
In vino veritas
Lily regardait Harry et Sirius jouer sur le tapis. Severus n’était toujours pas rentré alors que la nuit tombait peu à peu sur Carbone-les-Mines. Son meilleur ami lui avait pourtant dit que son retour ne serait pas tardif. Sans doute avait-il été retenu par une affaire épineuse dans le bureau de Dumbledore. Elle ne devait pas s’inquiéter, Poudlard était sûr. Aucun mangemort sans Voldemort n’oserait affronter le directeur de l’école et ses enseignants. Sirius n’avait émis aucun commentaire quant au retard de Severus. Il aimait passer du temps avec son filleul et Lily prenait plaisir à les observer.
La présence de Sirius tout au long de la journée avait permis à la sorcière de rénover entièrement la cuisine qui était dans un état déplorable. Elle datait vraisemblablement de la fin des années 1950, mais n’avait jamais été entretenue. Les poignées des placards et des tiroirs étaient ternes et dévissées. Grâce à la magie, elles furent redressées et retrouvèrent un aspect neuf. Lily retira également toutes les taches qui parsemaient les murs et le mobilier de la pièce. Elle répara aussi le robinet qui laissait échapper de petites gouttes d’eau.
Néanmoins, ce chantier ne l’occupa pas durant toute la journée, seulement pendant une partie de la matinée. Après le déjeuner, pendant la sieste de Harry, Lily réfléchit à ce qu’elle allait faire de l’étroit vestibule. Il était si petit que personne n’avait jamais osé y placer le moindre meuble, pas même un portemanteau. Elle avait alors eu une idée, mais qui nécessitait l’approbation de Severus. Son ami lui avait certes donné carte blanche quant à la rénovation et la décoration de l’endroit, mais Lily jugeait que la suppression d’une cloison pour agrandir le salon nécessitait au préalable une petite discussion.
Peu après l’heure du thé, Severus arriva enfin dans le salon. Lily devina en voyant les traits fatigués de l’homme qu’il avait appris certaines choses. L’inquiétude ne tarda pas à gagner la jeune femme. Harry, qui empilait des cubes en bois avec Sirius, délaissa son jeu favori et son parrain pour accueillir Severus. Il leva ses petits bras potelés vers le sorcier habillé sombrement pour qu’il le porte dans ses bras. Sans rechigner, Severus s’exécuta et le bambin entortilla entre ses doigts les cheveux raides du jeune homme.
- Dure journée ? demanda Sirius, un rictus amusé aux lèvres.
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? répondit sur un ton lasse le second sorcier.
- Absolument rien. Je me disais simplement que s’occuper de dizaines et de dizaines de gamins, d’adolescents devait mettre tes nerfs à rude épreuve. Tu es bien le dernier que j’aurais imaginé occuper un tel poste. Tu n’es pas très patient, ni même sociable.
Severus lui adressa un regard belliqueux. Lily ne doutait pas que s’il n’avait pas eu Harry dans ses bras, Severus aurait sans doute perdu son calme.
- Sirius, s’il te plaît. Severus a certainement eu une longue journée.
- De la patience, j’en ai suffisamment pour te supporter, rétorqua Severus.
Sirius haussa les épaules, un sourire en coin, avant de reporter son attention sur Harry qui gigotait joyeusement dans les bras de Severus. Lily, le visage marqué par une inquiétude croissante, s'approcha de son ami.
- Bien, je vais donc vous laisser, annonça Sirius en se levant.
Il enlaça Lily puis déposa un baiser sur le front de Harry qui était tenu par Severus. Enfin, il disparut dans les flammes vertes de la cheminée.
- Severus… Est-ce que tout va bien ?
Le jeune homme s’assit sur le canapé avec Harry blotti contre son torse. Lily les rejoignit, tout en ne quittant pas du regard les prunelles obsidiennes de Severus qui étaient étrangement fuyantes.
- Severus, que se passe-t-il ? Est-ce qu’il est arrivé malheur ?
- Non, répondit-il sur un ton atone.
Il lui cachait quelque chose, Lily en était certaine. Au fil des années, elle avait appris à déceler les signes qui trahissaient Severus. Il avait toujours eu l’habitude de dissimuler ses émotions quand il se trouvait dans une situation délicate. Peut-être avait-il réussi à berner Voldemort en opérant de la sorte, mais certainement pas Lily. Elle ne le connaissait que trop bien.
- Je sais quand tu ne me dis pas la vérité.
Ses yeux s’écarquillèrent légèrement et Harry jugea que le moment était tout à fait opportun pour rire et gazouiller.
