
Une histoire de poupée
Pendant quelques minutes, tout le monde fixa la poupée comme si elle allait se transformer et le voleur réapparaître. Puis Akako papillonna des yeux, et murmura :
-Oh... Oh, j'avais oublié... Oui... Ça pourrait marcher...
Elle marmotta des bouts de phrases sans queue ni tête, le regard fixé sur la poupée, et personne n'osa l'interrompre. Elle se mit à faire les cent pas, s'arrêta, reprit sa marche et ne remarqua même pas Summers qui recula sa chaise pour la laisser passer.
-Ça pourrait marcher, répéta-t-elle à voix haute.
En un bond, elle attrapa la poupée et tira sur ses bras. Elle émit un son doux de tissu froissé. Akako se retourna d'un bloc vers les sorciers et cette fois, elle souriait.
-C'est ça, s'exclama-t-elle en agitant la poupée devant eux. C'est une poupée vaudou que j'avais faite pour Kid ! Si je peux en fabriquer d'autres à vos effigies, je pourrais tous nous emmener dans la quatrième dimension ! On n'aurait plus à se soucier des voyages physiques ! Fini le problème du temps ! Et avec le cercle, nos esprits seraient protégés !
-Attendez, stop, finito, retour en arrière, paniqua Summers. C'est quoi ce vaudou ?!
Le mot évoquait vaguement quelque chose dans la mémoire de Harry. De son côté, Andersen avait l'air perdu.
-Je peux fabriquer des poupées vaudou qui vous représentent, expliqua Akako. En y intégrant un objet à vous, et en vous faisant boire une potion, je pourrais vous aider à atteindre mentalement la quatrième dimension !
-Une potion ? répéta Andersen. Minute, vous voulez nous contrôler ?
Akako perdit son sourire.
-Heu... Oui, c'est nécessaire dans la magie vaudou. Mais je ne vais pas...
-Non, claqua Andersen en l'interrompant. Personne ne va se laisser contrôler.
Elle eut un geste d'impatience.
-Et alors quoi ? Vous avez une autre solution peut-être ?! Le sort du monde magique en dépend !
Pendant que les deux se disputaient et que Summers fixait Koizumi avec méfiance, Harry sentit son regard revenir de lui-même vers l'endroit où Kid avait disparu. Pourquoi avait-il laissé là cette poupée ? Il devait bien savoir qu'ils refuseraient de se laisser contrôler. Il avait sans doute une autre idée. Ce n'était pas le premier message énigmatique qu'il leur laissait. Kid était un adversaire calculateur qui mettait en déroute toutes les polices du monde. Laisser bien en évidence une poupée vaudou dans la maison d'une sorcière qui, elle-même, avait oublié son existence avait forcément une explication.
-Koizumi, appela-t-il, à moitié perdu dans ses pensées.
-Quoi ? répliqua-t-elle, agacée par sa dispute avec Andersen.
-Est-ce que cette poupée a déjà marché sur Kid ?
Summers lui lança un regard blasé, comme s'il trouvait la question ridicule, mais Akako rougit et détourna les yeux. Sous son insistance, elle admit :
-Oui, mais pas longtemps. Il a pu résister.
-Comment ?
Elle grogna, puis du expliquer la scène. La neige s'était mise à tomber et avait recouvert le cercle qu'elle avait créé avec sa magie.
-Heu, intervint Summers, c'était en quelle saison ?
Personne ne lui répondit. Harry réfléchit à haute voix :
-Donc la neige a interrompu votre magie quand elle est entrée dans le cercle ? Alors...
-Si on entre nous-mêmes dans le cercle, on pourra contrôler nos poupées ! s'exclama Summers.
-Personne ne fera une poupée vaudou pour me contrôler, gronda Andersen.
-C'est le même principe que les baguettes, réalisa Harry.
-Koizumi va les fabriquer et nous les garderont comme protection, continua Summers.
-Comme ça personne ne nous contrôlera, termina Harry.
-Hey, je n'ai pas accepté ! protesta Akako. Qu'est-ce que je gagne dans cette histoire ?
