
Insomnie
Lily se trouvait sublime dans sa somptueuse robe blanche faite en soie et en tulle. Sa volumineuse chevelure rousse avait été relevée en un chignon parsemé de petites fleurs blanches. Elle avait attendu cette journée avec impatience. D'ici quelques minutes, elle dirait oui pour la vie à James. Célébrer un mariage en temps de guerre était un peu incongru, mais on ne pouvait pas la laisser tout prendre. Pour le jour de ses noces, Lily ne voulait pas entendre parler de cette lutte contre les forces obscures. Ce jour devait être lumineux, joyeux et idyllique.
Tous ceux qu'elle aimait avaient fait le déplacement. Lily les apercevait au loin, assis auprès de l'arche. James l'attendait. Il était beau dans son costume de marié et avec ses cheveux noirs en bataille. Sirius, à ses côtés, lui tapotait l'épaule pour le rassurer. Elle l'imaginait parfaitement dire à son futur époux : « Courage mon frère ! C'est juste pour la vie ! Tu aurais pu faire un plus mauvais choix. » Lily inspira lentement, vérifia qu'elle portait bien son bouquet de petites fleurs sauvages et foula à son tour l'allée nuptiale. Oui, tous ceux qu'elle aimait étaient présents, et même Tunie. Sa sœur aînée était assise à côté de leurs parents et lui adressait un doux sourire. Mrs Evans, leur mère, ne portait même pas sa perruque et rayonnait de santé, tandis que leur père était ému.
Lily arriva enfin devant l'arche et James la regardait comme si elle était l'une des sept merveilles du monde, une déesse. Ses yeux bruns étincelaient de bonheur et son sourire était doux, rêveur. Une ombre passa sur son visage et son sourire devint inquiétant. Les fleurs, qui recouvraient l'arche, mirent fin à leur chant et de lourds nuages chassèrent les rayons printaniers du soleil. La mariée se sentit peu à peu gagnée par l'effroi, tandis que James restait figé et la regardait avec envie. Plusieurs silhouettes apparurent dans des spirales de fumée noire, aussi sombre que celle crachée par l'usine de Carbone-les-Mines. Les fleurs de son bouquet se flétrirent et tombèrent au sol. Avec horreur, Lily découvrit les visages de plusieurs mangemorts et de Voldemort.
- Tuez-les tous ! cria le mage noir. Mais laissez la Sang-de-Bourbe en vie ! Elle est la récompense de Severus !
Des éclairs verts jaillirent de toute part et des corps, ceux de ses proches, s'écroulèrent au sol. Impuissante, Lily hurlait. Ses parents et sa sœur mourraient sous ses yeux. James, lui, restait toujours figé, telle une statue, alors que leurs amis se battaient et se faisaient tuer. Elle le secoua, mais il ne bougeait pas, et soudainement ses traits se muèrent en ceux de Severus.
- Tu es à moi, Lily. Tu es à moi, Lily, assura le mangemort avant de l'embrasser de force.
- Non ! Non ! protesta-t-elle.
Lily ouvrit les yeux. Son visage ruisselait de sueur et de larmes. Ce n'était qu'un cauchemar, juste un cauchemar. Elle aurait dû s'en douter. Ce qu'elle avait vu dans son rêve ne ressemblait nullement à son mariage. Fébrilement, elle se saisit du cadre posé sur la table de nuit. Qu'ils étaient beaux ce jour-là ! James et Lily s'étaient mariés dans la précipitation, et seule une petite poignée de convives avait assisté à leurs noces. Sur la photo, elle et James posaient avec Sirius, leur témoin. Ce jour-là, ses cheveux n'étaient même pas coiffés en chignon, et sa robe était une simple robe longue blanche avec des manches vaporeuses. Pétunia et son époux avait refusé de venir, et sa mère portait une perruque. Le cancer avait fini par l'emporter cinq semaines plus tard.
