
Crises existentielles. Et thé.
Lorsqu'Albus entra dans la Salle sur Demande, il aurait beaucoup aimé être surpris d'y trouver Alvis. La salle était remplie de porcelaine facile à casser, ce que faisait le maelstrom de magie qui émanait de l'homme recroquevillé au centre. Les objets se brisaient, puis se réparaient quelques instant plus tard, pour être de nouveau fracassés, que ce soit par la magie, ou en étant propulsés vers les murs, le sol et le plafond. La scène lui rappelait douloureusement les crises de sa petite sœur. Considérant que l'homme avait reconnu avoir un noyau magique endommagé, la comparaison était encore plus évidente.
Il hésita dans l'entrée, avant de s'avancer lentement, prêt à se protéger d'éclats de céramique ou d'attaques magiques. Cependant, la magie dans l'air s'immobilisa en sentant sa présence et il fit de son mieux pour projeter une aura pacifique et calmante. La magie reprit son balais, tout en l'évitant. Il prit ça pour la permission que c'était et alla s'asseoir à côté de l'homme. Ce dernier ne quitta pas sa position, assis, les jambes repliées vers lui, serrées fermement dans ses bras, et la tête enfouie dans ses genoux.
_ Veux-tu en parler ?
Il n'y eut pas de réponse pendant un long moment, le bruit de porcelaine cassée le seul son dans la pièce. Puis, Alvis redressa lentement la tête et posa le menton sur ses genoux, le regard perdu dans le vide. Il n'avait pas ses lunettes, probablement pour ne pas être gêné par elles dans sa précédente position. Albus pouvait voir que son œil droit était beaucoup plus vaquant que le gauche. Ça ne le surprenait pas vraiment, considérant la cicatrice qui le traversait, et le fait que les yeux soient particulièrement difficiles à soigner. Ce qui lui brisa le cœur furent les larmes coulants de ses yeux rougis.
_ Ils me manquent, murmura-t-il.
Albus hocha la tête et posa doucement une main sur l'épaule de l'autre homme. Il eut un sourire furtif lorsqu'il ne fut pas repoussé. Il savait qu'ils ne voyaient pas du même œil sur beaucoup de sujets, mais Alvis était une bonne personne, qui essayait de faire ce qui était juste, à sa manière. Et parfois, Albus se disait que c'était lui-même qui choisissait la voie de la facilité, plutôt que celle de la justice.
_ C'est normal. Tu as tout perdu, ils ont le droit de te manquer.
Alvis ferma les yeux, les mains crispées sur ses genoux, la magie s'agitant violemment. Un autre aurait put voir un mage dangereux, instable, incapable de contrôler sa magie. Mais Albus ne voyait qu'un homme triste, qui souffrait de trop de pertes, qui laissait sa magie s'exprimer de la façon la plus sûre qui puisse exister. Après tout, il ne l'avait pas attaqué.
_ Mon filleul venait d'avoir son troisième enfant. J'étais sensé leur rendre visite en France. Hed...
Il prit une large inspiration, un sanglot accompagnant les larmes sur ses joues.
_ Hedwige, ma chouette, mon premier cadeau, ma première amie, mon premier familier... Elle lui portait un colis pour moi. C'est... C'est probablement une bonne chose qu'elle ne m'ait pas suivie, elle n'aurait pas survécu à la Convergence. Elle a plus de chance de survivre sans le lien de familier, j'espère.
Il eut un rire brisé.
_ Ce n'est... C'est moi qui suit mort, de leur point de vu. Ma famille, mes amis, mes camarades. Je suis mort en les laissant derrière. Et ici me voilà, un Briseur de Sort hors de son monde. Hors de son temps. Ils sont en vie, juste inatteignable...
Perdre un familier était douloureux. Perdre son monde devait l'être encore plus. Albus le fixa avec tristesse, il ne pouvait qu'être là pour lui. Une oreille sympathique pouvant écouter ce qu'il avait sur le cœur. Alvis frotta rageusement ses yeux en murmurant :
_ Je devrais me reprendre, j'ai des choses à faire.
