
Les derniers Maraudeurs
La lumière du jour réveilla Lily. Pendant un bref instant, elle pensa que les horribles événements de la veille n'avaient été qu'un horrible cauchemar, et qu'elle allait trouver James en tâtonnant avec sa main. Mais elle n'était pas allongée dans son lit à Godric's Hollow, près de James. Elle s'était endormie dans le canapé du salon de Severus, sans s'en rendre compte. Celui-ci avait même pensé à la recouvrir d'une couverture pour qu'elle n'attrape pas froid. Soudainement, Lily se rappela qu'elle avait laissé son fils à l'étage, dans la chambre prêtée par le propriétaire des lieux. Elle se releva et découvrit avec stupeur que Severus donnait le biberon à Harry dans son fauteuil. Son fils tétait calmement.
- On dirait que tu as fait ça toute ta vie, remarqua Lily.
Severus étouffa un ricanement, et Lily put voir se dessiner sur ses lèvres un rictus amusé. Elle ne l'avait pas vu sourire depuis des années.
- Tu ignores que cela fait une heure que j'essaie de le nourrir. J'ai fini par trouver la façon de faire.
- C'est ton propre biberon, ou tu as métamorphosé un verre ? demanda Lily.
- Non, il ne reste rien de mes affaires de bébé ici… Et mes compétences en métamorphose sont assez limitées. Dumbledore a informé ses alliés que nous avions besoin de quelques affaires pour le petit. Une certaine Molly Weasley a gentiment fait passer par la cheminée quelques vêtements, plusieurs biberons, quelques jouets et de la nourriture. Je crois savoir qu'elle et son époux ont une sacrée marmaille.
Lily se frotta les yeux et put voir qu'il était tout juste neuf heures sur la pendule, posée sur la cheminée.
- Sans doute, se contenta de répondre Lily, encore ensommeillée. Mais c'est très gentil de sa part.
- Certains de tes amis vont venir ici aujourd'hui, annonça Severus. Lupin et Black.
Cela ne semblait pas l'enchanter. Harry avait fini de boire son biberon, et Lily se sentit l'obligation de préciser à Severus que son fils devait faire son rot pour éviter les reflux. Mais Severus ne savait pas comment s'y prendre.
- Tu dois frotter son dos pendant quelques instants… Sinon, laisse-moi faire, dit-elle alors qu'elle s'apprêtait à quitter le canapé.
- Non, repose-toi. Je peux m'occuper du petit.
Délicatement, il massa le dos du bébé en le tenant blotti contre son épaule.
- C'est grave, s'il ne fait pas son rot ?
- Dans le meilleur des cas, il régurgitera sur ta redingote, persiffla Lily.
Severus grimaça et s'appliqua à tapoter légèrement le dos de Harry. Le rot vint enfin et Lily constata que son ami était soulagé de ne trouver aucune trace de lait sur ses vêtements noirs.
La sorcière, qui ne souhaitait nullement passer la matinée avachie dans le canapé, prit le relai et s'occupa de son fils. Severus lui prépara à l'étage un bain pour Harry et mit à sa disposition les vêtements gracieusement donnés par Mrs Weasley. Lily avait remarqué que Severus avait profité du temps, durant lequel elle avait dormi, pour nettoyer et ranger de fond en comble sa maison. Elle semblait toujours autant vétuste et vieillotte, mais elle étincelait de propreté.
Peu avant onze heures, deux sorciers se présentèrent au numéro 394 de l'impasse du Tisseur, Remus Lupin et Sirius Black. Instinctivement, Severus et ses deux vieux ennemis dégainèrent leurs baguettes, comme si un duel était inévitable.
- Quand Dumbledore nous a dit que Lily et Harry se trouvaient chez Servillo, j'ai cru qu'il était sous Imperium! déclara Sirius, le regard noir. Ou bien devenu sénile !
- Ça t'étonne, Black ? répondit Severus, un sourire sardonique sur les lèvres. Vois-tu, moi j'ai d'abord pensé que tu avais livré tes amis !
- Comment oses-tu ?! beugla Sirius.
