
Bang
-... Et voilà, conclu l'auror.
Kid, la tête penchée et les bras croisés devant lui, réfléchissait.
-Je vois, fit-il. Tu as vécu bien des déceptions, petit mage. Je comprends mieux ton insistance à me courir après.
-N'en rajoute pas.
-J'ai quelques idées pour trouver ton coupable. Mais d'abord... Comment puis-je être sûr que tu ne me trahira pas si je te dis ce que je cherche ?
-Je viens de te raconter mon enquête depuis le début, ce n'est pas suffisant ?!
-Je suis un voleur. Personne n'écoute un voleur dans la nature. Et c'est impossible pour mon identité civile de raconter tout ça sans être suspecte.
Il restait méfiant, réalisa Harry, mais il supposait que c’était logique. L'auror fixa ses chaussures, cherchant un moyen d'attirer la confiance du voleur. La seule solution qui lui vint lui laissa un goût amer dans la bouche. Il ferma les yeux, se frotta les paupières, puis les rouvrit. Kid attendait, intrigué par son silence, toujours souriant.
Ne fais jamais confiance à un criminel qui sourit, Potter.
La solution qu'il avait en tête ne lui plaisait pas. Elle ne plairait pas à ses collègues, il en était sûr. Elle serait l'équivalent d'un crime de lèse-majesté pour son commandant, si jamais il l'apprenait. Mais c'était la seule solution.
Il fit quelques pas vers le voleur, prit sa baguette dans sa poche et la lui tendit.
-Pour un sorcier, sa baguette est plus importante que sa vie. Je te confie ma baguette en signe de confiance. Sans elle, je suis complètement vulnérable.
Kid l'observa, impassible, puis ses doigts se refermèrent sur le bâton. L'auror se retint de retirer les siens. Sans un mot, le voleur glissa la baguette dans sa poche de veste, puis en ressortit un autre objet. Harry, qui ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d’œil à la poche où son bien avait disparu, reçu en échange une carte à jouer.
-D'accord, fit Kid. J'accepte ta confiance et je te confie moi aussi un élément important de ma vie.
Harry examina la carte. Elle n'était plus toute jeune, les bords étaient jaunis et le grain du carton visible. C'était un as de pique et surtout, elle était trouée en son milieu par un impact circulaire.
-Pour moi, cette carte est un symbole, expliqua Kid. La raison et l'objectif de mes vols.
Harry rangea la carte dans sa poche en prenant soin de ne pas la plier.
-Je suis à la recherche d'une pierre rouge, Pandora, révéla Kid. Elle est censée se cacher dans une autre pierre et rendre immortel. Ça te dit quelque chose ?
Harry cilla. Il mentionna la pierre philosophale qu'il avait trouvée à onze ans.
-« Philosophale » ? répéta Kid. Oui, ça pourrait être ça !
-Elle a été détruite, désolé.
A sa grande surprise, Kid ne parut pas déçu. Au contraire, il sourit et un frisson parcourut le dos de l'auror.
-C'est plutôt une bonne chose si elle est détruite. J'ignore si c'est bien celle que je cherche, mais il est aussi possible qu'il y en ait plusieurs.
Kid s'interrompit quelques instants et observa l'auror, comme s'il pesait le pour et le contre. Harry refusa de se laisser intimider par ce regard calculateur et continua :
-Pourquoi tu veux cette pierre ? Si c'est pour l'utiliser...
-Je ne veux pas l'utiliser, riposta le voleur, son regard violacé braqué sur celui de l'auror. Je veux la détruire. Mon prédécesseur a été tué à cause de cette pierre et elle a déjà causé plusieurs meurtres.
Harry comprit qu'il y avait là quelque chose de plus sombre qu'il n'avait imaginé. En bon auror, il chercha plus d'information.
-Des meurtres... civils ?
-Non. En organisation. Dont les membres s'habillent en gris et noir.
Un haussement de sourcil subjectif fit comprendre à l'auror que le voleur avait eu sa propre dose de suspicions envers eux. Harry fixa Kid, avec son costume blanc qui tranchait tellement dans la nuit noire, et commença à comprendre l'objectif du voleur.
-Si tu penses pouvoir m'aider contre cette organisation, oublie, reprit Kid. Tu n'as pas les capacités pour survivre dans cette noirceur.
La piqûre était douloureuse, d'autant qu'il avait eu sa dose de danger depuis qu'il avait un an.
-Et toi, tu les as ? Alors que tu te balades en blanc ?
