
Le nouveau projet
Lily avait rarement vu une telle agitation dans sa salle commune un dimanche matin. D’habitude, les élèves roupillaient encore à huit heures, et elle en faisait autant. Mais Mary MacDonald l’avait réveillée et lui avait dit qu’il fallait absolument qu’elle descende. Un grand sourire illuminait le visage pâle de son amie. Tout comme Lily, Mary était une née-moldue, mais sa famille ne demeurait pas dans les Midlands comme la sienne. Les MacDonald étaient écossais et vivaient dans la banlieue d’Edinbourg.
- Allez ! Lève-toi ! Tu ne devineras jamais ce qui s’est passé cette nuit !
Lily aurait voulu rester un peu plus longtemps au lit. Elle avait consacré la soirée à ses révisions et n’avait pas vraiment fait attention à l’heure en se couchant. Ses épreuves de BUSE auraient lieu dans un peu plus de trois mois, et la Gryffondor – une étudiante très sérieuse – travaillait déjà avec acharnement.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda d’une voix endormie Lily.
- Descends ! Je suis certaine que Potter voudra bien répéter l’histoire pour toi !
- Potter ? glapit Lily.
Qu’avait donc encore fait cet arrogant Potter ? Depuis leur première rencontre dans le Poudlard Express, James Potter l’insupportait au plus haut point. Elle n’avait jamais rencontré un garçon aussi fier, désinvolte et imbu de sa personne que le poursuiveur de l’équipe de Gryffondor.
Lily céda et rejoignit Mary dans la salle commune. Une vingtaine d’élèves s’étaient agglutinés autour de quelqu’un, et Lily n’eut aucun mal à deviner qu’il s’agissait de James Potter. Il était assis – tel un pacha – dans un fauteuil et monopolisait toute l’attention des étudiants qui avaient eu le courage de se lever pour l’écouter. Il avait les cheveux en bataille, comme s’il venait de traverser l’Ecosse sur un balai. C’était une manie chez lui. On aurait dit d’un seigneur entouré de sa foule de courtisans. Lily ne savait pas si elle devait trouver ce spectacle navrant ou risible.
- James ! piailla une voix aiguë, celle de Peter Pettigrow. Evans est descendue !
Le poursuiveur s’interrompit et regarda Lily avec un sourire goguenard. Elle put voir que Sirius Black – un parfait imbécile – était aussi de la partie, mais Remus Lupin brillait par son absence. Lily aurait peut-être mieux fait de l’imiter, car porter de l’intérêt à Potter serait encore une fois une perte de temps.
- Evans, quelle bonne surprise ! Je racontais justement à tout le monde comment j’ai sauvé la vie de ton misérable ami, pas plus tard que la nuit dernière. Comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui ! Servilus, ou peut-être Servillo.
- Severus, le corrigea Lily sur un ton acide.
- Cela n’a aucune importance, répondit Potter sur un ton détaché.
Lily détestait entendre ces affreux surnoms. Ils n’avaient jamais quitté Severus depuis leur premier voyage à bord du Poudlard Express. Ils laissaient entendre que Severus n’était qu’une petite chose servile, à peine humaine.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Lily, avec une voix glaciale.
Lily portait sa robe de chambre et avait les bras croisés sur sa poitrine. Ses sourcils arqués en V ne laissaient rien voir de son inquiétude. Severus Rogue était son meilleur ami, mais à Gryffondor on n’aimait pas beaucoup les Serpentard. Et Severus – un garçon un peu étrange – était certainement la personne que James Potter et ses amis détestaient le plus sur terre, après Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Personne à Poudlard ne connaissait Severus Rogue comme Lily le connaissait. La Gryffondor n’aimait pas ses fréquentations, ni même certains de ses centres d’intérêt. Elle n’ignorait pas qu’il s’intéressait d’un peu trop près à la magie noire. Cette magie - et les pouvoirs qu’elle conférait - effrayait et révulsait Lily. Elle provoquait malheureusement l’effet inverse chez Severus, qui prétendait qu’il fallait connaître tous les aspects de la magie pour la maîtriser pleinement.