Remus le retint de justesse alors qu'il comptait se jeter sur Severus. Au même moment, Lily, qui portait Harry dans ses bras, apparut et demanda que l'agitation cesse.
- Abaissez vos baguettes, tous les trois, ordonna-t-elle.
- Lily ! crièrent en chœur les deux visiteurs.
Severus rangea sa baguette, et les deux autres sorciers l'imitèrent.
- Dumbledore nous a prévenus, raconta Remus qui avait les traits fatigués. Et Sirius…
- Je me suis rendu chez vous, après l'attaque. Dumbledore m'y a envoyé avec Hagrid.
La fureur, qui étincelait quelques secondes plus tôt dans ses yeux noirs, avait laissé place à la tristesse et au désarroi.
- Nous avons retiré le corps de James et l'avons mis en sureté, ajouta-t-il.
Lily secoua la tête en guise de remerciement. L'idée que James puisse encore se trouver dans ce lieu de désolation lui était insoutenable. Les larmes lui montèrent aux yeux, et Sirius l'enlaça pour la consoler.
- Que s'est-il passé ? s'enquit Remus. Dumbledore a été très bref. Tout ce que je sais, c'est que des banquets sont organisés aux quatre coins du pays, et que des mangemorts sont en fuite.
- Oui, j'en vois justement un à côté de moi, déclara Sirius, acerbe, en désignant du menton Severus.
Le principal intéressé lui adressa un regard encore plus noir que ses cheveux.
- Tais-toi, Sirius, l'avertit Lily. Severus est venu la nuit dernière nous sauver. S'il n'avait pas été là, je n'ose imaginer ce qui aurait pu arriver à Harry. Des mangemorts auraient certainement eu le temps de…
Et sa voix fut brisée par une nouvelle vague de sanglots. Elle prenait réellement conscience de l'utilité de l'intervention de Severus. Par chance, Voldemort l'avait informé qu'il comptait en finir une bonne fois pour toute avec les Potter, la nuit d'Halloween. Mais il avait peut-être confié ses plans à certains de ses fidèles disciples qui auraient été heureux de voir les corps sans vie des Potter.
- Et Peter ? c'est vrai ce qu'on raconte ? demanda Remus. Vous l'aviez choisi pour être votre gardien du secret ?
Lily hocha douloureusement la tête en guise de réponse.
- Un doigt, murmura Sirius. C'est tout ce que j'ai retrouvé de lui, juste à côté du corps de James. Je m'en veux tellement…
- Es-tu certain qu'il est mort ? demanda Lily.
- Je suis ensuite passé dans sa cachette, répondit Sirius, blême. Elle avait été saccagée, mise sens dessus dessous, et il y avait du sang… Nous pensions que l'utilisation de sortilèges de torture n'aurait aucun effet sur la volonté du gardien, mais… On parle de Vous-Savez-Qui... Peter a sûrement subi des choses qu'on ne pourra jamais imaginer…
Son regard s'affaissa douloureusement. Il ne pensait pas qu'une conclusion heureuse était possible pour leur ami.
- Comme je te l'ai dit, Remus, reprit-il, personne – hormis Lily, James, Peter et moi – ne savait. J'imagine que Voldemort avait posté des espions un peu partout, et qu'ils surveillaient nos allées et venues depuis un certain temps.
- Ils ont dû voir Peter à Godric's Hollow au moment où il a prêté serment, compléta Lily, d'une voix faible. Nous avions pourtant pris des précautions…
A Poudlard, Lily n'avait jamais été très proche de Peter, qu'elle jugeait bête. Il avait toujours exprimé une grande dévotion envers James et Sirius, et disait amen à tout ce qu'ils faisaient. Mais après leurs études, lui aussi s'était engagé dans l'Ordre, et Lily avait pu voir que le garçon un peu balourd pouvait être très courageux. Il avait été profondément affligé par la mort des McKinnon en juillet dernier, et il n'avait pas hésité une seconde quand James lui avait demandé d'être le gardien du secret. Lily ne lui en voulait pas d'avoir révélé leur cottage à Voldemort. Les preuves parlaient d'elle-même. Peter avait été longuement torturé avant de parler, et le mage noir l'avait tué en guise de remerciement. Ils n'auraient jamais dû lui demander un tel service, et auraient dû se débrouiller autrement.
