
Retour à Londres
Sur son balai, à quelques mètres à peine sous les nuages, Harry observait la ville illuminée. Il avait transplané une heure plus tôt, dans les faubourgs de Londres, entre Bexley et Greenwich. Il aurait pu rejoindre les rues animées qui s'agitaient au-dessous de lui, mais il préférait prendre son temps pour apprécier toute la saveur de son retour au pays. Les cinq années loin des siens lui avait paru une éternité. L'Angleterre lui semblait si paisible après les tourments des Carpates en Roumanie, entre complots à déjouer et dragons à éviter.
Il avait vingt-cinq ans à présent. En dehors de son évolution fulgurante de sa carrière au sein des Aurors, sa vie n'avait pas beaucoup changée. Peut-être s'était-il un peu trop investi dans la chasse aux mages noirs et avait-il délaissé tout le reste. Il faut dire qu'il n'avait pas beaucoup de chances au niveau sentimental ! Entre Cho, qui l'avait quitté avant même que leur relation ne commence, son histoire avec Ginny, qui n'avait pas survécu à la guerre (l'histoire, pas Ginny!), et Reggie, qui avait perdu la vie dans les Carpates, on pouvait dire que sa vie sentimentale était un désastre.
Il n'en allait pas mieux pour le reste de sa vie sociale. Hormis Ron et Hermione (leurs liens ne pouvaient pas être brisés après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble), il n'avait pas ou plus vraiment d'amis proches. Son très long séjour à l'étranger n'avait rien arrangé, puisque même là-bas, il avait passé son temps à enquêter, poursuivre et arrêter de dangereux sorciers, afin de démanteler l'académie de magie noire qu'ils tentaient de mettre en place. Reggie, son collègue Auror, avait été sa seule compagnie. Ils avaient fini par avoir une aventure, qui avait tourné court avec la mort de ce dernier. Harry l'avait beaucoup apprécié, même s'il n'avait pas senti son cœur battre la chamade à ses côtés.
De toute façon, il avait l'impression que tout l'amour qu'il aurait pu ressentir était mort en même temps que son corps. C'était pour cette raison qu'il avait accepté cette mission de longue haleine. Les trois premières années au ministère l'avaient étouffé. Il avait eu besoin de changer d'air. Il adorait Ron, Hermione et les Weasley, mais il ne parvenait pas à profiter de la vie comme ils le faisaient. Il se sentait désespérément seul et sans attache, comme sec à l'intérieur. Personne ne parvenait à le ramener à la vie. Il avait tout essayé, homme comme femme, sorcier comme moldu. Certaines relations avaient été plus agréables que d'autres, mais aucune ne l'avait réellement vivifié, ni même marqué (en dehors de Cho, Ginny et Reggie).
Ce vide émotionnel n'avait jamais pu être comblé par qui que ce soit. Harry avait alors songé à consulter, mais il n'en avait pas eu le temps (ou la volonté). Qu'est-ce que ça aurait changé, de toute façon ? Il commençait à se faire une raison : personne n'était fait pour lui. Tout le monde n'avait pas une âme-sœur. Ce qu'il lui restait de certain et intemporel était son travail et ses amis. Il redescendit donc en direction de Charing Cross Road, derrière le Chaudron Baveur, où se situait l'accès au Chemin de Traverse. Il aurait pu s'y rendre en transplanant, mais sa nostalgie le poussait à toujours retourner à ses premières découvertes du monde des sorciers. Il se souvenait avoir emprunté ce passage avec Hagrid pour sa première rentrée à Poudlard, l'une de ses meilleures à l'école. Retourner sur ses pas d'autrefois lui donnait l'impression d'en raviver la mémoire, d'infuser un sens à sa vie.
Il frappa les briques adéquates puis attendit que la porte s'ouvre avant de pénétrer dans le Chemin de Traverse. D'un geste aguerri, il plaça son balai dans son dos, derrière son sac, à la manière d'un épéiste dans les vieux films de fantasy. Il aimait se voir comme un preux chevalier. C'était ce qu'il essayait d'être, son idéal, bien qu'il se pense encore loin d'atteindre cet objectif. D'un pas décidé, il se rendit au bureau de poste, à côté de Dumalley Fils. Ses cheveux avaient bien poussés, ce qui masquait sa cicatrice et modifiait légèrement la morphologie de son visage. Il avait également échangé ses lunettes contre des lentilles, si bien que personne ne le reconnaissait.
Il confia la lettre qu'il avait préalablement écrite à ses amis à un hibou marron aux plumes ébouriffées du nom de Butterscotch. Il lui inspirait à la fois sympathie et confiance. Dans le courrier, il leur indiquait son retour et leur proposait un rendez-vous pour le lendemain, histoire de leur laisser le temps de prendre leurs dispositions si besoin ou de le prévenir en cas de désistement (ce qui l'aurait étonné de leur part). Il pouvait tenter de trouver Ron au magasin de farces et attrapes des Weasley, mais il ne voulait pas le déranger en plein travail.
