
Le duel du blanc et du noir
Quelques minutes plus tard, Andersen se dirigea d'un pas furieux vers le touriste.
-Eh, vous, lança-t-il, baissez d'un ton !
L'homme lui jeta un coup d’œil, mais l'ignora et continua sa conversation.
-Eh, m'ignorez pas, gronda l'auror et secouant la main devant son visage. C'est impoli d'ignorer les gens ! Vous m'écoutez ?! HEY !!
Le touriste fronça le nez et se détourna, présentant son dos à Andersen, qui n'attendait que ça. L'auror attrapa son épaule et la secoua sans ménagement. L'homme se dégagea d'un geste sec et lui lança un regard noir. Aux alentours, les habitants et les touristes commençaient à les regarder.
-J'essaie d'avoir une bonne soirée et y a un type qui n'arrête pas de brailler, ronchonna Andersen à haute voix. Vous pouvez pas aller ailleurs ? Vous gênez tout le monde !!
L'homme essaya de parler mais l'auror le coupa.
-Quoi, vous êtes pas foutus de parler normalement ? Parlez anglais, j'écoute !!
L'autre ouvrit la bouche et gronda une phrase en espagnol.
-Quoi, j'ai rien comprit ! Vous pouvez pas parler anglais comme tout le monde !!
Le touriste éleva la voix mais Andersen faisait mine de ne pas comprendre. La dispute continua, échauffant l'air frais de la soirée et attirant les bedeaux. Derrière le duo improvisé, Harry et Summers s'étaient discrètement déplacés vers un coin d'ombre, à l'abri d'une colonne de pierre qui jouxtait le parc. Aucun des deux ne pouvait se cacher derrière cette colonne, mais l'obscurité grandissante de la nuit et la diversion d'Andersen leur permettait de ne pas se faire voir. Quand la femme à sa fenêtre laissa finalement tomber le rideau pour s'en détourner, Harry tapota le bras de Summers deux fois. Un instant plus tard, l'autre lui retourna le signe et ils agirent. Summers, plus athlétique que son collègue, plaça les mains en coupelle contre son ventre. Harry, plus léger, y mit un pied et son collègue le poussa au-dessus du mur. Il retint de justesse un grognement quand la poussée de son collègue se révéla insuffisante et qu'il se retrouva plaqué contre la pierre, les jambes battant dans le vide. Ils avaient tous les deux le cœur battant, parfaitement conscients de ce qu'ils étaient en train de faire à quelques mètres à peine d'un attroupement de civils.
Était-ce ce que ressentait Kid lors de ses vols ?
Harry chassa cette pensée et atterrit accroupi de l'autre côté du mur. Il se trouva rapidement un buisson où se cacher pour écouter et constata que Summers avait rejoint Andersen pour continuer leur petite scène. Aucun bruit ne lui indiquait que son entrée par effraction avait été repérée. La scène de la dispute prit fin quelques minutes plus tard, quand un policier japonais intervint. Même si Harry ne comprenait pas ce qu'il disait, il savait ce qu'il faisait là. Il était bien placé pour le savoir.
Ses deux collègues avaient rempli leur rôle. Désormais c'était à lui de jouer. Seul, plaqué contre un mur dans un lieu où il n'était pas censé être après une entrée par effraction, Harry se sentit minuscule et honteux. Provisoirement protégé par son buisson, il prit le temps d'examiner les alentours. Il avait environ une heure et quinze minutes avant le rendez-vous avec Kid. Maintenant, il lui fallait trouver « la zone du train » sans se faire voir depuis le grillage de l'entrée.
Eût-il été plus familier avec les méthodes moldues, il se serait inquiété de caméras, mais heureusement, il semblait que toutes les caméras du parc étaient en panne cette nuit-là.
Il marchait et tournait en rond depuis une demi-heure quand son pied heurta quelque chose de dur.
-!!!
Harry sautilla sous la douleur et se mordit la lèvre pour ne pas crier. Par instinct, il regarda alentours mais le parc était toujours immobile. Rien n'avait bougé à part lui. En baissant les yeux, il vit ce qu'il avait heurté : une plaque de pierre surrelevée qui soutenait une cabine de fer. Juste à côté, un rayon de lune tomba à travers un nuage et fit briller d'un éclat argenté les rails qu'il cherchait. Alors que la douleur refluait, il suivit la piste du regard. Trois wagonnets de métal rouge, attachés les uns aux autres, reposaient sur les rails à quelques mètres de l'auror. Au-delà, les rails montaient, puis redescendaient pour remonter plus loin et allaient se perdre dans la nuit. La lune brillait sur les courbures des rails et, plus loin, le premier looping ressemblait à un portail vers une autre dimension, forme noire et sphérique sur le ciel nocturne piqueté d'étoiles.
Harry ne sut jamais ce qui le poussa à grimper sur les rails, devant la cabine. Une crainte latente d'être vu depuis l'entrée ou une curiosité enfantine dans cet endroit qui résonnait des cris de la journée, il ne savait pas. Mais en montant ainsi sur les rails, il le vit.
Kid était perché au plus haut du plus haut looping, les mains dans les poches et le regard levé vers le ciel. La lune, au-dessus de lui, se débarrassa lentement de son manteau de nuages et éclaira le voleur. Son costume blanc sembla briller et éclater dans la nuit noire comme un feux d'artifice. Alors que Harry se demandait comment le prévenir de son arrivée, le voleur tourna la tête et, malgré la distance, l'auror su qu'il le regardait. D'un pas léger, il sauta, ouvrit un grand deltaplane blanc et plana tranquillement en cercle pour atteindre Harry.