- Et toi ? s'adressa Sirius à Severus. Que fichais-tu là-bas ?
Lily coula un regard inquiet vers Severus. Allait-il tout révéler aux deux Maraudeurs ? La vérité occasionnerait un véritable duel. Lily décida de répondre pour son ami.
- Severus espionne Voldemort pour le compte de Dumbledore depuis plusieurs mois.
- Toi ? Un espion à la botte de Dumbledore ? Laisse-moi rire ! railla Sirius. Moi, je sais que tu as pris la marque !
- C'est vrai, acquiesça Severus. Je ne le nie pas, dit-il en déboutonnant la manche de sa redingote.
Il exhiba alors une marque très peu visible qui témoignait que Voldemort avait été réduit à néant.
- Quand Severus a appris que nous étions menacés, poursuivit Lily, il a décidé de changer de camp en informant Dumbledore.
- C'est une blague ?! explosa Sirius. Tu détestais James ! Je suis sûr que tu te réjouis de sa mort !
- Sirius, l'avertit Lily, sur un ton menaçant.
- Sirius, intervint à son tour Remus, tu oublies qu'il y a encore quelques années Lily et Severus étaient amis. J'imagine que Severus n'avait pas vraiment envie de voir son amie mourir, n'est-ce pas ? dit-il en regardant l'espion.
Severus acquiesça d'un signe de tête.
- Et je n'ai surtout pas oublié que leur amitié a pris fin juste après nos BUSE, quand ce cher Servilus a insulté Lily !
La sorcière n'avait pas besoin qu'on lui rappelle cette horrible histoire. Elle n'avait pas oublié l'insulte infamante prononcée par Severus, sale petite Sang-de-bourbe... Et elle ne lui avait pas pardonné. Les circonstances présentes étaient très différentes, et elle savait que, pour l'heure, Severus était son meilleur allié. Quelques heures plus tôt, il lui avait avoué qu'il l'avait toujours aimée et il avait juré de protéger Harry.
- Je n'ai pas oublié, répondit Lily, amère. Pour autant, j'ai entièrement confiance en Severus.
Et dire qu'elle disait le contraire devant Dumbledore quelques heures plus tôt.
- Moi, ça me suffit, trancha Remus. Si Lily te fait confiance, Severus, alors moi aussi. Sirius ?
Sirius hésita longuement avant de donner sa réponse.
- Soit, répondit-il. Mais au premier faux pas, je ne te louperai pas!
Remus ajouta ensuite qu'ils avaient pu récupérer quelques effets personnels avant de venir ici. Il tendit à Lily un sac dans lequel lui et Sirius avaient rangé plusieurs affaires en bon état provenant de Godric's Hollow. Le cœur de Lily se serra douloureusement quand elle découvrit les lunettes intactes et la baguette de James.
- Merci, souffla-t-elle, les larmes aux yeux.
Sirius et Remus passèrent un peu de temps avec Harry, et Severus s'isola à l'étage, dans sa chambre.
- Tout ce qui importe, c'est que vous soyez sains et saufs, tous les deux. C'est ce que souhaitait James, assura Sirius. Il n'aurait pas supporté de vivre en vous sachant morts tous les deux.
- Je sais, répondit Lily, émue. Savez-vous ce qui va se passer ?
- Dumbledore souhaite que tu restes ici pendant un temps indéterminé dans le palace de Servillo, dit-il avec dédain. C'est une véritable pouillerie ici !
- Sirius, le reprit Remus. Comme je te le disais, certains mangemorts sont en fuite. Ils n'auront jamais idée de venir ici. Et puis, Severus a posé des sortilèges puissants sur sa maison.
- Je ne vois pas pourquoi Dumbledore ne vous garde pas toi et Harry à Poudlard. C'est l'endroit le plus sûr sur terre ! affirma Sirius.