Lui était en congés, comme tout Auror après une mission importante. Il n'avait donc aucune raison de retourner à son bureau au ministère. Il décida donc d'errer au hasard des boutiques et de profiter de la paix anglaise pour souffler un peu. Ainsi, il serait d'autant plus efficace pour sa prochaine affaire.
Un gamin lui tendit un tract, coupant cours à ses pensées, et le lui fourra un peu de force dans les mains.
- Il reste encore quelques places ! s'exclama-t-il avant de s'éloigner pour s'adresser à un autre passant.
Harry baissa les yeux sur le papier qui annonçait le concert d'un groupe de sorcier nommé Rebellion. Des dessins d'étranges instruments remuaient en harmonie, laissant échapper une petite mélodie à peine perceptible avec le brouhaha de la foule alentour. Il n'avait que vaguement entendu les musiques du monde magique, en arrière-fond dans les bars ou les fêtes, sans y prêter vraiment attention. Les moldus étaient suffisamment doués dans ce domaine pour qu'il en soit satisfait et ne cherche pas ailleurs. Qui plus est, Ron n'était pas spécialement versé dans ce domaine et Hermione avait été élevée chez les non-sorciers, comme lui. Ils avaient été occupés par de bien plus importantes choses lors de leurs études, et lui encore après. Il n'avait donc pas de culture musicale sorcière. Peut-être était-ce un signe pour y remédier ?
Harry regarda la date et l'adresse. Le concert avait lieu ce soir, soit dans deux heures à peine. Juste le temps d'ingurgiter un bon repas et de s'y rendre ! Il retourna alors au Chaudron Baveur, commanda un ragoût accompagné de bièraubeurre (pour le souvenir encore) et profita de sa petite table solitaire positionnée derrière un pilier pour savourer son dîner, qu'il engloutit jusqu'à la dernière goutte. Il n'avait jamais autant apprécié la cuisine anglaise !
Quand il eut terminé, il se dirigea vers la salle de concert, un vieux théâtre non loin de Gringott. Lorsqu'il pénétra dans le bâtiment, il fut surpris de constater à quel point la foule était rassemblée. Il avait cru à tort, sans doute à cause du tract de dernière minute et de son ignorance du sujet, que les sorciers ne seraient pas spécialement intéressés par ce genre de divertissements, bien loin des ambiances sportives que suscitait le Quidditch. Mais au contraire, l'excitation était à son comble et le groupe devait plaire aux plus jeunes générations car l'âge de la majorité du public tournait entre quinze et trente ans.
Harry se demanda un instant dans quoi il se fourrait avant de suivre le mouvement, de payer ses huit Gallions au guichet, puis de se trouver une place pas trop loin de la scène. Il ne fallut pas longtemps pour que la salle se remplisse, prête à craquer. L'ambiance était déjà survoltée, mais elle monta encore d'un cran à l'arrivée du groupe. Des hurlements s'élevaient de toutes parts, autant des filles que des garçons, qui prononçaient des prénoms, sans doute des noms de scène, à peine compréhensibles. Harry parvint tout de même à interpréter ces sons difformes : Attraction, Crown, Queeny, Power et Feather.
Curieux, il fixa alors les membres du groupe qui arrivaient enfin dans son champ de vision et il fut abasourdi de reconnaître cinq anciens serpentards. Et pas des moindres ! Face à lui se tenaient Blaise Zabini, Pansy Parkinson, Théodore Nott, Gregory Goyle et surtout Drago Malefoy. Harry était sous le choc. Il avait du mal à comprendre comment ces cinq-là avaient pu en arriver là. De ce qu'il connaissait d'eux auparavant (c'est-à-dire pas tant que ça), ça ne leur ressemblait pas du tout.
Un peu dégoûté, il tenta de se retourner pour partir. Il n'avait pas l'intention de subir la vue et l'écoute de personnes qu'il n'appréciait pas. Malheureusement pour lui, la foule était déjà trop compacte derrière lui et se pressait vers l'avant. Il avait songé à s'élever dans les airs pour partir, mais il ne pouvait pas lever sa baguette en l'état sans risquer de blesser quelqu'un. Il n'avait d'autres choix que de supporter leur musique jusqu'à la fin...
- Je les adore !
- Ils sont trop beaux !
- Je craque pour Attraction !
... et le supplice des compliments de leurs fans.
Harry se retourna vers la scène pour les observer de nouveau. Ses yeux se posèrent sur Parkinson tout d'abord et il fut un peu piqué de constater que leurs admirateurs n'avaient pas tout à fait tort. Pour lui, elle avait une tête aux traits de carlin dans ses souvenirs, un visage un peu trop dur. Mais en vérité, il devait avouer que c'était là la vision d'un enfant sur un adversaire honni. En réalité, elle était plutôt jolie. Il en allait de même pour Nott, qui n'avait rien du lapin de ses souvenirs. Il dégageait une sombre beauté, un peu fragile. Zabini n'était pas non plus qu'un beau-parleur et il arborait à présent toute la panoplie du Don Juan. Quant à Goyle, ses rondeurs enfantines avaient laissé place à des épaules larges et une silhouette sculpturale. Il devait en faire rêver plus d'un ou une.
