait peut-être jamais, mais Severus pouvait aisément imaginer ce que ressentait Lily. Si James Potter avait réellement aimé Lily, s’il l’avait rendue heureuse, alors Severus pourrait – peut-être un jour – éprouver un peu de respect pour lui.
- Je comprends, répondit le jeune homme.
Puis Lily se retourna et se refugia contre le torse de Severus, et se serra contre lui. C’était la première fois qu’elle initiait un contact physique aussi intense. Son amie lui avait de temps en temps tenu et caressé les mains, mais depuis leurs retrouvailles elle n’avait jamais fait ça. Il fut déconcerté durant quelques secondes, puis il l’enveloppa de ses bras.
- Je suis là… Harry est là… Et tu as tes amis.
- Je sais… Je suis heureuse que tu sois là avec moi, après tout ce temps.
Ce n’était pas la première fois que Lily lui disait qu’elle était heureuse de l’avoir retrouvé. Mais à chaque fois, il ressentait une vague de chaleur envahir tout son corps.
- Tu m’as vraiment manqué, ajouta-t-elle.
- Toi aussi… plus que tout au monde.
Ils restèrent encore quelques instants enlacés, puis Lily recula.
- As-tu parlé à Slughorn ? demanda-t-elle en essuyant ses yeux avec ses manches.
- Non, je ne voulais pas éveiller ses soupçons. Il aurait pu trouver ça… bizarre.
- Tu as raison, je suppose.
La rousse s’assit sur le canapé et Severus la rejoignit.
- Vas-tu suivre le plan ?
- Je pense avoir une idée.
- Laquelle ?
Cette idée lui était venue le matin même, alors qu’il donnait au cours aux élèves de première année de Poufsouffle et de Serdaigle.
- Tu sais que frapper à la porte de quelqu’un pour obtenir des conseils n’est pas mon style, répondit Severus. Le mardi, Horace retourne dans son bureau vers onze heures. Mais pour cela, il doit passer devant ma salle.
Severus avait méticuleusement étudié l’emploi du temps de son collègue.
- Et donc ?
- À cette heure-ci, j’entame ma deuxième heure avec les Poufsouffle et Serdaigle de première année.
Lily arqua un sourcil.
- C’est malheureusement un groupe assez faible, qui est un véritable aimant à catastrophes.
- Oh… Je vois. Tu veux que Slughorn te voie dans la pagaille ?
Severus hocha la tête. Il était prêt à se montrer faible, désespéré pour tirer les vers du nez à Slughorn.
- Mais je compte innover… Donner à ses élèves un cours complètement différent du manuel, pour être certain qu’ils rateront tout de A à Z.
- En somme, tu veux maximiser tes chances de le voir rentrer dans ta salle.
- Bien sûr, je laisserai la porte ouverte. Slughorn ne résistera pas à l’envie de me prodiguer tout un tas de conseils, et petit à petit je gagnerai sa confiance.
- C’est diabolique ! s’extasia Lily.
- Je n’ai pas été réparti pour rien à Serpentard.
Lily gloussa légèrement.
- Je reconnais que ton côté rusé est très utile parfois.
C’était bien la première fois que Lily louait cet aspect de sa personnalité. Quand ils étaient plus jeunes, elle considérait que sa ruse ne faisait que lui attirer des ennuis. Et elle n’avait pas forcément tort.
- Bien, parle-moi plus en détail de ton projet qui consiste à démolir un mur.
- Abattre une cloison, rectifia Lily.
- C’est la même chose, soupira Severus.
- Non, on aurait dit que tu parlais d’un terrible chantier.
Severus renifla. Il imaginait déjà des montagnes de gravats et de poussière recouvrir le sol et les meubles du salon.
- Bref, poursuivit Lily. Je pense pouvoir faire ça par magie, mais il me faudrait ton aide.
- Je pense que nous pourrions le faire pendant le week-end, acquiesça Severus. Le salon serait donc plus grand, c’est ça ?