- Et sans doute le plus évident, ajouta Lily. Il est hors de question que des enfants et des professeurs soient en danger à cause de nous.
- Je te plains… Avoir pour compagnie ce crétin de Servillo, railla Sirius.
- C'est méchant, Sirius, objecta Lily. Je sais que vous êtes ennemis, mais j'aimerais que tu saches que Severus est mon ami d'enfance. Quand on le connaît bien, il est loin d'être sinistre. Nous sommes adultes à présent. Il est peut-être temps de mettre de côté nos vieilles rancunes du passé.
Le parrain de Harry soupira.
- Lily a raison, Sirius, approuva Remus. L'heure est grave et nous ne savons pas de quoi sera fait l'avenir. Nous savons que Severus est notre allié et qu'il a sauvé Lily et Harry.
- Ne compte pas sur moi pour devenir son meilleur ami et pour boire le thé avec lui, répondit Sirius, agacé. Cependant, je peux essayer de bien me comporter avec Servillo, concéda Sirius, un sourire narquois aux lèvres.
- L'appeler par son prénom serait un bon début, suggéra Lily sur un ton détaché.
Sirius grimaça à cette idée.
- Rogue suffira, concéda-t-il. Il m'appelle bien Black ! dit-il avec dégoût.
- C'est bien Patmol, le félicita sans sourire Remus.
- Le quartier n'est vraiment pas terrible, observa Sirius, posté à la fenêtre. Je me demande si c'est vraiment sûr pour vous deux de rester ici. Rassure-moi, Lily, tu ne vivais pas dans cette rue avec ta famille quand tu étais enfant ?
- Non, répondit froidement la rousse. Nous vivions de l'autre côté du ruisseau.
Dehors, il crachinait et le ciel était chargé de nuages gris. Au loin, Lily aperçut des volutes de fumée noire s'échappant de la cheminée de l'usine.
Harry, assis sur un vieux tapis, s'amusait à empiler des cubes avec Remus.
- Est-ce que sa cicatrice lui fait mal ? demanda Remus, soucieux.
- Non, il ne s'en plaint pas, déclara Lily. Il est incroyablement calme et n'a pas pleuré depuis…
Sa voix s'étrangla. Harry avait été incroyablement courageux depuis les événements de la nuit dernière. Elle se rappela que son bébé avait pleuré une seule fois dans son berceau. Ses larmes avaient cessé de couler dès que Severus l'avait sorti de son petit lit et lui avait montré que sa mère, Lily, était en vie.
- Tu sais, Lily, ajouta Sirius calmement, Remus et moi serons toujours là pour vous deux. Si tu ne veux pas rester chez Servi… je veux dire Rogue, on peut te mettre à l'abri et te protéger. Pas vrai, Lunard ?
Remus hocha la tête et un triste sourire se dessina sur ses lèvres.
- Oui, je suis sûr que tout sera bientôt terminé, affirma le loup-garou. Bientôt, vous pourrez retrouver une vie à peu près normale, toi et Harry.
Une vie normale ? Elle n'avait jamais mené une vie à peu près normale, seulement peut-être avant d'apprendre qu'elle était une sorcière. Puis elle avait fait sa scolarité à Poudlard, loin de Carbone-les-Mines. Elle et James avaient commencé à sortir ensemble en septième année, et s'étaient rapidement mariés, une fois leurs études achevées. Ils n'avaient pas hésité une seconde en rejoignant l'Ordre. Ensemble, ils avaient affronté Voldemort à trois reprises. Ils avaient goûté au bonheur en découvrant que Lily portait la vie, au cours de l'automne qui avait suivi leurs noces. Et Dumbledore avait jeté une ombre sur cette allégresse en leur annonçant - alors qu'elle était enceinte de quelques mois - qu'elle, son mari et son enfant à naître étaient devenus des cibles de grande importance pour Voldemort, et qu'ils devaient se cacher. Non, elle ne savait pas ce qu'était une vie normale, et son fils, un bébé de quinze mois, encore moins.