- Lui aussi, ajouta Lily en souriant.
- Je ne sais pas si le moment est approprié pour en parler, Lily, dit-il. Je peux simplement te jurer que rien de grave n’est arrivé aujourd’hui.
- Même dans tes classes ?
En guise de réponse, il lui adressa un regard outré.
- J’ai suivi tes conseils et tout s’est très bien passé, répliqua sèchement Severus.
Lily, qui avait commis une maladresse, se mordit la lèvre.
- Je n’en doute pas, dit Lily en posant une main sur son avant-bras.
- Je te raconterai tout après le dîner, quand Harry sera couché.
Elle sentit une vague de chaleur se diffuser dans son corps quand elle entendit le nom de son fils prononcé par son ami. Severus se souciait de son enfant, et dans le fond Lily savait qu’il éprouvait pour le petit Harry de l’affection.
Severus, visiblement préoccupé, se dirigea vers la cuisine. Lily le laissa s'occuper du dîner après avoir tenté de le retenir. Mais cette activité lui permettrait de trouver un semblant de répit. Pendant ce temps, elle rejoignit Harry dans le salon, le cœur alourdi par l’inquiétude pour son ami. Il n’était pas son état habituel et Lily redoutait ce qu’elle allait apprendre quand son fils serait endormi.
Les arômes de soupe aux légumes et de viande rôtie envahirent la maison, réchauffant l'atmosphère glaciale de la soirée. Le dîner se déroula dans une relative tranquillité, Harry captivant toute l’attention avec ses babillages enthousiastes et ses tentatives maladroites pour saisir sa cuillère. Severus, malgré ses airs taciturnes, esquissait de temps en temps un sourire en coin devant les pitreries du petit garçon.
- Je crois qu’il apprécie ton potage, gloussa Lily en essuyant la bouche du bambin avec une serviette.
- C’est un fin gourmet, approuva Severus.
Après le repas, Lily mit Harry au lit, racontant à son fils une histoire douce et apaisante jusqu'à ce que ses paupières se ferment lentement. Elle resta un moment à le regarder, touchée par la paix qui se dégageait de son visage endormi. Jamais elle ne comprendrait les raisons qui avaient poussé Voldemort à cibler son fils, à lui lancer cet horrible sortilège. Avant de rejoindre son ami au salon, elle déposa un baiser sur le front de l’enfant et le borda.
Severus était assis sur le canapé. Lily vit qu’il avait versé dans deux verres un breuvage pourpre, sûrement du vin.
- Nous fêtons quelque chose ? demanda-t-elle sur un ton enjoué.
- Ma première journée sans donner la moindre retenue, répondit le jeune homme en lui tendant l’un des deux verres.
Lily l’accepta et le porta à ses lèvres.
- Du vin des elfes, dit-elle après avoir avalé une gorgée. À ta première journée sans la moindre punition injustifiée !
Severus esquissa un sourire et but à son tour.
- Plus sérieusement, c’est pour m’aider à parler, avoua-t-il en s’asseyant à nouveau sur le canapé. J’ai rencontré Dumbledore après mes cours. Il m’a convoqué dans son bureau pour me confier une nouvelle mission.
- Quoi ?! s’offusqua Lily. Mais… mais tu prends déjà de grands risques en nous accueillant chez toi !
- Rassure-toi… Ce n’est pas une mission périlleuse. Je dois l’accomplir sur mon temps passé à Poudlard. Ce n’est pas vraiment ça qui me tracasse à l’heure actuelle.
De quelle mission s’agissait-il ? Elle n’aimait vraiment pas ça.
- Dumbledore m’a confié certaines choses pour que je mène à bien cette mission, poursuivit-il.
- Que t’a-t-il raconté ? demanda Lily, inquiète.
- Ce sont justement ces confidences qui me tourmentent un peu, répondit Severus. Je ne sais pas si j’ai le droit de t’en parler…
- Si ça concerne mon fils, je suis en droit de le savoir. Ça concerne Harry ? demanda-t-elle.
- Pas directement… C’est au sujet du Seigneur… de Tu-Sais-Qui.
Lily se figea. Mille hypothèses se formèrent dans son esprit. Dumbledore avait peut-être appris que Voldemort n’avait pas disparu, qu’il avait réapparu.
- Dis-moi… Est-ce qu’il est revenu ? dit-elle d’une voix tremblante.
- Non, non, la rassura-t-il. Il m’a parlé de son passé… Et cela m’a fait beaucoup réfléchir.