En le voyant arriver, l'auror dut se retenir de reculer. Ses collègues et lui avaient dû jouer la rencontre au pierre-feuille-ciseaux et il avait perdu. Harry n'aimait pas rencontrer Kid. A chaque fois, il avait l'impression d'être une proie pour le voleur, lui qui avait tant prit l'habitude d'être un prédateur.
-Bonsoir, tu es en avance, salua le voleur.
-Tu voulais me voir, répondit Harry, sur la défensive.
-Et bien, je voulais vous voir tous les trois, mais je suppose que tu fera l'affaire.
L'auror ne daigna même pas répondre. Il observa Kid ranger son deltaplane et faire quelques pas près de lui. Il observa le parc un moment, puis reprit :
-Alors ? Qu'en est-il de ma proposition ?
Harry se retint de soupirer. Andersen avait raison. Kid leur avait tendu la main mais il n'avancerait pas plus tant qu'eux n'auraient pas réagit. Sous le regard violacé de Kid – le regard de Kuroba, il le voyait maintenant – Harry pensa ce qu'il n'avait jamais pensé de sa vie auparavant.
Fuck it.
-Koizumi veut qu'on t'attrape en échange de son hospitalité, commença-t-il.
-Oui, tu m'as dit, répondit Kid tranquillement, comme si avoir quatre sorciers à ses trousses n'était qu'un vendredi normal pour lui.
Harry resta silencieux, attendant qu'il parle, mais le voleur campait sur ses positions.
-Je suis un sorcier. Andersen, Summers et Koizumi aussi. Notre magie est en train de mourir parce qu'une bombe a explosé dans le Ministère. On est venus au Japon pour comprendre qui, pourquoi et comment.
Kid pencha la tête, attentif.
-En effet, la situation a l'air grave. Et tu me soupçonne parce que je suis magicien, c'est bien ça ?
-Je te soupçonne parce que la bombe n'est pas sorcière et que tu as les talents pour la créer.
Pour la première fois, Kid prit un ton agacé.
-Sache que je n'ai rien d'un meurtrier ! Personne n'est blessé lors de mes vols. C'est la règle.
Avant que Harry ne songe à ce qu'Andersen aurait fait pour jouer de cette colère, le voleur se calma.
-Enfin, ça n'explique pas pourquoi tu me courre après. Mon deltaplane ne peut pas traverser la planète.
-Non, mais ton identité civile oui.
Haussement de sourcil, le retour.
-Je sais qui tu es, continua Harry. Kaito Kuroba, dix-sept ans. Tu vas au lycée d'Ekoda, à Beika, et tu es très lié à Nakamori. Il est même ton complice !
Harry savait qu'il n'avait aucune preuve sur ce point, mais il ne s'attendait pourtant pas à voir Kid éclater de rire.
-Un voleur et un inspecteur ? Ah ! Crois-tu que Nakamori aurait tenu sa position pendant vingt ans s'il y avait le moindre doute sur sa loyauté ? Il ne sait rien de moi, de mon âge ou de mes motivations. Même si tu lui dis, il ne te croira pas.
Un instant, Harry se sentit bête. Il n'aurait sans doute pas dû lancer cette idée qui, à la réflexion, était en effet improbable. Cependant...
-Vingt ans ? Ça veut dire que Kid existait avant ta naissance. Donc, tu n'es pas le premier.
Kid pencha la tête et sourit, peu inquiet de sa révélation. Il observa les rouages tourner dans la tête de l'auror.
-Tu as prit la suite de quelqu'un. Un mentor ? Ou... ton père ?
Le voleur ne répondait toujours rien. Pour la première fois, Harry se demanda pourquoi il avait choisit de les amener dans ce parc. L'évocation de ce père inconnu faisait écho au sien, sur lequel il en savait à peine plus.
Il regarda alentours. Le parc n'avait pas changé mais un vent froid se levait. Harry se demanda si l'endroit avait une connotation particulière pour Kid, un écho qu'il était le seul à entendre.
-Qu'est-il arrivé à ton père ? demanda-t-il.
-Qu'est-il arrivé au tien ?
Pouf, l'instant de connivence disparu. Harry dut admettre que sa question était déplacée. Il papillonna des yeux et chercha à reprendre le fil.
-D'accord, Nakamori n'est pas ton complice. Ce qui veut dire que tu ne peux pas quitter le Japon sans alerter quelqu'un. Mais je connais quand même ton identité secrète.
-Et je sais que tu es un sorcier.
-Mais si tu parles, personne ne te croira, parce que personne ne croit en la magie. Mais ton identité n'est pas si étrange.
-Sauf que tu n'as aucune preuve, et moi non plus.
Ça y était. Aucun des deux ne pouvait prouver l'identité de l'autre.
Le silence devenait pesant. Puis Kid reprit :
-Nous pourrions continuer comme ça, entre voleur et policier. Ou bien nous pourrions admettre que ce petit jeu tourne en rond, et que chacun a besoin de l'autre.
Harry frissonna.
-En admettant que tu puisses m'aider, comment je pourrais t'aider si je ne sais rien de tes motivations ?
-Commençons par tes besoins, petit sorcier, et comment tu peux promettre de ne pas me trahir. Raconte-moi ce qu'il s'est passé.