- En attendant que toutes ces histoires se tassent, reprit Sirius, j'espère que Servi…, hum, Rogue, vous traite bien, et qu'il n'est pas vicieux avec Harry. Il serait capable de l'empoisonner. Surveille bien ses biberons et ses petits pots, Lily.
Lily réfréna une envie de rire. Quelques heures plus tôt, le mangemort repenti avait pris l'initiative de donner son biberon à Harry, alors qu'il n'avait certainement jamais approché un bébé.
- Non, Severus est tout à fait correct avec Harry, répondit Lily en regardant son fils jouer.
Remus et Sirius restèrent encore durant une heure. Avant de partir, ils assurèrent à Lily qu'elle n'était pas seule, et qu'elle pouvait compter sur eux. Severus la rejoignit dans le salon, une fois les deux Maraudeurs partis.
- Je vais cuisiner un peu, annonça Severus. Tu n'as rien mangé depuis ton arrivée ici.
- Je n'ai pas faim, Severus.
- Il faut que tu manges, Lily, insista-t-il. Euh… je me demandais…
Il regardait à présent Harry, qui était toujours autant obsédé par les petits cubes qu'il empilait.
- Oui ?
- Il ne boit pas que du lait ? Pas vrai ? hésita Severus, qui se grattait la tête.
Lily gloussa. Voir Severus apprendre les rudiments du pouponnage était la seule chose qui la faisait rire actuellement.
- C'est un bébé de quinze mois, Sev. Il peut manger des légumes moulinés, de la soupe, ou encore de la viande et du poisson, mais seulement hachés ou coupés en petits morceaux.
- Bien, je vais voir ce que je peux faire avec ce que j'ai. Molly Weasley nous a aussi donné quelques légumes, des œufs et un peu de viande.
- Tu sais cuisiner ? demanda Lily, surprise.
Elle imaginait mal Severus faire la popote derrière sa gazinière avec un tablier.
- Ce n'est pas plus difficile que les potions, lui rétorqua Severus, l'air pincé.
Son hôte se rendit dans la cuisine, qui se trouvait dans une pièce juste à côté. Lily n'avait pas vraiment pris la peine de détailler les lieux.
Durant son enfance, elle n'était venue qu'à une seule reprise chez Severus, mais n'avait pas dépassé le seuil du perron. Elle avait onze ans à l'époque, et avait bravé l'interdiction parentale en franchissant le ruisseau. C'était un dimanche matin, au début de l'été. La veille, Lily avait reçu sa première lettre pour Poudlard. La Pre McGonagall avait fait le déplacement pour la lui remettre et avait tout expliqué dans les moindres détails aux Evans. Lily se rappela que Pétunia avait été dans un premier temps effrayée, puis très curieuse.
Le lendemain, Lily avait couru jusqu'à l'impasse du Tisseur, au numéro 394, pour annoncer la nouvelle à Severus. Un homme bourru, avec un marcel sur le dos et une cigarette aux lèvres, lui avait ouvert. Il s'agissait du père de Severus. Il n'avait pas été très poli avec elle, et Lily avait prétendu qu'elle était une amie d'école de son fils. Ce qui n'était pas totalement faux, puisqu'ils fréquentaient tous les deux l'école St Melchior de Carbone-les-Mines. Mais Severus faisait souvent l'école buissonnière, et se faisait souvent gronder par le directeur et son instituteur. L'homme avait toutefois beuglé le nom de son fils et l'avait poussé à l'extérieur. Son ami n'avait pas été très heureux de la voir devant sa porte, et Lily n'avait eu aucun mal à comprendre qu'il avait honte de son quartier.
Le salon de Severus était étroit, et le mobilier datait certainement du temps où ses parents s'étaient installés ici. La pièce était sombre, et des étagères chargées de vieux livres recouvraient la plupart des murs tapissés d'un papier-peint jauni par la fumée de cigarette. Les revêtements en tissu du canapé et du fauteuil étaient abimés. La lumière, très tamisée, provenait d'une lampe remplie de bougies au plafond. Il y avait aussi une chaise branlante dans un coin sur laquelle on avait posé une pile de vieux journaux.
