
Le coupable
C'est ainsi qu'Andersen le trouva, la tête dans la cuvette comme après une soirée trop arrosée.
-Potter ?
Un gargouillement incompréhensible lui répondit. Andersen, qui s'attendait à tout sauf à voir son collègue avec la gueule de bois, examina sa tenue couverte de sang, son visage pâle, et décida qu'il avait mieux à faire que le presser de questions. Il s'approcha.
-Potter, debout.
Il l'agrippa sous les aisselles et le força à se redresser. Harry sentait ses jambes flageoler et il s'appuya sur son collègue.
-Heurk, rince-toi la bouche d'abord.
Il le força à se débarbouiller. Harry se sentait si mal qu'il songea à profiter de la situation pour se noyer sous le jet d'eau, mais son collègue le redressa à temps.
-Potter, je sais pas ce qu'il s'est passé avec Kid mais je te lâche pas tant que j'ai pas mes réponses. Maintenant direction ta chambre, tu vas te changer.
L'opération prit plus de temps que d'habitude mais, une fois changé, débarbouillé et réhydraté, Harry se sentait à peu près d'attaque. A l'extérieur, la nuit avançait tranquillement et les étoiles commençaient à s'allumer.
-Comment t-tu t'en... es sorti ? ânonna Harry, la bouche pâteuse.
-Summers et moi, on a eut un avertissement pour tapage nocturne, grogna Andersen. Pas envie d'en parler.
Ils retrouvèrent Akako et Summers dans le salon. Harry s'affala dans un fauteuil avec l'impression de s’asseoir sur un nuage.
-Bon, commença Summers. Récapitulons. Potter, ça va ? T'as l'air pâle.
-Longue histoire, marmonna-t-il, mais ça va.
Summers n'avait pas l'air convaincu mais il acquiesça. Il ouvrit son carnet, attrapa un stylo et continua :
-Notre diversion a bien fonctionné. Par contre j'ai entendu un bruit dans le parc. Potter, tu sais ce que c'était ?
Harry lorgna vers Akako, qui refusait de le regarder. Elle lançait des coups d’œil réguliers vers l'escalier menant vers sa crypte et gardait les poings serrés, les doigts frémissants.
-J'ai bien vu Kid, expliqua Harry en essayant d'articuler. Il est d'accord pour nous aider à trouver des preuves si on l'aide en retour. Il veut quitter le pays discrètement.
-Mouais, admettons, fit Summers en écrivant dans son carnet. Est-ce qu'on a la moindre preuve qu'il tiendra parole ? C'est pas comme si on pouvait le lui demander.
-En fait... Il est là.
Summers cessa d'écrire et haussa un sourcil. Andersen, silencieux jusque là, intervint :
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Kid. Il- il a été blessé pendant le rendez-vous. Des types en imper avec un revolver. J'ai aidé Koizumi à retirer les balles tout à l'heure...
Le regard d'Andersen oscilla sur ses bras, là où Harry gardait une sensation fantomatique de froid.
-C'est pour ça que t'as l'air malade ?
-C'est pour ça que t'étais couvert de sang ?
Andersen et Summers se regardèrent.
-Bon. Potter. Tu respires, et tu nous racontes.
Quelques minutes plus tard, tout le monde en était au même point. Akako avait refusé tout net de laisser qui que ce soit approcher de Kid dans son état, arguant qu'elle avait déposé des protections potentiellement mortelles autour de lui.
-D'accord, on n'y touchera pas à votre voleur, capitula Summers. Mais, et notre accord ? Kid est chez vous maintenant.
Akako lui lança un regard noir, puis soupira.
-Entendu, fit-elle de mauvaise grâce. Je ne voulais pas l'avoir dans cet état, mais techniquement, vous avez rempli votre part... Je vais vous dire le nom du coupable.
Kid étant dans la crypte d'Akako, les préparations prirent quelques minutes. La sorcière fit déménager sa boule de cristal dans le salon, leur intima à tous de porter de grands manteaux noirs à capuches et de se placer dans un coin de la pièce, puis éteignit les lumières. Les trois aurors furent réduits à un trio de visages blancs à peine visibles. Une fois ceci fait, le salon fut plongé dans les ténèbres et la seule source de lumière était la boule de cristal, au centre de la pièce, qui éclairait le visage d'Akako en contre-bas. La sorcière murmurait des paroles incompréhensibles et ses mains oscillaient dans la lumière cristalline, comme si elle jouait avec. Ses bras passaient et repassaient autour de la boule, créant sur le mur des arabesques d'ombre silencieuses. Après plusieurs minutes, la lumière sembla se condenser et un nom prit forme, flottant à l'intérieur de la boule. Akako fit signe aux sorciers de s'approcher. Ils obtempérèrent et fixèrent le nom de leur coupable en silence.