Lily hoquetait dans son lit. Cette journée, si belle, lui semblait à présent très lointaine. Le pays était en guerre, et pourtant elle n'avait jamais pensé se retrouver veuve aussi jeune. James était mort depuis seulement cinq jours, et elle avait l'impression que cela faisait une éternité. Il lui manquait terriblement, et elle ne parvenait pas à intégrer l'idée qu'elle ne le reverrait plus, qu'elle ne dormirait plus avec lui, qu'elle ne l'embrasserait plus... Rêver de lui était à la fois une consolation et un supplice. Dans ses songes, elle pouvait l'entendre lui parler, lui dire des mots d'amour. Mais les réveils étaient toujours pénibles, car ils lui rappelaient sa triste réalité, celle de veuve devant se cacher avec son fils chez un mangemort.
Pourquoi avait-elle rêvé de Severus ? Les dernières révélations s'étaient certainement emmêlées dans son esprit comme un sac de nœuds. Severus était à la fois son protecteur, son meilleur allié et à la fois l'un des responsables de ses malheurs. S'il n'avait pas entendu cette prophétie et ne l'avait pas rapportée, rien de tout cela ne serait arrivé, et James et Peter seraient encore en vie. Elle était certaine que pour beaucoup la tragique nuit de Godric's Hollow n'était qu'un mal pour le plus grand bien, car Voldemort avait disparu et avait emporté dans son sillage la terrible décennie qui s'était écoulée. Mais ils ignoraient ce qu'elle savait, ce qu'elle avait appris de la bouche de Dumbledore seulement quelques heures après avoir perdu son époux. Voldemort reviendra un jour, et une nouvelle ère de terreur verra le jour.
Cela lui donna la nausée. Severus lui avait pourtant conseillé de boire cette potion pour éviter les mauvais rêves, mais elle s'y refusait. Elle ne craignait nullement d'être empoisonnée, mais elle ne voulait pas que la qualité de ses nuits dépende d'une petite fiole. Lily quitta son lit et jeta un œil à Harry qui dormait dans son couffin. Heureusement, elle ne l'avait pas réveillé. Elle se sentait incapable de se rendormir, craignant un nouveau cauchemar. Sur la pointe des pieds, elle quitta sa chambre et descendit les escaliers. Elle ignorait l'heure, mais il faisait encore nuit. Le salon était plongé dans l'obscurité et Lily l'illumina à l'aide de sa baguette. A l'étage, la rousse entendit le bruit d'une porte, puis des pas dans l'escalier. Raté ! Elle avait réveillé Severus.
- Tu ne dors pas ? demanda-t-il, soucieux. Il est quatre heures du matin.
- Non, j'ai fait un cauchemar, marmonna-t-elle.
Elle se rappela l'horrible rôle de Severus dans son cauchemar, et elle eut à nouveau la nausée. Dans un sens, ce cauchemar n'avait pas été si éloigné de la réalité. Elle ne devait sa survie qu'à une promesse tordue qu'avait honorée Voldemort pour récompenser Severus.
- Tu devrais prendre la potion que je te donne, lui conseilla-t-il.
Lily ignora sa remarque.
- Et toi ? Tu ne dors pas ?
- Très peu, répondit Severus. J'ai toujours eu le sommeil très léger, et je n'ai jamais été un très gros dormeur.
- Pourquoi ne prends-tu pas la potion que tu veux à tout prix me faire ingérer ? demanda Lily sur un ton cassant.
- Il vaut mieux que je reste éveillé, répondit-il.
- Désolée, j'avais oublié, dit-elle en soupirant. Il faut bien qu'une baguette reste debout durant la nuit.
- Lily, tu n'as rien à craindre ici.
Elle avait déjà entendu cela, et James était mort.
- Si je reste éveillé la plupart du temps, c'est au cas où Dumbledore nous contacterait, et surtout parce que je suis insomniaque, dit-il en s'asseyant sur le canapé.
Lily le rejoignit et ramena ses genoux contre sa poitrine.
- Tu m'as dit que tu avais fait un cauchemar... Était-ce la nuit où...
- Non, le coupa Lily. Je n'ai pas rêvé de ça...
- Si tu as besoin de parler... hésita Severus. Je... je suis là.
Lily l'observa. Severus avait le teint gris et les traits tirés. Il n'avait certainement pas connu une nuit paisible depuis des semaines.
- Pourquoi es-tu insomniaque ? demanda-t-elle. Tu l'étais déjà quand nous étions à Poudlard ?
- Parce que je pense beaucoup trop, soupira le jeune homme. Et pour répondre à ta seconde question, oui, j'étais déjà insomniaque quand nous étions étudiants.