- Ce qui s’est passé ? répéta James Potter, un sourire aux lèvres. J’espère bien que m’accorderas un rendez-vous en tête à tête lors de notre prochaine virée à Pré-Au-Lard pour me remercier.
- Même pas en rêve, répliqua Lily. Je préfère la compagnie du Baron Sanglant à la tienne, Potter.
- Je t’avais bien dit de lui faire ta proposition plus tard, soupira Sirius Black en tapotant l’épaule de son ami.
Le refus de Lily ne diminua en rien la fierté de James Potter. Peter Pettigrow, un adolescent balourd du même âge, regardait James avec des yeux humides. Il était évident qu’il voulait encore entendre le récit de son idole, et il n’était pas le seul. D’autres étudiants s’étaient joints à eux et pressaient le poursuiveur de raconter une nouvelle fois l’histoire de son exploit de la nuit passée.
- Bien, trancha le Gryffondor. Il se trouve qu’hier soir je n’avais pas sommeil. Alors, j’ai quitté le dortoir pour me promener dans le parc.
James Potter se fichait éperdument du règlement de l’école. Si seulement Lily avait pu le voir quitter en douce la salle commune, elle aurait pris un malin plaisir en lui retirant quelques points.
- C’était une nuit assez douce. On sent que le printemps approche. Et il y avait ces magnifiques rayons de lune qui se reflétaient dans le lac. Franchement Evans, si l’envie te prend un jour d’admirer un pareil spectacle, je serais ravi de t’escorter.
Lily ne lui répondit rien, et se contenta de le fusiller du regard. Jamais elle ne sortirait avec ce type, ce pavaneur !
- Je faisais mon petit tour quand j’ai été alerté par des cris. Ils provenaient du Saule-Cogneur. Alors, je n’ai écouté que mon courage, et j’y suis allé. Cela n’a pas été une mince affaire… Cet arbre est complètement fou !
Personne ne s’approchait jamais du Saule-Cogneur. Cet arbre avait un tempérament belliqueux et n’hésitait pas à abattre sur le sol ses lourdes branches quand un imprudent s’approchait de lui. James Potter, lui, se fichait éperdument des règles. Il semblait croire qu’il était né pour être au-dessus des lois et des règlements.
- Néanmoins, poursuivit James Potter, je suis parvenu à éviter chacune de ces branches et je suis entré dans le tunnel.
Les plus jeunes restèrent bouche bée. On aurait dit des poissons hors de l’eau. Lily devait bien reconnaître que Potter avait réalisé une prouesse, mais elle tâcha de ne rien laisser paraître sur son visage.
- Il y avait des cris dans ce tunnel sombre. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une harpie, ou bien d’un gobelin buveur de sang… Dans un sens, j’aurais préféré. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai vu ce cher Servilus crier comme une petite fille apeurée !
Il ricanait.
- Le pauvre était complètement incohérent. Il parlait d’un monstre. Je l’ai d’abord pris pour un fou, mais j’ai fini par moi aussi entendre des bruits. Et il ne s’agissait pas de ceux d’une harpie, ou d’un gobelin buveur de sang.
- Il y a donc réellement un monstre ? demanda d’une voix apeurée un élève de première année.
- Mais oui, mon petit ! assura James Potter, avec un ton plein de condescendance. Je vous déconseille de suivre l’exemple de Servilo. Je suis sûr qu’il voulait se rendre intéressant en perçant les mystères du Saule-Cogneur. Cet abruti aurait pu y laisser la vie, si je n’avais pas volé à son secours.
Severus avait donc lui aussi violé le couvre-feu. Lily n’ignorait pas qu’il était obsédé par le Saule-Cogneur depuis un certain temps, et Lily lui avait fait promettre de ne jamais s’en approcher. Ce n’était pas pour rien si Albus Dumbledore, le directeur de Poudlard, avait formellement interdit aux élèves de se rendre autour de cet arbre. Certains disaient qu’il avait été planté dans le parc parce qu’il était un joyau de la botanique, et qu’il était l’un des sujets d’étude de la Professeure Chourave.
- Et le monstre, ajouta un autre élève de première année, l’avez-vous vu Mr. Potter ?
