
H-19
A l’exception de ses pires cauchemars, Harry n'avait jamais entendu quelqu'un hurler comme ça. Le cri était vibrant, empli de terreur et lui rappelait avec une précision chirurgicale celui qu'il était sûr d'avoir poussé lors de l'attaque d'Andersen. Ses oreilles tintaient, hantées par ce son de terreur pure, et il avait à peine fait un pas en avant quand tout s'arrêta. Le vent tomba d'un coup, le silence envahit la pièce et la sorcière s'écroula, inconsciente, dans les bras du voleur. Harry sentait encore ses joues malmenées par le vent quand ses collègues et lui se ruèrent sur le duo. Kid tenait Akako dans ses bras, au milieu des débris du banc de pierre pulvérisé. En un clin d’œil, tout était redevenu silencieux. Akako, les yeux ouverts sur le vide, était parcourue de spasmes à intervalles réguliers qui faisaient dodeliner sa tête. Harry approcha la main dans l'espoir de sentir son pouls mais une décharge électrique sur ses doigts le fit sursauter. Kid, face à lui, tressaillit.
-Il vaut mieux ne pas la toucher.
Délicatement, il souleva la manche du manteau noir que portait la sorcière et révéla ses bras, couverts de boursouflures rougeâtres. Harry sentit sa nausée revenir.
-Allez chercher le majordome, intima Kid.
-J'y vais, répondirent en même temps Harry et Andersen.
Alors que le premier fixait les bras de la sorcière, le second refusait tout net de le faire , mais tous deux avaient la même expression d'horreur et les mêmes souvenirs qui tournaient dans leurs esprits. Rapidement, Summers et Kid se retrouvèrent seuls. Kid étendit Akako sur le sol, en prenant soin de garder sa tête surélevée. Summers avisa l'amulette cassée au sol, s'agenouilla près d'elle et la toucha avec précaution.
-Si je comprends bien la magie d'Akako, reprit Kid, cette amulette n'est plus qu'un bout de métal. Quand elle s'est brisée, Akako a reçut de plein fouet la puissance des flux de la Terre.
Summers lorgna vers la sorcière inerte, toujours parcourue de spasmes et les yeux ouverts.
-Elle est...
-Non. Je sens son pouls.
A cet instant, Harry, Andersen et le majordome réapparurent. Ce dernier s'agenouilla auprès de sa maîtresse et, sans la toucher, dessina des mains des arabesques complexes au-dessus d'elle. Peu à peu, les spasmes d'Akako diminuèrent, puis disparurent. Toujours inconsciente, la sorcière ferma les yeux et sa respiration s'apaisa. Les quatre hommes laissèrent le majordome emporter sa maîtresse hors de la crypte.
-Et voilà notre dernière chance de sauver le monde qui part en fumée, marmonna Andersen d'une voix faible. Potter... Je me suis jamais excusé pour...
-C'est bon, c'est pas grave, marmonna Harry en regardant autour de lui. Il y a forcément une autre solution.
Dehors, la nuit avançait. Tandis que les trois aurors discutaient, Kid réfléchissait, les yeux fixés sur la fenêtre où les premières étoiles commençaient à faiblir. Le lever du soleil n'était plus très loin. Il se redressa en s'époussetant les genoux.
-Je propose de faire une pause.
-Quoi ? s'exclama Andersen. Impossible, on a vingt heures avant l'Obscurial !
Le voleur le fixa dans les yeux.
-Pensez-vous pouvoir trouver un plan dans votre état ? Et dans le mien ? Après la nuit que nous avons passée ?
-On ne peut pas dormir quand le monde sorcier dépends de nous, protesta Summers.
Kid haussa un sourcil.
-Koizumi vous l'a dit, non ? Ici, je suis le seul à pouvoir défaire les nœuds car je ne suis pas sorcier. Et je me suis fait tirer dessus il y a quelques heures. Je réclame une heure de sieste.
Il les regarda tour à tour et aucun ne put contrer cet argument. De mauvaise grâce, les trois sorciers quittèrent la crypte pour remonter vers les chambres, suivis de Kid. Le voleur observa quelques instants la pièce, avec ses fenêtres intactes et son banc de pierre en poussière.
Il sourit, puis referma la porte.
