
Le serment de l'espion
Severus n'avait pas bougé et il avait l'air abattu. Ses longs cheveux noirs graisseux cachaient son visage, si bien que Lily ne distinguait plus ses yeux noirs comme des onyx. La sorcière ne savait plus à qui se fier, à qui elle pouvait faire confiance. Severus était pourtant son plus vieil ami dans la communauté des sorciers, mais il avait choisi une voie ténébreuse, et il l'avait trahie en répétant une prophétie, sans avoir conscience de ce qu'il faisait. Dans un sens, elle était reconnaissante d'être encore en vie et de pouvoir serrer son enfant dans ses bras, mais son mari était mort. Tous leurs projets, leur avenir, leurs souhaits avaient été engloutis en quelques secondes.
- Lily, murmura Severus.
- Je n'ai pas envie de te parler, soupira la rousse.
- Ce n'est pas ça, se défendit le mangemort. Je vais te montrer où toi et ton enfant pouvez dormir.
Lily se leva et se laissa guider par Severus. Ils montèrent un escalier branlant et poussiéreux qui menait à un couloir étroit, aux murs défraichis.
- Tu peux dormir dans cette chambre, indiqua Severus en ouvrant une porte, tout au fond du couloir.
La chambre n'était pas bien grande, mais disposait d'un lit double en fer avec des draps d'un autre temps, de mauvaise facture. Ils ne semblaient même pas être propres. Tout comme l'escalier, la chambre n'avait pas été nettoyée depuis des lustres.
- C'était la chambre de mes parents, précisa Severus. Je vais faire le ménage, ajouta-t-il, honteux.
Il leva sa baguette et lança plusieurs sortilèges de nettoyage. La poussière et les toiles d'araignée disparurent, tandis que les draps retrouvèrent un semblant de blancheur.
- Je… je n'ai pas de berceau, bafouilla-t-il.
- Harry dormira avec moi, trancha Lily.
- Si tu as besoin de quoi que ce soit… N'hésite pas.
Lily lui adressa un regard courroucé qui suffit à lui faire comprendre qu'elle l'avait assez vu. Il déposa néanmoins une fiole sur la table de nuit et quitta la pièce. La sorcière déposa délicatement le bébé sur le lit et le borda avec les draps. Elle considéra avec mépris la fiole, censée lui apporter un sommeil sans rêve, et se refusa d'en avaler son contenu. Elle ne faisait pas confiance à Severus, contrairement à Dumbledore. Comment pouvait-elle être certaine qu'il n'allait pas appeler ses amis mangemorts pour terminer le travail ? Dumbledore disait qu'il avait changé de camp. Severus n'avait même pas nié quand elle avait judicieusement deviné qu'il avait imploré son maître d'épargner la vie de Lily. Il s'était bien moqué du reste, de James, de Harry, de son chagrin.
Elle regarda son fils dormir, alors que des larmes coulaient sur ses joues. Elle se demandait quand elle pourrait retourner chez elle, et si les membres de l'Ordre prenaient soin du corps de son époux. Elle avait laissé James seul, dans leur maison complètement dévastée. D'une main fébrile, elle essuya les larmes qui perlaient sur ses joues. Comment allait-elle pouvoir s'occuper de leur bébé sans James ? Comment allait-elle pouvoir protéger son fils de périls mortels sans son époux ? Elle s'en sentait incapable.
Durant une heure, elle fixa le plafond et ne chercha nullement le sommeil. Elle craignait de revoir le visage de Voldemort, d'entendre la voix de James se briser dans un hurlement juste avant sa mort… Et elle craignait qu'un partisan de Voldemort surgisse dans l'ombre pour tuer son petit. Jamais plus elle ne se séparerait de sa baguette, et elle prit brutalement conscience que Severus l'avait gardée. Elle venait encore une fois de commettre cette stupide erreur. Elle embrassa son fils sur le front et entreprit de chercher sa baguette au rez-de-chaussée. Lily avait entendu l'espion de Dumbledore descendre les marches. Sa chambre se trouvait peut-être là, bien que le couloir comptât deux autres portes.