Lily détestait entendre les plus jeunes appeler James Potter « monsieur ». Ce qui n’était pas le cas du joueur de Quidditch qui se prenait pour une véritable vedette au château.
- De loin, seulement. Mais il fonçait droit vers nous. Si je n’avais pas été là, ce Serpentard sans cervelle aurait été dévoré tout cru. Cela ne fait aucun doute. Je pense qu’une acromentule a sûrement élu domicile sous le Saule-Cogneur. Ce n’est pas étonnant, on dit que ces bestioles pullulent dans la forêt. J’imagine qu’elle avait faim, et qu’elle n’avait rien de plus frais à se mettre sous la dent que Servilo. J’ai certainement sauvé plus d’une vie cette nuit. Cette pauvre créature se serait empoisonnée en goûtant la chair de ce dérangé.
Il eut des ricanements et des gloussements, mais aussi quelques interrogations. Pouvait-on se promener sans danger dans le parc ? Risquait-on de croiser une araignée géante ?
Lily en avait assez entendu. Il fallait qu’elle tire les vers du nez à Severus. Elle voulait sa version des faits, et elle l’aurait.
- Alors, Evans ? l’interpella Potter alors qu’elle s’apprêtait à remonter dans sa chambre. Toujours pas tentée par un tête-à-tête avec moi chez Madame Pieddodu ?
Lily l’ignora royalement. S’il réitérait sa demande une énième fois, elle lui répondrait qu’elle préférerait sortir avec le calmar géant.
- Encore manqué, Cornedrue ! se moqua Sirius Black.
*
Quand Lily entra dans la cuisine, elle trouva Severus assis à table, en train d’éplucher des carottes. Les traits figés, complètement impassables, Severus s’appliquait avec sérieux. Cette corvée semblait le canaliser. Lily se demanda comment Mr. Rogue aurait réagi en voyant son fils effectuer les basses besognes des ménagères. C’était comme ça que les hommes du coin parlaient des tâches domestiques que réalisaient uniquement les femmes.
À Carbone-les-Mines, les gens avaient toujours eu l’esprit un peu étroit. Un fils d’ouvrier était destiné à devenir ouvrier, tandis que ceux qui vivaient de l’autre côté du ruisseau – dans les quartiers un peu plus favorisés – avaient peut-être une chance de s’en sortir grâce à l’instruction. L’avenir des filles était rarement extraordinaire. A l’impasse du Tisseur, les gamines apprenaient dès leur plus jeune âge les arts ménagers, la couture. On les destinait – tout comme leurs mères – à des ouvriers, et à des emplois précaires, s’il fallait arrondir les fins de mois.
Dans le quartier où Lily avait grandi, les choses n’étaient pas bien différentes. Les filles devaient bien travailler à l’école, mais aussi aider leurs mères à la maison. On ne les poussait pas vraiment à faire de grandes études, contrairement aux garçons. Le mariage représentait la sécurité absolue et la conformité aux normes sociales.
Lily, avant de partir à Poudlard, avait quelques amies avec lesquelles elle n’était pas restée en contact. Elle avait néanmoins su - grâce à ses parents - ce que certaines étaient devenues. Jane Cowper – une petite brune un peu boulotte – avait finalement rejoint ses parents à l’épicerie, alors qu’elle rêvait de vivre à Londres pour y tenter sa chance. Carbone-les-Mines, une petite ville, représentait la stabilité selon les Cowper, alors que la capitale était un monde dangereux. Deborah Clarkson – une voisine des Evans un peu plus âgée que Lily – avait quitté Carbone-les-Mines, mais avait déposé ses valises à seulement dix minutes de route de la ville. Elle était tombée amoureuse d’un mécanicien qui avait ouvert son propre garage d’automobiles. Deborah – de ce que savait Lily – restait à la maison pour s’occuper des tâches domestiques, de sa fille et gérait toutes les corvées administratives de l’entreprise de son mari sans toucher le moindre shilling. Son époux économisait donc le salaire d’un employé.