Lily secoua la tête.
- Et un peu plus lumineux, ajouta la jeune femme.
Ils discutèrent encore un peu de leur projet de décoration, puis Lily se rendit à l’étage pour réveiller Harry et l’amener au rez-de-chaussée. L’enfant avait les cheveux ébouriffés et était encore ensommeillé.
- C’est ça de jouer un peu trop avec Sirius, dit Lily en s’adressant à son fils. Tu peines à t’endormir et tu es fatigué quand Sev rentre à la maison.
Severus sourit à l’enfant, mais Harry ne lui rendit pas son sourire. Le garçon se réveillait petit à petit, et suçait encore son pouce en tenant son doudou contre lui.
- Il avait peut-être besoin de dormir encore un peu, suggéra Severus.
- C’est un cercle vicieux, répondit Lily. Si je le laisse trop dormir l’après-midi, il ne voudra pas fermer l’œil de la nuit et sera fatigué le lendemain.
- Je n’y avais pas pensé.
- Je parle par expérience. J’ai commis cette erreur, répondit en riant Lily. Au moins, il dormira bien cette nuit. Pas vrai, Harry ?
Le petit n’eut aucune réaction, et Lily le posa sur le tapis pour qu’il joue avec ses jouets. Severus avait failli proposer de lire le Mensuel des Potions au garçon, mais une telle activité l’aurait endormi à coup sûr. Harry avait besoin d’être stimulé. Naturellement, Severus s’assit en tailleur à côté du bambin et joua avec lui. Peu à peu, le garçon retrouva sa vigueur en babillant, souriant et riant.
- Quand saura-t-il marcher ? demanda Severus à Lily, tout en plaçant un cube sur la pile de Harry.
Severus ne l’avait vu se déplacer qu’à quatre pattes.
- Il n’est ni en avance, ni en retard, répondit Lily en caressant les cheveux de son fils. Certains bébés marchent avant de souffler leur première bougie, d’autres attendent encore quelques mois. Il sait se mettre debout, mais il tombe rapidement.
Plus Severus regardait le petit garçon qui jouait à côté de lui, plus il considérait avec mépris son ancien maître. Harry était un bébé comme les autres qui ne savait pas encore se déplacer sur ses deux petites jambes. Tuer un bébé au berceau, c’était complètement insensé, monstrueux. Comment avait-il pu souscrire à cela ?
- En revanche, il sait voler sur un balai, ajouta Lily en souriant.
- Tu plaisantes ? ricana Severus. Ton bébé… sur un balai ? Je n’y crois pas.
- Non, répondit Lily en tournant la tête. Pour son premier anniversaire, Sirius lui a offert un balai. Je ne savais même pas que des balais aussi petits existaient.
- Tu me l’apprends, marmonna le jeune homme.
Les magasins de jouets du Chemin de Traverse n’étaient pas vraiment les adresses préférées de Severus. Il n’avait aucun enfant – hormis Harry – dans son entourage très restreint, et il n’avait jamais été emmené dans ce genre d’endroit quand il était plus jeune, pas même du côté des Moldus.
- La première fois Harry a manqué de détruire le salon… D’ailleurs le vase que m’avait offert Pétunia à Noël n’a pas survécu au premier vol de Harry.
- Tu ne l’as pas réparé par magie ? demanda Severus avec un rictus amusé.
- Il était vraiment affreux, se défendit Lily, gênée. Pétunia et moi n’avons jamais eu les mêmes goûts, et ça ne s’est pas amélioré avec les années. C’était un vase à la fois très banal… et hideux.
Severus tenta d’imaginer le vase le plus affreux de la Création, mais il n’y parvint pas.
- J’imagine qu’il était destiné à être brisé, dit-elle plus sombrement.