_ Ce n'est pas le cas. Tu as le droit d'être triste, de rager, d'avoir mal et de craquer. Réprimer tes émotions ne fait que les rendre plus douloureuses sur la durée.
_ Mais, je dois...
_ Prendre du temps pour aller mieux.
_ J'en prendrais, quand on ne sera plus en Angleterre. Je ne peux pas... Je ne peux pas me permettre d'être faible ici. C'est dangereux.
Il aimerait vraiment pouvoir lui dire que ce n'était pas le cas. Mais il savait que l'homme ne le croirait pas. Il avait quitté le pays dès qu'il l'avait pu, après une violente guerre civile. C'était normale qu'il ne s'y sente pas en sécurité. Et s'il devait se détruire lentement en attendant de pouvoir partir, alors il le ferait, parce qu'il était comme ça. Parce qu'un Albus l'avait conditionné comme ça. Il fut pris de nausées soudaines en se rendant compte, en voyant, le résultat des machinations de son double. De machinations qu'il aurait faites pour le petit Harry Potter de ce monde, afin de sauver leur communauté. Le résultat était devant lui, un homme détruit, qui ne se sentait pas en sécurité dans son propre pays d'origine, et qui ignorait son bien être au profit de celui des autres. Il ferma les yeux, dégoutté par lui-même et bougea sa main de l'épaule de l'homme, pour passer son bras autour de ses épaules et le serrer contre lui.
_ Je suis tellement désolé, Alvis. Pour tout ce qu'on t'a fait, pour tout ce que tu as perdu, pour tout ce qu'on t'a pris. Je suis désolé de ce que les machinations de mon double ont faites de toi.
Il se reçu un rire amer, mais l'homme ne se dégagea pas.
_ Je suis comme ça et je fais avec.
Il resserra sa prise sur ses épaules et le sentit se laisser aller légèrement contre lui. La magie autour d'eux dansait plus paresseusement, que violemment, et la porcelaine avait cessé de se briser.
_ Puis-je savoir ce qu'il t'est arrivé pour venir ici ?
Alvis resta silencieux un moment, avant de répondre doucement :
_ J'ai rencontré quelqu'un, que je ne connaissais pas d'avant. On a passé tous l'après-midi à parler mythologie et magie et... Je pense qu'on est en train de devenir amis ?
_ C'est une très bonne chose, de forger des liens avec quelqu'un qui ne te rappel pas constamment ce que tu as perdu.
_ C'est terrifiant.
C'était un murmure si bas qu'Albus manqua de ne pas l'entendre. Il baissa les yeux vers l'homme, qui avait les siens fermés. Il demanda doucement :
_ Pourquoi cela ?
_ Parce que... C'est dangereux d'être proche de moi, j'attire les ennuis comme je respire. Et je suis dangereux pour ceux qui m'entourent.
_ Je n'y crois pas. Tu protèges les tiens, c'est même ta plus grande priorité.
_ Et je les mène à la mort, j'ai mené beaucoup de mes camarades à la mort. Je me souviens de tous leurs noms.
Il ferma les yeux en se rendant compte de ce qu'il parlait. Un général, dans une guerre civile sanglante, avec une armée d'enfants qu'il avait formé lui-même, et quelques rares adultes.
_ Tu n'es pas en guerre, Alvis. Et tu n'auras pas à en mener une nouvelle ici. Ta famille et tes amis ne connaîtront pas ça. Tu ne les mèneras pas au combat.
_ Les Mangemorts sont en vie. L'idéologie qui les a créé, qui a créé Voldemort, est toujours en vie. Ce n'est qu'une question de temps, avant qu'un autre soulèvement n'arrive. Parce que les choses n'ont pas changées.
_ Elles changeront. Andromeda et moi, on s'en assurera. Tout ce que tu as à faire, c'est t'occuper de Harry. Ne t'en fait pas pour le reste.