-Pourquoi crois-tu que je me balade en blanc ? Ne t'occupe pas de l'organisation, j'en fais mon affaire. Je veux la pierre, tu veux ton coupable. J'ai quelques pistes mais elles sont toutes hors du Japon. Alors voilà ce que je propose : tu m'aides à quitter le pays sans alerter qui que ce soit, et j'utilise mes talents pour trouver des preuves solides pour ton enquête.
Harry avait l'impression d'être à la croisée des chemins. Son instinct d'auror lui intimait d'en apprendre plus sur cette organisation de meurtriers, mais il savait que jamais il ne pourrait convaincre Kid de lui en dire plus.
-Et toi, tu es sûr d'avoir les talents pour m'aider?
Kid se fendit d'un grand sourire, très différent des précédents. Soudainement, il avait l'air d'un magicien à qui on demande de se montrer en spectacle. Il claqua des doigts et un nuage de fumée bleue le recouvrit. Un autre claquement de doigt le fit disparaître et, en l'espace d'une seconde, Summers se tenait devant Harry, son carnet ouvert en main.
-J'ai tout vu, Potter, dit-il avec la voix de son collègue et sans aucun accent. Andersen s'est fait embarquer par un gros gars moustachu avec l'autre touriste ! Dès que tu as fini avec Kid il va falloir le sortir de prison !
Estomaqué, Harry eut toutes les peines du monde à se souvenir que ce n'était pas Summers. Content de son petit effet, Kid continua sur sa lancée et claqua à nouveau des doigts. Cette fois, quand la fumée se dissipa, c'était une copie conforme de Harry lui-même qui se tenait devant lui. Le voleur déguisé attrapa la baguette de l'auror dans sa poche et dessina des arabesques dans l'air.
-Je suis un sorcier venu au Japon pour enquêter sur la disparition de la magie. Ma baguette est plus importante que ma vie et je viens de la confier à un voleur.
-D'accord, j'ai compris, grogna Harry, écarlate. Vire ton déguisement, qu'on parle sérieusement.
Kid obtempéra, très fier de sa petite fanfaronnade.
-Alors, tu es d'accord ?
-Oui, répondit l'auror avec le sentiment de faire un pacte avec un diablotin. Je t'aide à sortir du pays et tu m'aide pour mon enquête.
Ils se serrèrent la main, scellant l'accord.
-Bon, et mes collègues ? reprit Harry. Il faut leur di-
Il ne put jamais finir sa phrase. Brusquement, Kid perdit son sourire et un nuage de fumée explosa autour d'eux. L'auror n'eut le temps de rien faire. Il sentit quelque chose frôler sa manche, tissu contre tissu, puis la présence de Kid, face à lui, s'évanouit.
BANG !
Complètement aveuglé, Harry se sentit prit au piège. D'un geste frénétique, il balaya l'air de ses bras, cherchant à dissiper la fumée.
-Kid ?! Kid !!
Le voleur ne répondait pas. A chaque seconde qui passait, l'auror sentait une terreur brute s'emparer de ses intestins. C'était un coup de feu, ça résonnait dans sa tête comme un écho perpétuel, il devait savoir qui avait tiré. Mollement, la fumée se dissipa enfin et Harry aperçut Kid, affalé contre les rails, le côté droit en sang. Dans la nuit, la tache rouge semblait noire et s'étendait sur le costume blanc comme un poison. Une odeur de poudre lui envahit le nez.
Episkey, Episkey, vite-
Il n'avait pas sa baguette-
Sa magie n'était pas-
Un ricanement derrière lui interrompit le fil de ses pensées. En se retournant, il aperçut un groupe d'hommes en imper et chapeaux melons d'un gris presque noir. Ils étaient plusieurs et ceux à l'arrière du groupe ne pouvaient pas être distingués, à moitié cachés par leurs collègues et la nuit noire. Celui d'en face tenait une espèce de grosse baguette en métal qui fumait.
Un revolver.
Harry savait ce que c'était, grâce au commandant. Il savait ce que ces armes causaient, grâce à la petite excursion qui lui avait valu un blâme. Mais il n'avait jamais vu les dégâts d'aussi près.
-Merci, gamin, ricana l'homme de tête, sa moustache en fer à cheval frémissant de plaisir. Tu l'as placé pile où je voulais.
Le canon de l'arme restait fixé sur lui, trou noir dans la nuit noire, et Harry sentait la terreur commencer à brouiller ses pensées.
Concentre-toi, Harry. Tu es auror.