Il se rappela le carnage, les trous béants dans les murs, les meubles explosés et les bibelots réduits en cendres. Le cottage des Potter avait été réduit en un champ de ruines. Godric’s Hollow était un village aussi bien habité pas les sorciers que par les Moldus. Qu’avaient bien pu raconter les autorités aux Moldus ? Severus l’ignorait. Une explosion de gaz ? Un attentat à la bombe ? C’était devenu habituel ces dernières années.
Pour éloigner Lily de ses mauvais souvenirs, Severus demanda à son amie des détails sur le premier balai de son fils. Il ne l’admettrait jamais, mais Severus avait toujours espéré avant son arrivée à Poudlard se révéler doué pour le vol sur balai. Mais sa première leçon avait été catastrophique. L’engin avait rué comme un vulgaire cheval destiné à labourer les champs, et une fille de Serpentard – Momos Flint – s’était moquée de lui. À quelques mètres de lui, James Potter faisait des prouesses en démontrant dès leur premier vol tous ses talents. Severus avait dès lors pris en grippe le vol sur balai, mais aussi le Quidditch. Fort heureusement, Severus domptait parfaitement n’importe quel balai à présent, bien qu’il ne s’agisse pas de son moyen de locomotion favori.
- Eh bien, je dirai que le balai mesurait environ un mètre, ou un peu plus.
- Et à quelle altitude pouvait-il monter ? demanda Severus, un peu inquiet.
- Oh ! Rassure-toi ! gloussa Lily. Pas plus de cinquante centimètres. Quant à la vitesse, je trouvais que Harry volait un peu trop vite, mais James me disait que ce balai était une véritable limace par rapport à ceux de compétition. En tout cas c’était suffisant pour briser un vase, déranger le salon et effrayer le chat.
Severus rit à son tour. Il ne faisait aucun doute que le balai qu’avait reçu Harry pour son premier anniversaire était un cadeau à la fois merveilleux et empoisonné.
- Normalement, un balai est fait pour voler en extérieur, mais nous n’avions pas vraiment le choix compte tenu de la situation. Depuis quand t’intéresses-tu aux balais ?
- Ce n’est pas réellement le cas, répondit Severus avec un sourire énigmatique. J’étais simplement curieux… Je n’y connais rien en matière de jouets, du moins avec ceux disponibles dans notre monde.
Ses parents étaient pauvres et son père détestait la magie. Severus avait eu quelques jouets durant son enfance, quelques figurines en plomb, un ours en peluche, un ballon, deux ou trois billes et des cartes. En écoutant Lily parler de ce fameux balai – sûrement réduit en cendres -, Severus avait mesuré à quel point il avait été privé d’une enfance merveilleuse.
- Je dois t’avouer que je n’y connais pas grand-chose également, répondit Lily. J’ai pu me rendre dans quelques boutiques au début de ma grossesse, puis j’ai été confinée. Nos amis nous ont envoyé beaucoup de colis, mais j’ai dû batailler ferme pour que notre cottage ne se transforme pas en un magasin de jouets. James ne comprenait pas… Pour lui, c’était normal, alors que ça ne l’était pas pour moi.
James Potter avait très certainement eu une enfance très différente de la sienne et de celle de Lily. Sa meilleure amie avait grandi dans un foyer heureux, mais qui ne roulait pas pour autant sur l’or. Les Evans vivaient dans un quartier bien plus cossu que celui de l’impasse du Tisseur, et leur maison était bien plus grande que celle des Rogue. Mais Severus savait que les dépenses étaient calculées et que les filles de la famille n’étaient pas gâtées à outrance.
- Je veux que mon fils ait une enfance heureuse, mais je ne veux pas qu’il soit trop choyé, trop gâté, poursuivit Lily. Il sera aimé, mais je veux qu’il connaisse la valeur des choses.
- Te connaissant, il ne le sera pas, répondit en souriant Severus.
Severus joua encore un peu avec Harry, puis Lily lui donna son goûter dans la cuisine. Le petit garçon mangea avec appétit une compote et un biscuit mou. Quand il fut rassasié, Severus prit avec lui l’enfant pour lui lire le Mensuel des Potions tout en sirotant une tasse de thé.