À sa connaissance, seule Pétunia avait échappé à la grisaille de Carbone-les-Mines. Peu après le lycée, la sœur aînée de Lily avait été formée au métier de secrétaire et avait trouvé un emploi dans une entreprise londonienne. Là-bas, elle avait rencontré Vernon Dursley, un petit cadre très ambitieux. Et Pétunia avait renoncé à son indépendance financière pour l’épouser et mener une vie parfaitement rangée de femme au foyer.
Dans la communauté des sorciers, les choses n’étaient pas bien différentes. Lily – au cours de ses études à Poudlard – avait appris que des femmes avaient pu accéder aux plus prestigieuses fonctions au Ministère, mais elles n’étaient qu’une poignée. Une femme occupait d’ailleurs le poste de Ministre de la magie, mais elle n’était que la dixième du sexe féminin à exercer ce mandat, contre une vingtaine d’hommes. C’était un peu mieux que chez les Moldus, car le premier ministre actuel était la première femme à endosser ces responsabilités.
S’il n’y avait pas eu cette guerre, Lily aurait certainement songé différemment à son avenir. Elle n’aurait certainement pas épousé James aussi rapidement. Ils étaient jeunes, amoureux et le conflit et les sentiments qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre leur avaient fait perdre un peu l’esprit. Elle aurait sans doute monté son entreprise d’apothicaire. Son père – un comptable – lui avait toujours appris à bien gérer son argent, à maîtriser les chiffres. Lily avait toujours été la meilleure en mathématiques dans sa classe, quand elle n’était encore qu’une petite fille qui ignorait tout de la magie. Les potions n’étaient bien évidemment pas le seul domaine dans lequel Lily avait excellé à Poudlard. La Gryffondor avait des facilités dans l’exécution des sortilèges, mais aussi en métamorphose. Les professeurs Slughorn et Flitwick trouvaient qu’elle faisait de la belle magie.
Elle avait d’ailleurs offert à son professeur de potions un petit poisson d’eau douce qu’il avait baptisé Francis. Francis n’était pas n’importe quel poisson, Lily l’avait créé à partir d’un pétale de lys qu’elle avait transfiguré. Horace Slughorn avait été l’un de ses professeurs favoris à Poudlard. Il avait toujours admiré son talent pour les potions – matière qu’il dispensait – et fait preuve d’une grande gentillesse à son égard, bien qu’il eût été très surpris en apprenant qu’elle était une née-moldue. Ce poisson avait été une façon pour elle de lui témoigner sa reconnaissance.
Alors qu’elle regardait Severus éplucher les carottes – qu’il réservait sans doute pour un potage ou une purée – Lily eut une idée. Elle ne pouvait décemment plus passer ses journées à observer la triste et sordide rue depuis l’unique fenêtre du salon de son hôte. Non, il lui fallait une activité pour repousser ses mauvaises pensées et son chagrin. Harry avait besoin d’une mère forte, courageuse et attentionnée, et non d’un spectre apathique qui pouvait éclater en sanglots à tout moment. Elle avait fait une petite merveille avec un simple pétale de lys, elle pouvait en faire autant avec la maison de Severus.
- Sev ? dit-elle en souriant.
Son ami leva les yeux vers elle et l’observa avec une certaine méfiance.
- As-tu besoin de quelque chose, Lily ?
- J’ai eu une idée…
- Aurais-tu – par le plus grand des miracles – trouvé une alternative pour que Black ne mette pas les pieds chez moi quand je ne suis pas là ? dit-il avec un sourire sardonique.
- Hélas, non, désolée de te décevoir. Je sais que tu n’apprécies par Sirius, et que cela te coûte beaucoup de le laisser venir chez toi pendant ton absence.
- Quelle perspicacité ! ironisa Severus. Néanmoins, je sais que c’est nécessaire pour ta sécurité et celle de ton fils. Je serrerai les dents aussi longtemps que possible, mais je ne promets pas de ne pas mordre si la situation l’exige…
Lily espéra en son for intérieur que Sirius – qui pouvait être très immature – appliquerait ses bonnes résolutions et ne pousserait pas Severus à bout. Son ami, lui aussi, pouvait se comporter comme un enfant quand il s’agissait de l’un des Maraudeurs.