Ses yeux finirent par se poser sur Malefoy. Contrairement à ses camarades, il ne souriait pas. Il semblait même prendre un malin plaisir à faire la gueule et, étrangement, le public en redemandait. L'Auror le voyait à présent lui aussi sans le filtre du rival, puis de l'ennemi, comme il l'avait considéré jusqu'alors. Il n'avait pas les cheveux longs comme son père, ainsi qu'Harry l'aurait imaginé. Ils étaient courts sur les côtés et un peu plus long dessus, laissant quelques mèches retomber jusque sur l'arrête de son nez. Son visage reflétait l'esthétisme grec des aristocrates, avec un nez droit, des pommettes hautes, une mâchoire raffinée et une bouche aux lèvres pleines et sexy.
Sexy ?
Harry secoua la tête malgré lui. Il divaguait. Et pourtant... Malefoy n'avait pas que le visage d'attrayant. Il possédait un corps élancé aux muscles bien dessinés que son t-shirt moulant et son pantalon de cuir laissaient largement deviner. Il avait les épaules carrées et les hanches étroites, si bien qu'Harry le compara aussitôt à une gravure de mode. Il ne pouvait nier, à l'heure actuelle, que Malefoy était beau. Oui. Et terriblement séduisant.
Pour éviter à ses pensées de partir sur des délires complètement dingues (trouver Malefoy désirable lui paraissait être le summum de la folie), il se concentra sur les divers instruments de musique du groupe, ceux-là même qui avaient été dessinés sur le tract. Il n'avait pas remarqué auparavant, mais le nom de ses derniers étaient inscrits à côté de chaque schéma, en tout petit. Zabini n'en avait pas et prenait la place de chanteur du groupe. Goyle se positionna derrière un percuféroce, une sorte de batterie à moitié vivante. Parkinson s'était installée près d'un echolumen, l'équivalent du synthétiseur version sorcier, en forme de boule avec une pléthore de cubes lumineux sur le pourtour. Nott, quant à lui, tenait un bruissegrave aux cordes mouvantes. Harry le rapprocha aussitôt de la basse moldue. Et enfin, Malefoy tenait une vibrenote entre ses mains, qui ressemblait à s'y méprendre à une guitare électrique, mais avec des yeux sur le haut de la tête et une gueule au niveau du micro.
Les notes commencèrent alors à s'élever dans les airs tandis que le public retenait son souffle, comme hypnotisé. Le son produit fut d'abord perturbant pour Harry. Il ne s'apparentait à rien qu'il ait pu entendre jusque-là, comme un amalgame de mélodies qui se rejoignaient et s'harmonisaient pour n'en former qu'une seule, douce mais brutale, paisible mais violente, agressive mais envoûtante. Au bout de quelques secondes à peine, il se rendit compte qu'il hochait la tête en rythme, appréciant la poésie et l'originalité de cette toute nouvelle musique.
Zabini ouvrit la bouche et chanta d'une voix rauque et érotique. Les paroles ressemblaient à s'y méprendre à une incantation, mais Harry - en tant qu'Auror - devina rapidement que ce n'en était pas une. Il laissa son oreille savourer les mots et le timbre du chanteur, faisant fi de son identité. Il avait un talent fou !
Ses yeux dérivèrent de nouveau vers Malefoy. Il ignorait superbement son public, imprégné par sa musique. Il baissait la tête vers sa vibrenote, qu'il tenait comme on vénère un dieu. Harry se fit la réflexion incongrue qu'il aurait aimé être tenu ainsi par ces mains, avant de se tancer mentalement et de rappeler à son cerveau que c'était de Malefoy qu'il s'agissait. Mais bientôt, les vrombissements qui émanaient de son instrument assourdirent sa raison et frémirent tout le long de son corps, l'envahissant entièrement.
Le blond releva finalement les yeux, qui parcoururent la foule avant de s'arrêter sur lui et de ne plus le quitter jusqu'à la dernière note de la chanson. L'avait-il reconnu ? Les sons pulsèrent jusqu'au plus profond de lui sous les coups de ce regard gris et firent palpiter son cœur comme jamais auparavant, vivifiants. Il se sentit respirer petit à petit sous l'effet de la musique et des iris de Malefoy rivées sur lui. Sans trop savoir ce qu'il pouvait lui dire, Harry était convaincu qu'il lui fallait absolument parler au serpentard à la fin de ce concert, qu'il ne devait pas laisser passer cette étrange sensation de résurrection qu'il ressentait et qu'il ne comprenait pas encore.