Il étendit ses jambes sur la table de salon.
- Pourquoi ne prends-tu pas cette potion, alors ? Tu dormirais mieux...
- J'en ai déjà pris, avoua-t-il. Mais... ce n'est pas très bon d'en prendre tous les soirs... On finit par s'y habituer et...
- Par devenir accro ? devina Lily.
Severus hocha douloureusement la tête.
- Tu as peut-être raison de ne pas en boire, poursuivit-il. Mais il faut vraiment que tu dormes... Tu n'es pas obligée de boire la fiole entièrement. Une gorgée, quand tu es fatiguée, devrait suffire à t'apaiser pour une nuit.
- Tu as déjà été accro à cette potion ? demanda Lily.
- Non, répondit Severus. J'ai arrêté d'en prendre pour ne pas le devenir. Une petite dose ne t'empêchera pas de rêver, mais tes songes ne seront pas douloureux, ni terrifiants...
- Même quand je fais de beaux rêves, cela m'angoisse, avoua Lily, les larmes aux yeux. Ils me rappellent que tout est terminé, qu'il n'est plus là... Parti... Disparu...
Severus baissa la tête. Ses yeux étaient comme éteints, alors que ceux de Lily brillaient de chagrin.
- Je n'arrive pas à me faire à cette idée, poursuivit-elle. Nous avions tellement de projets, de rêves... Cela ne devait pas se terminer ainsi.
Elle essuya les larmes qui coulaient sur ses joues en reniflant.
- C'est idiot de ma part. Nous avions conscience des risques... Mais nous avions l'espoir de voir cesser ce conflit et de reprendre une existence normale... A présent, je me rends compte que nous n'avions même pas vraiment réfléchi à l'après... Qu'aurions-nous fait de nos vies ? Seuls Harry et l'Ordre comptaient. Nous n'avions même pas réfléchi à nos carrières, à notre avenir professionnel. Lui et moi nous nous sommes directement engagés après avoir terminé nos études.
- Vous n'étiez pas les seuls, dit-il, un sourire amer dessiné sur ses lèvres.
- Tu as un métier, lui rétorqua Lily. Un métier très honorable, professeur à Poudlard. Tout le monde ne peut pas prétendre à un tel poste.
- Oui, oui, acquiesça-t-il à contre-cœur. Ce n'était pas dans mes projets de devenir enseignant, mais il fallait bien le faire...
C'était sa condition d'espion qui l'avait poussé à devenir maître des potions, et non une quelconque vocation.
- Quels étaient tes projets ? demanda Lily.
Severus avait choisi le camp du mal après leurs études, mais dans quel but ? Il se contenta de hausser les épaules.
- J'aime innover, je présume. J'aurais pu travailler au Département des Mystères, devenir une langue de plomb, ou quelque chose comme ça, si je n'avais pas fait tant de mauvais choix. Mais je sais très bien que Dumbledore voudra me garder à Poudlard.
- Tu n'aimes pas enseigner ?
La bouche de Severus se pinça et il réfléchit pendant quelques secondes à la question posée par son amie.
- Pour le moment, j'ai à ma charge les petites classes... Je t'assure qu'apprendre le remède contre les furoncles à des bocaux de cornichons décérébrés n'a rien de palpitant. J'imagine que si j'enseignais à des élèves plus âgés, j'y prendrais peut-être plus de plaisir. J'aurais préféré assurer les cours de défense contre les forces du mal.
- Tu sais bien que le poste est maudit, lui rétorqua Lily.
- Baliverne ! railla Severus. Ce poste n'est proposé qu'à des incompétents, des amateurs ou au mieux à des personnes qui n'ont jamais les épaules.
Lily gloussa en l'entendant exposer son point de vue aussi abruptement. Au cours de leur scolarité à Poudlard, Lily et Severus avaient eu affaire à un défilé d'enseignants dans cette matière. Aucun d'eux n'était resté plus d'un an dans l'école pour des raisons diverses et variées. Les étudiants avaient fini par penser que le poste était maudit, sans y croire réellement. C'était simplement une blague. Pourtant cette pseudo-malédiction pesait sur Poudlard bien avant leur passage entre les murs de l'école.
- Tu exagères un peu, nuança-t-elle. Nous avons eu quelques enseignants compétents, et heureusement !