-Impossible, murmura finalement Andersen. C'est impossible.
Akako ne répondit pas tout de suite. Ses mains dansèrent et une feuille de papier apparu, comme produite par la lumière de la boule elle-même, et le nom du coupable s'y inscrivit en lettres noires. La sorcière déposa la feuille devant elle, puis éteignit la boule de cristal d'un claquement de doigts. En un instant, les lumières de la pièce se rallumèrent.
-Vous pouvez retirer les manteaux, dit Koizumi. C'est fini.
Les trois aurors obtempérèrent, puis Andersen bondit et s'empara de la feuille.
-C'est impossible, répéta-t-il furieusement.
-Pourquoi ? demanda Summers. Tu le connais ?
De son côté, Harry cherchait désespérément d'où il connaissait ce nom, mais sa mémoire lui faisait défaut, obnubilée par les dernières heures.
-Non, gronda Andersen, fixant la feuille comme si elle l'avait insulté. Mais ça ne peux pas être lui.
-Pourquoi ?
-Parce que Samuel Ants est la première victime de la bombe, celle qu'on a retrouvée sous les décombres !
Il y eu un déclic dans la tête de Harry. Ils avaient en effet retrouvé Samuel Ants, tout cabossé, à quelques mètres de la bombe. Son visage en lambeaux l'avait fait grimacer.
-Ça ne peut pas être lui, répéta Andersen.
-Il n'y a pas eu d'autre bombe depuis, rappela Harry. C'est possible.
-Mais ça impliquerait que c'est aussi un suicide, ajouta Summers qui fixait son carnet sans le voir.
-Tch. Vous m'avez tellement tenu la jambe pour avoir votre coupable, et maintenant vous refusez de le croire ? persifla Akako.
-Il y a du y avoir une erreur, contra Andersen.
-Ma boule de cristal ne fait jamais d'erreur !
Koizumi planta son regard dans celui d'Andersen, le mettant au défi de mettre en doute ses pouvoirs. Rapidement, l'aura de la sorcière s'étendit, sinueuse et grimpante, et Andersen détourna les yeux en pâlissant.
-Mademoiselle Koizumi, veuillez contrôler vos pouvoirs, intervint Summers d'une voix polaire, avant que la situation ne dégénère.
Lentement, l'aura glaciale diminua mais Akako ne s'excusa pas.
-Puisque vous êtes si sûre de votre boule de cristal, reprit Summers, que pensez-vous de cette affaire ? Pourquoi Samuel Ants se serait-il suicidé ?
-Ne m'embarquez pas dans vos histoires, gronda-t-elle. Notre contrat est terminé. Plus vite vous aurez vos preuves, plus vite je serais débarrassée de vous.
-Vous avez bien une idée, insista Summers, après nous avoir écoutés tout ce temps.
Harry leva un sourcil en direction d'Andersen. Summers avait visiblement prit sa place en tant qu'orateur pro du sous-entendu. Andersen murmura :
-C'est une civile, Potter.
-Tch, gronda Akako. Les moldus, comme vous dites, ne croient pas aux sorciers parce qu'ils en ont peur, pas vrai ? Les aurors arrêtent les mages noirs, ceux qui abusent de leurs pouvoirs et qui donnent raison à cette peur. Un sorcier qui se fait exploser et en même temps le ministère anglais, ce n'est pas aussi un abus ?
-Donc ça serait un plan alambiqué pour détruire la société sorcière ? résuma Harry. Et le siphonnage de la magie alors ?
-Oh, réalisa Andersen. La caractéristique d'un sorcier, c'est sa magie ! Si un sorcier n'a plus sa magie, il n'est plus un sorcier. Alors... Alors...
-Samuel Ants est un sorcier, c'est certain, ajouta Summers qui regardait toujours dans le vide. Il a été à Poudlard. Mais pourquoi a-t-il fait ça ?
Harry sentit ses mains trembler. Ils s'approchaient de la vérité. Ils avaient le qui, à peu de chose près le comment, mais pas encore le pourquoi. Il manquait quelque chose, il fallait juste remonter la piste un petit peu plus loin...
-Il détestait ses pouvoirs, chuchota finalement Summers. Il voulait détruire la magie quitte à se faire tuer en même temps... D'une pierre deux coups...
-Un sorcier mécontent de ses pouvoirs ? répéta Andersen comme si on venait de lui dire que quelqu'un avait peint la lune en vert. C'est impossible !