-L'idée de sauver le monde n'est pas suffisante ? ironisa Summers.
Elle rougit et détourna la tête. Voyant que ses deux collègues étaient convaincus, Andersen soupira.
-D'accord, mais si ça marche pas c'est votre faute. Et personne ne touche à ma poupée.
Même si les aurors s'étaient mis d'accord, bon gré mal gré, Akako restait récalcitrante.
-En admettant que je vous donne les poupées, il reste un problème. Vous êtes des sorciers.
Un haussement de sourcil généralisé lui répondit. Elle soupira.
-La magie attire la magie. Un cercle trop grand perd en efficacité. Pourquoi croyez-vous que votre accident a détruit mon salon ? Votre magie va vous suivre dans la quatrième dimension et attirer celle de la terre.
Elle s'interrompit et attendit qu'ils comprennent ce qu'elle insinuait. Après un instant de silence, Summers sembla comprendre.
-C'est comme du métal, dit-il. La magie est du métal et le sorcier est un aimant. L'aimant attire le métal et plus il y a de métal, plus... il y a... de métal...
-Le simple fait d'être sorcier va attirer la magie de la terre vers vous, confirma Koizumi. Et aucune chance d'être protégés par votre magie interne. Ce n'est pas les poupées vaudou le problème. Vous allez manipuler une énergie colossale, suffisante pour foudroyer n'importe qui. Comparé à ça, l'Obscurial dans votre école équivaut à une bulle de savon.
-Mais, et les poupées ?
-Les poupées protégeront vos corps. Pas vos esprits. Si encore, je pouvais les contrôler moi-même...
Peut-être était-ce parce qu'ils avaient un plan, après des semaines à errer de fausses pistes en échecs, mais Harry sentit la douche froide l'envahir, suivie d'une brûlure fantôme dans les bras. Depuis le temps, il savait que cet accident avec Andersen avait faillit le tuer mais jusque là, il avait toujours réussit à ne pas y penser. Autrement, il n'était pas sûr de pouvoir terminer cette enquête avec lui. Alors quand Akako leur dit à demi-mots qu'ils risquaient la mort cérébrale en acceptant ce plan, il était tout prêt à reculer. Ginny, Ron, Hermione -
-Il y a bien un moyen de se protéger, protesta Summers.
-Oh, j'ai une amulette, dit Akako d'un air distrait. Mais une seule. Je l'utilise justement pour me rendre dans la quatrième dimension. Et le cercle protège ce qui se trouve à l'intérieur, mais il ne peut pas être trop grand...
-Donc... Même si on y va dans cette dimension, on n'aura pas le temps de défaire les nœuds ? On se... fera griller avant ?
-C'est l'idée, Potter, grogna Andersen. Pas le temps de peigner, on sera foudroyés.
-A moins que je ne contrôle moi-même les poupées.
-Pas question !
Summers était affalé dans son fauteuil, les bras croisés. Il écoutait la discussion sans vraiment réagir, persuadé qu'il y avait une autre solution.
-Je peux jouer les peignes, moi.
Andersen passa d'avachi à debout en moins d'une seconde quand il entendit cette voix moqueuse tout prêt de son oreille. Il sortit sa baguette et la pointa sur l'origine de la voix, laquelle s'était déjà évanouie dans les airs avec un nuage de fumée rose et un rire de gamin. Kid réapparu près d'Akako, qui sursauta, et alla tranquillement pêcher sa poupée dans ses bras comme s'il sortait d'une maison et pas d'un écran de fumée. Akako laissa partir la poupée de mauvaise grâce, les joues rouges, et tourna les talons en direction d' un fauteuil. Harry remarqua que son déhanché était plus prononcé qu'avant et quelque chose gronda dans son estomac.
Ginny.
Akako jeta un regard brûlant à Kid mais, voyant qu'il ne la regardait même pas, s'assit avec un soupir. Le regard de Summers alternait entre la sorcière et le voleur avec l'air de quelqu'un qui vient de comprendre les mystères de l'univers. Andersen gardait la tête dans ses mains et se massait les tempes.