- Oui, admit-il comme si on lui avait arraché de force cette syllabe. Et toi ? S'il n'y avait pas eu cette guerre... qu'aurais-tu fait ? Quand nous étions en quatrième année, tu disais vouloir améliorer le quotidien des gens avec des potions... Tu voulais devenir apothicaire ?
Lily pouffa de rire. Tout comme Severus, elle avait toujours été très douée dans l'art des potions. Mais elle était certaine que Severus l'avait largement dépassée dans ce domaine. Il lui avait raconté qu'il avait amélioré certaines recettes. Or, Lily ne l'avait jamais fait.
- Oui, c'est ce que je voulais faire jusqu'à notre... notre dispute. Je pensais que toi et moi aurions pu lancer notre petite entreprise. Tu avais toujours été mon binôme en potions, et il n'y avait qu'avec toi que j'aimais brasser des potions.
Cet aveu laissa sans voix Severus.
- Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé ? demanda-t-il dans un murmure.
- Parce que tu étais bien trop occupé avec tes chers camarades de Serpentard, Avery et Mulciber... sans parler des autres. Tu étais certes très doué en potions, mais je savais que tu nourrissais d'autres ambitions. Je craignais que tu te moques de moi...
Il ne répondit rien pendant quelques secondes. Peut-être imaginait-il ce qu'aurait été sa réaction si la jeune Lily Evans lui avait fait part de son projet en cinquième année.
- Je crois que j'aurais aimé cette idée... Moi aussi, j'aimais brasser des potions avec toi... J'aurais voulu améliorer et inventer toutes ces potions avec toi... Je n'étais vraiment qu'un petit con.
C'était bien la première fois que Lily entendait Severus s'insulter lui-même. Elle n'ignorait pas qu'il avait une piètre opinion de lui-même, mais elle ne l'avait jamais entendu utiliser la moindre insulte pour parler de lui-même.
- J'imagine qu'aujourd'hui cela n'a plus beaucoup d'importance, répondit-elle. Il va falloir que je songe à mon avenir... Harry et moi n'allons pas rester éternellement chez toi.
- Si tu travailles... hésita Severus. Comment vas-tu faire pour l'élever seule ? Tu comptes sur l'aide de Black et de Lupin ?
Dans leur monde, rares étaient les mères qui travaillaient et qui élevaient seules leur progéniture. Quand un sorcier et une sorcière se mariaient, c'était pour la vie. Madame restait au logis et monsieur travaillait pour subvenir aux besoins de leur famille. Le divorce n'était pas interdit par la loi, mais très mal vu par la société. Le cas de Lily était très différent. Elle était une veuve de guerre, et n'avait pas vraiment besoin de travailler. James avait hérité à la mort de ses parents d'une fortune considérable. Le père de James, Fleamont, avait quadruplé l'or de la famille en commercialisant une potion capillaire qui avait révolutionné le marché des cosmétiques : la potion Lissenplis. Des montagnes de gallions dormaient à Gringotts, mais Lily n'avait pas envie d'y toucher. Légalement, la moitié revenait à Lily, tandis que l'autre était à leur fils, Harry. Elle était donc immensément riche, mais c'était une bien maigre consolation.
Sirius et Remus lui avaient promis qu'ils seraient toujours là pour elle et Harry. Mais eux aussi avaient une vie à mener. Lily savait qu'elle pouvait compter sur eux, mais elle ne souhaitait nullement abuser de leur temps, de leur patience et de leur bonté.
- Lily, ça ne me gêne pas que tu restes ici avec le petit. Je comprendrai si tu décidais de partir... ma maison n'est pas vraiment... vraiment belle et chaleureuse... Elle est même sordide.
- Merci, Sev... C'est encore un peu tôt. Je ne sais même pas si James a été enterré, ou si je pourrais assister à ses funérailles... Il faut que je demande à Dumbledore... Il n'aurait tout de même pas fait ça sans m'en parler ? Je sais que je n'ai pas le droit de sortir d'ici... mais les funérailles de mon époux...