- Avec un peu de chance il sera doué pour les potions, commenta Lily en regardant avec tendresse Harry.
- Tu es toi-même extrêmement douée, répondit Severus. Il a peut-être hérité de tes capacités dans ce domaine.
Lily sourit et rangea dans la bibliothèque plusieurs livres qu’elle avait trouvés au grenier.
- Il est tellement sérieux et attentif quand tu lui lis cette revue, ajouta-elle sur un ton pensif.
- Honnêtement, je ne pense pas qu’il comprenne un traître mot de ce que je raconte, répondit Severus en tournant une page du magazine.
- C’est peu probable, mais il apprécie.
Le lendemain, Severus et Lily consacrèrent la journée du samedi à supprimer la cloison. Pendant plusieurs heures, ils cherchèrent dans les vieux livres de Severus un sortilège qui ne pulvériserait pas le mur, mais ils ne trouvèrent rien. Une nouvelle expédition dans le grenier permit de mettre la main sur un ouvrage consacré aux arts ménagers et un autre sur le bricolage magique.
- Je ne les avais jamais vus avant, dit Severus en manipulant le second livre. Ma mère les a sûrement cachés par contrainte à cause de mon père. Il y a peut-être des choses intéressantes dedans.
Ils ouvrirent les livres et trouvèrent tout un tas de sortilèges sur la vie domestique, mais aussi quelques potions du même acabit. Lily jubila en lisant qu’il existait des sortilèges pour peindre les murs.
- C’est fantastique !
- Je ne t’aurais jamais imaginée t’extasier devant un guide d’arts ménagers qui date des années 1920.
Lily lui tira la langue en guise de réponse et Severus ricana. Mais il fut davantage surpris quand Lily vanta les mérites d’une potion destinée à déboucher les canalisations.
- Qu’avez-vous fait de ma Lily ? s’exclama Severus. Où est-elle ?
- Idiot ! répondit Lily en lui donnant un coup de poing dans l’épaule.
Severus fit mine de souffrir, mais il ne tarda pas à son tour d’éclater de rire.
Enfin, ils trouvèrent un sortilège tout à fait adapté à leur projet et Lily plaça dans la bibliothèque les deux ouvrages.
Quand la cloison fut supprimée sans entraîner le moindre dégât, Severus et Lily réfléchirent à la nouvelle configuration de la pièce.
- On pourrait placer un meuble près des escaliers… Pour poser les journaux, les factures, les clés…
- Pourquoi pas, répondit Severus.
- En-dessous, on pourrait ranger les chaussures et les chaussons, suggéra à nouveau Lily.
Severus hocha la tête et demanda à Lily où elle trouverait un tel meuble.
- Dans le grenier, bien évidemment.
- J’ai une cave, pas bien grande. Mais quelques vieilleries y sont aussi exposées.
- Pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ?! s’exclama Lily qui partait déjà dans la direction des escaliers.
À la cave, Lily ne cessa de s’extasier devant les antiquités rongées par l’humidité. Une étagère attira son attention et Severus fut chargé de la monter à l’étage. Lily le rejoignit peu de temps après, les bras chargés de petits bibelots. Severus se demanda ce que Lily allait en faire, et surtout où elle les poserait.
- Je croyais que la suppression de la cloison était censée apporter plus d’espace.
- Ça ? Ce n’est pas grand-chose ! C’est juste un peu de déco. La semaine prochaine je m’attaque à l’étage ! annonça avec joie Lily.
Il n’eut pas le temps de placer le moindre mot, car Lily se précipita là-haut pour réveiller Harry, qui avait suffisamment dormi pendant sa sieste. Quand elle descendit les escaliers quelques minutes plus tard, Severus entendit le petit babiller joyeusement. Et quand il croisa son regard ce dernier s’exclama joyeusement en le fixant avec ses yeux vert émeraude.
- Papa !
Severus allait avoir de sérieux ennuis, il en était certain… Satané Potter !