
Le mage et le serpent
-DEHORS !! rugit Akako.
Il ne se le fit pas dire deux fois. Conscient qu'il venait de voir quelque chose d'interdit, Harry rétro-pédala en vitesse. Il remonta le couloir jusqu'à l'escalier mais il eût encore le temps d'entendre un bruit de verre brisé, puis le souffle de quelqu'un qui tombe au sol. Le pied sur la première marche de l'escalier, il tendit l'oreille. L'aura furieuse de Koizumi, lourde et sinueuse, reculait et diminuait, lentement remplacée par un bruit de sanglots. Spontanément, Harry se retourna, mais il se doutait que Koizumi ne voudrait pas être surprise dans cet état. Alors, le cœur tiraillé, il remonta une à une les marches de l'escalier et revint dans son lit, essayant de ne pas penser à la fille qui pleurait en bas et à la découverte qu'il venait de faire par hasard.
Aux petites heures du matin, Harry voyait encore le regard de l'horrible créature dès qu'il fermait les yeux. Sans savoir que quelqu'un d'autre avait le même problème, à l'autre bout de la ville, il se tournait et se retournait dans son lit, incapable de se rendormir. Son miroir n'avait plus réagit et ce silence lui portait sur les nerfs. Finalement, Harry abandonna l'idée de dormir et se redressa. Le soleil se levait à peine au-dehors. Il alluma la lumière, glissa quelques friandises dans la cage ouverte de Hedwige – une manière de l'attirer quand il rentrerait de sa chasse nocturne – et entreprit d'écrire une lettre. Machinalement, il posa la main sur sa baguette mais ses doigts s'immobilisèrent. Il savait que c'était inutile, mais quelque chose en lui espérait toujours que la perte de sa magie n'était qu'un long et pénible cauchemar.
Sa baguette n'émit aucune chaleur dans sa main quand il la prit, alors il la reposa et entreprit de trouver de quoi écrire. Heureusement, le bureau de sa chambre était largement fourni et il n'eut aucun mal à trouver du papier. L'un des tiroirs contenait des dossiers scellés et des stylos. Il mit quelques secondes à se rappeler que les moldus n'utilisaient pas de plume ni de parchemin, en attrapa un et déplia une feuille. Comme s'il avait sentit la mission qui l'attendait, Hedwige se posa sur la fenêtre alors que Harry venait de finir.
Sa lettre envoyée, il descendit vers la salle à manger, où il trouva Summers et Koizumi, flanquée de son majordome. En le voyant apparaître, elle lui lança un regard noir. Il l'ignora.
-Salut Potter, marmonna Summers en feuilletant son carnet. T'as des cernes à tomber par terre.
-Cauchemar, répondit vaguement l'auror.
Il ignora le regard compatissant de son collègue et parcouru la pièce des yeux. La table était déjà mise pour quatre personnes et tête-de-crapeau se tenait près du mur, un torchon sur le bras, immobile. Les fenêtres étaient ouvertes, laissant passer l'air frais du matin, et le soleil commençait à réchauffer la pièce. Andersen apparut, finissant un long bâillement.
Par accord tacite, les trois aurors attendirent la fin du petit-déjeuner avant de récapituler le fiasco de la veille. Si Andersen remarqua la colère latente de Koizumi envers Harry, il n'en dit rien.
-Bon, soupira Summers, et l'ambiance agréable du repas s'assombrit aussitôt. Que fait-on ? Notre dernière piste est morte.
-Vous n'avez qu'à retourner en Angleterre, siffla Koizumi, sèchement.
Mal à l'aise, Harry ne dit rien.
-Je suppose, marmonna Summers du bout des lèvres. Il faut bien le reconnaître, on n'a plus de raison d'être ici.
-Si encore on savait qui était Kid, on pourrait lui faire du chantage, ajouta Andersen.
Son regard oscillait entre Koizumi et Harry. La première fixait le second en cachant mal sa colère, le second évitait au maximum son regard.
La table se couvrit de silence. Summers commençait à comprendre que quelque chose n'allait pas.
-... Potter ?
-J'ai envoyé Hedwige avec une lettre pour Hermione, dit-il en fixant le sucrier sur la table. J'aimerai autant attendre sa réponse ici.
Andersen n'était pas dupe. En bon serpentard, il flairait quelque chose de sous-jacent.
-Il te retrouvera où que tu sois, rappela-t-il. Tu es sur qu'il n'y a pas d'autre raison ?
Harry passa trois secondes à maudire la perspicacité des serpentards. Puis il se rappela qu'il était Harry Potter, héros du monde de la sorcellerie, et que le dernier serpentard à qui il avait eu affaire s'était réduit en poussière tout seul.
-J'ai... trouvé l'identité de Kid, annonça-t-il.
-Séreux ? T'es sûr ? C'est qui ?!
-Minute, t'as des preuves ?!
-Kaito Kuroba, l'ami de la fille de l'inspecteur, expliqua-t-il.
Pendant quelques instants, il observa ses deux collègues comparer Kid et Kuroba et constater la ressemblance.
-Attends, mais je croyais que c'était un maître du déguisement ? C'est peut-être juste son masque favori ?
-Potter, tu l'a appris comment ?