-Ça fait beaucoup d'impossible venant de vous, grinça Akako.
-Il a grandit avec une magie qu'il ne comprenait pas, jusqu'à Poudlard, fit Summers tout en fixant son carnet. Peut-être qu'il a eu des problèmes de magie incontrôlée, que ses parents étaient moldus et qu'ils n'avaient aucun moyen de l'aider...
Harry lorgna vers Summers. Il avait le regard dans le vide et les détails qu'il donnaient lui faisaient penser qu'il ne parlait pas réellement de Samuel Ants.
-Ça semble impossible, dit-il, mais c'est vrai que ça expliquerait la bombe. Et le Alohomora qu'on a trouvé. C'est un sort de première année.
-Mais pas le siphonnage, protesta Andersen. Aucun sort ne permet de faire ça.
-Et aucun truc moldu non plus, ajouta Harry qui espérait ne pas se tromper.
-La magie rouge peut le faire, théoriquement, intervint Akako. Mais il faudrait du sang de toutes les victimes de la bombe, donc de tous les sorciers d'Angleterre.
-Trop précis, pas assez large, conclue Harry. La bombe était entièrement moldue et le seul sort retrouvé sur le site était Alohomora.
-Des nouvelles de ce qui a été ouvert ? demanda Summers qui semblait se réveiller.
-Non, rien. Enfin, je suppose que c'était l'un des éléments de la bombe, mais c'est trop tard pour le savoir. Tout est pulvérisé.
-Tch. Quels étaient les indices ?
Harry sortit de sa poche la liste des éléments clés de l'enquête et se tourna vers Akako. Quand il releva les yeux, la sorcière avait les joues écarlates et l'air constipé. Elle se retourna d'un bloc et fixa d'un regard noir Kid, appuyé dans l'encadrure de la porte, avec un sourire canaille et son costume immaculé. Harry cligna des yeux, incapable de faire la correspondance entre ce costume d'un blanc lunaire et le sang qui le maculait quelques heures auparavant. Le voleur répéta la question et Harry comprit qu'il s'était amusé à prendre la voix d'Akako. C'était assez étrange d'entendre cette voix toute féminine chez un garçon majeur.
-Depuis quand tu es là ? gronda Andersen méfiant.
-Oh, depuis le début de cette charmante conversation, répondit-il avec la voix d'Akako.
Son accent était parfait. Harry réalisa que tout ce que leur avait dit Nakamori sur les talents du voleur n'était peut-être pas tant exagéré. Instinctivement, il chercha une baguette, mais son geste s'interrompit de lui-même. Derrière le voleur, le serviteur d'Akako arriva par petits bonds en croassant que « Maître Kid devrait se reposer ».
Harry retint un soupir face à cette scène et entreprit de lister les indices depuis la bombe.
-Attends, Potter, protesta Andersen. C'est d'abord un moldu et un civil ! Il n'a pas à connaître les détails !
-Oh, mais je les connais déjà, chantonna le voleur. Je suis flatté de ta confiance, petit mage. Comme prévu, tu n'as rien dit à tes collègues.
-On n'a rien prévu, on n'a pas eu le temps d'en parler, s'empressa de préciser l'auror en voyant les regards noirs de suspicion de ses deux collègues.
Face à lui, Kid gardait un grand sourire en observant la scène.
-Ne manipule pas notre accord sous prétexte qu'ils n'étaient pas là, grogna Harry.
Kid posa la main sur sa poitrine, faussement touché.
-Manipulateur ? Moi ? Je suis blessé, petit mage. Dire que je suis sortit du coma pour t'apporter ceci !
Il écarta sa cape et, à la surprise générale, en retira un Hedwige à peine ébouriffé. L'oiseau s'envola vers Harry dès qu'il l'aperçu. A sa patte, un parchemin se trouvait attaché et Harry sut que c'était la réponse de Hermione.
-Hedwige ? Comment tu l'a caché ?
-Tu peux utiliser des sorts ?
Pendant que ses deux collègues interrogeaient Kid qui s'amusait à les faire mariner et qu'Akako envoyait son serviteur chercher des bandages propres, Harry ouvrit le cachet qui fermait la lettre et lut en silence quelques minutes.
Non.
Oh, non.
Harry se sentit partir en arrière et atterrit dans un fauteuil. Le bruit étouffé de sa chute attira les regards.
-Potter ?
Les mains tremblantes sur le parchemin, Harry ne répondit pas. Il sentait tout le sang quitter son visage, les yeux fixés sur ce mot qu'il aurait souhaité ne pas connaître et ne jamais voir lors d'une enquête sur la magie.
Obscurial