Kid attendait.
Voyant que personne ne voulait prendre la parole, Harry reprit :
-Vous voulez gérer cette magie terrestre à notre place ?
-Pourquoi pas ? Vous ne pouvez pas le faire.
Tous les regards convergèrent vers Akako. Elle du admettre que c'était la seule possibilité. La magie ne réagirait pas face à un moldu, magicien ou non.
-Par contre, ajouta-elle en capturant son regard, tu aura besoin de moi pour te guider.
Il haussa un sourcil, la mettant au défi de s'expliquer.
-Je vais servir de pillier entre la quatrième dimension et la nôtre. De là, tu pourra atteindre les nœuds à travers ta poupée.
-Heu, et votre majordome ? demanda Harry qui hésitait à interrompre ce duel de regards.
-Non, c'est un démon, une créature magique, claqua-t-elle.
Les trois aurors fixèrent ledit démon qui les regardait d'un œil morne et continuait de faire tapisserie. Koizumi avait un démon comme majordome. Tout était normal.
-D'accord, intervint Kid. Tu me guidera.
Akako cilla. Elle attendit un instant la suite, mais Kid restait silencieux.
-Très bien, soupira-t-elle. Tout le monde dans ma crypte.
La petite troupe suivit donc la sorcière dans l'escalier et le couloir. Harry s'attendait à retrouver la paillasse de pierre couverte de sang, comme il l'avait laissée après avoir soigné Kid, mais il n'y avait plus la moindre trace rouge. Privée de sa boule de cristal, la pièce semblait vide, terne et grise. Akako émit un soupir et secoua la tête en voyant sa crypte ainsi aseptisée, agrippa des manteaux noirs pour les jeter aux aurors et s'approcha d'un pas ferme vers le banc de pierre.
-Vous trois, vous restez à l'écart, intima-t-elle. Kid, apporte ta poupée.
-Vous allez créer des poupées vaudou, alors ? demanda Summers.
-Non, claqua-t-elle. Vous ne savez pas les contrôler. Vous ne ferez que me gêner.
Akako sortit de sa poche une petite amulette qui ne semblait plus de première jeunesse et la passa autour de son cou. Kid s'installa face à elle, le banc de pierre entre eux, et y déposa sa poupée tout en gardant la main dessus. D'un claquement de doigts, Akako éteignit les lumières. Seules les fenêtres éclairaient encore la pièce, d'une lumière blafarde qui laissait les coins dans l'ombre. Elle se mit à fredonner des paroles incompréhensibles et lentement, une étoile stylisée entourée d'un cercle se dessina en rouge autour de leurs pieds. Le vent de l'extérieur se mit à mugir, traversant les murs, et commença à remplir la pièce d'un son lancinant et constant. Les trois sorciers, inquiets, se plaquèrent contre leur mur mais ils sentaient malgré tout le vent comme s'ils étaient au milieu d'une plaine, sans rien pour le contrer. Harry sentit ses doigts érafler le mur derrière lui, une sensation rassurante. L'etoile autour de la sorcière et du voleur se mit à briller d'un rouge intense, pulsant comme un cœur qui s'accélérait.
-C'est une mauvaise idée, c'est mauvais, mauvais, marmonnait Andersen plaqué contre son mur, les yeux fixés sur le duo. La cape de Kid bougeait à peine, malgré le vent qui mugissait autour d'eux. Il restait immobile, les yeux sur sa poupée, une main contre le banc de pierre et l'autre sur elle, sans rien dire. Akako continuait de chanter des incantations mais sa voix avait depuis plusieurs minutes été emportée par le vent et personne ne l'entendait. Enfin, elle se tut, laissant le vent tourner autour d'eux, et marmonna à destination des sorciers :
-Ça y est, on y arrive. Bientôt. On y -
Dans un claquement sourd, qui sembla résonner à travers la pièce malgré le son du vent, la vieille amulette d'Akako se brisa d'un coup, tombant sur le banc de pierre en deux morceaux nets. Kid, face à elle, put la voir écarquiller les yeux. La puissance du vent doubla et Akako hurla.