- Bon, qu’avais-tu à me dire ? reprit-il.
- Etant donné que je risque de rester ici pendant un temps – disons-le – appréciable, je me disais que je pourrais peut-être aménager les lieux, donner un petit coup de neuf, rendre l’endroit un peu plus chaleureux.
Pendant quelques secondes, Severus ne répondit rien. L’expression de son visage demeura impassible. Puis, il posa la carotte et l’économe qu’il tenait dans ses mains sur la planche à découper.
- Tu veux connaître mon avis ? C’est sans doute l’idée la plus stupide que tu aies eue.
Elle aurait dû s’en douter, et elle comprenait la réaction de Severus. Qui était-elle pour choisir la décoration de la maison de Severus ? Elle n’était qu’une simple invitée, hébergée par contrainte par Severus. Elle l’avait peut-être même blessé en faisant cette suggestion.
- Mais c’est aussi la meilleure ! ajouta-t-il. Cette maison est une cause perdue. Cependant, je préfère te voir t’acharner sur ce projet, plutôt que de te voir dépérir et jouer les commères à la fenêtre du salon. Ce sera sans doute bien plus intéressant que de surveiller les allées et venues des rats sur le trottoir. Repeins les murs en rose, si cela t’amuse ! Pose de la moquette dans la cuisine, si cela te chante ! Accroche des têtes d’elfes de maison décapités dans les escaliers, si cela te plaît ! Tu as carte blanche.
Lily cligna des yeux en entendant cela.
- Des têtes d’elfes de maison ? Vraiment, Severus ? dit-elle en gloussant.
- Certaines familles appliquent cette horrible tradition, répondit-il sur un ton détaché. Chacun ses goûts en matière d’ornementation. Mais ce ne sont pas les miens, certainement pas.
Lily avait appris que la famille de Sirius – les Black – honorait la mémoire de ses serviteurs en les décapitant à leur mort. Les têtes étaient ensuite accrochées – telles des trophées de chasse – sur les murs de la maison. Sirius n’appréciait pas cette coutume familiale, et aimait encore moins l’elfe qui l’avait servi durant son enfance et une partie de son adolescence. Il méprisait ces créatures serviles, et jugeait qu’on avait assez vu leurs têtes de leur vivant pour ne pas avoir à les supporter après leur trépas. Lily trouvait surtout ça barbare. Chez les Moldus, on adorait exhiber certains gibiers empaillés ou décapités. Ce n’était pas mieux, et Lily ne comprenait pas en quoi une tête de sanglier ou de biche était considérée comme une preuve de bon goût.
Le lendemain, Lily – qui avait longuement réfléchi à son nouveau projet avant de s’endormir – décréta qu’elle devait commencer par le salon, qui était la pièce la plus fréquentée de la maison. Elle ne se gêna pas pour mettre à contribution Severus. Alors que Harry faisait une sieste, l’ancienne Gryffondor et le nouvel enseignant montèrent au grenier. Severus pensait que c’était une perte de temps de s’aventurer sous les combles. Ses parents y avaient entassé des vieilleries, des meubles et objets abîmés et cassés depuis des lustres. Lui-même avait rangé là-bas des babioles usées, qu’il ne supportait plus de voir, telles que le cendrier de son père – un petit contenant circulaire en ferraille rouillée. Lily se demandait d’ailleurs pourquoi il ne l’avait pas jeté, tout comme beaucoup d’autres affaires. Sûrement à cause de sa mère, Mrs. Rogue, qui n’avait donné aucun signe de vie depuis près de quatre ans.
- Avec un peu de volonté, cet abat-jour pourrait faire son effet, commenta Lily en soupesant un chapeau de lampe en très mauvais état. Un peu de lumière supplémentaire ne ferait pas un peu de mal. Aurais-tu une lampe de chevet ou sur pied ?
- Cette antiquité ? J’aurais dû la brûler ! répondit Severus sur un ton acerbe. Franchement, il n’y a vraiment rien ici. On perd notre temps !