Sa voix se brisa. James était mort depuis cinq jours et la question de son enterrement n'avait jamais été soulevée. Le climat actuel du pays était encore tendu, mais elle était persuadée que cela ne justifiait pas le fait de la tenir à l'écart d'un événement qui la concernait plus que n'importe qui sur cette terre. Sur la pendule, Lily vit qu'il était presque cinq heures du matin. Il était encore bien trop tôt pour joindre Dumbledore. Le directeur dormait sans doute, contrairement à elle et Severus.
- Nous le contacterons tout à l'heure, annonça-t-il dans l'espoir d'apaiser ses angoisses. Veux-tu du café ? A moins que tu souhaites te rendormir.
Lily accepta. Une tasse de café bien noir et très fort l'empêcherait de retomber dans un sommeil torturé. Si une potion permettant de rester éveillé durant des heures existait, Lily la prendrait sans aucune hésitation. Excepté la caféine, rien sur cette terre n'accomplissait un tel miracle.
- Tu sais, ça va finir par passer, lui assura Severus en lui donnant une tasse fumante. Je ne prétends pas comprendre ce que tu ressens... Je peux simplement imaginer. Ce que je veux dire, c'est que la douleur sera toujours là, mais avec le temps tu finiras par t'y habituer, à l'accepter. Et tu connaîtras des nuits moins agitées.
Elle aurait pu se sentir offensée par les propos de Severus, mais dans le fond il avait raison. Elle doutait pouvoir un jour accepter la mort de James. Perdre sa moitié était tout simplement injuste et cruel, mais la mort de son époux n'était pas moins inacceptable que celles de beaucoup d'autres innocents et membres de l'Ordre. Des familles entières avaient été éradiquées durant la guerre, et pourtant Lily et Harry étaient en vie. Edgar Bones et sa famille n'avaient pas eu cette chance, tout comme les McKinnon.
- Quand tu repartiras à Poudlard, est-ce que nous serons toujours en sécurité ? demanda Lily, un peu anxieuse.
- Oui, n'aie aucune inquiétude. Je rentrerai ici tous les jours après mes cours... Et puis j'ai la chance d'avoir un emploi du temps peu contraignant. Mes cours ne se terminent jamais tard, et j'ai souvent mes après-midis. Et comme je te l'ai dit, personne ne viendra ici. J'ai posé des sortilèges puissants et ma cheminée n'est reliée qu'à Poudlard depuis plusieurs jours.
- Ils n'auront pas besoin de toi au château pour d'autres tâches ?
- Je ne suis pas directeur de maison, et ma mission principale maintenant c'est de vous garder sains et saufs, toi et ton enfant.
Il l'avait juré à Lily, seulement quelques heures après son arrivée à l'impasse du Tisseur. Severus avait promis de protéger Harry. Il n'osait toujours pas appeler le garçon par son prénom, comme s'il craignait d'être brûlé à la seconde où le nom franchirait ses lèvres.
- Merci, Sev... ça vaut ce que ça vaut, mais je suis heureuse de pouvoir compter sur toi, de t'avoir à mes côtés dans ces circonstances. Tu sais... Remus et Sirius sont mes amis, mais ils étaient surtout ceux de James... Enfin, Remus et moi étions amis avant qu'il devienne celui de James... Mais je n'ai jamais partagé avec eux ce que j'ai partagé avec toi... En dépit de tout ce que tu as pu faire et dire, je suis contente que tu sois auprès de moi. Bien sûr, j'aurais aimé que les circonstances fussent différentes, que toi et James ne fûtes jamais ennemis...
L'expression de Severus était indéchiffrable. Ses yeux, aussi noirs que le breuvage amer qu'il buvait, étaient perdus dans le vide.
- Ce qui est fait est fait, et ne peut pas être défait, trancha-t-il. J'ai toujours détesté Potter et Black, dès notre première rencontre. Ils avaient leurs torts, j'avais les miens. Je n'ai jamais rien fait pour apaiser la situation. Je crois même que j'aimais même l'envenimer. Je pense que je peux essayer de tolérer Lupin, même si on ne m'enlèvera pas...
- Remus n'a jamais voulu te tuer, Severus, l'interrompit Lily, qui avait deviné ce qu'il allait dire. Tu sais très bien que les loups-garous n'ont pas conscience de ce qu'ils font pendant leurs transformations. C'était d'ailleurs le sujet de notre épreuve de BUSE, je te rappelle.