Il acquiesça lentement, même si Albus pouvait voir qu'il n'était pas vraiment convaincu. Mais, au moins, il l'avait entendu. Et, avec le temps, il finira par le croire. Il l'espérait. Ils restèrent en silence pendant plusieurs minutes, le plus jeune se détendant contre lui, sa magie voletant autour d'eux.
_ Avez-vous déjà entendu parlé de deux magies tellement compatibles, qu'elles entrent en résonance ?
Il se redressa et le fixa avec surprise. Alvis pencha la tête sur le côté, curieux face à sa réaction. Il avait remis ses lunettes et le fixait avec attention.
_ Est-ce le cas avec ton nouvel ami ?
Il hocha la tête.
_ Ma magie arrête pas de se blottir contre la sienne. Elle a jamais réagi comme ça avec qui que ce soit d'autre.
Son souffle lui échappa sans crier garde, alors qu'il sentait une pointe d'espoir monter en lui. Si c'était ce à quoi il pensait, alors il existait une possibilité pour l'autre homme d'être heureux.
_ Lorsque les magies de deux mages sont particulièrement compatibles, elles peuvent créer une connexion permanente. On les appel des liés, et ils sont extrêmement rares. Il est, bien entendu, possible de lier deux personnes via un rituel, mais ce n'est pas la même chose. Des Liés ont une connexion naturelle et plus puissante que tout ce que l'on peut obtenir par rituel.
Son regard se perdit dans le vide, sa propre magie caressant une connexion qu'il n'avait jamais eu le cœur de briser.
_ Avoir un Lié est... La meilleur chose qui puisse arriver. Certains passent leur vie entière à chercher celui ou celle qui les complétera entièrement. Le lien permet de partager sa magie, de savoir où est l'autre et comment est son état de santé, de toujours savoir qu'on n'est jamais seul...
Il ferma les yeux alors qu'une larme coulait sur sa joue et qu'il sentait une réponse, aussi ténue soit-elle, de l'autre côté de la connexion.
_ Être lié est être aimé sans condition. Être lié est aimer sans condition. C'est une chose merveilleuse...
Et si douloureuse...
_ Vous êtes lié à lui, murmura Alvis. À Grindelwald.
Il inclina la tête, ne cherchant pas à nier.
_ Je le suis.
_ Et ça s'est mal fini.
_ C'est vrai. Cependant, même si nous nous sommes retrouvés l'un contre l'autre, ni Gellert, ni moi n'avons eu le cœur de briser notre lien. Et je ne regretterais jamais ce que nous avons eu. J'ai des remords, oui, pour Ariana, pour tout ceux qu'il a tué dans sa quête de pouvoir, pour ma relation brisée avec mon frère. Mais des regrets ? Aucun.
Il fixa l'autre homme dans les yeux avec un sourire triste.
_ Il n'y a rien de plus merveilleux et puissant que l'amour, Alvis. Rien. Alors, si tu penses avoir trouvé ton lié, n'hésite pas. Tu as le droit d'être heureux, tu le mérite. N'ai pas peur d'aimer, qu'importe les risques que ça encours, parce qu'aimer en vaudra toujours la chandelle. Toujours.
_ Même si ça ne dure pas longtemps et qu'elle en souffre ?
La question avait été posée dans un murmure si bas, qu'Albus manqua de ne pas l'entendre. Il hocha cependant la tête et répondit sincèrement :
_ Qu'importe le temps que ça dure. Et pourquoi cela ne durerait pas ? Mon temps avec mon Lié a été bref, mais il n'y a aucune raison pour que ce soit aussi le cas avec toi et cette jeune femme.
Alvis lui fit juste un sourire triste et résigné qui inquiéta Albus plus qu'il ne le rassura. Finalement, le plus jeune murmura doucement :
_ Il vous a aimé jusque la fin, vous savez ?
Il sursauta en l'entendant, les yeux écarquillés. Alvis le fixa plus franchement avec un air triste.
_ Voldemort cherchait la Baguette de Sureau et l'a traquée jusque lui. Il a refusé de lui dire où elle se trouvait, même si vous étiez déjà mort, même sous la torture. Il a préféré mourir, que de le pointer vers votre tombe.