Harry lorgna vers Akako, qui ne disait toujours rien, puis regarda Andersen méfiant et Summers plein d'espoir.
Fonce, Harry.
-J'ai trouvé Koizumi avec un miroir magique cette nuit, dit-il, et il y avait Kid et Kuroba dedans.
Tous les regards convergèrent vers Akako.
-Mademoiselle Koizumi, vous confirmez ? demanda Andersen d'une voix polaire.
-Oui, gronda-t-elle.
-Et vous ne nous avez rien dit parce que... ?
-Parce que ce n'est pas votre affaire !!
-Ça l'est depuis hier, répliqua Andersen.
-Kuroba n'a rien à voir dans votre enquête !
-Il est lié à Nakamori, qui a visité l'Angleterre il y a deux mois. Avec le talent de Kid, qui nous dit qu'ils n'ont pas organisé ensemble cette explosion ? Qui irait soupçonner un inspecteur étranger et un adolescent encore au lycée ?
-Vous n'avez aucune preuve !!
-Non, concéda Andersen, mais nous ne connaissons pas les limites du talent de Kid et nous n'avons aucune preuve qui empêche cette hypothèse.
Harry réalisait lentement ce qu'était en train de faire son collègue. Tous les regards étaient rivés sur lui. La révélation de Harry n'était plus que la base de son hypothèse. Summers réfléchissait, tournant une à une les pages de son carnet. Koizumi fulminait, incapable de justifier son omission, qui, effectivement, aurait pu changer la donne.
Andersen avait ôté le projecteur de sur Harry et manipulé la conversation pour prendre l'ascendant sur Koizumi. Jusque là, elle était en position de force car les trois aurors n'avaient pas encore remplit leur part du marché. Désormais, les rôles étaient inversés.
-C'est une obstruction d'enquête avérée, confirma Andersen. Ça va dans les deux ans de prison avec sursit. De quoi gâcher votre année scolaire et vos moyens de côtoyer Kuroba.
Koizumi vira au rouge et ne répondit rien.
Serpentard, murmura une petite voix dans la tête de Harry.
-Cependant, je n'oublie pas que vous nous avez hébergés tout ce temps, reprit l'auror. Alors, si vous acceptez que nous restions ici encore une semaine, on ne vous dénoncera pas.
Le visage écarlate, elle finit par accepter et quitta la pièce en claquant la porte derrière elle.
-Andersen ?
-Quoi ? grogna-t-il en se massant le cou.
-Rappelle-moi de ne jamais t'énerver.
-Bon, mais en vrai, on peut pas l'accuser comme ça, reprit Harry plus tard. Ce sont juste des suppositions.
-C'est vrai, dit Summers. Y a aucune preuve.
Andersen et Koizumi étaient partis, laissant les deux aurors seuls.
-Je ne pensais pas qu'Andersen était aussi... retords, songea Harry.
-C'est un serpentard, il a été biberonné à voir les failles, répondit Summers.
-Tu connais sa famille ?
-Sa mère est une sang-pur désargentée et reniée par ses parents parce qu'elle était à Poussoufle. Son père est mort et son dossier est classé secret. Je ne connais même pas son nom.
Vu la proportion de Summers à faire des recherches – talent que Harry n'avait vu jusque là qu'en Hermione – ça ne pouvait vouloir dire qu'une chose. Le dossier contenait des informations potentiellement dangereuses. Harry se souvint d'une insinuation d'Andersen, à savoir que son père était mort en contrant Voldemort. Même si la peur latente des Années Noires avait en majorité disparu, il demeurait dans le monde sorcier un tabou qui empêchait d'en parler ouvertement. Harry n'était pas certain de ses sentiments à ce propos.
Dans son fauteuil, Summers jouait avec un verre de scotch, servit par le majordome à tête-de-crapaud. Pour une fois, son carnet était fermé, posé sur la table, et il n'y touchait pas.
-Tu sais, dit-il en fixant les reflets moirés de sa boisson, j'ai toujours pensé que la magie était plus forte que tout. Mes parents sont moldus, ils n'ont jamais accepté que je sois un sorcier mais moi, j'ai toujours adoré ça. Je ne sais pas comment l'expliquer...
Il fit un geste vague du poignet, comme s'il tenait sa baguette et voulait jeter un sort.
-La magie m'a sorti de ma vie monotone, reprit-il. Elle était plus forte que les disputes de mes parents, plus forte que tout. A Poudlard, j'ai appris que tout était possible. Même les sortilèges interdits : s'ils étaient interdits, c'est parce qu'ils marchaient. Des choses que les moldus prennent pour de la fiction, pour les sorciers c'est la réalité.
Il serra et desserra le poing, perdu dans ses pensées.
-Mais maintenant, la magie disparaît, et tout s'écroule. Tout ce que je croyais, ma vie entière est en train de s’autodétruire. Tu sais pourquoi ?
Harry fit « non » de la tête.
-Parce que je me suis trop appuyé sur la magie. J'ai renié mes origines. Je n'ai plus vu mes parents depuis vingt ans. Je ne sais même pas s'ils sont vivants. Tout ça, parce que j'étais trop obnubilé par la magie et ses possibilités.
Il se frotta les paupières et son regard se perdit dans le vide, mélancolique.
-C'est peut-être pour ça que cette bombe a eut un tel impact.