Lily n’avait jamais songé au passé de Voldemort. Pour elle, ce sorcier avait toujours été un sombre individu propageant derrière lui ce qu’il avait de plus pourri en ce monde. Un homme prêt à tuer un bébé n’était pas un homme à ses yeux, et était tout sauf humain. Mais c’était idiot de sa part.
- J’ai appris qui il était vraiment, continua Severus. Dumbledore connaît toute son histoire, ou presque.
Severus semblait être rongé par une certaine inquiétude et Lily ne comprenait pas en quoi le passé de Voldemort pouvait autant atteindre son ami.
- Il s’appelle Tom Elvis Jedusor, révéla-t-il. Connais-tu ce nom ?
Lily secoua la tête. À sa connaissance, elle n’avait jamais entendu, ni lu ce nom. Il lui était totalement étranger.
- Il n’est pas né dans une famille de sorciers au sang-pur, poursuivit Severus. Sa mère était une sorcière issue d’une vieille famille complètement ruinée et son père était un Moldu.
Lily sentit sa gorge se serrer. La parentèle du sorcier qui avait assassiné son époux ressemblait étrangement à celle de Severus.
- Comme toi, murmura Lily.
Il hocha douloureusement la tête, puis il lui raconta dans les moindres détails tout ce qu’il avait appris dans le bureau de Dumbledore.
- Tu n’es pas comme lui ! affirma avec véhémence Lily.
- Ah oui ? ricana Severus. Vois-tu, je n’ai aucun souvenir du temps où mes parents étaient soi-disant heureux. Je commence sincèrement à me demander si ma mère n’a pas piégé mon père comme cette Mérope Gaunt. Ça expliquerait bien des choses…
- Non ! répliqua Lily. Ta mère n’aurait jamais fait une chose pareille !
- Que sais-tu de ma mère ? Absolument rien ! s’emporta Severus.
Dans un accès de colère, il renversa son verre qui se brisa. Sur le sol, des morceaux de verre étaient éparpillés sur le sol, tandis que le liquide alcoolisé formait une grosse tache pourpre sur le tapis. Lily jeta un regard furieux au jeune homme. Mais au fond d’elle-même, elle était terrifiée. Severus n’était pas violent. Il ne l’avait jamais brutalisée. Il pouvait paraître sauvage, et parfois même animal, mais il était tout sauf féroce.
- Récurvite, dit-elle en pointant sa baguette sur le tapis.
- Excuse-moi… J’ai perdu mon calme… Cela ne se reproduira plus.
- Reparo, poursuivit Lily en visant cette fois les débris de verre.
- Lily…
La tache avait disparu et le verre à pied s’était reconstitué.
- Assieds-toi, lui ordonna froidement la jeune femme.
Severus s’exécuta et Lily, debout les mains sur les hanches, le toisa de toute sa hauteur.
- Tu as raison, je ne sais rien de ta mère. Je ne crois même pas lui avoir déjà adressé la parole. Je pense, en revanche, que si ton père avait été manipulé, il aurait de lui-même quitté ta mère après avoir retrouvé ses esprits. Qu’aurait-il eu à perdre en partant ? Rien. Il aurait pu faire comme ce Tom Jedusor, reprendre le cours de son existence ailleurs.
- Alors pourquoi détestait-il autant la magie ? Pourquoi nous détestait-il ?
- Je pense que tu le sais dans le fond…
Quand ils étaient enfants, Severus lui parlait de temps en temps des disputes qui se déroulaient chez lui entre ses deux parents. Lily n’avait parlé qu’à une seule reprise à Tobias Rogue, le jour où elle avait bravé les interdits pour montrer sa lettre d’admission à Severus. À travers les récits de son ami, elle avait fini par comprendre que l’homme était profondément jaloux.
- Parce qu’elle nous conférait un certain pouvoir qu’il n’avait pas. Et paradoxalement, elle ne nous était d’aucune utilité ici, souffla-t-il. Nous n’étions pas plus riches.
- Il vous enviait, et à la fois il vous trouvait inutiles…
- Il ne voulait pas que maman utilise la magie… Elle aurait été bienvenue pour nettoyer, cuisiner… S’il l’avait laissée faire, la vie aurait été un peu plus douce. Il ne comprenait pas que maman ne puisse pas multiplier les billets de banque, alors qu’elle pouvait mettre un peu plus de nourriture sur la table.
- Tu vois, tu n’as rien en commun avec lui, dit Lily en caressant la main de Severus.
Le jeune homme se contenta de hausser les épaules. Une seule conversation ne suffirait sans doute pas à lui faire changer d’avis.