Albus ferma les yeux, sa magie se resserrant autour de la connexion, toujours aussi forte que le jour où elle s'était formée. Puis, il les rouvrit sous la surprise, lorsque Alvis poursuivit :
_ Bien entendu, j'avais déjà profané votre tombe pour prendre votre baguette et éviter qu'elle ne tombe entre de mauvaises mains, même si je ne savais pas ce qu'elle était vraiment. Je l'ai échangée avec un bout de bois normal. Puis, je vous ai cassé le nez. Je vous ai dis que ça avait été très satisfaisant ?
Albus ne put s'empêcher de laisser échapper un léger rire, surtout face à l'air espiègle de l'homme, qui lui allait beaucoup mieux que la dépression.
_ En effet, tu me l'as déjà dis.
Alvis hocha la tête, puis déplia ses jambes et sortit des bracelets de sa poche. Sa magie s'était calmée totalement, l'entourant comme un manteau chaud en hiver. Lorsqu'il enfila les bracelets, Albus cessa totalement de la sentir, les suppresseurs faisant leur effet. L'homme se leva et tendit une main vers le directeur, qui l'accepta volontiers. Puis, Alvis s'inclina poliment.
_ Merci pour la discussion, directeur.
Il lui sourit en posant une main sur son épaule.
_ Il n'y a pas de quoi, Alvis. Tu peux revenir quand tu veux, pour quelque raison que ce soit. Poudlard t'ouvrira toujours ses portes.
_ Merci...
Il lui tapota l'épaule, puis le raccompagna à la sortie de la salle, où ils partirent chacun de son côté.
-sSs-
Loki entra dans le bureau et se mit aussitôt à préparer du thé. Cerydwen leva un sourcil, mais ne commenta pas, se contentant de ranger son travail et d'aller s'installer à la table basse où elles prenaient le thé pour discuter. Considérant que son amie préparait celui qu'elles buvaient pour les discussions sérieuses et émotionnelles, elle sentait qu'elles allaient y passer un long moment. Loki avait toujours du mal à assumer ses émotions, habituée qu'elle était à réprimer et se cacher, pour se protéger, pour ne pas montrer de faiblesse exploitable par qui que ce soit, son entourage en particulier. Elle maudissait souvent Odin et Thor, pour tous ce que leur comportement avait fait à son amie. Un père qui la négligeait, car elle était le second fils, et qui ne semblait la remarquer que quand il voulait la réprimander pour tout ce qui n'allait pas dans Asgard, qu'elle soit responsable ou non. Un grand frère qui ne se comportait pas comme tel, qui faisait passer ses amis bien avant elle, et qui n’hésitait pas à la faire porter le chapeau pour toutes ses erreurs. Frigga faisait ce qu'elle pouvait, mais elle n'était qu'une personne, dans une civilisation guerrière méprisant tout ce qu'était Loki.
Cerydwen l'avait invitée, plus d'une fois, à rester à Kamar-Taj. Mais son amie avait toujours refusé, de peur d'attirer les foudres d'Odin sur son seul sanctuaire. Elles savaient toutes les deux que, même s'il la négligeait et l'ignorait, il ne la laisserait jamais partir pour de bon. Elle était un prince d'Asgard, après tout.
Elle ferma les yeux en se souvenant de ce qu'elle avait vu de ses futurs. Elle ne voulait pas la voir finir comme ça, mais ne savait pas quoi faire pour la sauver. Tous les futurs qu'elle voyait, que ce soit ceux où elle restait sur Asgard, ou ceux où partait, finissaient mal pour elle. Certains étaient bons, mais ces lignes de temps étaient si différentes de celle-ci qu'elles ne valaient même pas la peine qu'on s'y attarde.
Parfois, savoir était une malédiction.
Et elle découvrait, depuis l'apparition d'un certain mage, que ne pas savoir pouvait être encore plus terrifiant.