Mais il était hors de sa juridiction, hors de son pays, hors de sa zone de confort. Ici, il ne pouvait rien faire sans risquer l'incident diplomatique. Même s'il parvenait à atteindre sa baguette avant que l'assassin ne lui tire dessus, sa magie risquait de ne pas répondre.
Pas de magie.
Sans défense-
Un mouvement à la périphérie de sa vision accrocha son regard. Kid bougeait, faiblement.
Vivant-
En un bond, Harry était près de lui. Mais l'homme en imper avait aussi vu le mouvement du voleur.
-Tch, encore un de ses tours, gronda-t-il. Tant pis.
Dans ses mains, son arme cliqua et il la dirigea à nouveau vers le voleur, un peu plus à gauche que son coup précédent. Harry entendit un nouveau coup de feu et sentit un frottement sous son bras, comme un projectile qui passait sous son aisselle. Kid gémit sous le nouveau coup et s'affala un peu plus contre les rails. Il tenait la main contre son flan et l'autre contre les rails, dans l'espoir vain de se relever.
-Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même, reprit l'homme, tandis qu'il faisait signe à ses hommes d'encercler les deux victimes. Tu l'as maintenu en place assez longtemps pour qu'on s'installe. Foutues groupies, ricana-t-il, très content de sa petite blague.
Une main gantée agrippa le bras de l'auror, y laissant une trace entre le rouge et le noir, et Harry sentit que Kid le repoussait. Il refusa de bouger. Ignorant les tentatives du voleur, il chercha un moyen de les défendre. Mais l'assassin était trop loin pour lui envoyer des gravats au visage, sa magie ne répondait plus et il savait que les autres réagiraient au moindre mouvement.
L'homme remit tranquillement une balle dans son revolver, ferma le barillet et s'approcha de ses deux proies. Le bras gauche de Kid finit par lâcher le rail et il s'effondra, haletant. Son costume était déjà à moitié maculé de sang. L'auror le vit pointer un doigt vers sa poitrine et repousser le sol des bras. Un œil bleu violacé, enfiévré, croisa son regard et soudain, Harry se retrouva dans le cimetière où il avait vu la renaissance de Voldemort. Ce n'était plus Kid près de lui, mais Cédric, avec son regard mort, mort, mort-
Un réflexe de la main, fébrile et mal contrôlé, lui fit heurter quelque chose de dur sous la veste du voleur. Frénétiquement, il chercha à tâtons sous le tissu, attrapa la première chose qu'il trouva et la brandit vers l'assassin. Il n'eut pas le temps de se demander ce qu'il avait trouvé que son index pressait la détente. Une carte jaillit de l'étrange pistolet, se planta dans la terre à un bon mètre de l'homme en imper et soudain, tout ne fut plus que fumée rose. Autour d'eux, le cercle d'assassins se mit à tousser et cracher, maudissant Kid et ses gadgets entre deux quintes, tandis que l'auror et le voleur restaient protégés. L'étrange fumée formait un cercle parfait autour d'eux, enfermant les assassins et permettant aux deux victimes de souffler. Mais Harry se doutait que ce n'était que provisoire. Il glissa avec maladresse l'étrange tire-carte dans sa ceinture et se pencha vers Kid. Le voleur continuait de haleter, à moitié inconscient, tenant son flan. Pourtant, il réagit quand l'auror lui chuchota :
-Debout.
Le voleur parvint à se redresser et Harry entreprit de le faire grimper sur son dos. Péniblement, l'auror se mit debout et se dirigea le plus discrètement possible vers la cabine de fer qui contrôlait le train, et qui n'avait pas le toit. Il ne savait pas pourquoi et il s'en moquait. Un instant, Kid lui parut lourd, mais soudain, son poids s'allégea, inexplicablement. Le souffle hiératique du voleur le dissuada de poser des questions. Il pouvait sentir son sang qui coulait dans son dos et la tête de son propriétaire qui dodelinait contre son épaule. Parvenu contre la paroi de la cabine, il murmura :
-Accroche-toi, on grimpe.
-At... tends.
Sa voix était quasiment inaudible. Le cœur battant, Harry attendit. Il sentit plus qu'il ne vit Kid se détacher de son dos, tout en gardant le bras autour de son cou, chercher dans sa veste et en sortir quelque chose de mou. Il prit appui sur l'auror et le balança en l'air. Harry le suivit du regard et la petite chose blanche se déplia d'un coup, pour devenir une poupée à l'image du Kid. Son deltaplane saisit le vent et la poupée s'éloigna mollement. Kid retomba sur les épaules de l'auror.
-C'est... p-parti, marmonna-t-il, agrippé, et Harry reprit son ascension.