Lily vit à ses pieds le sac que lui avait ramené Remus et Sirius. Il contenait entre autres les lunettes et la baguette de James, mais aussi le doudou de Harry. Lily le sortit du sac et le tendit à Harry, qui gazouilla de plaisir en recevant sa chouette en tissu. Elle se demanda si ces quelques affaires avaient été les seules à pouvoir être sauvées dans leur cottage, si toute sa vie passée avec James et Harry était contenue dans ce petit sac en cuir. Voldemort avait ravagé leur maison et il lui avait pris son mari, son âme sœur. Lily retira du sac sa photo de mariage. Le verre du cadre avait été brisé, mais elle n'aurait aucun mal à le réparer par magie. Ils étaient si beaux, elle et James, avec Sirius pour témoin de mariage. Ses amis avaient aussi récupéré l'alliance de James. Lily se rappela qu'il la portait encore la veille, alors qu'il s'amusait avec Harry. Lily avait bêtement laissé la sienne dans la cuisine… Pourrait-elle un jour retourner là-bas pour sauver quelques objets ? Et quand pourrait-elle enterrer son époux ? Elle n'allait tout de même pas rester cloîtrée ici durant des semaines…
Severus passa la tête derrière la porte de la cuisine et l'informa que le déjeuner était prêt. Lily rangea tous les effets dans le sac et rejoignit son hôte avec Harry dans les bras. Severus avait préparé une purée de potiron et découpé en petits morceaux du poulet pour Harry. Lily fit manger son fils en l'asseyant sur ses genoux.
- Tu ne veux pas que je le fasse ? proposa Severus. J'aimerais que tu manges un peu…
Son ami avait cuisiné pour eux deux le même repas, mais n'avait pas découpé en petits morceaux leur viande.
- C'est très gentil de ta part, Sev. Mais c'est à moi de le faire, refusa poliment Lily.
- Je compte sur toi pour te nourrir.
Il ne la quitta pas des yeux pendant qu'il mangeait. Quand Harry eut terminé son repas, il lui servit son assiette et prit dans ses bras le petit garçon. Elle avait l'estomac noué et ne pensait pas pourvoir toucher à son assiette. Harry avait tout avalé sans faire la moindre histoire. Cela devait être bon. Elle sentit peser sur elle le regard de Severus, qui n'avait visiblement pas l'intention de la laisser quitter la table avant qu'elle ne se soit nourrie. Elle se força et prit une bouchée de la purée orange qui était goûtue et bien assaisonnée. La cuisson du poulet avait été bien exécutée. La viande était dorée et juteuse. Lily n'aurait jamais soupçonné les talents gastronomiques de son ami.
- C'est très bon, dit-elle en souriant.
- Il n'y avait rien de compliqué, répondit Severus, modeste.
Harry s'amusait à tripoter les cheveux raides de Severus qui tombaient presque sur ses épaules. Celui-ci ne s'en formalisait pas et gardait un visage impassible qui ne trahissait aucun signe de tendresse ou d'agacement.
Après le déjeuner, Lily monta dans sa chambre avec Harry et lui fit faire sa sieste. Son visage poupon était paisible. Il s'était habitué avec une facilité déconcertante à leur logis provisoire et à Severus, qu'il n'avait jamais vu avant Halloween. Pourtant, Harry n'aimait pas vraiment rencontrer de nouveaux visages. Depuis sa naissance, il n'avait connu que les murs de leur cottage à Godric's Hollow. Elle et James avaient rarement eu l'occasion de le promener dans son landau en toute sécurité. Il avait pu rencontrer quelques-uns de leurs amis, Remus et Sirius, son parrain, mais aussi Bathilda Tourdesac, leur voisine. Peter était aussi venu à quelques reprises chez eux, mais leur ami avait toujours été accueilli par des crises de larmes de la part de Harry.
Le bébé ressentait peut-être le chagrin de sa mère, et avait peut-être compris qu'elle ne serait pas capable de gérer ses pleurs. Lily s'assoupit aux côtés de son fils et rêva aux jours heureux passés avec James.