A son tour, elle descendit les escaliers. Les marches grincèrent sous ses pieds. Le rez-de-chaussée était plongé dans l'obscurité, et les interrupteurs ne fonctionnaient pas. Severus avait certainement saisi la première occasion pour transformer l'habitation moldue en une véritable maison de sorciers. A pas feutrés, elle se rendit dans le salon et commença à fouiller un guéridon chancelant dans l'espoir d'y trouver sa baguette.
- Que fais-tu ? demanda une voix grave, celle de Severus.
A l'aide de sa baguette, il alluma une lampe au plafond qui s'éclairait avec des bougies. Lily découvrit avec effroi qu'il s'était tassé dans un fauteuil. Elle ne l'avait même pas distingué dans l'obscurité.
- Ma baguette, répondit-elle. Tu ne me l'as pas rendue.
Il quitta son fauteuil et sortit de sa cape une baguette faite en bois de saule.
- Prends-la, dit-il en la lui tendant.
Lily ne se fit pas prier et l'arracha sèchement de sa main.
- Je sais que tu ne me fais pas confiance, dit-il.
Sur une petite table de salon, un verre de whisky Pur-Feu, presque vide, avait été posé. Il avait bu.
- Non, admit Lily. Je ne te fais pas confiance.
Les yeux de Severus étaient plus sombres que jamais. L'homme ressemblait à une bête blessée. Il ne cherchait même pas à dissimuler ses émotions.
- J'aimerais tellement pouvoir tout t'expliquer, murmura-t-il. Si seulement tu m'en laissais l'occasion.
- Moi ? T'écouter ? fulmina Lily. J'ai passé des années à te chercher des excuses ! Que vas-tu m'inventer à présent ? Que tu regrettes ? Oui, je sais ! Tu l'as déjà dit et regarde le résultat !
Ses yeux verts ne formaient plus que deux fentes, mais quand elle vit le chagrin qu'éprouvait Severus, sa colère se dissipa peu à peu. Elle le rendait toujours en partie responsable de ses malheurs, mais son ancien ami ne feignait pas la souffrance.
- Excuse-moi, susurra-t-elle. Je ne devrais pas te parler de cette façon. J'imagine que tu as pris de grands risques dernièrement.
Le sorcier, sombrement vêtu, acquiesça.
- Ce n'est pas important, dit-il.
- Pourquoi es-tu venu cette nuit ? Dumbledore ne semblait pas…
- Oui, il m'avait défendu de vous approcher, d'entrer en contact avec vous. J'imagine qu'il savait que j'aurais été très bien reçu, dit-il, sarcastique. Le Seigneur des Ténèbres ne sait pas que je l'ai trahi, que j'ai répété ses plans. Etant donné qu'il tenait de moi la prophétie, et que je l'avais supplié pour ta vie, il m'a naturellement informé qu'il comptait passer à l'action, quelques minutes avant… avant le drame. J'ignorais complètement que vous aviez eu recours au sortilège de Fidelitas. Pourquoi n'avez-vous pas choisi Black ?
- C'était notre intention, répondit Lily. Mais Sirius pensait que ce serait trop évident. Il nous a conseillé de choisir au dernier moment Peter. Il lui faisait confiance et nous aussi. Pauvre Peter… J'imagine que Voldemort a dû traquer chacun de nos amis, les suivre…
- Tu sais que l'Ordre était espionné depuis un an environ, insinua Severus.
Lily hocha la tête.
- Black aurait pu être l'espion et…
- Je t'interdis de dire ça ! explosa Lily. Sirius ne nous aurait jamais trahis ! Je sais que son frère est devenu un mangemort comme toi, et que tu ne portes pas Sirius dans ton cœur, mais tu te trompes ! James et Sirius s'aimaient comme des frères, il a été notre témoin de mariage, et il est le parrain de mon fils ! Il nous a conseillé Peter pour nous protéger !