Une heure plus tard, les trois sorciers retrouvèrent Kid au salon. Couché dans son lit, Harry avait passé l'heure à osciller entre somnolence et réveils brutaux et il sentait sa patience quasi inexistante. De leurs côtés, Andersen avait l'air de ne plus savoir sur quelle planète il se trouvait et Summers avait les yeux injectés de sang, griffonnant sur son carnet d'une main fébrile. Régulièrement, son stylo échappait de ses doigts et il le rattrapait maladroitement en jurant à haute voix.
-Bon, t'as un plan maintenant ? gronda-t-il en direction de Kid quand ils furent tous installés dans le salon.
Le voleur, très calme, était perché en tailleur sur une table, une boîte fermée à ses côtés.
-J'ai toujours un plan, répondit-il.
-Tu as dormi au moins ?
-Non.
-Alors pourquoi tu as demandé cette pause ? gronda Harry.
-J'avais quelques bricoles à préparer, fit le voleur sans se départir de son sourire. Et vous aviez besoin de décrocher.
-Dis-nous ce que tu veux faire.
Kid pencha la tête en regardant Summers, qui tenait son carnet ouvert au point de presque en déchirer les pages.
-Vos baguettes. A quoi servent-elles ?
Un instant, Harry crut que Kid avait perdu la tête.
-Écoute, dit-il en s'efforçant de rester calme, on a comprit que tu aimais nous mettre à l'épreuve mais c'est pas le moment. Tu sais ce que c'est, un Obscurial ? Un monstre qui va tout détruire dans dix-neuf heures si la magie ne revient pas.
Le regard calculateur se tourna vers Harry.
-Rabats-joie, bouda-t-il. Mais je ne plaisantais pas. N'as-tu pas dis toi-même que la magie est toujours présente ?
-Mais on ne peut plus y accéder, répliqua l'auror. Pas sans les poupées vaudou de Koizumi.
Kid sourit.
-Qui a dit que Koizumi est la seule à pouvoir fabriquer ces poupées ?
Il attrapa la boîte à ses côtés, l'ouvrit et leur présenta le contenu.
-Je l'ai suffisamment observée pour savoir où elle cache ses tissus magiques. Le cercle de magie rouge est toujours dans la crypte. Prenez un cheveu, un de ces tissus, et hop, vous pourrez fabriquer votre poupée !
Les trois aurors fixèrent les tissus bariolés dans la boîte.
-Ça ne peut pas être aussi simple, c'est de la magie rouge, protesta Andersen. A Poudlard, il faut sept ans pour être diplômés !
-Plus une chose est ancienne, plus elle est complexe, prononça le voleur. Vos baguettes et les poupées vaudou fonctionnent sur le même principe. Ce sont des canaux pour transférer la magie d'un point A à un point B et qui nécessitent deux éléments : un matériau enchanté et un élément appartenant au mage. Nous avons tout ce qu'il faut.
-Et le cercle ?
-Il vous aidera à focaliser votre magie.
-Comment tu sais tout ça ? demanda Summers. Tu es moldu, non ?
Kid haussa un sourcil, comme si la question était stupide.
-Je suis un voleur international. Ça fait belle lurette que je sais où chercher, surtout quand on parle de magie et de secrets.
-Bon, d'accord, grogna Andersen qui n'appréciait pas tant de jugeote à part chez lui-même. Mais Koizumi disait qu'on allait attirer la magie parce qu'on est des sorciers...
Kid venait de prendre un des tissus et l'examinait, sans répondre.
-Minute, minute, s'exclama Summers qui fixait son carnet sans le voir, et si on déviait la magie ? Si on ne peut pas la contrer, on peut peut-être la manipuler ?
-Manipuler une magie terrestre qui a faillit pulvériser un hectare de forêt ?
-Andersen, c'est Koizumi qui paniquait à ce propos...
-La ferme, j'ai pas envie de crever.
-Bingo, murmura Kid.
A nouveau, les quatre hommes se retrouvèrent dans la crypte d'Akako – mystérieusement débarrassée des débris du banc. Libéré, le cercle rouge qui encadrait une étoile trônait au milieu de la pièce. Les trois aurors s'étaient rassemblés autour du cercle et Kid avait choisit de rester en arrière, adossé contre le mur jouxtant la porte. Les bougies qui éclairaient la pièce à intervalles réguliers faisaient danser des ombres orangées sur son costume blanc et mettaient en relief les traits jeunes de son visage.
Harry posa le tissu vert qu'il avait choisi dans une branche de l'etoile. Face à lui, ses collègues firent de même.
-Bon, et maintenant ?
-Il faut un cheveu, rappela Summers.