- Moi aussi, j’ai très mal tourné.
- C’est vrai, répondit Lily. Mais tu as eu une prise de conscience. Ça n’arrive pas à tout le monde.
- Il a fallu que ta vie soit menacée pour que je change de camp… C’est pathétique.
Lily continua à lui caresser la main avec la pulpe de ses doigts.
- En quoi consiste cette nouvelle mission ? demanda Lily sur un ton hésitant.
- Je dois tirer les vers du nez à Horace Slughorn.
Les yeux de Lily s’écarquillèrent de surprise. Quel était donc le rapport entre Voldemort et son vieux professeur de potions ? Il était certes le directeur de Serpentard, la maison où étaient issus majoritairement les adeptes du sombre sorcier. Mais Horace Slughorn n’avait rien d’un suprémaciste, d’un adorateur des arts sombres, ni même d’un fidèle de Voldemort. C’était un homme jovial, qui aimait s’entourer d’esprits brillants et qui raffolait des petites douceurs sucrées.
- Mais pourquoi ? Le professeur Slughorn… Cela n’a aucun sens.
- Slughorn exerce depuis plusieurs décennies à Poudlard et il a eu Tu-Sais-Qui pour élève. Dumbledore pense qu’il sait quelque-chose… Je ne sais pas quoi, ce n’est peut-être pas important. Mais Slughorn était très anxieux quand je l’ai vu sortir du bureau de Dumbledore.
- Mais que pourrait-il savoir ? Ne me dis pas qu’il est un mangemort…
Severus renifla et Lily comprit que ses craintes étaient totalement stupides.
- Non, répondit-il en souriant. Le Seigneur des… enfin Tu-Sais-Qui… Tom… qu’importe son nom… était un élève vraiment brillant. J’imagine que Slughorn avait déjà son bestiaire de talents et de célébrités dans ce temps-là. Si tel était le cas, alors Tu-Sais-Qui faisait forcément partie de ses élèves préférés, de son club. Tout comme moi, tu connais Slughorn.
Lily, grâce à ses prouesses à Poudlard et surtout en potions, avait été admise dans le club de Slug dès sa cinquième année. Elle avait toujours été l’une des élèves préférées du maître des potions qui n’avait jamais tari d’éloges à son égard. Severus aussi avait été invité à rejoindre ce club, mais Lily l’avait rarement vu aux réunions. À partir de leur sixième année, l’ami qu’elle avait rejeté avait complètement cessé de s’y rendre.
- Comment vas-tu t’y prendre ?
- C’est une excellente question.
Il y avait une once ironie dans sa voix. Mais Lily y percevait surtout du désespoir.
- Je n’ai jamais été doué pour la flatterie, dit-il. Je suis plutôt du genre direct… Si seulement je pouvais utiliser sur lui du Veritaserum. Dumbledore me l’a interdit.
- Il se méfierait sans doute, ajouta Lily sur un ton sceptique. Et son usage est très réglementé par le Ministère.
- Ce n’est pas ça qui m’arrêterait, répondit sèchement Severus. Cependant, Slughorn trouverait curieux que je lui propose un verre. Dumbledore a été clair. Il souhaite que je récupère un souvenir. Je ne peux pas contraindre Slughorn. Et je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il peut cacher. Horace que pensiez-vous de ce cher Tom Jedusor quand vous l’aviez en tant qu’élève ? Aviez-vous des soupçons à son endroit ? Pensiez-vous qu’il deviendrait un redoutable mage noir ?
Lily gloussa en écoutant Severus élaborer son plan d’attaque.
- Désolée, ça m’a échappé, dit-elle avec un air contrit. Tu dois d’abord gagner sa confiance et ne pas y aller immédiatement avec tes gros sabots.
- Mais comment ? Je n’ai jamais été très proche de lui…
- Tu enseignes la même matière que lui et tu débutes. Demande-lui des conseils ! Il sera assurément flatté, et tu sais ce que provoque chez lui la flatterie. Non pas que je l’ai flatté au cours de ma scolarité à Poudlard… Mais j’ai vu ce que certains faisaient avec lui.
- C’est une bonne idée, admit Severus. Je pourrai ainsi gagner sa confiance.
Lily acquiesça. Elle ne s’attendait pas à ce que Dumbledore exige que la mission de Severus soit exécutée en un temps record. Si l’information détenue par Slughorn était tant précieuse aux yeux du chef de l’Ordre, alors Severus avait tout intérêt à ménager le vieux maître des potions.