- Et le loup-garou ? Savait-il que vous aviez changé au dernier moment vos plans ?
Lily lui adressa un regard furieux.
- Je sais ce que tu penses des loups-garous. Remus ne savait rien, et lui non plus ne nous aurait jamais trahis, dit-elle froidement.
Lily imaginait parfaitement Severus lui rétorquer qu'on ne pouvait pas se fier à ces bêtes-là, à leur esprit tordu.
- Tu n'as pas répondu à ma question, Severus. Pourquoi es-tu venu ce soir chez nous ? Tu espérais récupérer ta récompense ? Il faut croire que tu n'y as pas perdu au change, puisque tu as récupéré une veuve ! Malheureusement pour toi, mon fils a sur…
Severus se précipita sur elle. Lily crut un instant qu'il allait répliquer en la frappant pour la faire taire. Mais il n'en fit rien. Il la saisit et la plaqua contre son torse en la serrant entre ses bras. La rousse put sentir son nez renifler le sommet de sa chevelure, et des larmes couler sur son crâne.
- Quand j'ai su qu'il comptait appliquer cette nuit son plan, j'ai décidé de le trahir pour de bon en venant vous prêter main forte. Je suis finalement arrivé trop tard, et je n'ai pu que vous sortir de là, toi et ton fils.
Il inspira une nouvelle fois.
- Et tu as raison de dire que je te dégoûte. Je me dégoûte aussi. Dumbledore a dit la même chose quand je l'ai supplié de te protéger. Je n'avais même pas songé à ton mari et à ton enfant. Je n'ai pensé qu'à moi, qu'à mon propre chagrin, et non à toi. A présent, tu sais tout.
Il desserra son étreinte et Lily le dévisagea. Son visage ruisselait des larmes, mais ses traits étaient durs, impassibles. Lily se laissa ensuite tomber sur le canapé, qu'elle avait occupé quelques heures plus tôt, et vida d'un trait le verre de whisky posé sur la table. L'alcool lui brûla l'œsophage, mais laissa derrière son sillage une sensation agréable. Elle n'avait jamais affectionné cet alcool fort, préférant des breuvages plus doux et sucrés. Severus s'accroupit à ses pieds et lui prit tendrement les mains.
- Dumbledore a dit que Voldemort reviendra un jour, murmura Lily, abattue.
- Il n'en sait rien, répondit Severus, qui regardait ses chaussures.
- Je ne veux prendre aucun risque, Sev. S'il y a bien une chose à retenir de cette effroyable nuit, c'est que je n'ai pas survécu pour être ta récompense, Sev. Si j'ai survécu, c'est pour préserver la vie de mon fils.
Lily sentit davantage les doigts de Severus se serrer autour des siens.
- Je t'ai toujours aimée, Lily, avoua-t-il. Comme un fou… Je pensais que tu m'admirerais, que tu m'aimerais à ton tour, si je devenais ce que tu sais… un mangemort. Je me suis bien trompé.
Le cœur de Lily se serra dans sa poitrine. Jamais elle ne pourrait offrir à Severus ce qu'il espérait d'elle depuis des années.
- Si tu tiens sincèrement à moi, Severus, alors je te le demande, en tant que mère, de m'aider à protéger Harry, mon fils. Si tu m'aimes, la voie qui s'offre à toi est toute tracée, Sev. Aide-moi à protéger la vie de mon fils, et je ne te ferai plus aucun reproche sur ta précédente allégeance et sur tes choix et actes passés.
Elle n'avait rien d'autre à lui offrir et attendit avec une certaine appréhension sa réponse.
- Je te le jure, je le ferai… Je suis même prêt à faire le serment inviolable, si cela peut te rassurer.
- Non, Severus. Je te fais confiance à présent.
- Merci, Lily.