Lily balaya d’un revers de main les fulminations de son ami. Elle était persuadée qu’elle pouvait réaliser des prodiges avec certains éléments de ce bric-à-brac.
- Regarde cette couverture, dit-elle en la dépliant. D’accord, elle est trouée et tâchée. Mais avec quelques sortilèges elle sera comme neuve. Je pense même pouvoir changer sa couleur.
- Mais où as-tu appris tout ça ? demanda Severus, surpris. Je ne savais pas qu’une option « comment décorer votre habitation » était proposée à Poudlard. Et pourtant, j’enseigne là-bas. Mercredi midi, je ferai plus attention à table.
Lily pouffa de rire pendant un bref instant, puis retrouva son sérieux.
- Il fallait bien que je m’occupe à Godric’s Hollow…
- Excuse-moi… J’aurais dû m’en douter.
Le cottage de Godric’s Hollow n’avait rien à voir avec la vieille maison en briques de Severus. Lily et James n’avaient pratiquement rien eu à faire en posant leurs valises là-bas. La future mère s’était simplement amusée à changer quelques éléments de décoration, mais le plus gros chantier avait été la nurserie. Elle avait passé des semaines à décorer la chambre de son enfant à naître. Cela avait été une occupation rassurante. Le cottage avait été un cocon, un nid, une bulle loin de l’agitation qui régnait dans la communauté des sorciers. Cette retraite forcée avait parfois été frustrante. Lily s’était souvent sentie misérable et impuissante en apprenant la mort de membres de l’Ordre, et de personnes complètement étrangères à ce conflit engendré par Voldemort, alors qu’elle était en sécurité.
- Revenons à cette couverture, dit en souriant Lily.
Pendant encore une heure, Lily et Severus restèrent au grenier. Lily mit la main sur quelques objets qu’elle était certaine de pouvoir rénover. Et si la magie ne pouvait rien pour certains d’entre eux, Lily userait des moyens moldus pour en venir à bout.
Dans le salon, Lily s’appliqua à réparer le canapé, tandis que Severus s’acharnait à donner un aspect moins miteux à l’abat-jour, mais sans succès.
- Laisse, je vais m’en occuper, dit la jeune femme rousse. Pourrais-tu descendre Harry ? Si sa sieste dure trop longtemps, Harry peine à s’endormir le soir.
Severus acquiesça et ne tarda pas à revenir avec le bambin dans ses bras. Harry babillait, comme s’il essayait d’amorcer une conversation avec l’homme qui le portait.
- Quand parlera-t-il ? demanda-t-il à Lily en s’asseyant dans le fauteuil, Harry posé sur ses genoux.
- Il parle, répondit Lily. Du moins, il apprend. C’est tout à fait normal. Mais tu sais ce qui l’aiderait ?
Severus haussa les épaules.
- Que tu discutes avec lui, que tu lui parles, tout simplement.
- De quoi peut-on discuter avec un bébé ? réfléchit Severus à voix haute.
- De tout, ou presque, répondit Lily qui inspectait chaque recoin du canapé. À cet âge, les enfants absorbent tout comme des éponges et, un beau jour, ils disent leur premier mot.
Severus ne répondit rien et se contenta de regarder dans les yeux le petit Harry. On aurait dit qu’il réfléchissait à un sujet de conversation approprié. Lily ne vit rien de tout cela, car elle examinait encore le canapé et songeait de son côté aux sortilèges qu’elle utiliserait pour lui rendre sa jeunesse d’antan.
Elle parvint à réparer chacune des déchirures qui parsemaient le vieux tissu. Puis, elle se demanda si une couleur un peu plus chaude ne serait pas appropriée.
- Hum… un beau rouge bordeaux, ou bien du pourpre… le blanc est trop salissant, même un blanc crème. Sev ? Tu n’as rien contre le rouge ?
Elle se retourna et vit que Severus lisait à voix basse une revue à Harry. Ses sourcils se haussèrent de surprise.
- Que le lui lis-tu ? demanda Lily.
- Le Mensuel des potions qui date du mois d’août, répondit Severus après avoir interrompu sa lecture.