Loki déposa le plateau sur la table et s'assit en face d'elle. Elles se servirent en silence, confortable l'une avec l'autre. Elle attendit patiemment que son amie mette ses pensées en ordre et lui dise ce qu'il se passait. Ce qu'elle ne tarda pas à faire, avec une question intéressante.
_ Alvis Peverell. Que sais-tu de lui ?
Elle leva un sourcil et but une gorgée.
_ Tu l'as rencontré ?
_ Hier, à la bibliothèque. J'ai remarqué qu'il était un de mes adeptes. On a discuté aujourd'hui.
_ Oh, je me demandais où tu étais passé lorsque je ne t'ai pas trouvée dans la bibliothèque.
Ce fut son tour de recevoir un sourcil levé, avant que Loki ne pointe l'amulette à son cou.
_ Ne pouvais-tu pas juste regarder où j'étais ?
_ Tu sais qu'elle ne fonctionne pas comme ça. De plus, je ne peux plus voir notre ligne de temps.
La surprise de la déesse fut visible sur son visage, tellement elle était grande. Cerydwen aimait à penser que c'était aussi un signe qu'elle lui faisait assez confiance pour laisser tomber ses masques.
_ Comment ? C'est une pierre d'infinité !
Elle inclina la tête.
_ J'en ai conscience. Et c'est intéressant que tu me parles de lui, car Alvis Peverell est la raison pour laquelle notre futur a été si complètement chamboulé, que je ne peux plus le voir clairement. Son arrivée a créé une grande perturbation dans la fabrique de la réalité.
Loki manqua de s'étouffer sur son thé, à l'amusement de Cerydwen.
_ C'était lui ? Comment ?
Puis, elle se figea, pencha la tête sur le côté, et demanda :
_ Cela n'aurait-il pas un rapport avec cet incident dont il m'a parlé ? Celui où il a perdu beaucoup de monde ?
Elle eut un sourire triste en répondant :
_ Pas juste beaucoup de monde, mais un monde. Alvis a été éjecté de sa réalité pour atterrir dans la nôtre et n'a survécu que grâce à son phœnix familier et en faisant une adoption de sang et changement de nom magique. Tout ce qu'il connaissait lui est désormais hors de porté. Et tout ce qu'il a commencé à reconstruire ici a pour but de donner une meilleure vie à son double, qu'il a adopté.
Elle but une gorgée avant de fixer pensivement son thé.
_ Je suis contente qu'il soit en train de créer un lien avec toi, tu es la première personne qu'il ne connaissait pas d'avant, avec qui il interagit volontairement. Il a besoin de plus de personnes dans sa vie.
Elle releva la tête et fixa Loki dans les yeux.
_ Et tu as besoin de plus d'amis.
Loki détourna le regard, ce qui était rare, et temporisa en buvant son thé. Cerydwen attendit, patiente, sachant qu'elles arrivaient enfin à ce dont la déesse voulait vraiment parler.
_ Je ne sais pas si « ami » est le terme que j'utiliserais.
Elle leva un sourcil. Si elle ne considérait pas Alvis comme un ami potentiel, non seulement elles n'auraient pas cette discussion, mais elle aurait nié toute possibilité de connexion émotionnelle avec l'homme. Alors pourquoi disait-elle ça ?
_ Oh ?
Loki hocha la tête et se mit à tracer des motifs sur le bois de la table, un tic qu'elle n'avait que rarement, lorsqu'elle réfléchissait et était incertaine. Finalement, la main s'immobilisa et elle releva la tête pour la fixer dans les yeux.
_ Oui. Il est mon Lié.
Oh. Oh... Oh ! Un Lié ! C'était... Cerydwen repensa à tous ces mondes où son amie était sauvée. La plus grande différence était juste une personne. Une personne là pour Loki, et juste pour Loki. Une personne qu'elle ne pouvait pas elle-même être, pas avec ses responsabilités. Que ce soit une sœur, un amant, un meilleur ami prêt à tout pour lui, ou même l'un de ses doubles décidant de le kidnapper, cette personne changeait toujours tout pour Loki. Parce qu'elle était là. Parce qu'elle osait opposer Odin. Parce qu'elle avait le pouvoir de dire au Père de Toutes Choses d'aller à Helheim voir s'ils y étaient. Une personne. Et Alvis était le lié de Loki. Ça voulait dire...