- Tu ne m'enlèveras pas l'idée qu'il était consentant, marmonna Severus. Les loups-garous sont tous tordus, de toute manière.
Lily soupira. Lui faire entendre raison sur cette désastreuse nuit ne serait pas de tout repos.
- Tu es affligeant, parfois.
- Je vois que le temps des compliments est terminé, répondit-il sur un ton acerbe.
- Non, nous sommes toujours à l'heure de l'honnêteté, répondit Lily, pincée. Remus n'a jamais voulu te faire le moindre mal, et il en a beaucoup voulu à Sirius... Pendant un temps, ils ne se parlaient même plus. Tu sais, moi aussi j'avais des préjugés sur les loups-garous... On n'entendait aucun bien sur eux.
- On se demande bien pourquoi, persiffla Severus.
- Mais rappelle-toi, lors de nos toutes premières semaines à Poudlard, Remus était gentil avec toi... Et toi, tu l'as rejeté...
- J'étais jaloux de lui, expliqua Severus. Je craignais que tu le préfères à moi et que tu me laisses tomber. Et puis, c'était un Gryffondor, dit-il en grimaçant.
- Oui, comme moi... Je sais, tu vas encore me sortir que je suis différente et patati et patata. Je connais le refrain.
Severus ricana. Lily avait toujours été la seule élève de cette maison que Severus tolérait dans son cercle très restreint.
- Avoue qu'il a toujours été correct avec toi, qu'il ne t'a jamais fait le moindre coup bas...
- Pfff... Il n'a rien fait pour limiter la casse, alors qu'il était préfet comme toi.
- Il a essayé, avoua Lily. Mais James, Sirius et Peter ne l'écoutaient pas ou faisaient semblant de le faire. Et puis comme tu l'as si bien dit, tu aimais envenimer la situation. Et puis, quel culot de ta part de le lui reprocher ! Moi aussi, j'ai essayé de te raisonner, mais tu ne voulais rien entendre... Tu étais obsédé par eux !
Severus fronça les sourcils. Il détestait qu'on lui fasse des reproches.
- Vraiment, vous auriez mieux fait de devenir amis tous les cinq, lança-t-elle.
Les traits de Severus se muèrent en une expression de dégoût, comme s'il venait d'avaler une gorgée de jus de chaussette.
- Répète ce que tu viens de me dire à Black, et nous verrons comment il prendra la chose... sûrement pas aussi bien que moi, dit-il sur un ton coupant.
Lily pouffa de rire. Severus avait toujours reproché à James et Sirius leur stupide arrogance, mais lui aussi était très fier. Il n'était pas le genre à avouer ses erreurs et ses torts, surtout quand il s'agissait des Maraudeurs. Il n'était pas si différent d'eux dans le fond. Sirius avait concédé du bout des lèvres qu'il ne chercherait plus de noises à Severus, mais dieu seul savait combien de temps il tiendrait cette résolution. Durant longtemps, Lily n'avait pas approuvé les actions des Maraudeurs, et plus particulièrement celles de James et de Sirius. Toutefois, elle aurait préféré mille fois que Severus devienne ami avec eux plutôt qu'avec Mulciber, Avery, et tous ces autres garçons qui avaient fini par rejoindre Voldemort. Mais Severus avait choisi d'aller à Serpentard bien avant leur arrivée à l'école.
- Ça t'amuse en plus ?! constata Severus, sur un ton outré.
Lily fut alors gagnée par un fou rire qu'elle ne put arrêter. Elle n'aimait pas les disputes, mais voir Severus s'énerver pour tout et pour rien lui changeait les idées et la distrayait. Le café la maintenait éveillée, mais la fatigue commençait à parler. Severus se radoucit et la regarda étrangement. Peut-être pensait-il qu'elle devenait folle, qu'elle était bonne pour l'asile.
- Je ne t'avais pas vue rire comme ça depuis des années, dit-il. Je ne pensais pas que cela se produirait à nouveau...
- Que je rie ?
- Non, que je puisse te voir rire à nouveau, dit-il tristement.
Aussi terribles pouvaient être les circonstances actuelles, Lily était reconnaissante d'avoir retrouvé son ami. Sans y réfléchir, elle posa sa tête contre son épaule et ferma les yeux.
- Moi aussi, murmura-t-elle avant de s'endormir.