Lily ne savait pas ce qui l’étonnait le plus entre le choix incongru de lecture et son fils qui paraissait être absorbé par ce que lui racontait Severus.
- Grâce à toi, le premier mot de Harry sera peut-être veracrasse, ou bien asphodèle, ironisa Lily.
- Ou bien mandragore, répondit Severus sans quitter des yeux sa revue. Il me semble avoir déjà entendu ce nom quelque part…
- Quel nom ?
- Damoclès Belby.
- Ça me dit vaguement quelque-chose, répondit Lily qui réfléchissait à la teinte la plus appropriée pour le sofa de Severus.
Le canapé était recouvert d’un tissu d’une couleur indescriptible. Un vert, qui avait sûrement été beau au début, mais qui avait viré à la fois au gris et au marron.
- C’est bon, je me rappelle ! dit Lily. Il était l’un des invités à l’une des soirées du club de Slug. Un maître des potions très réputé, si je me souviens bien. Bordeaux, ce sera parfait.
- Et un peu fantasque, si tu veux mon avis, rétorqua Severus, alors que Lily lançait un sortilège de coloration sur le canapé. Il est certain de pouvoir éradiquer les symptômes désagréables de la lycanthropie grâce à une potion.
- Waouh ! C’est prodigieux ! Une telle potion serait un miracle et pourrait aider des milliers de personnes ! s’exclama Lily.
- Bof… Une perte de temps et d’argent. Aucun lycanthrope ne pourra se payer une potion qui contient du sang de dragon, ou encore un œuf d’Occamy, par exemple. Que des ingrédients extrêmement coûteux !
Lily devait reconnaître que Severus n’avait pas tort. Les loups-garous vivaient – pour la plupart – dans la clandestinité, par crainte d’être rejetés. Il était extrêmement difficile pour eux d’obtenir un emploi, et surtout de le garder. Lily le savait notamment grâce à son ami Remus Lupin. Celui-ci s’était engagé au sein de l’Ordre, mais avait enchaîné pendant un temps les petits boulots – aussi bien chez les sorciers que chez les Moldus. De peur d’éveiller les suspicions, Remus démissionnait souvent, car ses transformations mensuelles le contraignaient à rester confiné chez lui. On pouvait se faire porter pâle une fois de temps en temps, mais pas tous les mois à chaque pleine lune sans attirer les soupçons. Severus avait été plus clairvoyant que Lily, en devinant avant tout le monde la maladie dont souffrait Remus.
- Du rouge ?! s’exclama Severus avec dégoût, en voyant le canapé. Tu as de la chance que je ne connaisse pas ce sortilège.
Harry – à qui on n’avait rien demandé – répondit par quelques babillages et rires.
- Quoi ? Cela t’amuse ? lui rétorqua sèchement Severus. Reprenons notre lecture.
Lily pouffa de rire et s’occupa ensuite elle-même de l’abat-jour sur lequel Severus n’avait accompli aucun miracle. Le tapis et la couverture – chinée au grenier – lui demandèrent un peu plus de travail, mais moins que le canapé. Lily arrêta ses activités peu avant l’heure de passer à table. Il lui restait encore beaucoup de travail dans le salon, mais on pouvait déjà remarquer les petits changements qu’elle avait apportés aux lieux. Elle n’était en revanche par certaine de pouvoir métamorphoser le vieux papier peint posé au mur. Elle ne craignait pas de rencontrer de difficultés pour fixer les angles décollés, mais elle ne pensait pas pouvoir changer la couleur des murs avec quelques coups de baguette. Il faudrait sans doute investir dans de nouveaux rouleaux, ou dans quelques pots de peinture.
- C’est moi, ou les coussins sont plus confortables ? remarqua Severus en s’asseyant après le dîner.
- Oui, je les ai rebombés avec un charme de gonflage, répondit Lily avec une once de fierté dans la voix.
- Intéressant, commenta Severus.
- Prêt à retourner à Poudlard après-demain ?
Severus grogna.
- Plaît-il ? se moqua Lily.