-Koizumi n'avait pas parlé d'une potion, aussi ?
-Seulement pour nous contrôler.
-Ah...
Harry leva la main et tira sur une mèche. Il la posa sur son morceau de tissu et attendit. Rien ne se passa.
-J'avais dit que c'était une mauvaise idée, grogna Andersen.
-Il faut peut-être faire une incantation ? proposa Summers. Heu... Oh grande magie rouge, viens à moi !
Summers leva les bras et jeta des coups d’œil aux alentours, guettant un signe magique, mais rien.
-T'as l'air ridicule, lâcha Andersen.
-Tu as une meilleure idée peut-être ?
-Heu, intervint Harry, la magie rouge, elle ne fonctionne pas avec du sang ?
-Personne ne prendra mon sang, répliqua Andersen. C'est stupide. On ne sait même pas si ces poupées fonctionnent. On est juste trois idiots et un voleur dans une crypte qui sent la poussière pendant qu'en Angleterre tout dérape !
Harry jeta un coup d’œil à Kid, toujours adossé contre son mur. Il faisait jouer entre ses doigts une petite carte. Quand il l'immobilisa, face à lui, il y distingua certains signes.
- Kyomisu-dera -
- Se jeter à l'eau -
Se jeter à l'eau... Harry n'avait jamais vraiment comprit la signification de cette phrase dans leur contexte. La signification de l'expression, il la connaissait, mais quel était le lien avec leur situation ? A quoi jouait Kid, depuis le temple ?
-Et puis, du sang ? continuait Andersen. Il lui faut combien de sang à cette magie rouge ? On doit peut-être se vider pour espérer que ça fonctionne ? Comme un genre de sacrifice, c'est ça ? Pas étonnant qu'elle soit interdite !
Un sacrifice, du sang, le risque de se jeter à l'eau -
Oh.
D'un coup, Harry sentit le poids de la compréhension lui écraser les épaules. Pour sauver la magie, il fallait utiliser une autre magie. Au risque de mal la contrôler. Harry chassa de son esprit l'écho du cri d'Akako et se retourna vers le voleur.
-Toi, tu as un couteau, pas vrai ?
Kid sourit, attrapa d'un geste vif un petit couteau à lame noire dissimulé dans sa manche et l'envoya vers les aurors. Le couteau se planta au cœur de l'étoile.
-Hé, attention !!
-Bon, les gars, c'est le moment, reprit Harry qui aurait voulu être n'importe où sauf ici, tant le poids de ce qu'ils devraient faire lui pesait. La magie rouge est notre seule solution et pour la faire marcher, on doit donner du sang. Tous les trois.
-Dans tes rêves, gronda son collègue.
-Andersen, murmura Harry en fixant le couteau au cœur de l'étoile, à quoi sert notre magie ?
Il y eu un silence.
-Quelle question, grogna Andersen, mais il n'y répondit pas.
-Heu... Elle sert à nous faciliter la vie ? proposa Summers.
-Donc à éviter les risques, approuva Harry. Et maintenant la boucle est bouclée. Si on veut ramener la magie, on doit prendre des risques. Et donner du sang.
Ses deux collègues réfléchirent.
-Ça ne veut rien dire.
-Pas si on réfléchit comme des sorciers, songea Summers. Mais si on réfléchit comme des moldus... Accio permet d'attirer un objet sans se déplacer, Stupéfix neutralise quelqu'un...
-Alohomora évite d'utiliser une clé, continua Harry. Le tout sans s'approcher, sans prendre de risque.
Summers fronça les sourcils, puis se tourna vers Kid.
-C'est ça que tu voulais nous dire depuis le temple ? Qu'il fallait prendre des risques ?
-Comme s'il savait quoi que ce soit sur le risque, c'est un voleur, gronda Andersen.
Ledit voleur, qui jusque là observait le conciliabule sans bouger, eut soudain un geste vif et précis. Une carte à jouer se planta en sifflant près du genou droit d'Andersen.
-J'ai eu ma dose de risque, petit mage, sourit Kid. Tu te trouves justement là où je saignais il y a quelques heures.
Harry retint une grimace. Décidant de couper court à cette conversation, il attrapa le couteau et avant de renoncer, passa la lame sur son poignet. La douleur le fit sursauter et maladroitement, il laissa le liquide chaud couler sur le tissu vert et la mèche de cheveu.
-Ah, enfin un sorcier qui ne fait pas que réagir, approuva Kid en sortant des bandages et une petite bouteille de sa veste.