Cerydwen eut une soudaine envie de pleurer sous la joie et le soulagement. Parce qu'elle n'avait pas besoin de voir le futur de leur ligne temporelle, pour savoir que Loki pouvait être sauvée.
Son amie pouvait être sauvée. Par Alvis.
Elle saisit les mains de Loki avec un sourire humide.
_ Je suis heureuse pour toi, mon amie. Tu mérites d'être heureuse.
Loki eut un faible sourire, avant de baisser les yeux en silence. Cerydwen se renfrogna, inquiète.
_ Loki ?
_ Et si Odin le tue ?
_ Il ne le fera pas.
Loki releva vivement la tête vers elle face à sa réponse assurée.
_ Comment peux-tu en être certaine ?
_ Vos propres lois interdisent de séparer des liés. Si tu le déclares publiquement, alors il sera forcé de l'accepter, que ça lui plaise ou non. Et Odin est beaucoup de choses, mais quelqu'un qui ne respecte pas ce genre de loi ancestrale n'en fait pas partie. Si vous complétez votre lien, il ne pourra rien y faire.
Loki hésita un moment, puis dégagea ses mains pour prendre une autre gorgée de thé.
_ Et si Alvis refuse ? Il ne sait même pas que je suis un homme la plupart du temps. Ou un dieu. Le dieu qu'il vénère, qui plus est. Et s'il ne me voyait pas pour moi mais pour l'image qu'il a de moi ?
Cerydwen se demanda une nouvelle fois comment certains pouvaient trouver Loki froide et sans cœur. Elle ressentait des choses. Elle les ressentait si fortement qu'elle en était parfois paralysée, les émotions et sentiments la submergeant et la noyant dans un océan dont elle n'arrivait pas à sortir. C'était une des nombreuses raisons pour lesquelles elle avait consacré tant de temps et d'effort au contrôle de ses émotions et de son langage corporel. Ses émotions étaient puissantes, et immédiates, et destructrices. Que ce soit la joie, la colère, la fierté, la haine, l'amour... Et toujours, elle portait en elle une peur maladive d'être seule, de décevoir les personnes qu'elle aime, que ces dernières l'aient mérité ou non, de ne pas être aimée ou vue pour qui elle était. Elle avait tellement de peur en elle, qu'elle convertissait en haine et ressentiment, mais aussi en incertitude et self-destruction.
Cerydwen blâmait Odin pour ses insécurités. Et Laufey pour sa peur d'être abandonnée. Elle blâmait les deux pour son besoin irrépressible d'être quelque chose, d'avoir un but, un rôle, d'être utile.
Elle posa sa main sur le poing serré de son amie et murmura :
_ Je ne connais pas Alvis depuis longtemps, mais je peux t'assurer qu'il voit les gens pour qui ils sont. Il te verra pour qui tu es et t'acceptera. Quant au fait que tu sois genderfluid, il a l'air de haïr toute forme de discrimination, donc quelque chose me dit que ça ne lui posera pas de problèmes. Laisse-lui une chance, Loki. Et surtout, laisse-toi une chance d'être heureuse.
Elle laissa l'autre femme digérer ses paroles et en profita pour les resservir toutes les deux.
_ Es-tu certaine ?
_ Oui. Il est une bonne personne, derrière tous les traumas. Je pense que vous serez tous les deux bons l'un pour l'autre.
Loki hocha lentement la tête et retourna boire son thé en silence. Cerydwen espérait que son amie allait l'écouter et faire ce qui était bon pour elle.
Ce n'est que plusieurs longues minutes plus tard que Loki sembla prendre une décision, et changea promptement de sujet. Cerydwen eut juste un sourire amusé et les resservit en thé. Tout allait bien se passer.