- Je n’ai pas hâte de retrouver les élèves de première année qui ont un niveau affligeant. Ils sont des catastrophes ambulantes. Ils n’écoutent pas, ne suivent pas les instructions et ont le toupet de se plaindre quand ils échouent ! Dès le premier cours, un Poufsouffle a réussi à faire fondre son chaudron. Cet idiot a réitéré son exploit trois semaines plus tard. Je suis certain que je vais retrouver des larves à mon retour, des limaces que Horace aura trop gâtées !
Lily gloussa. Elle s’attendait à passer quelques soirées divertissantes, si Severus daignait lui raconter ses journées chaque soir. Elle put deviner – à travers les critiques de son ami – qu’il n’était absolument pas un enseignant facile, et qu’il était l’exact opposé de Horace Slughorn, celui qui l’avait formé et qui était à présent son collègue.
Elle voulait aborder un sujet un peu plus sérieux, bien qu’elle ne considérât pas les cours de Severus comme un sujet léger. Elle souhaitait lui reparler de cette nuit, sous le Saule-Cogneur, pendant leur cinquième année. Lily avait beaucoup repensé à cet événement. Elle connaissait la vérité, et elle n’était pas reluisante, aussi bien pour les Maraudeurs que pour Severus. Mais elle n’avait jamais mesuré à quel point cette nuit avait profondément marqué l’ancien Serpentard.
- Sev, dit-elle après avoir cessé de rire. J’ai beaucoup réfléchi à notre conversation, après l’appel de Dumbledore.
Son hôte se raidit. Il n’avait manifestement pas envie d’aborder ce sujet épineux avec Lily.
- Tu m’as dit avoir inventé ce… ce sortilège… de magie noire après cette nuit pour… pour pouvoir te défendre. Pas vrai ?
Il hocha la tête. Elle ne le jugerait pas cette fois-ci. Elle pouvait comprendre.
- Je suis désolée de ne pas t’avoir écouté, de ne pas t’avoir cru quand tu disais que Remus était un loup-garou. Cela ne retire en rien au fait qu’il n’était nullement complice du piège que t’avait tendu Sirius. Appelons les choses, telles qu’elles sont. Il ne s’agissait pas d’une farce, mais d’un piège. Je ne pense pas que Sirius voulait que tu meures…
- Il le voulait, la coupa Severus.
- Je ne le pense pas, répéta Lily. Il n’a tout bonnement pas mesuré les conséquences de son acte, de ce qui aurait pu se passer sous cet arbre, si James n’était pas venu…
- Le retour du héros, c’est reparti ! cracha Severus. Il sauvait sa peau ! Et je sais très bien ce qu’il a raconté à tout le monde par la suite ! Il n’a pas perdu son temps ! À midi, le lendemain, tout le monde savait que le grand James Potter avait risqué sa vie pour voler au secours de l’ignoble Severus Rogue, pris au piège dans un tunnel !
Il y avait de la colère et de l’amertume dans sa voix.
- Severus, dit douloureusement Lily. James n’aurait jamais dû raconter… ou plutôt inventer cette histoire. C’était stupide, vil et méchant, même de sa part. Et moi – en tant que ta meilleure amie – j’aurais dû te croire… Si tu savais à quel point je suis désolée…
Ses yeux s’embuèrent de larmes. Elle n’avait presque porté aucun crédit aux dires de Severus quand il lui avait raconté une partie des événements. Dumbledore lui avait demandé de ne pas révéler la vérité. Il était resté évasif, avait réitéré ses allusions quant à l’état de Remus, alors que James n’avait pas hésité à se faire passer pour un héros – digne de Godric Gryffondor – seulement quelques heures après cette horrible nuit.
- Lily, dit à voix basse Severus, je suis désolé. Je ne voulais pas te faire pleurer…
Il passa un bras autour de ses épaules et Lily renifla contre son pull.
- Excuse-moi, l’implora-t-il. Tu es gentille avec moi, et je te cause du chagrin, comme d’habitude.
- Non, nia Lily. Tu avais raison…
C’était difficile à admettre, mais tant de choses avaient changé en cinq ans, et l’une d’elles était les sentiments de Lily Evans qui s’étaient mués en amour pour James Potter. Le Baron Sanglant et le calmar géant…